Les
gombos
Serge Hamon, André Charrier
Les
gombos, autrefois rattachés au genre Hibiscus, constituent
aujourd'hui
le
genre Abelmoschus,au sein de la famille des malvacées. Parmi les
dix
espèces
reconnues actuellement, deux sont cultivées
pour
leur fruit,
qui
est un légume
très populaire dans la plupart des pays tropicaux et
méditerranéens:
A. escu-
lentus et A. caillei. Deux autres espèces, de moindre importance, font
l'objet
d'une
culture:
A. manihot,
pour
ses
feuilles, et A. moschatus, pour sesgraines.
Aucune
donnée
statistique précise n'est
disponible
pour
ces espèces auto-
consommées ou destinées aux marchés locaux, mais on estime que la
produc-
tion
mondiale
de gombos est de
l'ordre
de 5 à6
millions
de tonnes par an, ce
qui
représente
environ
1,5 %de la
production
de légumes. En
Afrique
de
l'Ouest, les gombos
occupent
la deuxième place des productions légumières
derrière les tomates.
Les jeunes fruits du
gombo
sont généralement commercialisés en frais et par-
fois en conserve (Etats
-Unis
,Grèce). Dans les régions arides,
comme
le Sahel,
et en Inde, les fruits découpés en tranches sont séchés au soleil et conservés
sur de très longues périodes. Ce légume fruit, apprécié dans de
nombreux
pays, est
utilisé
comme
condiment
ou
comme
liant
dans les sauces . Il a
une
valeur
nutritionnelle
intéressante
pour
compléter
une
alimentation
déséquilibrée.
313
L'amélioration des plantes tropicales
Le fruit est en effet riche en glucides (7 à 8 %de la matière sèche), présents
essentiellement sous forme de mucilage. Il est assezpauvre erl fibres mais riche
en protéines
pour
un légume fruit (1,8 %de la matière sèche),
l'acide
aspar-
tique et
l'arginine
représentent 10 % des acides aminés. Il
contient
peu de cal-
cium
(90
milligrammes
pour
100 grammes), de phosphore (56 milligrammes) et
de magnésium (43 milligrammes), et très peu de potassium. Le
gombo
est assez
pauvre en vitamines mais sa
valeur
nutritive
est
honorable,
loin
derrière
la
carotte mais devant la tomate. De plus, les graines sont une source de
pro-
téines (20 % de la matière sèche) et de lipides (14 %).
L'organisation évolutive
Les formes cuItivées
A. esculentus est une plante annuelle,
multipliée
par graines, des régions
tropi-
cales, subtropicales et méditerranéennes.
Ses
jeunes fruits sont récoltés
imma-
tures, 3 à 5 jours après la fécondation (planche XIII, 1). Il leur faut
environ
un
mois
pour
atteindre la maturité complète.
Cette espèce est cultivée presque toute l'année en zone tropicale, mais elle se
développe
mieux
pendant la saison chaude et humide. Elle demande des tem-
pératures minimales de
l'ordre
de 20 "C et peut être semée sur une très large
gamme de sols, mais de préférence bien drainés, bien préparés et
dont
le pH
est compris entre 6 et 7. Bien que la fertilisation soit rarement pratiquée, il est
recommandé
d'appliquer
un engrais organique (10 tonnes par hectare) avant
le semis, puis de réaliser un apport
d'urée
(150 kilos par hectare) et de
chlo-
rure de potassium
(150
kilos par hectare) en
deux
ou trois
applications.
Le
semis s'effectue avec 7 à 10 kilos de semences à l'hectare, soit directement, à
raison de 3 à 4 graines par poquet, soit sur billons, avec un écartement sur la
ligne de 20 à 40 centimètres et un interligne de 50 à 60 centimètres. En
culture
industrielle, il faut
prévoir
un arrosage tous les deux jours : une plante adulte
consomme
l'équivalent
de 8 millimètres d'eau par jour.
En
Afrique
de l'Ouest, A. esculentus est
cultivé
en association avec A. caillei.
Ces
deux
espèces se distinguent
notamment
par les caractères
floraux
et le
nombre
chromosomique.
A. esculentus, insensible à la
photopériode,
com-
mence àfleurir 1à2 mois après le semis,
qui
a lieu au
début
de la grande
saison des pluies, en mai. Il
produit
pendant cette saison,
d'où
son appellat
ion
«
gombo
de saison des pluies». A. caillei, plus
tardif
et photosensible - sa flo-
raison intervient entre 2 et 4 mois et son cycle peut durer un an - , est
connu
comme
le «
gombo
de saison sèche », c'est-à-dire qui
produit
en saison sèche.
A. caillei est également plus
encombrant
et nécessite un écartement intra et
interligne de 75 centimètres.
314
L'amélioration des plantes tropicales
Avec un
minimum
d'expérience, il est aisé de différencier ces deux espèces à
leur aspect général - leur port - ou en observant le nombre et la largeur des
segments du calicule.
En
revanche, il est difficile, àpartir
d'un
fruit sec et isolé
de la plante, de déterminer àquelle espèce il appartient. Quelques caractères
sont cependant discriminants
comme
la
coloration
générale du fruit sec, la
longueur et la forme du pédicelle, la striation des graines, la longueur et la lar-
geur du fruit àmaturité et sa pilosité
(STEVELS,
1990;
planche XIII, 2).
Ces deux espèces coexistent de la Guinée
(HAMON
et al., 1986) au Cameroun
(STEVELS,
1990), mais leur fréquence relative et le nombre de leurs variétés en
culture sont très variables selon les zones géographiques et les ethnies. Hormis
les fruits, les feuilles d'A. caillei sont parfois consommées, notamment dans le
nord-ouest de la Côte d'Ivoire.
L'espèce A. manihot, dont les fruits sont trop épineux
pour
être consommés,
est cultivée en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour
ses
feuilles. Les plantes ont
d'ailleurs parfois perdu leur capacité àfleurir et sont multipliées par bouturage.
L'espèce A. moschatus n'a que des utilisations occasionnelles.
Ses
graines, à
l'odeur
musquée, sont connues sous le nom d'ambrette et entrent dans la pré-
paration de parfums. Elle est également utilisée au cours des rites animistes
dans le sud du Togo et du Bénin. Si
l'on
s'en tient àla traduction des noms
vernaculaires, elle possède le statut de plante de substitution lorsque le totem,
plante non autorisée àla consommation
pour
un
individu,
est précisément
l'une
des autres espèces de
gombo
.Différentes formes
d'A.
moschatus
et
d'A.
manihot
coexistent avec A. esculentus en Thaïlande, A. caillei n'a pas
été rencontré
(HAMON
et al., 1987).
LA BIOLOGIE
ET
LE
MODE
DE REPRODUCTION
Lesgombos se caractérisent par une croissance indéterminée. Leur floraison est
continue mais très dépendante des stressbiotiques et abiotiques. En général, la
plante porte sa première fleur 1à2 mois après le semis. Pour A. esculentus, il y
a alors émission
d'une
fleur, uniquement sur l'axe orthotrope, tous les deux ou
trois jours. Pour A. moschatus, A. manihot et A. caillei, le nombre de fleurs
épanouies par jour, qui dépend du degré de ramification, peut être
d'une
quin-
zaine, mais les exigences photopériodiques de ces espèces sont encore mal
connues. Le fruit est une capsule.
Sa
croissance est très rapide puisqu'il peut
atteindre 5centimètres de long 3 jours après la floraison, stade de récolte le
plus fréquent pour la consommation en frais.
Les espèces du genre
Abelmoschus
ont toutes des fleurs hermaphrodites,
dont
les pétales, le plus souvent jaunes, attirent de nombreux insectes. Leur floraison
est
fugace:
les fleurs s'épanouissent le matin, peu avant l'aube, et se flétrissent
au
milieu
de
l'après-midi
; leurs pétales prennent alors parfois une
couleur
rouge. Le style, long de 3 à5centimètres, est entouré
d'une
colonne staminale,
qui peut porter plus
d'une
centaine d'anthères (planche XIII, 3). L'autopollen
des anthères supérieures est mis en contact avec les stigmates par simple élon-
315
L'
am
élioration des plantes tropicales
gation de la colonne staminale ou par
l'int
ermédiaire des insectes. Ces derniers
peuvent aussi hiculer de l'allop
oll
en. La germination de l'autop
oll
en est tou-
jour
s possible - il n'y a pas d'auto-incompati
bilité
-,
sans que l
'aut
ogamie
soit stricte pour autant. Des taux
d'a
llogamie très variables, de aà 69 %, ont
été observés pour A. esculentus (CH
ARRIE
R, 1984).
Les études menées par l'ORSTOM sur la biologie florale ont permis de préciser
le mode de reproduction des go
mbo
s et le processus de leur condation. En
se fondant sur la classification établie par
CR
UDEN
(1976) sur la base de la part
relative des fonctions le et femelle - mesurée par le logarithme du ra
pport
,
par fleur, entre le nombre de grains de pollen émis et le nom bre d'o
vul
es
disponibl es
-,
on a confirmé le mode de re
produ
ction
prérentiellement
autogame des g
ombo
s. Les indices calculés sont de 2,0 pour A. eseulentus et
A. caillei et de 2,2 pour A. manihot et A.
mo
schatus, ce qui correspond àune
allocation de ressources reprodu ctives caractéristique de ce mode de repro-
duction (
HAMON
et K
OE
CHLI
N, 1991a).
Pour ce qui concerne le processus de fécondation, on a montré, grâce à des
mar
queur
s de co lora
tio
n, que l'autoféc
ondation
progressait au cours de la
matinée. En effet, en p
ollini
sant des variétés vertes avec du poll en provenant de
plantes rouges - coul eur d
omin
ante en F1- , on obtient des taux d'hybrides
diff
érents selon l'heure à laquelle l'allop
ollini
sation a eu li
eu:
de nom breux
hybridessi l'allopo
lli
nisation est pratiquée à 6 heures du matin et presque aucun
si elle est réalisée àmidi (
HAMO
N et K
OEC
H
LIN,
1991b). La fleur du gombo
ass
ure
donc par défaut son autofécondation.
En condi
tio
ns naturelles, le
niv
eau d'all ogami e dépend des facteurs écolo-
giques, de la structure florale de la variété, c'est-à-dire de la posit
ion
relative
des étamines sur la colonne staminale et de la vitesse de croissance de cette
dernière. Il est également conditionné par les insectes transporteurs de pollen
- leur nature, leur m
obilit
é et leur aff
inité
pour le nectar. La psence en
dé
but
de matinée de n
omb
reux insectes très mobiles peut favoriser l'all o-
gamie. L'isolement des fleur s est né
cessa
ire pour contler l'autofécondation et
pour garantir la pure des variétés hybrides pr
oduit
es.
LA
DIVE
RS
ITÉ DES FO
RMES
CULTIVÉ
ES
Plusieurs prospections ont été réalisées en Afrique et en Asie. Elles ont permis
de r
éunir
des collections représentatives de la diversité des formes cultivées.
Des co
llec
tions sont actuellement conservées aux Etats-Unis par
l'U
SDA
(United States Departm ent of Agriculture), au Nigeria par le
NIHORT
(Natio nal
Horti
cultural Research lnstitute), en France par l
'ORSTOM
, en Côte d'Iv
oir
e
par l'IDESSA (Institut des savanes), en Inde par le NBPGR (National Bureau
of
Plant Genetic Res
ource
s) et aux
Phili
ppin
es par l'!PB
(lnstitut
e of Plant
Breeding). Grâce àl'action de l'IBPGR (International Board for Plant Genetic
Res
ources), un seau d'échange de semences a é mis en place.
316
L'amélioration des plantes tropicales
L'analyse des échantillons de l'espèce A. esculentus a mis en évidence une
répartition géographique inégale de sa variabilité
morphologique
et
phénolo-
gique. Les plantes originaires du bassin méditerranéen et de l'Inde présentes
dans la
collection
de
l'USDA
sont peu
polymorphes,
même
si
quelques
variétés,
comme
Pusa Sawani, sont incontestablement originales
(MARTIN
et sl.,
1981). En revanche, les gombos d
'Afrique
de
l'Ou
est, cultivés de la
Guin
ée au
Cameroun, sont très diversifiés; on rencontre dans cette région une
multipl
i-
cité de formes variétales,
qui
diffèrent par la durée de leur cycle, leurs
dimen-
sions et la coloration de leurs organes, en particulier celle des fruits. Chacune
est adaptée aux conditions locales de sa cultur
e:
formes naines et précoces
pour
les zones sahéliennes,
comme
dans la région d'Agadez au
Niger;
variétés
de grande taille associées au
mil;
variétés àcycle
court
semées en contre-
saison sur les buttes d'igname... Leurs fruits
vont
du blanc au violet en passant
par différentsverts et présentent des dimensions et des formes inconnues dans
d'autre
srégions.
Deux
variétés, abondantes au
Togo
et au Bénin,
ont
des
caractéristiques
remarquables:
Joue
d'Agouti,
dont
le fruit vert atteint 6centi-
mètres de diamètre, et Corne d
'Antilope
, au
fruit
long
de 45 centimètres à
maturité.
La caractérisation de l'ensemble des échantillons montre que l'espèce A. cail/ei
peut être considérée comme endémique de l'Afrique de l'Ouest et du Centre.
Cette espèce côtoie A. esculentus sur trois degrés de latitude, de la zone fores-
tière au sud du Sahel
(HAMON
et
HAMON
,1992). Elle est absente du Soudan, qui
représente la
limite
orientale de son extension. Elle est plus photopériodique et
plus tardive
qu'A.
esculentus. Elle offre aux agriculteursafricains un bon moyen
d'allonger la période de production.
Sa diversité
porte
principal
ement sur les caractéristiques du fruit -
forme
,
aspect, position. On observe ainsi une fréquence non négligeable de variétés
locales
dont
les fruits ont une position horizontale ou retombante par rapport à
la
tige
,
qui
s'a
ccompagne
d
'un
pédicelle
parti
culièrement
long
- seule
l'espèce A. mos chatus possède des pédicelles aussi longs. La surface du fruit,
très rugueuse, est couverte de poils, qui peuvent se transformer en épines. Ce
caractère est parfois associé surtout en
Guinée
centrale, à la présence
d'un
duvet roux sur les graines, qu
'on
ne retrouve que chez quelquesintroductions
d'A. manihot. Les organes végétatifs ont souvent des dimensions supérieures à
celles d'A. esculentus -hauteur en fin de cycle, diamètre de la tige, surface
foliaire, longueur des pétioles,nombre de rameaux primaires fructifères.
Le potentiel de production des plantes adultes est largement supérieur àcelui
d'A. esculentus :le
même
jour
on
peut
observer
jusqu'à
qu
inze
fleurs par
plante,
donc
quinze
fruits consommables trois
jour
s plus tard, ce
qui
corres-
pond
, dans les conditions africaines, àl'ensemble de la
production
moyenne
d'une
plante de la variété Clemson Spineless d'A. esculentus, par exemple. "
faut toutefois pondérer ce dernier
point
par une plu s faible densité potentielle
àl'hectare, due à l
'encombr
ement des plantes.
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