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SRI SATHYA SAI BABA, UNE BIOGRAPHIE - BILL AITKEN

SRI SATHYA SAI BABA,
UNE BIOGRAPHIE
BILL AITKEN
Sharanam Ganesha, Ganesha Sharanam
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TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
CHAPITRE 1 : UN MOYEN DE GRÂCE
CHAPITRE 2 : L’AMOUR COMME GUIDE
CHAPITRE 3 : LE CADRE DU DECCAN
CHAPITRE 4 : INFLUENCES RELIGIEUSES
CHAPITRE 5 : LE REMARQUABLE FAKIR DE SHIRDI
CHAPITRE 6 : ÉLEVER CEUX DE BASSE CONDITION
CHAPITRE 7 : FORTE ASCENSION SPIRITUELLE
CHAPITRE 8 : DIEU EN TROIS PERSONNES
CHAPITRE 9 : ÉCOUTEZ LA PAROLE
CHAPITRE 10 : BRANCHÉ SUR L’INFINI
CHAPITRE 11 : ROUTINE QUOTIDIENNE ET TÂCHES COURANTES
CHAPITRE 12 : CAR MES YEUX ONT VU
CHAPITRE 13 : RASSASIER LES AFFAMÉS ET COMBLER LES DÉSHÉRITÉS
CHAPITRE 14 : DES LEÇONS QUI DÉPASSENT LA RÉFLEXION
CHAPITRE 15 : DISPERSER LES ORGUEILLEUX
ÉPILOGUE
GLOSSAIRE
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16
30
40
53
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140
155
171
185
195
204
PRÉFACE
C’est une longue route jusqu’aux pieds de l’Un, mais nous l’empruntons tous.
Rudyard Kipling dans Kim
Ecrire à propos de la vie et de l’époque de Sri Sathya Sai Baba, c’est accepter une
tâche apparemment impossible. Comment peut-on exprimer son statut divin sans
inviter l’incrédulité ? Si elle est écrite entièrement pour des non croyants, l’histoire
restera à moitié dite. Et il n’est pas non plus correct de ramener des faits vérifiés de
nature apparemment miraculeuse à un catalogue de rationalisations neutres. Comme
W.H. Murray, le mystique alpiniste le dit : ‘’Le but n’est pas d’abroger la raison, mais
de l’élever. Un chameau ne peut pas passer dans le chas d’une aiguille, mais la vision le
peut.’’ Murray recommande l’art alchimique de l’unification pour nous aider à
traverser l’espace apparemment infranchissable entre notre monde et le royaume de
l’Esprit, harmonisant par là les leçons de la tête et les enseignements du cœur.
La seule façon dont un étudiant itinérant en religion (par opposition à un dévot Sai)
peut expliquer le phénomène Sai est de recourir à son agenda de voyage dans lequel,
pendant trois semaines chaque hiver sur une période d’une douzaine d’années, il
rapporta les merveilles cachées de la topographie du Deccan et sa riche théologie.
L’auteur, pour emprunter un commentaire de Thomas Carlyle à propos du poète
Robert Burns, ‘’dit ce qu’il y a en lui, non par besoin externe de vanité, mais parce que
son cœur est trop plein pour rester silencieux’’.
Cette enquête historique et théologique, tout en cherchant à percer le halo qui entoure
Sathya Sai Baba et Shirdi Sai Baba, n’exprime pas vraiment d’opinions pour ou contre
les associations fabuleuses qui sont apparues autour de leurs noms. Ce qu’elle tente,
puisque les étudiants sérieux de l’opération de la grâce veulent de la substance qu’ils
peuvent (suivant les paroles de Sathya Sai Baba) ‘’observer, étudier et peser’’, c’est une
étude de sa source énigmatique et des détails de son fonctionnement sur un
bénéficiaire qui peut témoigner de son impact. Si, ici ou là, cela a conduit à une
digression dans des explications sur la manière dont un Ecossais itinérant est tombé
amoureux du Deccan et de sa lignée de modèles extraordinaires de grâce spirituelle, je
m’en excuse à l’avance.
Il me faut remercier Shalini Sreenivas pour avoir suggéré que ce livre soit écrit et pour
avoir offert des documents et des encouragements pour permettre son achèvement.
David Davidar de chez Penguin a régulièrement apporté son soutien aux intérêts non
conventionnels de l’auteur, tandis qu’à Karthika est revenue la tâche astreignante de
débroussailler et d’ajouter de la clarté à cette excursion numineuse. A Himanshu
Bhagat, je suis redevable de sa vision d’ensemble détachée d’un terrain difficile à
sonder et à Shantanu Ray Choudhary de ses intuitions correctives inestimables. Rajiv
Mehrotra a gentiment aidé à accélérer la dactylographie, assisté par Lalita à Delhi et
par Jayashree à Bangalore. Je dois aussi remercier Paras, notre chien fidèle et exubérant
qui a permis que les délais soient respectés en me réveillant chaque matin. Ma
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principale inspiration a été l’amour infini que Rani Ma ressent pour son guru, Sri
Sathya Sai. Ce livre est offert avec révérence à la source de cet amour.
Mussoorie,
Avril 2004
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CHAPITRE 1 : UN MOYEN DE GRÂCE
IL existe des douzaines de marques de religion, mais un seul Esprit qui les imprègne
toutes. Celui qui colporte la proposition qu’une marque est meilleure qu’une autre
implique qu’il les a essayées toutes, ce qui le rendrait omniscient ou plus
probablement que c’est un vendeur qui tente de faire passer son bluff pour de la
certitude. L’étudiant en religion apprend à se méfier face à de telles prétentions,
faisant confiance à sa propre expérience de l’Esprit, quelle que puisse être sa modestie.
Spécialement dans un récit de phénomènes concernant Sai Baba, il est important
d’insister sur l’importance du contenu par rapport à la forme, dès le départ.
Les deux maîtres, Shirdi Sai et Sathya Sai, insistent sur le besoin de dépasser les
étiquettes extérieures et de goûter l’Esprit intérieur. Tandis que la religion évoque
principalement une croyance publique passive transmise de manière systématique, la
conscience de l’Esprit qui imprègne la religion exige une réponse individuelle plus
profonde à la réalité du divin. La première s’apprend par l’endoctrinement de l’esprit,
la deuxième s’expérimente spontanément dans le cœur. Le groupe de ceux qui suivent
Sai Baba et qui semble comprendre un mouvement religieux est plus une foi qui se
meut dans l’Esprit, un rassemblement d’individus convaincus qu’ils ont un lien
émotionnel direct avec leur Maître élu. Cette expérience ne se limite pas à des âmes
extrasensibles (ce que le monde appelle des ‘’mystiques’’, mais elle est vécue par des
gens ordinaires qui répondent à la présence de l’une des figures de Sai Baba avec un
cœur rempli d’amour.
Et l’essence de l’amour, c’est de partager. Lorsqu’on m’a demandé d’écrire à propos de
la vie et de l’époque du saint en évitant les excès hagiographiques auxquels les
croyants trouvent difficiles de ne pas céder et qui dégoûtent le chercheur ordinaire qui
veut de l’information et non de l’exagération, je fus d’accord d’essayer. Ce que Sai Baba
éveille en moi, c’est un sentiment si merveilleux que je suis persuadé que chacun dans
le monde voudrait l’expérimenter. Malheureusement, les talents de guérison de Sathya
Sai ont été occultés par la mauvaise presse qui traque tous ceux qui revendiquent la
connaissance de ce qui est saint. Beaucoup de personnes qui auraient pu être aidées
dans leur quête de la santé et de la complétude ont choisi de se fier aux comptesrendus des médias plutôt qu’à la sagesse de leur propre instinct. Cet essai
biographique vise à chasser les doutes de ces âmes hésitantes.
Initialement, j’étais peu enthousiaste à m’attaquer à cette tâche, parce que la religion
en Inde est une question délicate aujourd’hui, spécialement quand elle est traitée par
quelqu’un qui est né en dehors du sous-continent. Je ne connais pas non plus le
télougou, la langue maternelle de Sathya Sai, bien que je trouve que de toutes les
langues indiennes, ce soit la plus plaisante à l’oreille. Quand il me fut indiqué que
même le biographe reconnu de Sathya Sai Baba, le Prof. Kasturi, connaissait mal le
télougou et qu’il avait, lors d’une occasion mémorable, vêtu une assemblée d’anciens
rishis de sahariennes modernes, je pris courage. De toute façon, la grâce que Sathya
Sai incarne ne peut s’exprimer que dans la langue du cœur et celle-ci est universelle.
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Après avoir écrit presque une douzaine de livres de voyage, il m’apparut que la muse
avait fini par admettre le craquement de mes vieux os (ainsi qu’une machine à écrire
hostile à tout progrès technologique), de sorte que la seule option qu’il me restait était
le voyage intérieur. L’inspiration nécessaire (et le matériel informatique) provinrent
d’une ancienne étudiante et maintenant instrument de Sai Baba, dont la confiance et
l’énergie sont tellement impressionnantes qu’elles ne peuvent trouver leur origine que
dans ce centre énergétique qu’est Puttaparthi. Toutes mes réserves et toutes mes
hésitations furent annulées par la promesse que Sathya Sai interviendrait d’une
manière ou l’autre pour accélérer le projet. A l’encontre de l’inertie que la vieillesse
estime avoir mérité, je fus encouragé à explorer la magie de l’informatique et à
découvrir à quel point le phénomène Sai est contemporain.
L’étude initiale des écrits concernant Sai Baba s’avéra fastidieuse jusqu’à ce que des
anecdotes partagées par cette même dame leur donne la vie. Ce qui débuta comme
une corvée devint une fascination authentique et j’en vins lentement à comprendre
que je n’écrivais pas réellement un livre sur Sai. Au lieu de cela, quelque chose en moi
se trouvait incité à écrire à propos d’une réalité que la vie des deux Sai reflétait et ceci
me faisait subtilement comprendre que cette étude était un moyen de grâce par lequel
ma propre âme pouvait approcher de la réalisation de Sai. Malgré le fait que Shirdi et
Sathya Sai appartiennent en apparence à des fois différentes et à des époques très
différentes, le fait qu’ils soient tous les deux nés dans le Deccan – Shirdi dans le nord
où l’on parle le marathi et Puttaparthi dans le sud où parle le télougou – peut être vu
comme symbolique de l’unité sous-jacente à leur être et du processus d’unification
qu’ils incarnaient dans leurs vies. Comme Guru Nanak, ils sont vénérés pour être
consciemment éclectiques, préférant une approche de la religion plus humaine, plus
tendre, plus lyrique, qui est plus douce pour le soi. Leur approche de l’Esprit a
toujours insisté sur la compréhension intérieure authentique par rapport à l’ascétisme.
Cette réalisation fut suivie par de petits épisodes significatifs qui me forcèrent à
accepter que des cartes de visite psychiques étaient laissées par la Sai Parampara (la
lignée Sai) afin de faciliter mon voyage. Une fois, tout juste avant de débourser 2800
roupies en argent liquide pour une batterie de sauvegarde d’ordinateur, je reçus une
lettre contenant un chèque de 2850 roupies. Pour un Ecossais vivant dans une ville
provinciale comme Mussoorie où la livraison du courrier est quelque chose
d’hasardeux (au moins une douzaine de propriétés situées sur notre colline ont ‘’oak’’1
dans leur nom), c’est la meilleure preuve que des choses invisibles sont à l’œuvre ! Un
coup de téléphone d’un ami me fit part d’un livre et me souvenant que j’en avais un
autre du même auteur, je fouillai dans un rayon oublié et j’y découvris un titre qui
contribua à ma recherche. Tout en écrivant ce livre, je tentai en vain de me souvenir
du nom de l’auteur dont j’avais lu un récit extraordinairement vivant de ses moments
avec Sai Baba. En remettant mon manuscrit, mon éditeur, David Davidar, me demanda
à brûle-pourpoint si j’avais lu ‘’Empire of the Soul’’ de son ami Paul William Roberts –
précisément le nom qui m’échappait. Une semaine plus tard, en farfouillant dans la
librairie locale, qu’est-ce que je découvre au rayon des soldes ? ‘’Empire of the Soul’’ à
côté de ‘’A History of South India’’ de K.A. Nilakanta Sastri, un compte-rendu
déterminant sur l’aryanisation du Deccan. On pourrait appeler cela des coïncidences,
1
‘’chêne’’
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mais en rencontrer parfois deux par jour et ce, sur une période de plusieurs mois,
suggérait la main de la grâce. Un jour, trois phrases nettement soulignées apparurent
d’elles-mêmes en gros caractères sur l’écran de l’ordinateur, résumant précisément ce
que mes écrits tentaient de dire :
IL N’Y A QU’UN MOT FINAL ET C’EST AMOUR. L’AMOUR, NON PAS EN TANT QU’OPTION
DOCTRINALE, MAIS COMME OUTIL NÉCESSAIRE QUI SEUL PEUT OPÉRER UNE TRANSFORMATION.
MÊME LA PHILOSOPHIE LA PLUS SUBTILE NE PEUT PAS FONCTIONNER SANS L’AMOUR. SEUL
L’AMOUR NOUS CONDUIT AU-DELÀ DE TOUS LES PROBLÈMES DE LA VIE. C’EST LA SEULE GRÂCE
QU’IL VAILLE LA PEINE D’AVOIR ET C’EST POURQUOI RICHES ET PAUVRES, SURMONTANT LES
DIFFICULTÉS DU CHEMIN, SE RENDENT À PUTTAPARTHI.
Cette étude de la grâce reflétée sous la forme de Sathya Sai Baba n’est qu’une étude
parmi des douzaines qui ont été écrites et elle ne revendique aucune intuition spéciale.
En 1945, le jeune Sathya Sai rédigea un poème dans lequel il parlait de ‘’pseudo
professeurs qui faisaient leur propre éloge’’. J’ai le sentiment désagréable qu’il faisait
référence à des auteurs comme moi. Mon approche peut varier légèrement en ce sens
que pour toute transformation par la grâce, je cherche à mettre l’accent sur les efforts
du dévot plutôt que sur son attente résignée de la bienveillance divine qui lui
tomberait dessus. Nous sortons livrer bataille avec la compréhension que le résultat
n’est pas entre nos mains. Néanmoins, notre apport individuel peut affecter le résultat,
c’est pourquoi il est important que le dévot tente de rencontrer le gourou à michemin.
Cette étude considère la lignée Sai du point de vue d’une personne extérieure solidaire
qui désire communiquer le remarquable pouvoir d’amour qui est en œuvre, mais qui,
dans le même temps, désire répondre aux critiques que tout mouvement aussi
important s’attire. L’observation que la Sai Parampara représente une interprétation de
la divinité plus démocratique que de coutume est essentielle à ma thèse. Je soutiendrai
que ces deux saints du Deccan n’ont pas seulement adouci notre concept de Dieu,
mais qu’ils ont aussi renforcé la revendication de l’humanisme de partager l’espace
avec le sacro-saint. Dans ce cas-ci, le divin est issu de l’ordinaire (la naissance de
Sathya Sai dans la famille du fermier PeddaVenkappa Raju) et – fait révélateur –
l’Esprit a voyagé du plus bas vers le plus haut – contrairement à la direction
conventionnelle préférée par la religion. C’est seulement quand l’ordinaire a
visiblement été rendu divin – comme il apparaît que cela s’est produit à Shirdi et à
Puttaparthi – que sa revendication d’incarner l’unité de tous les domaines peut être
prise au sérieux et sa mission déclarée de compassion être examinée pour sa source
d’énergie.
Le développement de la compréhension religieuse depuis l’époque de l’Egypte ancienne
a vu une descente spatiale de la tête dans le cœur, transférant le pouvoir divin du
pharaon à un charpentier qui montait un âne. Les grâces tendres de la religion firent
reconnaître à l’humanité que l’amour du cœur est un signe de divinité plus sûr que
n’importe quelle manifestation matérielle de pouvoir. La Sai Parampara insiste sur la
présence de l’Esprit dans la vie ordinaire et intronise l’amour divin à la place sacrée
qui était auparavant réservée au potentat divin. Probablement pour la première fois
dans l’histoire de la théologie, le dévot n’est plus lié par la convention d’utiliser la
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majuscule en parlant du divin. La Sai Parampara a supprimé l’intermédiaire du prêtre
de l’équation du dévot avec le divin.
Le gros des adeptes Sai modernes (en Inde et ailleurs) est plus proche de la classe
moyenne que des classes sociales inférieures. Ce qui rend la Sai Parampara si attirante,
c’est sa promesse de contact direct avec l’Esprit, peu importe le statut économique de
l’adepte, et sa disponibilité pour une expérience d’une approche non orthodoxe de la
divinité. Toutes sortes de gens se mélangent à Shirdi et à Puttaparthi et ils n’ont pas
fait ce long voyage pour des raisons religieuses, mais pour satisfaire leur âme avec
l’expérience directe de l’amour.
Cette humanisation de l’être sacré est suggérée avec plus de vigueur par le transfert
physique du siège de la divinité hors de l’endroit que le poète Larkin appelle ‘’the holy
end’’. Ce qui surprend le plus le visiteur de Puttaparthi, ce n’est pas l’absence de
prêtres, mais l’omission d’un saint des saints où l’on fait des offrandes. L’absence d’un
lieu de culte innove théologiquement et va à l’encontre de la tradition vénérée selon
laquelle le divin a besoin de son propre espace au ciel ou sur une terre consacrée. En
Europe, la foi protestante contesta le bien-fondé des prêtres en tant qu’intermédiaires,
mais la Sai Parampara va encore plus loin et leur coupe l’herbe sacrée sous les pieds.
(Certaines sectes protestantes se passent d’une ‘’fixation’’ formelle du divin dans un
lieu spécifique. Cependant, elles considèrent généralement leurs lieux de rencontre
comme ‘’à part’’.) Shirdi et Sathya Sai désignent tous deux le cœur humain comme le
seul vrai temple, puisque c’est là où l’amour réside.
‘’Ma définition de l’amour’’, dit
Sathya Sai, ‘’c’est de remédier
aux souffrances des pauvres et
des nécessiteux.’’ Sai Baba donne
directement aux démunis,
supprimant les dépenses
administratives qui absorbent
tant de financements officiels.
Cette ‘’science spirituelle’’
indique la préoccupation d’un
réformateur moderne qui a dû
attendre patiemment pendant
soixante ans avant que sa
mission ne puisse convaincre et
puis devenir trop grande pour
l’orthodoxie religieuse.
L’universalité libératrice de la
vision de Sai peut être
expérimentée de première main,
lorsque vous observez les
collines roses et vertes de
Puttaparthi du Chaitanya Jyoti,
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un bâtiment moderne construit en 2000 pour célébrer le 75ème anniversaire de Sathya
Sai Baba. Cet édifice architectural provocant combine les caractéristiques d’un temple
traditionnel chinois et des dômes musulmans contemporains. Avant ceci, l’ashram de
Sai Baba était considéré comme un centre de mobilisation supplémentaire des masses
hindoues. Néanmoins, ce qui a réellement été mobilisé par Sai Baba, c’est l’Esprit,
récupéré comme le feu prométhéen des contraintes de l’orthodoxie.
Le Chaitanya Jyoti Museum
Pour cet observateur, la Sai Parampara manifeste l’instinct réellement indien d’accueil
de la pluralité (contrairement à l’attitude hindoue orthodoxe qui ne fait que la tolérer).
Son message universel ne se base pas sur des clichés textuels considérant l’unité des
choses. Il provient plutôt de l’expérience d’identités multiples, comme en témoignent
les figures très différentes de Shirdi Sai et de Sathya Sai. La sagesse orientale
traditionnelle affirme que l’âme renaît pour expérimenter la gamme entière des
possibilités humaines. Le meilleur exemple de ceci est la vie remarquable de
Ramakrishna Paramahansa qui vécut réellement les disciplines de différentes fois,
adoptant sincèrement le vêtement, les coutumes et les observances des adeptes du
christianisme, de l’islam et d’autres religions. De même, à Puttaparthi, la célébration de
Noël, par exemple, n’est pas une imitation condescendante d’une tradition étrangère,
mais une célébration tout à fait authentique de la naissance de l’Esprit.
Pour tenter de faire voir le lignage spirituel universel de ces saints modernes, j’ai
évoqué des comparaisons avec des maîtres modernes, spécialement en puisant dans la
vie et les enseignements du curieux et parfois bizarre George Gurdjieff, qui à première
vue peut paraître comme l’antithèse de Sathya Sai et de la Sai Parampara. Le fait est
que les méthodes d’enseignement soufies de Shirdi Baba étaient notoirement bizarres
et que, comme Gurdjieff, il croyait en la thérapie de choc. Tous deux pouvaient exiger
la dakshina (paiement) de leurs disciples. Les demandes immodérées de Gurdjieff
étaient un stratagème pour séparer le chercheur authentique du simple adepte suivant
la mode. Aux yeux du monde, en général, Gurdjieff apparaissait comme un cynique.
Mes ses disciples privilégiés qui comprenaient certains littérateurs d’exception du
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monde occidental produisirent quelques livres remarquables qui transmettent sa
véritable stature spirituelle, en dépit de tout ce que son comportement peut avoir
suggéré. Comme Shirdi Baba, c’était un soufi libre des conventions qui faisaient
obstacle à la reconnaissance de l’unité de l’Esprit. Gurdjieff était arménien et bien que
né dans une famille chrétienne, il voyagea beaucoup en quête de la sagesse orientale. Il
créa l’Institut pour le Développement Harmonieux de l’Homme près de Paris et il
mourut en 1947, laissant derrière lui un petit mouvement qui s’est accru, comme pour
Shirdi Baba, grâce à la force de la présence continue du maître. Comme tous les vrais
maîtres – et cela peut paraître étonnant, mais il y en a eu peu dans l’histoire de la
religion – il parlait avec une autorité qui n’était pas la sienne. Cependant,
paradoxalement, la source de cette autorité semblait provenir de son moi profond.
(Malgré les apparences, Sathya Sai peut également se conduire de façon imprévisible et
montrer une autorité qui semble capricieuse jusqu’à ce que ses bénéfices soient
appréciés à long terme.)
George Gurdjieff
***
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Contrairement à beaucoup de mes amis, j’aime le monde tel que le Tout-Puissant l’a
créé. Je n’ai aucun regret quant à la trajectoire difficile que m’a vie a prise, puisque
cela m’a permis d’avoir un angle de vue original sur les choses. Né dans le centre de
l’Ecosse, envoyé à l’école dans les Midlands anglais, puis à l’université dans le
Yorkshire, j’ai vécu à Calcutta, dans les collines de Kumaon, à Delhi et à Garhwal,
acquérant ainsi l’identité d’un quasi nomade. Une bonne chose à propos de l’éducation
écossaise, c’est la réponse enracinée à la beauté irrésistible de la nature qui permet à
beaucoup de paganisme préchrétien de filtrer. J’aime assez le terme ‘’païen’’ et enfant,
j’aimais parcourir les landes en m’émerveillant du miracle de la bruyère. Mon âme
répondait extatiquement aux contreforts des Ochil et j’étais élevé dans la croyance des
fées et des fantômes. Aux premières, j’offrais chaque dent cassée avec une pièce de
trois sous et une pincée de sel par-dessus mon épaule. Les fantômes étaient un triste
rappel des petits gars des Highlands tombés pendant la guerre et personne, me
semblait-il, doté d’un sentiment de pitié et du don de double vue ne pouvait douter de
la réalité du monde psychique.
Ce fut un traumatisme de quitter les collines de mon lieu de naissance pour le lycée
de la ville industrielle de Birmingham. Mais là-bas, ma religion fut identifiée pour moi
par un célèbre prédicateur qui vint prononcer un sermon à l’église St-Martin dans Bull
Ring. C’était un beau dimanche matin, mais l’église était aussi froide et humide qu’une
prison sentant le renfermé. L’ecclésiastique vitupéra ceux qui trahissaient leur héritage
chrétien et qui s’évadaient de la ville au lieu de se rendre à l’église. Il les qualifia de
‘’Blue Domers’’, parce qu’ils préféraient célébrer la présence de Dieu sous le dôme bleu
du ciel. Grâce à ce prédicateur, je découvrirai plus tard qu’il n’était plus nécessaire
pour moi de me rendre à l’église. Il m’avait rendu à mon héritage païen.
Autrefois, je caressais l’idée de rejoindre l’Eglise et d’être ordonné ministre. J’entrepris
de parcourir toute la Grande-Bretagne, procédant à une évaluation des différents
ordres et recherchant une religion qui répondrait aux besoins de mon âme. Je
séjournai dans une fraternité franciscaine dans le Dorset, mais je fus nettement plus
impressionné par l’immense symbole phallique gravé à flanc de colline par des Bretons
païens. Je dinai à la table de la haute communauté anglicane, mais j’en repartis horrifié
à la perspective d’une vie passée à discuter de théologie avec un goût d’oignons aux
vinaigre dans la bouche. La religion s’avérait être mortellement ennuyeuse et voyant
toutes les églises à moitié vides, j’en conclus que le Tout-Puissant avait rejoint les
rangs de ceux qui pratiquaient l’école buissonnière le dimanche et je m’enfuis pour
profiter du dôme bleu du ciel.
Ma quête, c’était de trouver le sens de la vraie religion et à cette fin, j’étudiai la
religion comparative à l’Université de Leeds. Selon mon gourou de Mirtola, les gens qui
étudient la religion comparative ne sont que comparativement religieux et ceci fut
prouvé par le fait que tous les points de vue exprimés sur les religions orientales
l’étaient à partir d’une perspective missionnaire. Néanmoins, ceci était mieux que rien.
En Grande-Bretagne, presque toutes les chaires de théologie étaient réservées à des
pasteurs chrétiens et Leeds était unique en ce sens qu’elle avait été fondée en grande
partie grâce à de l’argent juif gagné dans le commerce de la laine. Fort naturellement,
les donateurs dotèrent une chaire qui n’était hostile à aucune foi particulière. Malgré
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leurs préjugés, mes professeurs ne purent pas totalement minimiser l’importance des
beautés de l’hindouisme que mon âme éclectique sentait cruciales pour l’achèvement
de son éducation.
La foi qui se rapprochait le plus de ce que je recherchais était pratiquée par la Société
Théosophique avec sa conviction à propos de l’unité essentielle de toutes les religions.
Cependant, quand je visitai Adyar, le siège du mouvement, en 1960, il ne semblait plus
se passer grand-chose. Il me fallut quinze années supplémentaires de recherches avant
de découvrir ce que je cherchais dans le Sarva Dharma Stupa de Sathya Sai Baba qui
avait été récemment érigé à Prasanthi Nilayam, une colonne éclectique qui réaffirmait
l’unité de l’Esprit formateur de la vie à travers les différentes facettes des religions
vivantes du monde. Ici, le processus unificateur était rendu public, le credo ‘’Sab ka
malik ek (Il n’y a qu’un Maître divin) de la Sai Parampara était publiquement déclaré.
C’était comme retourner chez soi après avoir pris la mer pendant des années.
Le Sarva Dharma Stupa
Moins d’un mois après avoir terminé ma maîtrise (sur le karma yoga du Mahatma
Gandhi), je partis en stop voir le monde et expérimenter de mes propres yeux ces
religions de l’Orient dont j’avais étudié les doctrines. Le voyage par la route dura deux
mois et me permit de voir des lieux saints comme Istanbul, Jérusalem, Nazareth,
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Ispahan, Amritsar et Bénarès (à présent Varanasi), ce qui me fit entrevoir comment les
grandes religions vivantes du monde menaient leurs affaires. Rétrospectivement, ce que
je trouve à la fois agaçant et fâcheux, c’est d’avoir visité l’Anatolie (en Turquie) et
Tabriz (en Iran) sans avoir aucune conscience de la grandeur du maître spirituel soufi,
Jalalluddin Rumi. Je réalise maintenant qu’à la place d’avoir visité les sites de pèlerinage
conventionnels de la Terre Sainte, j’aurais dû visiter le ‘’district de la joie’’ (comme le
présente Andrew Harvey) où le plus grand mystique du monde avait enseigné la voie
de l’amour qu’il appela l’art de s’enivrer sans vin.
Rumi comprenait la valeur réelle des choses et il aurait approuvé l’affirmation de Sai
Baba : ‘’Si vous pouvez gagner ma grâce, c’est aussi bon que d’obtenir le monde
entier.’’ La grâce peut nous toucher de partout, mais on aurait tort de supposer qu’elle
frappe au hasard comme la foudre. Il faut se trouver à la bonne place au bon moment
pour que le feu prenne et ces instants s’obtiennent rarement par une soumission
fataliste. Généralement, des décisions nous ont conduit là, et plus souvent que non, les
décisions ont été pénibles, impliquant beaucoup de luttes avec l’âme, même si la
situation peut avoir semblé futile sur le moment. Il est moins probable que la grâce de
l’amour frappe le voyageur en chaise longue que l’aventurier. En faisant de l’auto-stop
jusqu’en Inde, à plusieurs reprises, seule une foi inébranlable en la Providence me
permit de supporter les longues attentes, lorsque le trafic était faible et que l’âme était
forcée d’accepter que l’on soit entièrement dépendant de la grâce du Créateur. Mais,
contestant ce point de vue traditionnel, il y a les paroles de Sathya Sai Baba : ‘’Toute
cette grâce ne serait d’aucune utilité, si vous n’obtenez pas la grâce de votre propre
Conscience intérieure.’’
Mon voyage en Inde fut marqué par une grâce mineure qui enclencha et qui termina
l’aventure. En écrivant ma thèse, j’avais pris un job d’enseignant à Birmingham et
quand ma classe apprit mon projet d’aller en Inde, elle m’offrit un exemplaire de
‘’L’Inde Secrète’’ de Paul Brunton, un livre qui avait présenté Sri Ramana Maharshi au
lecteur occidental. De manière étrange, à Calcutta, je trouvai un poste d’enseignant
dans la même école où Arthur Osborne, le biographe de Ramana Maharshi, fut le
directeur. Il semblait qu’une bénédiction était à l’œuvre pour guider ma recherche.
Après avoir enseigné pendant un an à la Hindi High School, je pris la direction des
Himalayas. Sarala Devi, une disciple anglaise de Ghandiji, me dit que je pourrais être
l’homme à tout faire de son école d’art pour jeunes filles à Kausani. L’opportunité de
vivre à proximité des grands pics couverts de neige s’avéra irrésistible après une année
passée dans les encombrements urbains de Calcutta. Sarala était une personne dotée
d’une rare intégrité. Excepté Sathya Sai Baba, elle est la seule personne que j’ai jamais
rencontrée qui pratique exactement ce qu’elle prêche. C’est grâce à l’avis de Sarala que
je découvris mon gourou et heureusement pour mon âme (qui trouvait beaucoup de
réconfort dans l’inspiration des Himalayas), son ashram n’était pas situé bien loin de
Kausani.
Les sept années que je passai à Mirtola furent plus mémorables pour la perte de
parties irréelles que pour l’obtention de la grâce. L’ashram était centré sur l’amour
divin de Radha-Krishna comme symbole de la seule chose réelle. Mes gourous, Sri
Krishna Prem et Sri Madhav Ashish parlaient d’eux-mêmes comme d’élèves-enseignants
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et leur enseignement visait à démontrer que nous sommes plus que le corps par des
exercices physiques et émotionnels difficiles. L’homme réel, insistaient-ils, est à tout
moment conscient de l’Esprit immortel qui brûle en lui. Au fil des ans, j’en suis arrivé
à voir cette description réalisée en Sathya Sai Baba. Toutefois, au départ, mes yeux
étaient bien fermés à cette réalité et seule la grâce peut expliquer comment ils se sont
lentement ouverts.
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CHAPITRE 2 : L’AMOUR COMME GUIDE
Personne ne semble connaître l’étymologie exacte du mot ‘’religion’’ et peut-être qu’il
devrait en être ainsi, parce que la religion traite du lien numineux entre les humains et
la force vitale qui les a fait naître dans un univers merveilleux et mystérieux.
Idéalement, la religion devrait nous enseigner la responsabilité dans notre
comportement, et le mouvement protestant en Europe, redéfinissant la pertinence de
l’intercession du prêtre entre l’âme individuelle et Dieu, fut un pas dans cette
direction. Toutefois, mille ans avant Luther, le mouvement bhakti qui avait ses racines
dans le sud de l’Inde, avait surgi pour contester la nécessité du rituel. Les racines de la
Sai Parampara se trouvent dans ce contournement du brahmanisme rituel. Lorsqu’il
s’étendit au nord, ce mouvement tenta de réconcilier la nouvelle force égalitaire de
l’islam avec les croyances hindoues non orthodoxes.
La vraie religion est difficile à mettre en mots. La meilleure définition que j’ai trouvée
est celle de Sathya Sai : ‘’La divinité qui explore ses propres merveilles.’’ Ceci implique
que la religion réelle est intérieure et qu’elle est activée par notre souci humain pour
autrui. Selon St Jacques, le frère du Christ : ‘’La religion pure et sans tache, c’est de
visiter les orphelins et les veuves en détresse et de se préserver des souillures du
monde.’’ Il insiste sur l’importance de témoigner de la compassion aux gens dans le
besoin. Nous appliquons rarement cette simple formule d’aider ceux qui sont dans le
besoin, au-delà du cercle de notre famille, bien qu’il faudrait noter que dans des fois
numériquement moins importantes, il existe un effort conscient d’étendre cette
assistance au moins aux autres membres de la communauté. Ainsi, on connaît
rarement des parsis, des sikhs ou des jaïns qui mendient, à cause de leur sentiment
puissant d’identité et de l’efficacité de leurs organisations charitables.
Comme exemple de vraie religion, je peux citer l’histoire d’un conducteur de taxi sikh
qui voyageait sur la route Mumbai-Pune. Une de mes sœurs disciples parsie était en
vacances avec son mari et ses enfants, et elle conduisait une petite voiture avec un
porte-bagages lourdement chargé, un facteur dont elle avait oublié de tenir compte en
déboitant pour dépasser. La voiture poussive fut violemment heurtée de plein fouet.
Mon amie et les membres de sa famille furent éjectés et atterrirent – morts pour la
plupart – dans un champ. Le sikh – qui passait par là – arrêta son taxi, secourut les
survivants – la mère et son bébé – et les conduisit à l’hôpital. Malheureusement, le
bébé décéda, mais le sikh vint quotidiennement visiter la mère inconsciente. Il continua
à venir jusqu’à ce qu’elle reprenne conscience, puis il cessa ses visites et elle ne sut
jamais qui était son sauveur. (Souvent, lors d’interventions miraculeuses racontées par
les dévots Sai, ils découvrent que leur sauveur était Sai Baba déguisé en homme
ordinaire.)
Ce qui est extraordinaire à propos de l’humanité, c’est qu’en dépit des horizons de la
connaissance et de l’information qui s’étendent, nous comprenons très peu notre
identité individuelle ou la Conscience divine dont nous faisons partie, selon ce
qu’affirment les mystiques de toutes les religions. Cependant, grâce à l’ouverture de
l’esprit hindou et à son désir authentique de résoudre l’énigme de l’existence, l’Inde est
depuis longtemps le laboratoire d’expériences d’unité religieuse. Aucun autre pays ne
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peut égaler le niveau indien de tolérance d’une vaste gamme d’approches du divin.
C’est ainsi qu’avec les conflits provoqués par ceux qui exploitent la religion à des fins
personnelles ou politiques il y a toujours eu dans le sous-continent un courant sousjacent d’harmonie entre les individus de fois différentes.
Dans le passé récent, un des meilleurs exemples de cette unité réelle, mais discrète, a
été la popularité considérable de la figure de Sai Baba – à la fois sous la forme de Sai
Baba de Shirdi, décrit comme un vieux fakir portant des vêtements déchirés, et Sathya
Sai de Puttaparthi, un (autrefois) jeune saint, que l’on représente typiquement dans
une longue robe orange avec une couronne de cheveux de style afro. Des millions de
personnes dans le monde vénèrent les deux saints comme faisant partie d’une Sai
Parampara continue, suivant laquelle il y aura trois saints en tout. Il est dit que Prema
Sai, le troisième Avatar, viendra après Sathya Sai. Bien qu’on pense qu’il soit déjà né,
on ne s’attend pas à ce qu’il se déclare avant la mort de Sri Sathya Sai, qui prédit que
son séjour terrestre durera 96 ans. Bien que beaucoup supposent qu’ils ne sont qu’un
sur le plan psychique, chacun de ces maîtres est associé à un ashram différent,
respectivement à Shirdi, Puttaparthi, et dans le futur, Gunaparthi (Mysore).
Shirdi Sai Baba, Sathya Sai Baba et Prema Sai Baba
Le symbolisme de la trinité Sai remonte à 1940 (l’année où Sathyanarayana Raju
annonça qu’il était Sai Baba), quand une noix de coco offerte dans un temple local se
brisa en trois morceaux. La tradition de Puttaparthi interprète ceci comme une
prédiction des trois figures avatariques de la Sai Parampara, reprenant le motif
trinitaire de la mythologie de l’ashram qui explique comment le rishi Bharadwaj avait
voyagé jusqu’au Kailash afin d’obtenir les bénédictions de Shiva et de Parvati. Cette
dernière, activement occupée dans un marathon de danse, fit attendre le rishi et en
guise de réparation due à leur préoccupation, ils lui offrirent trois faveurs, celle de
descendre bénir la Terre sous la forme de trois incarnations séparées du divin. La
première serait Shiva sous la forme de Shirdi Sai, la deuxième, Shiva et Parvati
ensemble sous la forme de Sathya Sai et la troisième, encore à venir, Parvati sous la
forme de Prema Sai.
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Le livre du Dr S.P. Ruhela, ‘’The Sai Trinity’’ (1994) rassemble le peu d’informations –
manifestement hypothétiques – dont nous disposons sur le sujet. Le livre est précieux,
ne fût-ce que pour sa bibliographie exhaustive. Bien que seulement six pages
d’information soient disponibles sur la troisième incarnation de Sai, elles fournissent
pas mal d’indices intéressants. Des dévots prétendent avoir entendu parler du
troisième Sai depuis 1950 et la confirmation publique fut rendue par Sathya Sai en
1963. Il fut prédit qu’il naîtra sur la rive de la Kaveri dans le district de Mandya
(Karnataka) pendant le premier quart du nouveau siècle. John Hislop, un disciple
américain de Baba, a reçu une bague avec l’effigie de Prema Sai, qui ressemble
approximativement à l’image que l’on se fait du Christ. Dans ses entretiens avec des
disciples choisis, Sathya Sai a donné plus de détails sur des aspects de son futur
successeur. Comme ces informations sont destinées à des dévots spécifiques et peuvent
avoir un sens symbolique que seul le bénéficiaire peut comprendre, nous devrions
résister au besoin de prendre à la lettre ces confidences privées.
Le but de cette étude est d’insister sur l’unité sous-jacente des figures Sai et de
démontrer que la grâce qui s’écoule d’elles provient de la même source compatissante.
Ainsi, j’ai utilisé les termes ‘’Sai Parampara’’ (lignée de saints, succession apostolique)
tout au long du livre pour me référer librement à leur objectif spirituel commun et
non à un ordre de mendiants formel (sampradaya). Je sais toutefois que cette
assimilation commode ne sera pas vue d’un œil favorable par certains dévots de Shirdi
Sai qui refusent de reconnaître tout lien avec Sathya Sai. Néanmoins, au fur et à
mesure que la mission de ce dernier grandit dans ses bonnes œuvres, beaucoup de
gens auparavant hostiles sympathisent maintenant avec l’idée d’une continuité
d’enseignement, si pas de personnes. Le fait est qu’une séparation d’identité n’affecte
pas la communion théologique entre Shirdi Sai et Sathya Sai. Si l’on en juge par la
somme des preuves, (il est vrai confuse), je ne vois aucune raison indiscutable pour ne
pas considérer Sathya Sai Baba comme un bis spirituel du fakir de Shirdi. Pour la
majorité, c’est une question de foi. Pour un étudiant qui veut examiner comment la
grâce fonctionne, les différences physiques ne comptent pas. Quel que soit le vêtement
que la grâce peut choisir de porter, il est crucial de se concentrer sur le contenu
intérieur et de considérer la forme extérieure comme un véhicule de la réalité et non
pas comme la réalité elle-même.
Pour compenser les critiques des dévots récents de Shirdi Sai, il y a une somme
considérable de témoignages d’anciens bhaktas de Shirdi confirmant que la continuité
spirituelle du fakir est placée dans Sathya Sai. Une fois, en passant par Mangalore, je
me rendis dans le magasin de Shri Krishna Shet, un bijoutier qui, enfant, avait été
emmené par son père pour avoir le darshan de Shirdi Baba. Le garçon avait reçu
comme tâche de nourrir le chien de Shirdi Sai, Manohar, qui apparaît nettement sur
les premiers portraits du saint. Des années plus tard, lorsque Krishna Shet se décida
de visiter Puttaparthi, la première question que Sathya Sai lui posa fut : ‘’Où est
Manohar ?’’
Ce qu’il y a de remarquable à propos des saints Sai, c’est qu’en dépit de leur
indifférence envers tout culte à leur égard ou au lancement d’un nouveau mouvement
religieux, leur grâce continue de s’étendre de sa propre volonté, sans aucun
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financement ni effort missionnaire. Les gens ordinaires de toute religion, caste ou
communauté sont libres de se considérer comme des dévots Sai sans aucune nécessité
d’initiation formelle. Tout ce qui est exigé, c’est un amour brûlant et une foi en Sai
Baba comme gourou personnel. En retour, on n’attend pas de vous que vous soyez un
Sai Babaïste, mais un bon hindou, un bon chrétien, un bon musulman, quelle que soit
votre religion. Cette loyauté envers le mouvement Sai signifie-t-elle un conflit avec
votre religion ? La réponse est que chaque religion possède un noyau mystique autour
duquel gravitent les chercheurs sérieux. Parce que le nombre des dévots Sai est encore
relativement limité, il y a peu de raison d’attirer une réaction violente officielle de la
part d’une religion organisée. Néanmoins, il doit être dit ici que lorsque Don Mario
Mazzoleni, un prêtre catholique qui travaillait pour la radio du Vatican publia ‘’Un
Prêtre Rencontre Sai Baba’’ (1994), livre dans lequel il révélait qu’il avait trouvé
l’essence du Christ dans le Maître de Puttaparthi, il fut rapidement excommunié, sans
cérémonie.
Don Mario Mazzoleni
Le mouvement Sai, avec sa théologie simple et son insistance sur l’expérience de
l’amour, est basé sur une interprétation neuve des intuitions upanishadiques de
l’hindouisme classique qui après un millénaire furent approuvées par les adeptes soufis
de l’islam ainsi que par les mystiques des autres fois. L’accomplissement
révolutionnaire de la Sai Parampara est d’avoir démontré la vérité de la nature
immanente du divin et de l’avoir rendue accessible au chercheur ordinaire. Ce qu’elle
affirme avec audace est l’expérience de tous les mystiques :
‘’Ô homme, écoute. La seule racine du péché en toi,
C’est de ne pas connaître ta propre divinité.’’
Le message est aussi profond qu’il n’est simple, mais la voie du chercheur est
périlleuse et comporte un nombre élevé de victimes.
***
Dans la Grèce ancienne, les mots ‘’Connais-toi toi-même’’ étaient écrits au-dessus des
portes de l’Académie, l’école de la connaissance et de la sagesse d’Athènes. Cette idée
contient aussi l’essence de la pensée religieuse hindoue classique, telle qu’elle est
énoncée dans les Upanishads. Applicable à l’âme individuelle, la quête intérieure du
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divin fut recouverte par la préoccupation hébraïque de responsabilité morale collective
et donc, nous avons l’insistance du judaïsme sur l’aspect du divin transcendant. Cette
façon de voir la vie en noir et blanc tranché fut adoptée par sa descendance
monothéiste, le christianisme et l’islam. Les progrès civilisateurs du christianisme et de
l’islam réduisirent l’ancien enseignement indien à une espèce d’hérésie païenne. Bien
que la quête du Soi se poursuivit en Europe sous le déguisement de la quête
alchimique de l’or, l’establishment monothéiste ne pensait à rien d’autre qu’à étouffer
toute âme individuelle qui contesterait sa notion de divinité distante. Le concept
judaïque d’après lequel le divin était séparé de la nature diminua cette dernière et
introduisit l’hypothèse imprudente suivant laquelle l’homme était le maître indiscutable
de son environnent physique. La dégradation écologique de notre merveilleuse planète
est en partie la conséquence de cette incompréhension du statut divin de la nature.
En accentuant de trop la supériorité du Créateur sur sa création, la doctrine du
judaïsme refusait à l’âme la beauté et l’inspiration du monde naturel. Et l’idée de
‘’péché originel’’ dégradait le corps humain et l’acte sexuel de la reproduction à un état
permanent de carence spirituelle. (Il est significatif que les qualifications canoniques du
Cantique des Cantiques où le pouvoir physique de l’amour est abordé ont fait l’objet
de la suspicion puritaine tout au long des siècles.)
Chaque personne qui a été amoureuse expérimente une unité avec le bien-aimé ou la
bien-aimée qui ne peut être décrite que comme divine et parvenir à cet instant de
réalisation, c’est fouler un sol sacré. Dans l’état opposé du mal, nous sommes séparés
de l’unité. Comme George Orwell le démontre dans ‘’1984’’, quand l’amour est trahi,
nous nous éloignons du divin qui est en nous.
Les incitations de l’amour suscitent le respect plutôt que la culpabilité et c’est
pourquoi la Sai Parampara attire tous ceux qui estiment l’enseignement ‘’L’amour
parfait bannit la crainte.’’ L’amour, parce qu’il nourrit l’émerveillement d’être, est un
mystère plus grand que Dieu. Si ceci semble trop hérétique à digérer pour la religion
conventionnelle, la vérité peut être reformulée pour suggérer que Dieu (pour tous,
sauf les athées) est l’amour objectivé. Sathya Sai Baba n’insiste pas pour que ses
adeptes soient des ‘’croyants’’ ni pour qu’ils soient en effet des ‘’adeptes’’. En fait, il
déclare souvent que son portrait du divin comme amour universel profite au croyant
comme à l’incroyant. Insister, comme le fait la Sai Parampara, sur le fait que l’amour
se situe au-delà de la religion formelle est une idée spirituelle révolutionnaire.
L’interprète le plus élégant de l’approche upanishadique fut peut-être Sri Ramana
Maharshi, qui rayonnait la bienveillance de l’immanence divine depuis son siège dans le
sud de l’Inde sous la montagne sacrée d’Arunachala. Il faut ajouter ici que l’école
védantique de l’orthodoxie hindoue partage les appréhensions des juifs, quant à la
place merveilleuse de la nature. Sa doctrine de maya qui nie la réalité du monde
matériel est un autre exemple de théologie déformante qui a été vigoureusement
contrée en Inde par la célébration de la merveille du monde quotidien des écoles
bhakti.
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Situé non loin de l’ashram de Ramana, le campus de Puttaparthi, qui apparut après sa
mort en 1951 continua à répercuter son enseignement. Ceci est tout à fait remarquable,
étant donné que Ramana enseignait une notion advaitique intransigeante de la divinité
par la méthode rigoureuse d’un auto-questionnement continu. A l’opposé, le saint de
Puttaparthi accentuait l’approche de la bhakti qui consiste à chanter le nom de Dieu et
à accomplir des actes de charité, comme meilleur moyen pour fixer l’esprit dans la
piété. Comment ces voies extérieurement conflictuelles pourraient bien converger ? La
vérité est que l’instinct englobant de l’hindouisme laisse beaucoup de place à de telles
manœuvres théologiques. Il ne fait aucun doute que Ramana était considéré comme un
adepte sévère de l’advaita vedanta, mais dans le même temps, c’était un ardent bhakta
qui écrivait des hymnes lyriques à sa bien-aimée Arunachala, le pilier de lumière qui
l’avait attiré à ses pieds. Dans la toute première partie de sa ‘’Prema Vahini’’ (1958),
Sathya Sai écrivait catégoriquement : ‘’Il n’y a pas de différence entre bhakti et jnana.’’
La belle Arunachala
Malgré ses réserves initiales quant au statut de Sathya Sai, Arthur Osborne s’éprit de
lui comme digne successeur de son gourou, Ramana Maharshi. Ceci n’est guère
surprenant. Quand je visitai pour la première fois les Osborne, il était évident depuis
le départ qu’ils adoraient leur gourou avec une pure bhakti et que ce sentiment
inondait tout le reste, ce qui inclut les subtilités doctrinales de l’advaita. L’atmosphère
globale du Ramanashram était celle d’une bhakti vibrante qui proclamait les intuitions
du vedanta. De même, les visiteurs de Shirdi ont été étonnés de découvrir le mélange
de bhakti et d’advaita. La même chose peut être dite à propos de Puttaparthi, bien
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qu’à cause du rassemblement populaire, la composante advaitique puisse ne pas être
aussi évidente.
Arthur Osborne et Ramana Maharshi
Lorsque je visitai Puttaparthi pour la première fois, fin des années 70, je fus frappé par
un sentiment de familiarité, le lieu me rappelait tellement le Ramanashram. Ici, le
silence n’était pas la discipline négative de garder la bouche cousue, mais plutôt l’état
d’esprit qui est atteint, quand les énergies sont consciemment dirigées. J’avais enfin
découvert la religion que prêchait Rumi, qui provenait directement du cœur et qui
était libre de la doctrine théologique complexe de la religion conventionnelle. La Sai
Parampara fait directement appel au centre spirituel, au siège de la conscience qui
ressent une unité empreinte de compassion pour toute vie. Il n’est pas nécessaire de
convertir l’humanité. Le mot même (mankind, en anglais) suggère que c’est notre
nature la plus profonde de nous lier aux autres. Ni Shirdi Sai, ni Sathya Sai ne
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s’inquiètent excessivement de doctrine : c’est en éveillant la conscience que le voile
d’ignorance du chercheur est ôté. C’est à cette partie spirituelle inexploitée, qui se
situe au-delà des étiquettes qui divisent, que Sai Baba s’adresse.
***
Le phénomène Sai est considéré comme un avatar, une incarnation de Dieu par de
nombreux disciples, mais pour certains, Sai est la déité même. Des impondérables,
comme la nature du divin ou les attributs d’un avatar dépassent l’entendement du
chercheur moyen. Cependant, pour celui qui est béni par l’expérience bouleversante de
l’amour, il existe au moins un rayon de lumière qui permet de saisir de tels
impondérables. Quand l’amour sourit, notre compréhension augmente étrangement.
L’amour donne des ailes au chercheur. Le phénomène Sathya Sai n’est compréhensible
que pour celui qui aime ou pour ceux qui, comme le Kim de Kipling, ‘’se demandent
quel genre de chose leur âme pourrait être’’. Nous pouvons, par l’amour, faire
l’expérience du mystère du divin, une réalisation se situant sur un plan entièrement
différent que les fruits de toute analyse intellectuelle. Dans l’une de ses rares intuitions
spirituelles, la langue anglaise compare l’impact de l’amour à une ‘’chute’’, qui implique
une descente périlleuse dans un abysse de splendeur indicible.
La compréhension de la divinité peut être rendue plus facile en réconciliant certaines
affirmations des Ecritures avec les découvertes de la science. Dans ‘’L’Origine des
Espèces’’, qui chamboule la chronologie biblique, les découvertes de Darwin concernant
l’évolution humaine suggèrent que l’auteur divin de l’univers lutte toujours afin de se
connaître ‘’lui-même’’. Dans l’imperfection de la nature et la violence de ses parties en
conflit, nous pouvons seulement tenter de saisir la fleur de la compassion et y penser
comme l’ultime destination vers laquelle toutes les énergies de la vie avancent tant
bien que mal.
L’expérience de l’amour humain, avec son cortège terrible de souffrance, peut être
confirmée comme une énergie divine par la théorie boiteuse de Darwin. La perfection
de la divinité ne peut être pleinement vécue sur la terre, même pour un avatar. Mais
des lueurs de cette source toute puissante offrent des aperçus au chercheur qui aime,
tout comme elles illuminent la plupart des actions de l’avatar. L’amour se situe au-delà
de toutes les théories et il opère selon ses propres lois ; l’une d’elles semble être que
l’imperfection humaine soit paradoxalement rendue parfaite par son pouvoir. Le fait
que l’amour humain paraisse imparfait ne le rend pas moins miraculeux. Les deux
saints du Deccan, Shirdi et Sathya Sai, attribuent tous les miracles pour lesquels ils
sont célèbres à la nature divine de l’amour.
L’amour peut être le but de la religion, mais vous pouvez passer une vie entière à vous
frayer péniblement un chemin dans les Ecritures et les commentaires théologiques à
tenter d’établir cette vérité simple. Trop souvent, elle s’embarrasse de détails qui
suggèrent que le Pouvoir divin aime (ou n’aime pas) être aimé avec (ou le plus
souvent sans) des chapeaux, des chaussures, des vêtements sans coutures, des oignons,
de la viande, de l’alcool, du tabac, des têtes tonsurées, des barbes, etc. L’irrationalité
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déroutante des codes religieux contraste avec la conscience spirituelle inébranlable
pratiquée par les vrais saints qui restent indifférents à ces restrictions. Ceci est
clairement démontré dans la vie des saints du Deccan.2 Shirdi Baba resta 60 ans dans
le même cadre, établi dans sa mosquée de Dwarkamayi (un sanctuaire musulman
portant un nom hindou), imperturbable aux vetos spirituels. De même, Sathya Sai
donne son darshan à Prasanthi Nilayam à l’extérieur de son mandir (qui est en fait un
hall de prière), comme il le fait continuellement depuis 70 ans, sans être perturbé par
des soucis de convenances religieuses.
La Sai Parampara attribue au darshan la priorité la plus élevée et à Shirdi comme à
Puttaparthi, toutes les activités sont centrées sur ce mystère public. Beaucoup de
personnes qui demandent un résumé des enseignements de Sai sont sidérées, quand
on fait allusion à cette doctrine vivante du darshan. C’est à la fois la communion
essentielle et la théologie du mouvement. Ceci explique pourquoi il n’y pas de saint des
saints, ni à Shirdi ni à Puttaparthi, et pourquoi il n’y a pas de livre saint ni de credo.
Certains confondent le darshan avec un culte de la personnalité, mais la Sai Parampara
s’oppose à la foi aveugle. Sathya Sai ne s’assoit jamais sur un trône qui lui est destiné,
sauf pour le bénir. Quand l’arati est offert, il veille bien à ne pas le recevoir
personnellement, excepté pour l’acceptation initiale de l’amour qui le motive. Le
darshan de Sai Baba incarne l’amour. Comme le célèbre yogi, Suddhananda Bharati
2
Sathya Sai Baba et la Bhagavad Gita insistent néanmoins sur la nécessité d’un régime sattvique, NDT.
(Evolution de tamas vers rajas, puis de rajas vers sattva pour transcender enfin les trois gunas.)
24
(qui passa du temps avec Shirdi Sai et Sathya Sai) le fit remarquer en 1958 à
Venkatagiri : ‘’Vivre avec Sai Baba, c’est le samadhi.’’
Suddhananda Bharati
La douce sensation que l’on ressent durant un darshan de Sai est l’expérience de ce
paradoxe que le mental trouve difficile à accepter, mais que le cœur sait être vrai. A
l’écart de la présence de Sai, notre imperfection est presque trop douloureuse à
contempler, d’où la provision de photographies, de médaillons et d’autres souvenirs
apparemment insignifiants de Sai Baba qui aident à combler le vide occasionné par son
absence (celle de l’Esprit). D’où également la discipline de s’asseoir pendant de longues
heures à Puttaparthi, ce qui accroît l’aspiration du cœur pour cet instant de recontact
avec le divin. Nos âmes sont trop inexercées pour supporter la charge divine pendant
plus que quelques heures. Cependant, une application constante peut prolonger la
durée de la fragrance de l’amour.
Un darshan de Sathya Sai Baba
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D’après Sathya Sai : ‘’Dieu dort dans le minéral, s’éveille dans le végétal, marche dans
l’animal et pense avec l’homme.’’ La vraie religion, soutient-il, est la ‘’religion de
l’homme’’. Nous sommes nés pour rechercher l’Illumination qui dispersera les
superstitions pratiquées par les gens conventionnellement religieux et reconnaitre
l’unité de la vie, la même Âme immortelle dans ce qui est en haut comme ce qui est
en bas. La définition la plus indiscutable de l’Illumination ne réside pas dans un exposé
théologique, mais dans l’expérience de la grâce de tomber amoureux. La différence
entre la personne religieuse et la personne spirituelle réside dans l’expérience de
l’amour. L’amour est l’accomplissement du pauvre. C’est un feu dévorant qui consume
le séparatisme des idéologies religieuses. Après avoir étudié la religion pendant toute
ma vie, je trouve qu’il y a plus d’amour dans les chansons écrites par des pop stars
que dans les sermons prononcés depuis la chaire des églises. La religion lie avec des
ronces, alors que l’amour est la liberté d’être nous-mêmes. La religion réduit la vie à
un devoir ennuyeux, alors que l’amour est un miracle éclatant qui fait paraître
miraculeux l’activité la plus ordinaire. La religion représente le poids mort du passé,
alors que l’amour est une grâce toujours présente. La demande de la Sai Parampara
que nous obéissions à ce que l’amour dicte et que nous renoncions à nos hypothèses, à
nos dogmes et à notre orgueil intellectuel est réaliste, parce que la seule chose à
laquelle la plupart d’entre nous s’abandonnent facilement, c’est au pouvoir de l’amour.
Certains peuvent argumenter que c’est un passe-temps de riches et que l’amour se
situe au-delà des circonstances difficiles des pauvres. Le rappel de soi et chanter des
bhajans ne contribuent guère au bien-être du monde, argumente-t-on, et la plupart
d’entre nous qui sont occupés la journée n’ont pas le temps de s’asseoir
paresseusement et de contempler la divinité. Plus souvent que non, ce sont des excuses
faites par l’esprit de singe pour éviter le dur travail qu’implique la connaissance de soi
et la lutte contre les sens. C’est uniquement quand les folies du mental ont été
dénoncées que nous commençons à comprendre qu’il se comporte comme un avocat
rusé, capable de multiples acrobaties. Il cherche à duper son propriétaire en ce sens
qu’il est un organe plus digne de confiance que le cœur, quand il s’agit de comprendre
la réalité.
Ramana Maharshi et un dévot simiesque ?
26
En plus des dévots, il y a une autre catégorie de quêteurs qui affluent vers Sai Baba,
ceux qui souffrent de problèmes insolubles ou de maladies mortelles. Même des
‘’rationalistes’’ amèneront un être aimé mourant qui est au-delà des aptitudes de la
médecine conventionnelle dans l’espoir que Sai Baba effectuera un miracle, bien que
cela aura pour effet de démolir leur philosophie. Malheureusement, beaucoup de
personnes qui pourraient être aidées par la fontaine d’amour disponible pendant le
darshan de Puttaparthi déclinent cette opportunité à cause de réserves intellectuelles.
Celles-ci proviennent d’une source d’irritation associée aux phénomènes Sai – les excès
dévotionnels de certains adeptes qui font des déclarations ridicules et qui voient des
miracles là où il n’y en a pas. Par exemple, la transmission névrotique de lettres de
chaîne qui exhortent le destinataire à maintenir la transmission par crainte que
quelque chose de fâcheux ne se produise a embarrassé le public et dévalorisé le
mouvement. L’histoire de la Sai Parampara doit donc sortir des points de vue extrêmes
des camps opposés – ceux qui rendent un culte aveugle et qui avalent les hypothèses
les plus absurdes et les sceptiques et les cyniques qui présument que seuls l’illusion, la
superstition et le profit sont à l’œuvre.
***
Je fis pour la première fois connaissance avec le phénomène Sai grâce aux conseils
bienveillants d’Arthur Osborne, un dévot qui avait réalisé l’union rare d’un intellect
aiguisé et de la chaleur dévotionnelle. Puis plus tard, dans les années 60, pendant ma
période à l’ashram de Mirtola dans les Himalayas, à une époque où je croyais qu’une
haire accélérerait ma quête de l’Illumination, une magnifique femme exotique, Prithwi,
la Maharani de Sind, arriva. Je la vis pour la première fois alors que j’écrasais des
frelons qui attaquaient nos ruches. Je tombai si éperdument amoureux de cette vision
de la beauté féminine que je fus cruellement piqué par les frelons ! Mon gourou, un
homme d’une compréhension extraordinaire, transmit directement la charge de mon
éducation intérieure à la nouvelle venue. ‘’L’amour est le guide’’, soutenait-il, et le seul
moyen certain de trouver la religion réelle est d’accrocher votre wagon à cette étoile.
Le nom de Rani Ma signifie ‘’Mère Terre’’ et elle possède le don unique de se sentir
parfaitement à l’aise dans n’importe quelle situation, matérielle ou autre. L’intensité de
sa dévotion lui permet de s’imposer dans les cœurs de tous, à part ceux qui sont jaloux
de son franc-parler. Comme beaucoup d’habitants du Pendjab, son exubérance
naturelle est souvent interprétée comme frôlant l’audace par les personnes les plus
culturellement sensibles, mais sa capacité de pénétrer l’armure des autres est sa plus
grande force. Par exemple, cela lui permet d’aimer des saints hommes pour leur
sainteté comme pour leur virilité, ce qui est quelque chose d’unique.
L’ashram de Mirtola où j’ai vécu n’était pas sur le circuit des saints hommes des
années 60 et la plupart des informations à propos des saints contemporains et des
escrocs provenaient des récits des visiteurs. Pour beaucoup de visiteurs, Mirtola
souffrait de la réputation d’être trop intellectuelle dans son approche et bien que ce
n’était pas vrai pour les gourous, cela s’appliquait certainement à de nombreux
disciples, dont moi-même. Pour équilibrer les choses, la routine de cet ashram qui se
27
suffisait à lui-même était si physiquement épuisante qu’elle aurait été jugée
masochiste, s’il n’y avait eu l’inspiration consciente de l’axiome gurdjiévien : ‘’Il vaut
mieux mourir que vivre dans le sommeil.’’ Ou comme l’auteur alpiniste, René Daumal
l’a dit : ‘’Il est absolument important de découvrir avant de mourir pourquoi nous
sommes nés.’’
Sans doute Sri Sathya Sai trouvait-il dans l’approche de Rani Ma de son statut divin
largement proclamé un changement bienvenu. La plupart de ses dévots le considèrent
avec une crainte respectueuse qui frise l’appréhension, mais elle répond à sa chaleur
humaine et elle n’a pas peur d’être en désaccord avec lui, à l’occasion. Dans son
ashram, elle est simplement connue sous le nom de Rani Ma. L’attitude très simple de
Rani Ma lui a permis de détecter la religion authentique longtemps avant qu’elle ne
franchisse les filtres intellectuels de Mirtola. Par exemple, notre gourou, Asishda, se
méfiait de son jugement à propos du saint de Bombay, Nisargadatta (que l’on
surnommait affectueusement ‘’Bidi Maharaj’’ dans les années 60, à cause de son
habitude de fumer et de vendre des bidis). Plus tard, Ashishda révisa totalement son
opinion sur Nisargadatta et le loua comme un des plus grands praticiens de l’art de
l’Illumination.
Sri Nisargadatta Maharaj
Quand Rani Ma nous fit connaître son maître, Sai Baba, nous doutions très fort de son
authenticité. Des articles de journaux rabâchaient sans cesse à propos de ses
démonstrations de pouvoirs psychiques et dans ses discours, il déclarait lui-même
ouvertement être Dieu. Son apparence étrange et sa coupe de cheveux afro jouaient
aussi en sa défaveur et à Mirtola, le plus grand statut que nous pouvions lui accorder,
c’était celui d’une majorette charismatique pour les masses possédant l’attrait d’un
28
Mahatma Gandhi. Je quittai Mirtola en 1972 et j’obtins mon premier darshan de Sai
Baba chez Rani Ma, à Delhi, cet hiver-là. Sans aucun doute, sa présence était plus
galvanisante que celle d’aucun saint homme ou être humain, d’ailleurs, que j’avais
jamais rencontré (ou que j’ai rencontré depuis). Il semblait crépiter d’une électricité
statique psychique, comme s’il était chargé d’une énergie si vitale que vous receviez un
choc si vous le touchiez. A présent, je comprenais pourquoi Rani Ma prétendait qu’elle
visitait son ashram à cette époque primitif, dans la région reculée de Puttaparthi pour
recharger ses batteries.
C’était son fils Bharat qui avait d’abord contacté Sathya Sai au début des années 60.
Bharat était l’un des derniers de la race charmante des princes, un adolescent retraité
au cœur d’or qui buvait sa fortune. Néanmoins, malgré une durée de vie brève, il laissa
plus de souvenirs enchanteurs que ce que la plupart des gens ayant une disposition
religieuse accomplissent en 100 ans. Reconnaissant peut-être la pureté du cœur de
Bharat, Sai Baba lui avait offert la charge du développement de Puttaparthi qui, dans
les années 60, comprenait seulement les premiers bâtiments de l’ashram à côté du
village appauvri.
Rani Ma décrit comment Sai Baba lui avait parlé de ses grands projets d’inscrire
Puttaparthi sur la carte du monde. Il venait juste de rentrer d’Ouganda, sa seule visite
dans un pays étranger jusqu’à présent. Elle se rappelle qu’elle ne prêta pas non plus
attention, quand Baba lui décrivit sa vision d’une université, d’un aéroport, d’un
hôpital et d’une commune prospère dans la brousse clairsemée du Rayalseema qu’ils
contemplaient ensemble sur la route d’Anantapur, en 1968. Il avait demandé à Rani Ma
et à Bharat d’attendre sur le bord de la route, à l’extérieur de Puttaparthi (afin d’éviter
d’attirer l’attention) et il passa ensuite les prendre dans une vieille voiture cabossée
avec un autre passager, un juge en exercice. Baba allait acheter un terrain à Anantapur
pour y construire un collège pour jeunes filles, ce qui marqua le début d’un
programme de développement extraordinaire dans le domaine de l’éducation, de la
médecine et de la culture. Rani Ma se rappelle comment l’argent fut produit devant le
tehsildar et comment Baba insista pour que son fils se joigne au travail de
transformation de cette étendue sauvage et désolée en un pays prospère. Mais Bharat
pensait que cela dépassait son mode de vie inconstant.
Malgré l’aura puissante que j’avais expérimentée lors de ma première rencontre avec
Baba, je me sentais exclu du cercle magique des dévots Sai. Le prix pour avoir Baba
comme gourou était de s’abandonner entièrement à lui dans l’amour. Pour un
intellectuel, ceci semblait au mieux un investissement risqué, un pari faustien avec son
âme. Et pour durcir mes sentiments, il y avait l’adoration aveugle de nombreux dévots
qui croyaient que tout ce que Baba disait et faisait avait une importance miraculeuse.
A l’époque de ce premier darshan à Delhi, j’assistai à un discours public que Baba
prononça devant un parterre de VIP de la capitale. Baba parlait avec vivacité en
télougou, mais l’homme qui traduisait chaque phrase en anglais prit ce qu’il imagina
être un ton de voix adéquatement divin, alors qu’en réalité, il était plus proche des
braillements d’un âne. Ces critiques acerbes révèlent sans doute comment mon mental
empêcha toute grâce de me parvenir : j’étais venu, non pas pour écouter, mais afin de
trouver quelque chose à redire.
29
CHAPITRE 3 : LE CADRE DU DECCAN
Bien que misérablement arriérée avant qu’elle ne gagne une importance internationale
grâce à Sathya Sai, Puttaparthi se situe dans un cadre topographique assez
spectaculaire. La majesté du sud-ouest du Deccan avec son paysage saupoudré de
rochers peut ne pas produire beaucoup pour ceux qui ne font que gratter sa surface,
mais en dessous se cache un trésor minéral illimité. Dans le ‘’Paradis Perdu’’ où Milton
parle ‘’des richesses d’Ormuz et d’Inde’’, il pense aux épices de Malabar, à l’or et aux
joyaux du Deccan. Des richesses fabuleuses se cachent sous le granit austère du
plateau péninsulaire, ce qui fournit une excellent analogie à l’enseignement de Sathya
Sai selon lequel en chaque personne réside un trésor caché inexploité. Les gourous de
la Sai Parampara sont apparus sur terre pour indiquer où nous devions creuser pour
découvrir ce trésor – dans notre propre cour (intérieure).
Il est un fait que le jeune Sathya Sai déclara d’abord qu’il était la réincarnation de
Shirdi Sai au cours d’un séjour chez son frère aîné à Uravakonda qui est le site d’une
vieille mine d’or. Remarquable pour son temple naturel de rochers dressés, Uravakonda
est aujourd’hui un très gros village animé, avec des magasins peints aux couleurs vives
qui rappellent la toute petite maison en blocs de pierre dans laquelle vécut le jeune
saint. Bien que vives, les peintures sont réalisées avec goût et un grand soin est
apporté aux détails. Comme c’est souvent le cas dans le sud de l’Inde, les gens, même
quand ils sont pauvres, apprécient la satisfaction d’un travail bien fait. Dans le nord,
les couleurs vives jurent souvent ensemble et les peintures des camions et des chars à
bœufs sont souvent bâclées. Mais une fois au sud de la Godavari, où l’écriture
dravidienne remplace la devanagari plus anguleuse, vous découvrirez que même les
moyens de transport public, dont le vulgaire rickshaw, sont tous bichonnés avec fierté
et finesse. La plaque à l’avant de la plupart des camions annonce la tendance religieuse
de son propriétaire (Sai Sree Carrieers, Sab Ka Malik Haulers) et les côtés des chars à
bœufs sont peints avec des scènes des épopées hindoues. On ne peut qu’en déduire
que le respect de soi manifesté dans le talent artistique émane d’une dévotion active
envers les dieux locaux.
Les gens du sud de l’Andhra, comme la terre, sont minces, mais robustes. La
communauté rurale des Rajus où est né Sathya Sai peut être modestement située dans
l’ordre hiérarchique des castes, mais après avoir survécu au labeur de labourer le sol
rouge assoiffé de pluie, ils sont ce qu’on appelle le sel de la terre. Le sel de leurs
propres vies est fourni par la possession naturelle qu’ils ressentent envers les mythes
religieux de la région rejoués dans d’innombrables pièces de village en mélodieux
télougou. Pendant des siècles, ces gens ont été relégués au rang de citoyens de seconde
classe dans leur propre pays, après que la brillante dynastie Kakatiya fut détruite et
remplacée par des maraudeurs étrangers. L’ourdou et le marathe étaient considérés
comme les langues de la cour et de la bonne société, respectivement, alors que le
télougou, malgré son ton mélodieux, subit un déclin littéraire sous le sultanat de
Golconde (qui préférait l’ourdou dakhini) et il fut relégué au statut de langue
populaire. Le compositeur Thyagaraja qui fit du télougou la langue de la musique
classique ne put trouver de l’embauche qu’à Tanjore, un fief marathe en pays tamoul.
30
Cette partie du Deccan, avec sa roche rose et son sol rouge, a vu naître le temple le
plus riche du monde à Tirupati. Elle est aussi le lieu de naissance du philosopheprésident de l’Inde moderne, le Dr Radhakrishnan et elle accueille l’école expérimentale
de Rishi Valley créée par un autre brillant Télougou, le philosophe et saint réticent, J.
Krishnamurti. Ici les récoltes sont marginales avec le millet comme culture principale.
L’intérieur du Deccan est privé de mousson et la sécheresse que suit la famine hante la
région depuis des siècles. Avec le lancement des projets d’utilité publique Sathya Sai
d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation, les perspectives des villageois ont
finalement commencé à s’améliorer. Ils se tournent maintenant vers la culture des
fruits et des légumes et ce qui autrefois était un désert a commencé à fleurir. La
région devient rapidement le vignoble de l’Inde avec des raisins d’une telle qualité que
le champagne qui y est produit se distingue à peine de l’original.
Les alentours de Puttaparthi, dominés par les collines de Bukkapatnam, accueillirent
une des plus célèbres dynasties de la période médiévale. L’indication se trouve dans le
nom ‘’Bukka’’ qui est celui du cadet des deux frères qui fondèrent l’empire de
Vijayanagar. Penukonda, une des capitales de Vijayanagar, n’est située qu’à 35 km du
foyer de Sathya Sai. Puttaparthi profite de la Chitravathi qui la traverse, mais la rivière
qui prend sa source dans les collines de Nandi est à sec en dehors de la période de
mousson. Heureusement pour l’immense ashram de Prasanthi Nilayam qui poussa à
proximité, la rivière cache un vaste stock de richesses souterraines, comme les rochers
du Deccan.
La région du Rayalseema où est située Puttaparthi (qui est le pendant exact du
français ‘’domaine royal’’) déborde à l’ouest dans le Karnataka, puisque l’empire de
Vijayanagar comprend des zones où l’on parlait le télougou et le kannara pendant les
quatre dynasties qui y régnèrent. La fabuleuse capitale de Hampi située dans la
magnifique gorge accidentée de la Tungabhadra était la merveille du monde médiéval.
‘’La cité est telle que la pupille de l’œil n’a jamais contemplé une chose pareille’’,
observa Abdul Razzaq, ambassadeur de la cour du fils de Tamerlan, à Vijayanagar.
Aujourd’hui, Hampi (le nom local de Vijayanagar) est en ruines à l’exception du temple
de Virupaksha, mais c’est une ruine d’une telle majesté et d’une telle grandeur qu’il n’y
a rien dans le monde qui l’égale, à part la capitale inca de Machu Picchu. Hampi a une
importance spéciale pour la Sai Parampara. C’est dans le temple de Virupaksha, sous la
flèche du gopura blanc construit par le plus grand des empereurs de Vijayanagar,
Krishnadeva Raya, que l’adolescent Sathya Sai se révéla comme une forme miraculeuse
de Shiva né à nouveau sur terre pour le bénéfice de ses dévots. Depuis lors,
Puttaparthi renferme le secret du Deccan et de la nature de Sai Baba : extérieurement
pauvre, intérieurement riche.
31
Le temple de Virupaksha à Hampi
Le jeune Sathya Sai, Ishta Devata
32
La Sai Parampara tire son inspiration de nombreuses sources pour la bonne raison que
le Deccan qui est situé à mi-chemin entre les cultures du nord et du sud a bénéficié
des deux apports : Shirdi, dans la partie nord du Deccan reflète des influences
aryennes, alors que Puttaparthi, dans la partie sud, possède un parfum plus dravidien.
Presque étrangement, la division linguistique entre les langues provenant du sanscrit et
celles appartenant à la famille dravidienne plus au sud, correspond à une division
géologique spectaculaire. Les roches du plateau du Karnataka sont dix fois plus
anciennes que celles du plateau voisin du Maharashtra. Après des années de traversées
et de retraversées entre ces frontières culturelles évasives, le voyageur n’est guère plus
sage concernant cette différence marquée entre les types de minéraux et les langues
locales. Tout ce qu’il sait, c’est que le sud témoigne de plus de conscience civique et
qu’il est théoriquement plus affirmateur de la vie et moins fataliste que le nord. A ce
propos, les théories abondent et souvent, il est dit que la première cause fut
Shankaracharya, le philosophe advaitin, dont la doctrine de maya mise en vedette dans
l’hindouisme traditionnel attribue seulement au monde une réalité conditionnelle.
Il est généralement cru que la récapitulation de l’essence philosophique de
l’hindouisme de Shankaracharya précéda l’arrivée des fois étrangères en Inde de
plusieurs siècles. Mais l’Histoire suggère le contraire. Les juifs et les chrétiens prirent
pied au Kerala dès le début de l’ère chrétienne et dans l’Ancien Testament, il est fait
référence à des importations exotiques en provenance de Malabar. On pense qu’une
mosquée de Kasaragod dans le nord du Kerala a été fondée du temps du Prophète,
c’est-à-dire presque un siècle avant la naissance de Shankaracharya. Ceux à qui l’on
enseigne de croire que l’islam apparut dans le nord de l’Inde par l’épée ne sont sans
doute pas au courant de son arrivée antérieure dans le sud par bateau. La longue
marche ultérieure de Mouhammed Ibn Tughlûq, de Delhi à Daulatabad, transformée
en puissant exode par le mythe populaire, fut en fait une tentative avortée du
missionnaire Tughlûq pour planter sa nouvelle capitale dans le Deccan avec des
administrateurs modèles et des mystiques soufis qui plairaient aux instincts de
l’homme ordinaire. Le plus éminent des saints musulmans du Deccan, Hazrat Gesu
Daraz, fut éduqué à Daulatabad. Sa tombe, dans la médiévale Gulbarga était tellement
populaire qu’elle bénéficiait du statut de pèlerinage de substitution en remplacement
de celui de La Mecque. Banda Nawaz, comme on appelait le saint, étudia le sanscrit et
lut le Mahabharata. Il était d’avis que la poésie écrite en ‘’hindvi’’ était plus inspirante
que celle écrite dans son persan natal.
La région du Deccan a été révolutionnaire dans son impact théologique à cause de
l’apparition en son milieu éclectique de pratiquants provenant de l’extrémité inférieure
du spectre de la société – des saints sudras qui coupaient l’herbe sous le pied des
prêtres par leur dévotion directe à Dieu. Jusqu’à la période médiévale, l’hindouisme
était impensable sans l’intermédiaire d’un prêtre. Le bouddhisme avait contesté cette
tradition et en avait payé le prix. Le jaïnisme a survécu en s’adaptant.
Incontestablement, l’entrée de l’islam égalitaire encouragea l’idée de l’accès direct au
divin, mais les poètes bhaktas du pays tamoul avaient exprimé leurs préférences deux
siècles avant que l’islam n’existe en tant que religion.
33
Au cours de mon premier voyage dans l’arrière-pays du Deccan, en 1984, je visitai
Hampi et Bijapur, les capitales médiévales respectives des Etats hindou et musulman
et, comme à la plupart des touristes, on me dit à quel point chacune était violemment
hostile à l’autre. A présent, après une demi-douzaine de visites à ces deux merveilles
architecturales du Deccan, j’ai appris une histoire assez différente. Même un écrivain
cosmopolite aussi astucieux que Naipaul a gobé le mythe que Hampi présentait un
front hindou uni face aux sultanats étrangers et qu’elle fut saccagée par ces derniers à
cause de sa défense de l’ordre brahmanique. Et que Bijapur était une enclave à l’écart,
exclusivement musulmane.
Une étude plus précise de la période montre que, bien que les animosités religieuses
étaient réelles, elles se prolongeaient dans des querelles intracommunautaires. Les
sultans sunnite et chiite s’allièrent avec le raya hindou l’un contre l’autre, tandis que
les lingayats et les brahmanes de Vijayanagar se disputaient la supériorité dynastique.
De même, la philosophie vishnouite de Ramanuja s’opposait aux advaitins hindous et
aux Jaïns agnostiques. Se pourrait-il que le temple de Virupaksha et que d’autres
monuments shivaïtes, comme le Ganesh moutarde, restèrent intacts, alors que des
constructions vishnouites, comme le temple de Vitthal et le monolithe de Narasimha,
furent incendiés et vandalisés à cause de conflits internes sectaires entre hindous ? On
parle toujours au visiteur des débuts auspicieux de Hampi sous les bénédictions du
Shankaracharya de Sringeri, mais on ne lui rappelle jamais que plusieurs régicides
entachèrent la réputation de Vijayanagar. On ne lui dit pas non plus que les plus belles
constructions, comme le Lotus Mahal et les étables des éléphants, suggèrent la main
des maçons de Bijapur. Les preuves indiquent le contraire de ce que l’on croit
généralement. Des musulmans qui appartenaient à l’armée du raya ont pu contribuer
aux plus belles constructions de l’armée impériale et bien que les armées du sultan
commencèrent l’œuvre de destruction, il faudrait accorder plus de crédit aux
conditions climatiques qui ne ménagèrent pas la superstructure en plâtre et en bois
qui caractérisait l’architecture hindoue.
Si je rabâche sur la fusion des apports musulman et hindou dans la culture du Deccan,
c’est pour corriger la perception existant à la fois au nord et au sud selon laquelle une
rivalité amère entre les deux était la seule réalité. C’était peut-être la réalité qui
dominait chez les dirigeants, mais le paysan du Deccan était trop malin pour ne pas se
couvrir concernant l’intérêt de son âme. Extérieurement, il pouvait approuver
l’orthodoxie de Bénarès ou de La Mecque, mais en réponse au miracle spirituel, il
suivait son bon sens et l’accepterait, qu’il émane d’un sannyasin hindou ou d’un fakir
musulman. Pour comprendre le phénomène Sai, il est capital de reconnaître que sa
popularité provient de la réalisation du dévot que la vraie religion – l’amour de l’âme
pour son Créateur divin – est un fait universel de la vie, commun à la fois aux hindous
et aux musulmans. Comme exemple peu connu de la façon dont les deux fois
pouvaient se mélanger dans le Deccan, nous avons la gestion remarquable de certains
sultans de Bijapur. L’un s’appelait lui-même ‘’Jagat Guru’’ et vénérait la déesse
Sarasvati. Un autre construisit ce que beaucoup considèrent être le plus beau bâtiment
du monde musulman. La raison pour laquelle tous ceux qui sont de ce monde-là ne
sont pas gagnés par la beauté de l’Ibrahim Rauza est qu’il est le résultat d’influences
hindoues. Dans ce rare chef-d’œuvre où la pierre reflète la clarté de l’Esprit, le sens de
34
l’hindouisme pour la sinuosité des lignes de la nature a été insufflé dans le style formel
exigé par l’islam.
C’est dans ce cadre éclectique que le
premier Sai Baba apparut dans le
village de Shirdi dans le Maharashtra à
la fin des années 1850. Aucun détail
historique sur ses origines n’est
disponible à l’heure actuelle, mais la
spéculation mythologique pour
combler ce vide a atteint des
proportions industrielles. En dépit de
son vêtement, de son langage et de son
comportement de fakir musulman, ses
adeptes hindous ont systématiquement
tenté au fil des ans de réinventer
l’identité du saint à l’aide d’un
imprimatur brahmanique. Les disciples
plus raffinés qui discernent dans son
enseignement et dans son
comportement le signe désintéressé du
vrai brahmane voient maintenant leurs
conjectures balayées par des tentatives
grossières pour fabriquer des preuves
attribuant une ascendance
brahmanique à Shirdi Sai. Des photos
anciennes montrent que Shirdi Sai,
contrairement à ses disciples qui sont
de petite taille avec des
caractéristiques faciales arrondies
typiques de la paysannerie marathe,
était grand et anguleux avec de hautes
pommettes rappelant l’Asie Centrale
d’où provenaient de nombreux colons
musulmans du Deccan. Ces aventuriers
étaient connus sous le nom d’Afaqi et
ils provoquaient pas mal
d’indisposition chez les musulmans
locaux du Deccan qui enviaient leur
statut islamique plus pur en vertu de
leur naissance dans des pays non
contaminés par le polythéisme.
La tendance indienne à étoffer
l’Histoire avec des mythes transforme chaque étude de sujets religieux en un exercice
de perspicacité. Le mythe n’est pas toujours de la mauvaise Histoire, mais ce peut être
un résumé révisé et inspiré où de petites imprécisions sont permises pour présenter
35
une vue d’ensemble poétique d’une situation complexe. Maintenir la population
illettrée et sur un régime de légendes a ses avantages pour ceux qui sont au pouvoir.
Alors que les monarques hindous s’appuyaient sur les chroniqueurs de la cour et qu’ils
étaient servis par des bardes outrageusement flatteurs, les sultans du Deccan
cherchaient à affirmer leurs qualifications musulmanes en invitant à la cour des
maîtres et des ecclésiastiques étrangers. L’historien plein de verve, Ferishta, venait des
rives de la Mer Caspienne et ne répugnait pas à colporter tout folklore du Deccan
favorable aux musulmans. Les origines de certaines dynasties de sultans – fruits d’un
coup de poignard dans le dos d’un usurpateur – étaient embellies et remontaient au
califat, plutôt à la manière de princes rajput qui prétendaient que leurs ancêtres
descendaient du soleil et de la lune. Les musulmans disaient que le sultan de Bijapur
descendait du calife d’Istanbul, tandis que pour le lobby hindou, il était le dhobi d’un
saint vishnouite dans une vie antérieure qui avait reçu la faveur de naître sultan lors
de son incarnation suivante. C’est ce genre de mythe populaire qui revendiquait une
ascendance brahmanique pour Shirdi Baba, tout comme il inventa la notion fausse
selon laquelle la dynastie musulmane Bahmani tirait son nom des bénédictions d’un
brahmane.
Nulle part la création de mythes n’est plus marquée que dans le domaine des castes.
Ici, l’indifférence envers l’Histoire présumée de l’hindouisme peut également être
considérée comme une stratégie pour protéger ses intérêts personnels. Inévitablement,
quand le créateur du mythe est un brahmane, il insérera des rappels sur la nécessité
de veiller aux intérêts de sa communauté. Les versions non orthodoxes et les
interprétations en langue vulgaire reçoivent rarement une audience. Les traditions
agamiques shivaïtes préaryennes ont largement été étouffées par le veto védique, mais
pas tout à fait. Toute preuve qui est peu flatteuse pour la philosophie sanscrite tend à
être balayée sous le tapis. On demande par exemple à l’Inde moderne de croire que le
bouddhisme est mort d’une mort naturelle en raison de ses préoccupations ascétiques.
Les preuves suggèrent toutefois qu’il fut poussé dehors par le brahmanisme, les
sanctuaires bouddhistes étant repris sous la pression orthodoxe. L’éviction de
l’enseignement égalitaire en faveur de l’élitisme spirituel (tel qu’il est exposé par
Shankaracharya) est considérée euphémistiquement comme la victoire du débat
religieux. Toutefois, la soif de possession des deux fois nés est perceptible dans les
nombreux sanctuaires et centres de pèlerinage hindous (comme Ayodhya, Badrinath,
Puri, Srisailam, Kanchipuram) qui étaient autrefois bouddhistes ou jaïns.
Un exemple de création de mythe est perceptible dans les changements apportés aux
photographies de Shirdi Sai. Certains éléments ont été modifiés, apparemment pour
plaire aux goûts hindous. Les photographies anciennes le montraient avec un kafni
(robe) blanc et un bandana blanc noué du côté gauche. Il était généralement décrit
assis sur une pierre, la jambe droite croisée à hauteur du genou placée sur le genou
gauche et la main gauche saisissant le pied droit. Cette position décontractée et
détendue s’oppose à l’asana (posture) yoguique formelle utilisée dans la description
des saints orthodoxes. Le pied est significatif, puisqu’il représente le statut classique du
shudra aux yeux de l’orthodoxie, comme dans la description védique du Purusha
(l’Homme Primordial) dont ‘’le brahmane était la bouche…de ses pieds jaillit le shudra’’.
Aux pieds de Shirdi Sai se trouve un chien. Les chiens sont des objets de dégoût pour
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les hindous comme pour les musulmans orthodoxes, mais ils apparaissent
régulièrement dans les cultes non orthodoxes du Deccan.
Il est intéressant de noter que Sathya Sai, bien qu’il soit né avec un nom vishnouite
orthodoxe, est considéré comme un avatar de la forme de la divinité moins orthodoxe
de Shiva-Shakti. Néanmoins, dans les premiers jours de la ‘’Demeure de Paix’’ (comme
Baba appelle son campus spirituel de Prasanthi Nilayam), le contenu agamique non
orthodoxe et soufi du message de Shirdi Baba semble avoir été minimisé en faveur du
védique. Cette dernière tradition voit les saints Sai comme des incarnations de Shiva
sous son aspect bienveillant de Seigneur des yogis et non sous sa forme plus sauvage
et non orthodoxe de Pashupatinath. (On attribue à Shirdi Baba le statut de Shiva, alors
que l’on croit que Sathya Sai incarne les pouvoirs de Shiva et de Shakti.) Quoiqu’étant
une version moins primitive, Shiva-Shakti reste un concept non conformiste qui
permet la spontanéité de l’expression divine. La liberté spirituelle que Sathya Sai a
réclamée pour l’âme humaine en y consacrant la flamme de l’amour a fait en sorte
qu’il a souvent incarné la forme superbe d’Ardhanarishvara de Shiva, un mélange dans
un seul corps des qualités invincibles, mais tendres de l’amour.
La caste joue un rôle important dans la manière dont la genèse des saints Sai et les
légendes qui leur sont associées ont souvent été décrites, même si les deux saints et le
folklore auquel ils puisaient étaient inspirés par un mélange éclectique d’influences
hindoue, musulmane, aryenne et dravidienne. La spiritualité est si intimement mêlée à
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la conscience des castes que tout pratiquant des arts mystiques de basse naissance se
voit automatiquement attribué une ascendance mythologique de haute caste. Les
premiers biographes de la Sai Parampara (qui sont tous des hommes de haute caste)
ont tendance à être sur la défensive à propos de la réalité embarrassante des castes.
Les deux saints Sai ont mis un point d’honneur à s’arracher à ses tentacules, mais la
nature quasi indélébile de jati (comme il est fait allusion à la caste dans la vie
quotidienne) en fait un problème qui refuse de s’en aller.
Les injustices inhérentes à un système de statut spirituel héréditaire demandaient une
solution rapide et les percées monothéistes de l’islam et du christianisme trouvèrent
un public réceptif dans les classes inférieures qui gémissaient sous la discrimination.
Ceci aide à expliquer l’anomalie qui veut que bien que le sud était un territoire shudra
en dehors du cercle des deux fois nés, il parvint à obtenir un taux d’alphabétisation
nettement supérieur à celui du fief aryen. L’absence de monopole brahmanique sur
l’érudition et l’apport de presses typographiques et de grammaires en langue vulgaire
des missionnaires permirent une perspective tournée vers l’avenir au sud qui manque
au nord. Aujourd’hui, la qualité progressiste du Deccan se reflète dans le fait que les
économies des Etats du sud devancent celles du nord d’une cinquantaine d’années. Sur
une durée extraordinairement brève, les capitales de Bangalore et d’Hyderabad ont
obtenu une réputation internationale pour leur succès dans le domaine de
l’informatique.
Il n’est donc pas surprenant que la région au sud des Vindhyas ait fortement résisté à
l’hégémonie sanscrite du nord, malgré les incursions opérées via des colonies de
brahmanes (agraharas) introduites dans la région par des dirigeants qui souhaitaient
être perçus comme orthodoxes et possédant un statut pan-hindou. La culture aryenne,
en vertu des sympathies populaires du sud, semble avoir été sous surveillance
constante et elle l’est encore. Il est remarquable, par exemple, qu’alors que Sathya Sai
est ouvert à toutes les influences régionales et qu’il apprécie les plus beaux points de
toute expression culturelle, le bhangra bruyant du nord arrive loin sur la liste de ses
préférences.
En fait, la résistance du sud à la prise de pouvoir du sanscrit est encore de mise même
après trois mille ans. La meilleure preuve en est le mouvement dravidien populaire
(jusqu’il y a peu) inspiré par le chef tamoul Periyar qui n’était pas simplement
violemment anti-brahmane, mais qui dédaignait toutes les religions. Periyar était un
homme d’affaires et un rationaliste qui jouait sur le sentiment populaire qui n’aimait
pas les archétypes du nord, comme la description du roi du sud, Ravana, comme le
méchant du Ramayana. En quarante années vécues dans le nord de l’Inde, je ne me
souviens pas avoir lu de nouvelles détaillées concernant ce leader dravidien dans les
quotidiens nationaux. Le silence qui entoure le discours anti-brahmanique de Periyar
est encore plus assourdissant que celui qui entourait Basaveshwara, un homme d’Etatpoète médiéval qui contestait le monopole spirituel des brahmanes, alors qu’il était luimême brahmane. Une retombée intéressante du mouvement revivaliste dravidien, c’est
qu’il n’est pas tant anti-brahmane que pro-tamoul (les termes ‘’dravidien’’ et ‘’tamoul’’
sont interchangeables). Une fois que la langue tamoule fut protégée des incursions de
38
l’hindi (l’enfant du sanscrit), le mouvement dravidien put sans problème accepter des
premiers ministres brahmanes au Tamil Nadu, par exemple.
Dans le même temps, malgré le fait que le sud se fasse le champion de son caractère
dravidien, c’est à des philosophes du sud que l’hindouisme orthodoxe doit la plupart
de son enseignement caractéristique. Les trois grandes écoles – l’advaita (monisme), le
vishistadvaita (monisme qualifié) et le dvaita (dualisme) sont tous des produits
d’esprits du sud, à savoir ceux de Shankaracharya (Kerala), de Ramanuja (Tamil Nadu)
et de Madhava (Karnataka), respectivement.
La doctrine moderne de l’Hindutva qui se fonde sur un usage chauvin et sélectif de
l’Histoire est issue du milieu orthodoxe du nord du Deccan où Tilak et Savarkar
soutenaient que l’ordre brahmanique était supérieur à tous les autres. Le point de vue
de Savarkar concernant la société indienne était, comme celui de Tilak, conditionné par
la perspective des privilégiés et est un autre exemple de stratagème féodal qui cherche
à faire passer l’opinion d’une minorité qui s’exprime bien comme le consensus
national. Sa théorie selon laquelle tous les Indiens sont ou étaient des hindous semble
ne pas être scientifique en vertu du fait que l’Inde possède 4635 communautés
distinctes vérifiées. Le Deccan fut également le témoin du complot de l’assassinat du
Mahatma Gandhi qui fut ourdi à Ahmadnagar. Savarkar fut accusé, mais il fut acquitté
par manque de preuves. Jawaharlal Nehru avait été emprisonné dans la même ville
durant le mouvement Quit India et son œuvre nationale, ‘’La Découverte de l’Inde’’, est
née de cette détention. Elle est aussi raffinée et sans préjugé que ‘’L’Hindutva’’ de
Savarkar (conçu dans la cellule de sa prison aux Iles Andaman) est collectivement
tendu.
En raison de son statut d’espèce de carrefour, le Deccan fournit l’expérience indienne
complète, contrairement au point de vue donné par l’orthodoxie hindoue. En termes
socioreligieux, le Deccan illustre une lutte continue pour l’espace spirituel entre la
sagesse populaire du paysan et la tentative discréditée d’un clergé privilégié pour le
tromper avec une spiritualité factice. Jusqu’ici, les adeptes de la Sai Parampara
semblent être la preuve triomphante de la manière dont la guerre est en train de se
gagner. Les maîtres non orthodoxes du Deccan ont arraché l’universalisme des
Upanishads à ses gardiens orthodoxes et étendu la dignité de cet enseignement à tous
les niveaux de la société. La véritable liberté – quand nous sommes gouvernés par
notre propre Soi intérieur – est le don de la Sai Parampara à chacun, quelle que soit
sa caste, son genre ou son pays.
39
CHAPITRE 4 : INFLUENCES RELIGIEUSES
Aujourd’hui, partout dans le pays, on rencontre un nombre croissant de temples
consacrés aux deux saints du Deccan, Shirdi et Sathya Sai. L’immense popularité de la
fraternité Sai dans l’Inde moderne peut s’expliquer en termes de leçons apprises du
déclin du sanscrit et de la montée du mouvement bhakti, ce dernier exerçant une
subtile influence sur la manière dont les saints Sai ont vaqué à leur mission.
Bien que l’érudition et la culture sanscrites étaient prisées des dirigeants dravidiens et
que son vocabulaire pénétra avec succès les langues dravidiennes dérivées que sont le
malayalam, le télougou et le kannara, le tamoul – l’inspiration originelle du
mouvement Bhakti – fit preuve d’une telle résistance qu’il reste aujourd’hui la seule
langue classique vivante de l’Inde. Comme langage parlé, le sanscrit périt à cause du
raffinement même qu’il cherchait à promouvoir. En dépit de sa structure scientifique
et de sa beauté sonore, le sanscrit dépérit de l’intérieur, ses gardiens prêtres l’écartant
délibérément des affaires courantes. Le langage puise sa vie aux racines des gens qu’il
sert. En se coupant de l’homme du commun, toute langue, quelle que soit sa valeur, se
condamne au statut de mascotte honorée pour sa sonorité plutôt que pour sa
signification. Le sanscrit conserve son rôle honorifique, mais la montée des langues
vulgaires du Deccan – le marathi, le télougou et le kannara qui fleurirent sous
l’inspiration du mouvement bhakti – le confina à un rôle de moyen de communication
académique.
Derrière la popularité durable du phénomène Sai se trouve le fait que les deux saints
Sai supprimèrent l’orthodoxie distante qui accompagne la conception sanscrite et
partagèrent l’urgence de communiquer avec les masses. Bien que la Sai Parampara
puisse reconnaître l’idéal sacerdotal du brahmane, elle conteste toute revendication
automatique de supériorité spirituelle. Elle a aussi réussi à contourner la barrière
spirituelle élevée par l’hindouisme orthodoxe qui veut que sans les bénédictions
brahmaniques, le pèlerin ne peut pas atteindre son but. Pour Sai Baba, chaque âme est
née avec le potentiel de devenir une avec l’Esprit intérieur. Contrairement au sanscrit
qui n’était accessible qu’à quelques privilégiés, la Sai Parampara établit un contact avec
tout le monde.
Ceci nous amène au mouvement bhakti qui apparut dans le sud pour rajeunir la
religion populaire et la sauver de la vaine répétition des rituels védiques dont elle était
devenue la proie. L’incapacité du brahmanisme à être fidèle à l’esprit hindou inclusif
avait résulté en la mise en application de la loi shastrique séparative qui sapait la
cohésion sociétale et qui exposait le sous-continent à des influences monothéistes
étrangères. Celui qui étudie le champ de bataille médiéval est tenté de conclure que les
forces étrangères qui vainquirent malgré le fait d’être largement surpassées en
nombres par les armées hindoues furent aidées par ce que l’on pourrait appeler
l’attitude revêche des shudras. Le ressentiment que les classes inférieures éprouvaient à
cause de leur exclusion de la société hindoue respectable s’exprimait dans leur
indifférence quant au résultat de la bataille. Une victoire ne produirait aucune
différence pour leur sort prédéterminé, tandis qu’une défaite, embarrassante pour
40
leurs gouvernants, les soulagerait un peu de leur ressentiment. Il n’y a aucune preuve
que l’homme de l’Inde médiévale pensait en termes de nation.
La montée opportune du théisme sous la forme du mouvement bhakti redonna de la
flottabilité à un bateau menacé intérieurement par la corrosion de la caste. Au cœur
du mouvement, il y avait la philosophie que Dieu pouvait être directement approché
par le cœur et que les prêtres intermédiaires étaient superflus. Comme la Sai
Parampara aborde Dieu d’une manière fort similaire et qu’elle a à cœur des soucis
plutôt semblables, jetons un regard à la dynamique du mouvement bhakti.
Au centre de la bhakti shivaïte non orthodoxe, il y avait Basaveshwara, un brahmane
du Deccan qui, au 12ème siècle, répudia sa foi ancestrale et fonda une croyance sans
castes populairement connue sous le nom de ‘’Lingayat’’ ou ‘’Virasaiva’’. L’orthodoxie
avait de bonnes raisons de se méfier du mouvement de Basaveshwara, puisqu’il semble
avoir ses racines dans des sectes tantriques qui, dans l’imagination populaire, se
complaisaient dans les passions les plus basses. C’était au moins le point de vue
propagé par des philosophes pamphlétaires comme Ramanuja qui, parce qu’ils
sentaient la base de leur pouvoir menacée, avait recours à l’exagération. Pire encore, le
précepteur spirituel du brahmane déchu était un intouchable.
Pendant des siècles, Basaveshwara a été rejeté par les orthodoxes comme inadmissible
pour l’hindouisme à cause de son audace de non seulement prêcher, mais de pratiquer
la doctrine de l’amour et de la communion directe avec Shiva. Mais lui-même se voyait
comme un véritable hindou et le brahmanisme orthodoxe comme le prétendant. Sa
source d’inspiration n’était pas les Védas importés, mais la tradition agamique du sud.
La dévotion et le zèle farouche à servir le ‘’Seigneur du confluent des fleuves’’ (comme
Basaveshwara appelait Shiva dans ses vers profonds et incisifs) incitèrent les dirigeants
musulmans ultérieurs du Deccan à conclure que les Lingayats étaient monothéistes.
Pour amener les choses à un point critique, Basavanna (non sous lequel il était connu
avant sa déification) encouragea le mariage intercastes – chose toujours impensable
pour le villageois sans instruction de l’Inde – et il encouragea l’éducation des femmes.
De manière criminelle, conformément au code de son époque, il remplissait l’esprit des
intouchables avec des idées spirituelles au-dessus de leur condition et menaçait de
façon impardonnable le pilier sur lequel reposait la société orthodoxe. Il refusa le
cordon sacré des deux fois nés pour montrer que la religion réelle ne pouvait pas être
héritée physiquement, mais qu’elle doit être cultivée par la dévotion.
Après le noble universalisme des Upanishads, l’hindouisme dut patienter pendant
presque deux millénaires avant que les enseignements théistes des saints du
Maharashtra ne parviennent au même niveau d’excellence spirituelle. Le grand saint
lettré, Jnaneshwar, bien que né brahmane, adopta des habitudes non orthodoxes et
témoigna de la sympathie pour les enseignements de Guru Goraknath. Goraknath est
l’un de ces yogis archétypiques mystérieux qui occupe une place importante dans
l’affection du peuple du Deccan pour ses idées libérées à propos de ce qu’un homme
peut manger et boire dans sa quête de Dieu. Jnaneshwar est célèbre pour avoir obligé
un buffle à réciter les Védas afin de ridiculiser les prétentions des prêtres orthodoxes.
Ce que cette histoire peut symboliser, c’est que ces derniers, qui considéraient les
41
shudras comme à peine mieux que des bêtes, devaient maintenant accepter le
mouvement bhakti, dont les saints étaient des hommes et des femmes avec des
préoccupations ordinaires et qui n’étaient pas nés pour enseigner la religion. Namdev,
un contemporain de Jnaneshwar, était le fils d’un tailleur (bien que la tradition ait
laissé du champ à l’invention en affirmant qu’on l’avait découvert bébé, flottant sur la
rivière à Pandharpur). Le lieu de pèlerinage de Pandharpur, dans le sud du
Maharashtra, consacré à divers saints lettrés shudras, possède une importance
particulière, puisqu’il ne révèle pas seulement la face humaine de l’hindouisme, mais il
est aussi une affirmation du droit de l’homme ordinaire d’avoir directement accès à la
divinité. Un autre grand saint du pays marathe fut Tukaram, un commerçant pauvre
qui possédait une foi éclatante en Vitthal qui dynamisait toutes ses compositions.
L’orthodoxie punit son impudence en l’obligeant à jeter ses poèmes dans la rivière.
Conforme aux traditions de la bhakti, Vitthal est une version marathe rustique de
Vishnou. En toute décontraction, il se tient les poings sur les hanches à Pandharpur,
une variante paysanne du thème de l’amant de Brindavan. Son épouse n’est pas la
figure de la maîtresse romantique Radha Rani, mais une personnalité simple et franche
qui représente la relation stable que l’état terre-à-terre du mariage symbolise. Pardessus tout, ces figures simples, mais rassurantes d’un petit paysan divinisé et de sa
femme sont accessibles à tout dévot, quelle que soit sa caste.
Le folklore du Maharashtra est aussi rempli de la figure numineuse de Dattatreya qui
semble jouer le rôle de pont entre l’orthodoxie aryenne et la religion populaire du
Deccan. On le considère comme la source d’inspiration de la secte vishnouite
‘’Mahanubhava’’ qui est remarquable pour ses diverses croyances et pratiques non
orthodoxes. Dattatreya est souvent décrit avec quatre chiens tenus en laisse. Les
orthodoxes interprètent ceci comme la maîtrise des quatre Védas ; les non orthodoxes
le voient comme un frein aux influences védiques. Dattatreya est tellement populaire
dans le Deccan que des écoles opposées de bhakti et d’advaita se sont érigées en son
nom. Le jeudi (consacré au guru) est réservé comme un jour de culte hebdomadaire
de Dattatreya.
Une conception aussi égalitaire qui reste à l’écart de toute implication sacerdotale est
la caractéristique de la philosophie de Shirdi Baba comme de Sai Baba. Le jeudi ou
guruvar est observé comme leur jour sacré et Sai Baba, comme Shirdi Baba avant lui,
adore ses chiens. D’anciens dévots prétendent que souvent, quand ils avaient été pris
en photo avec Sathya Sai, le film développé le montrait sous la forme de Dattatreya. Il
y a quelques années, un sanctuaire de Dattatreya a été érigé près du samadhi de la
mère de Sathya Sai. Que Sathya Sai Baba était bien conscient de ces mouvements
religieux populaires est clair, si l’on se remémore la fameuse occasion, en 1958, quand
il matérialisa un exemplaire de la Bhagavad Gita à partir du lit de la rivière et qu’il en
fit présent à l’éminent scientifique, le Dr Bhagavantam. Une fois, reconnaissant les
personnages représentés sur un badge porté par un dévot, il annonça qu’il s’agissait du
couple Kusum-Haranath qui avait donné un coup de fouet au mouvement
namasankirtan du Bengale moderne. Namasmarana, la pratique de la récitation du
Nom de Dieu était commune à toutes les écoles de bhakti et il est pratiqué par
beaucoup de dévots à Puttaparthi.
42
Sathya Sai et ses chiens, à différentes époques
Une photo de Dattatreya matérialisée par Sathya Sai
***
43
Le vibhuti abishekham qui est le point d’orgue du calendrier spirituel Sathya Sai
pendant Shivaratri ne ramène pas seulement au dhuni du fakir de Shirdi, mais au-delà,
aux personnages non orthodoxes qui ont influencé la religion dans le Deccan :
Gorakhnath, Dattatreya et Basaveshwara. La lingodbhava leela {la matérialisation d’un
ou plusieurs shivalingam(s), à partir de sa personne} qui suit la projection de la
vibhuti est un rite très peu orthodoxe qui suggère la loyauté lingayat au symbole
extérieur de Shiva, ainsi que ces cultes qui vénèrent Shiva comme énergie pure. Il y a
deux niveaux qui opèrent ici, l’exotérique et l’ésotérique. En la personne de Sathya Sai
Baba, on pense que Shiva est associé à Parvati, l’épouse orthodoxe et/ou Shakti, la
force féminine imprévisible. Il y a donc deux lectures des vies des saints du Deccan, et
tandis que les érudits discutent afin de savoir laquelle est historiquement et
théologiquement correcte, le dévot (qui pratique l’enseignement Sai de placer l’amour
par-dessus tout le reste) permet à ses sentiments de prendre le dessus sur la logique
et accepte les deux versions.
Vibhuti abhishekam
(Sai matérialise de la vibhuti (cendre sacrée) à partir de l’urne vide préalablement
retournée et dans une quantité nettement supérieure à sa capacité à contenir celle-ci)
44
Différents shivalingams matérialisés par Sathya Sai en diverses occasions
45
Des dévots plus raffinés de Shirdi Sai Baba comme ‘’Hemadpant’’ Dabholkar et Kaka
Dixit ont fait un effort conscient pour surmonter leur dégoût brahmanique orthodoxe
des habitudes musulmanes. Dixit, qui comprenait toujours vite, comme il convenait à
un brillant avocat, avait appris que Shirdi Sai ressentait une douleur physique réelle si
quelqu’un insultait les sentiments de ceux qui appartenaient à d’autres religions. Il
réalisa que la manière la plus simple de plaire à Baba était de se comporter
généreusement vis-à-vis des dévots musulmans moins nombreux. Ce fut sa sagacité
juridique à la mort du saint qui évita une confrontation sans doute hideuse entre des
dévots de religions opposées. On cherche souvent à minimiser le courant sous-jacent
des tensions hindoue-musulmane dans la vie connue de Shirdi Baba, mais il était
tellement réel qu’il eut pour conséquence que l’ashram de Baba fut saisi par le
gouvernement pour prévenir de nouvelles frictions après la mort du saint. Hemadpant,
tout en reconnaissant ouvertement la prise de contrôle hindoue sur une fête
musulmane à Shirdi, déclare que la transition ne fut suivie ‘’d’aucun déclenchement
d’émeutes digne de ce nom’’, admettant donc que le poids de la majorité avait renversé
la minorité. Un autre exemple qui montre comment la minorité n’apprécia pas le prise
de contrôle de leur pir peut être découvert dans les mots du biographe orthodoxe,
Narasimhaswami, qui après avoir mentionné la résistance agressive de dévots
musulmans locaux à l’application de pâte de santal sur le front de Shirdi Baba, note
que l’agression fut suivie par l’agression et que ‘’les musulmans furent intimidés’’. Un
exemple évident de la politique d’hindouisation de Narasimhaswami peut être détecté
dans son ‘’Guide to Shirdi’’ (1947) où une image de Shirdi Baba dans sa posture
traditionnelle de fakir musulman est suivie d’une photo de l’auteur qui tient sa version
modifiée de la même image avec des déités du panthéon hindou surimposées autour
du saint enguirlandé.
De cette négation de tout ce que Shirdi Sai représentait et du souci obsessionnel
évident de s’approprier son héritage islamique, il pourrait sembler que l’enseignement
de l’unité sous-jacente des religions du saint ne réussit pas à trouver prise dans les
rues mêmes du village où il passa 60 années de sa vie. Ironiquement, étant donné ses
efforts pour que les hindous s’élèvent au-dessus des problèmes de caste et que les
musulmans dépassent leur vision étroite de la divinité, la vie officielle de Shirdi Baba
continue d’être publiée par un comité nommé par un administrateur judiciaire. Il est à
peine surprenant que les biographes de haute caste de Shirdi Sai, désireux de lui
imposer une ascendance brahmanique, ont soigneusement éliminé la preuve physique
de son appartenance à un ordre soufi du domaine du Nizam. Sa robe soufie incolore
apparait maintenant couleur safran à la mode des sannyasins hindous ; son chien
favori, Manohar, manque sur les portraits artistiques ; la lèvre supérieure rasée qui
dénote une pratique musulmane se voit maintenant affublée d’une moustache de chef
de famille hindou et son vêtement dépenaillé est remplacé par des habits immaculés
sortant de chez le teinturier qui seyent à un maître de sagesse, aux yeux des Indiens de
la classe moyenne. (En 2002, Sathya Sai fit ériger dans son stade de plein air de
Puttaparthi une image plus grande que nature de Shirdi Sai – auquel il se réfère
comme à son ‘’ancien corps’’. Celui-ci est vêtu comme initialement. Néanmoins, le hall
de prière de Sathya Sai expose actuellement un portrait grandeur nature de Shirdi Sai
qui porte les couleurs safran du renoncement.)
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En fin de compte, ce qui est plus important que discuter pour savoir si sa lèvre était
rasée à la mode musulmane ou si elle portait une moustache à la mode hindoue, c’est
de mentionner l’impact électrisant qu’il avait sur ses contemporains, quelle que soit
leur éducation religieuse et l’influence qu’il continue à exercer sur ses dévots actuels.
Laisser ici les choses servirait les intérêts de ceux qui pensent qu’il vaut mieux ignorer
de telles controverses. Malheureusement, cela servirait aussi les intérêts de ceux qui
cherchent à manipuler l’opinion publique et à faire passer le mythe pour de l’Histoire.
L’Inde moderne est menée en bateau par ceux qui faussent intentionnellement le
pluralisme traditionnel de la nation. Puisque le message de Sai s’oppose à la fraction
religieuse que ces lobbies cherchent à agrandir, il est utile d’examiner en détail
comment l’ingéniosité dévotionnelle peut aisément conduire, via une série de
concoctions apparemment innocentes, à accepter le mythe comme un fait.
Le fait est que nous ne connaissons toujours pas les origines physiques de Shirdi Sai,
indépendamment de ce que la mythologie puisse chercher à broder sur son passé.
Nous devons l’origine de l’histoire dans laquelle Shirdi Sai avait des parents brahmanes
à Mahlsapathy. Il fut le tout premier disciple de Baba, étant résident de Shirdi et le
gardien du temple du village consacré à Khandoba, une des déités les plus primitives
du Maharashtra.
Une ancienne photo du temple de Khandoba à Shirdi
47
Immédiatement après son arrivée dans le village, Shirdi Baba, qui était vêtu comme un
fakir, exprima son plaisir quant à la paix qui entourait le temple de Mahlsapathy et
parla de son désir de s’installer tout près. Le gardien, un simple villageois qui avait été
élevé dans la croyance que tous les musulmans sont des iconoclastes fut horrifié par la
suggestion et il redirigea brusquement le fakir vers la mosquée délabrée aux murs de
terre battue. A sa grande surprise, le fakir ne fut pas offensé et s’en alla paisiblement.
A la surprise plus grande encore de Mahlsapathy, le fakir commença à faire référence à
sa mosquée adoptée comme à ‘’Dwarkamai’’, un lieu de pèlerinage hindou. Bientôt,
l’attitude détachée de Shirdi Baba exerça un effet tellement apaisant sur le prêtre qu’il
découvrit qu’il ne pouvait plus s’arracher de la présence du fakir. Mahlsapathy était
attiré vers la mosquée, un lieu que tous ses instincts orthodoxes abhorraient.
La mosquée de Shirdi au début du 20ème siècle
Le biographe Hemadpant raconte les détails de la naissance de Baba que lui aurait
confié en privé Mahlsapathy qui avait sans doute obtenu ces informations de Baba luimême. Personne d’autre n’a été mis au courant de cela et il semble étrange que ces
informations aient été accordées après une vie entière de refus catégorique de la part
du saint d’attacher aucune importance à de tels sujets. En effet, cela s’opposait aux
enseignements du fakir. Une explication pourrait être que les informations confiées
étaient destinées à être prises symboliquement et que celui qui les a entendues les a
prises à la lettre. Toutefois, des questions restent sans réponse. Pourquoi Mahlsapathy
devrait-il partager une confidence privée avec Hemadpant ? Et pourquoi Hemadpant
qui avait promis à Shirdi Baba de ne pas inclure de matière à controverse, comme
condition pour écrire sa biographie, imprimerait-il ceci ou d’autres on-dit discutables ?
Puisqu’aux dires de tous, Shirdi Baba fut cohérent jusqu’à son décès, nous ne pouvons
que nous interroger à propos des motifs de Mahlsapathy. Narasimhaswami, dans ‘’Life
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of Sai Baba’’ (1955) soutient candidement que l’intégrité du prêtre ne peut être mise
en doute, mais il néglige le fait que ce fut le préjugé de ce même prêtre qui a fait en
sorte que Shirdi Baba fasse sa demeure d’une mosquée.
La suspicion que les dévots moins cultivés puissent avoir été encouragés à répercuter
le vœu pieux du lobby instruit est renforcée par le récit du témoin suivant, Das Ganu
Maharaj. Un policier qui n’avait pu réaliser son ambition de devenir inspecteur, Das
Ganu Maharaj était doué du talent du paysan du Deccan pour la poésie.
Contrebalançant son génie inventif, il y avait une loyauté fanatique à la cause hindoue
qui le conduisit, en dépit des bénédictions de Shirdi Baba, à choisir un gourou
brahmane. Le génie de Das Ganu alla jusqu’à ‘’faire des recherches’’ jusqu’à 200 km en
aval de Shirdi et à découvrir dans le village de Pathri un scénario mélodramatique
selon lequel un couple pieux de brahmanes abandonne son nouveau-né qui est trouvé
et adopté par un bienveillant zamindar de la proche Selu. Ce zamindar qui ‘’protège
les hindous des musulmans’’ ne s’avère être nul autre que Venkusa, le maître supposé
de Shirdi Baba. Puisque Das Ganu Maharaj s’est spécialisé dans une école de poésie
marathe célèbre pour son style ampoulé (et, selon Narasimhaswami, lubrique et
obscène), il est à peine surprenant qu’il n’y ait eu aucune confirmation crédible du lieu
ou des personnages pour soutenir cette recherche inspirée. En vertu de leurs préjugés
connus, les revendications d’avoir reçu des confidences de Shirdi Baba de Mahlsapathy
et de Das Ganu Maharaj ne constituent pas des preuves exemptes de vices. Bien sûr
que la motivation de Das Ganu Maharaj était l’amour et – de son point de vue – il
faisait un honneur au fakir. Les graines semées par le chantre du village ont
maintenant donné des fruits dévotionnels d’une ferveur si intense qu’il n’est pas
possible que des preuves historiques – même s’il y en avait – puissent faire revenir les
choses en arrière.
Le chauvin Das Ganu Maharaj fut le premier à ouvertement ‘’brahmaniser’’ Shirdi Baba
par sa tentative de donner une identité hindoue au gourou mystérieux de Baba,
Venkusa. Narasimhaswami rapporte comment, quand le zamindar de Selu visita le
tombeau de Suvag Shah à Ahmedabad, on lui dit qu’il avait été le gourou de Kabir
dans une vie antérieure et qu’il était destiné à l’être une fois encore (puisque Shirdi
Baba est aussi considéré par certains comme la réincarnation de Kabir). Ainsi, il y a
des éléments hindou et musulman de l’histoire du mystérieux gourou dont Das Ganu
Maharaj est ignorant ou (plus probablement) envers lesquels il est hostile.
Narasimhaswami, étant un hindou orthodoxe du pays tamoul, est favorable à la théorie
selon laquelle le nom ‘’Venkusa’’ provenait de la déité de Tirupati, ignorant totalement
le fait que la dernière partie du mot, ‘’sa’’, est la prononciation populaire de ‘’Shah’’, le
titre que l’on attache parfois aux pirs soufis. Illustrant comment des loyautés
régionales peuvent influencer l’interprétation des preuves, Narasimhaswami conclut
que Shirdi Baba est en fait le Seigneur Venkateshwara de Tirupati.
Mais se pourrait-il que Venkusa soit en fait une forme confuse de ‘’Fakir Shah’’,
l’équivalent soufi de Dattatreya honoré par l’affection populaire de tout le Deccan ?
Selon H.V. Sathe, un fonctionnaire du gouvernement qui fut disciple de Shirdi Sai, il
entendit souvent Shirdi Baba employer le mot ‘’Shah’’ après le nom de son pir que
d’autres identifiaient sous le nom de ‘’Roshan Shah’’ (‘’Seigneur de lumière’’). Ra
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Ganapati, l’auteur tamoul érudit de ‘’Baba Satya Sai’’, note que le Fakir Shah
historique, qui est honoré par tous les soufis du Deccan, vécut 200 ans avant l’époque
de Shirdi Baba et que son pirshtan de Mirzgaon était connu pour ses puissantes
‘’vibrations psychiques’’. Ra Ganapati note encore que Datta Baba et Fakir Shah sont
probablement identiques.
Vishwas Kher et M. V. Kamath dans ‘’Sai Baba of Shirdi : A Unique Saint’’ (1991)
mentionnent que ‘’Shah Fakir’’ est la version musulmane d’une déité hindoue soutenue
par le saint médiéval de l’ordre de Dattatreya, Narasimha Saraswati. Aussi connu sous
le nom de ‘’Shahdutta Allama Prabhu’’, ce personnage mêla non seulement les courants
de dévotion hindou et musulman, mais il caressa même l’idée impensable de trouver la
divinité dans un intouchable. Allama Prabhu n’est nul autre que le maître hors caste
de Basaveshwara, un poète mystique brillant contre lequel l’orthodoxie dédaigneuse a
maintenu une conspiration du silence pendant sept siècles. C’est seulement maintenant
que ses écrits viennent de trouver un public respectable dans ‘’Speaking of Shiva’’, de
A.K. Ramanujan. Encore aujourd’hui, il est fait honneur aux jangamas Lingayat pendant
les fêtes musulmanes du Deccan. Comme autre preuve de l’expérience hindouemusulmane combinée de dévotion, dans son étude sur le tantra, l’érudit sannyasin
autrichien, Aghehananda Bharati, cite un temple de Dattatreya près de Chikmagalur
dans les Ghats occidentaux, où un fakir soufi lisait la rubrique dans un mélange
d’ourdou et de sanscrit. Il y a quelques années, le drapeau vert soufi de ce temple fut
amené par des activistes et le drapeau couleur safran de l’Hindutva fut hissé. Ceci a à
son tour incité les disciples modernes de Basaveshwara à se rallier contre les politiques
intolérantes de l’establishment hindou. Le vieux conflit entre le programme politicospirituel de l’Aryavartha (le pays des nobles) et l’instinct du Deccan à résister à la
colonisation de son âme se poursuit.
Kher a été un des administrateurs de l’Organisation Sri Sai Baba de Shirdi et il a
examiné les généalogies des familles brahmanes de Pathri. Sur l’indice mince qu’une
certaine famille ‘’a produit des personnes de désirs et d’impressions supérieurs’’, il a
suivi sa propre envie de conclure qu’un de leurs enfants doit avoir été Shirdi Baba. A
la suite de ses découvertes (et les cyniques diront expliquant ce qui les motivait), il
acheta un terrain à la dite famille en 1994 et il bâtit un temple sur le lieu de naissance
présumé.
Pour rendre l’image de l’identité musulmane supposée de Shirdi Baba encore plus
compliquée, nous avons plusieurs exemples où Sathya Sai Baba lui-même a confirmé –
en public – ses origines hindoues dans l’incarnation de Shirdi, en tant que fils d’un
batelier brahmane de Pathri. Dans ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’, la biographie officielle
du saint de Puttaparthi, le Prof. Kasturi écrit que Sathya Sai Baba donna d’abord des
détails sur ses origines de Pathri à deux de ses anciens instituteurs, dont un traduisit
les souvenirs de Baba en poésie télougoue en 1944. Puisque Sathya Sai entre au cœur
des détails et qu’il donne même sa date de naissance, en 1835, l’étudiant en histoire est
conduit plus loin dans une impasse. Apparemment, Sathya Sai n’accepte pas les
versions de Das Ganu et de Narasimhaswami entièrement, mais il confirme la ‘’Shri Sai
Satcharita’’ de Hemadpant comme canonique. Kher accepte aussi Hemadpant comme
une source d’informations plus sûre. Dans sa biographie ‘’Bhagavan Sri Sathya Sai
50
Baba’’ (1975), le Dr Gokak, l’éminent littérateur kannarien, pose la question du début
de la vie de Shirdi Baba à Sathya Sai qui donne alors des détails sur les origines de
Pathri, mais apparemment plus sur un ton mythologique qu’historique. (L’oreille
indienne se réjouit des sons qui correspondent et ‘’Parthi’’ – l’abréviation de
Puttaparthi – va bien avec Pathri). Il était probablement attendu des étudiants qui
composaient le public de visualiser l’essence des mots de Baba et non de les considérer
comme les détails d’un index géographique. Cela aiderait à éluder la question de savoir
pourquoi une pieuse mère abandonnerait à la hâte son nouveau-né dont elle
connaissait l’origine divine. Gokak surmonte cette situation embarrassante ainsi : ‘’Son
devoir se situait dans cette direction’’, alors qu’à Kasturi incombe la tâche d’énoncer
une contradiction gênante : ‘’Les parents étaient tellement remplis de l’esprit de
renoncement qu’ils abandonnèrent le nouveau-né (une incarnation de Shiva) à la
protection des anges de la forêt’’.
A ce jour, le récit le plus fiable de la vie de Shirdi Baba en langue anglaise est le livre
d’Antonio Rigopoulos intitulé ‘’The Life and Teachings of Sai Baba of Shirdi’’ (1993),
très méticuleusement documenté et dans lequel l’auteur équilibre érudition et
compassion, circonspection et charité. Il est impressionné, non seulement par la
richesse de détails que Sathya Sai fournit au sujet de Pathri, mais par leur authenticité.
(Toutefois, l’auteur ne parle apparemment pas couramment aucune des langues du
Deccan.) Peu importe l’absence de méthode scientifique d’une telle recherche, le fait
est que Pathri se trouve maintenant sur la carte du folklore et de l’économie, après
presque un siècle de mythologisation croissante. Ceci sera perçu par d’aucuns comme
la continuation de la leela du fakir.
Peut-être que la raison pour renforcer les origines hindoues est l’acceptation
pragmatique que la masse des adeptes de Sathya Sai provient de cette confession et il
est compréhensible de s’adresser à eux dans des termes qui leur sont familiers. La
mythologie, jusqu’il y a des temps très récents, était considérée par les intellectuels
occidentaux comme une mémoire populaire grossière et peu fiable, sujette à la
déformation et à la manipulation par ses colporteurs instruits. Grâce à l’école de
psychologie jungienne, les vertus du mythe ont été sauvées et, comme l’interprétation
des rêves, rendues à une place respectable dans le répertoire des réponses humaines
aux encouragements psychiques. En tissant les origines hindoues de Shirdi Baba,
Sathya Sai n’affirme pas la croyance Hindutva de Savarkar selon laquelle toutes les
minorités indiennes devraient accepter qu’elles sont des hindous subsumés. En reliant
la lignée intérieure de Shirdi Sai à la mythologie hindoue, Sathya Sai peut faire
ressortir l’énergie sous-jacente à laquelle les deux figures ont pu puiser, à savoir la
shakti de Shiva, le premier des dieux hindous et le plus compatissant, lorsqu’il s’agit du
bien-être de ses disciples. Chronologiquement, la révélation de l’islam vint plus tard et
Shirdi Baba démontra constamment qu’il acceptait l’unité sous-jacente des perceptions
hindoue et musulmane de la divinité. Que la compassion se révéla sous la forme de
Shiva ou sous la figure miséricordieuse d’Allah ne faisait aucune différence pour lui :
son fakir et le malik (propriétaire) du monde étaient identiques. Il consacra sa vie à
souligner cette unité et à l’identifier comme une compassion qui transcende toutes les
étiquettes.
51
Les détails de Sathya Sai concernant les origines de Shirdi Sai à Pathri peuvent dès lors
être symboliques et indiquer une source commune d’énergie divine qui est antérieure
au message formel de l’islam, mais pas à la réalité toujours présente d’Allah. Ceci, sous
la robe hindoue de l’Andhra, se perçoit le plus dynamiquement dans le canon de la
mythologie de Shiva-Parvati qui fournit une mine riche de références spirituelles
instantanément reconnaissables pour la masse des adeptes de Sathya Sai. Ainsi,
beaucoup identifièrent Sathya Sai Baba comme l’incarnation de l’aspect bienveillant de
Shiva, alors que l’aspect plus irritable du Grand Yogi pourrait être comparé au fakir
fou de Shirdi. Ici, il est instructif de se rappeler le conseil que Gurdjieff donnait à ses
étudiants, à savoir qu’ils doivent prendre au sérieux toutes les paroles de leur maître,
mais pas la lettre. L’étudiant de la grâce peut profiter du tapis volant de la mythologie
pour ramener son intérêt à l’essentiel immatériel. Comparé à l’amour que la simple
pensée de Shirdi Baba éveille en ses dévots, le fait de fouiner après les détails de son
incarnation dans ce monde semble sans importance.
52
CHAPITRE 5 : LE REMARQUABLE FAKIR DE SHIRDI
J’ai visité pour la première fois Shirdi en 1984 en retournant à Delhi depuis
Puttaparthi, en car. Mon budget pour l’ensemble du voyage était de 500 roupies. Le
trajet se fit sans heurt et la traversée du Deccan fut tellement agréable que je ne pus
que l’attribuer à une grâce qui était à l’œuvre.
J’arrivai tard à Pune et j’espérais passer la nuit à l’ashram de Rajneesh dont on parlait
alors beaucoup dans les médias à cause du franc-parler de son gourou. Je fus toutefois
rabroué et j’eus l’impression que seuls les étrangers porteurs de beaucoup de devises
étaient les bienvenus à l’ashram. Ceci s’avéra être une bénédiction déguisée. Je me
résolus à attraper un car de nuit pour Shirdi et bien que j’arrivai là-bas aux petites
heures du jour, l’accueil fut si sincère et si chaleureux que je réalisai tout de suite que
c’était la demeure de la religion authentique, tandis que l’ashram de Pune ne semblait
qu’affecter un air religieux. Toutefois, en défense de ce dernier, je pourrais ajouter que
l’ashram de Mirtola jouissait d’une réputation similaire pour sa froideur. Ces deux
ashrams accueillaient ceux qui se considéraient comme des étudiants avancés et
contrairement à l’Organisation de Sai Baba, ils n’étaient pas équipés pour accepter tout
nouvel arrivant à leurs portes.
Fondamentale à la Sai Parampara, il y a la relation intensément personnelle qui relie
guru et shishyas. Shirdi Baba était si dévoué envers ses shishyas qu’il leur apparaissait
invariablement en temps de nécessité. De même, des visites astrales ont été confirmées
au fil des ans par des milliers de dévots Sai convaincus de la présence du Maître dans
leur demeure, quel que soit l’éloignement de Shirdi ou de Puttaparthi.
Sathya Sai Baba et Shirdi Sai Baba
53
Toute étude du domaine psychique et de ses énergies
remarquables ne peut manquer d’être une entreprise
épineuse. Ceux qui sont nés avec cette dimension
supplémentaire apprennent à faire attention à qui ils
révèlent ses pouvoirs. Il est important de se rappeler
qu’un tel déploiement d’énergie psychique est fait,
non pas tant pour impressionner les dévots que pour
les consoler en période de détresse. Ces voyages sont
des excursions compatissantes en réponse à la prière.
Et la prière à laquelle il est répondu pouvait émaner
d’une personne inconsciente de l’existence de Shirdi
Baba. Un exemple – utilisé par Arthur Osborne pour
terminer son livre sur Shirdi Baba (‘’The Incredible
Sai Baba’’, 1957) – inclut tous les ingrédients qui
sont typiques des milliers de cas rapportés. Je peux
témoigner de sa véracité jusqu’à un certain point.
J’étais arrivé à Calcutta pour enseigner à l’école dont
Osborne était le directeur. Une des voisines
d’Osborne dans l’immeuble à appartements où il
vivait était une vieille dame, une ancienne nonne
catholique, mais qui après une crise spirituelle au
milieu de sa vie avait décidé de quitter l’ordre, une
décision courageuse, mais téméraire. C’est seulement
à ce moment-là qu’elle se rendit compte qu’elle
n’avait aucune qualification ou formation pour un
travail ni même un endroit où aller. Alors qu’elle se
trouvait assise dans sa cellule plongée dans le
désespoir, à son grand étonnement, un grand fakir
vêtu de blanc lui apparut et lui dit de ne pas
s’inquiéter pour son avenir. Il serait pris en charge.
(A présent, elle s’inquiétait plus de savoir comment
un homme avait réussi à pénétrer dans le couvent !)
Imperturbable, le fakir demanda une certaine somme
d’argent comme dakshina qu’elle dit ne pas posséder.
Il lui rappela qu’elle gardait une petite somme
enfermée dans son placard. Elle se souvint alors qu’elle possédait bien un peu d’argent,
mais elle l’avait oublié. Alors qu’elle se dirigeait vers le placard pour le récupérer,
l’aimable visiteur disparut aussi soudainement qu’il était venu. Les événements
conspirèrent pour donner raison au fakir. Un neveu compatissant l’accueillit dans son
appartement de Calcutta, à côté de chez Osborne et en signe de remerciement, la
tante se rendait quotidiennement à la première messe du matin pour bénir son
mystérieux visiteur. En entendant la description du fakir, Osborne lui dit qu’il pouvait
deviner qui était son visiteur. Il sortit une photographie de Shirdi Baba que l’ancienne
nonne reconnut immédiatement comme étant son sauveur.
***
54
Les plumes d’auteurs bien-pensants qui s’imaginent qu’ils rendent une faveur à la
société en supprimant des faits comme le penchant que les populations environnantes
de Shirdi ou de Puttaparthi ont pour la viande et la liqueur du pays ont cherché à
‘’sanscritiser’’ la vie de Shirdi Sai et de Sathya Sai. Le point qui échappe à ces plumes
pointilleuses est que la vraie religion a peu à voir avec ce qu’un homme mange ou
boit. En aseptisant le gourou, elles ont ignoré la robustesse spirituelle des shishyas qui,
malgré leurs appétits matériels peuvent encore reconnaître l’Esprit réel, lorsqu’ils le
voient. Ce ne sont pas des plumes tatillonnes qui ont ‘’fait’’ Shirdi Sai ni Sathya Sai,
mais la foi vivante de paysans truculents.
On nous dit que le fakir vint pour la première fois au village vers la fin des années
1850, alors qu’il n’avait que 16 ans et qu’il revint 3 ans plus tard pour passer le restant
de ses jours à Shirdi sans quitter la résidence de sa mosquée (excepté pendant
quelques mois où il se rendit dans un village proche pour prendre des leçons d’un
maulana), jusqu’à ce qu’il soit rappelé par le Fakir céleste, en 1918. Sa renommée
concernant la production de phénomènes psychiques n’était pas très connue en dehors
de Shirdi jusqu’en 1892. Hemadpant ne commença à visiter le saint qu’en 1910. C’est
ainsi que presque tout ce qu’il écrit se base sur la tradition et toute l’inventivité que
50 années de silence et de recul peuvent stimuler.
Les détails de la vie et des enseignements du fakir de Shirdi, qu’ils soient donnés par
Hemadpant ou Narasimhaswami ou Das Ganu Maharaj sont plutôt aléatoires,
subjectifs et sujets à l’embellissement mythique. Nous avons déjà vu la tentative pour
parer Shirdi Sai d’une ascendance brahmanique et le zèle combatif avec lequel ces
biographes de haute caste cherchèrent à faire entrer le fakir dans leurs notions
hindoues de ce qu’est un saint. Ces auteurs reflètent le point de vue hindou orthodoxe
qui se sent menacé en cet âge moderne par le fait que les religions monothéistes ont
une base solide et vérifiable dans l’Histoire. La théorie populaire selon laquelle Shirdi
Baba est né de parents brahmanes (qui l’abandonnèrent ensuite) et qui plus tard fut
adopté par un fakir, bien que subtilement conçue pour satisfaire un croyant, soulève
beaucoup de questions pour l’étudiant en histoire. Puisqu’il n’est fait référence à
aucune donnée concrète et que le sujet est très discutable en termes historiques, le
lecteur est confus – jusqu’à ce qu’il comprenne les motifs des biographes. Le succès de
ces tactiques est évident, lorsque nous découvrons que le normalement prudent Arthur
Osborne affirma qu’il est ‘’pratiquement certain’’ que les parents de Baba étaient des
brahmanes. Plus étrange encore en l’absence de la moindre preuve est l’affirmation
d’Osborne que les parents étaient de la ‘’classe moyenne’’. Le fait que les oreilles de
Baba étaient percées (une caractéristique commune à certains ordres soufis) est pris
comme la preuve d’une ascendance brahmanique, mais si l’on suit le mythe d’après
lequel il fut abandonné au moment de la naissance, la question du perçage des oreilles
par les parents ne pouvait pas se poser. Mis à part l’horreur de la société quant à
l’abandon d’enfants (mâles), le critère crucial pour le statut brahmanique est la
garantie de la naissance par un brahmane. La religion parentale d’un nouveau-né qui
est abandonné peut seulement être devinée. Toutefois, un abandon à la naissance
laisserait opportunément la place au rite de la circoncision – la marque qui distingue
le monothéiste de l’hindou – pour le cas où celle-ci serait nécessaire pour
correspondre à des besoins biographiques ultérieurs. Alors, l’adoption de l’enfant par
55
un fakir pourrait être utilisée pour ‘’expliquer’’ la possession d’un signifiant
monothéiste extérieur. Cette situation ne s’est pas produite, puisque aucune vie du
saint d’un point de vue musulman n’a encore été publiée. Toujours ennuyé par le souci
de la caste de ses disciples, Hemadpant raconte qu’un jour, le vieux saint apparut nu
devant ses adeptes. Puisque aucun des biographes hindous ne nous dit ce qu’ils virent,
on peut supposer que quoi que ce fût, cela ne soulagea pas leurs inquiétudes, quant à
son pedigree de brahmane. Hemadpant avoue cependant que Shirdi Baba approuvait le
rite de la circoncision. La seule preuve publiée jusqu’à présent qui suggère que le fakir
n’était pas circoncis provient – comme l’affirmation de la naissance de haute caste
supposée du saint – d’une seule source de haute caste non vérifiée.
Howard Murphet, un journaliste plutôt qu’un historien, est plus prudent en disant que
Shirdi Sai fut adopté ‘’sans qu’on ne sache comment’’ par un musulman, alors que
Vishwas Kher et M.V. Kamath sont convaincus que le gourou était un soufi. (Leur
biographie qui s’est très bien vendue débute comme un compte-rendu équilibré, vaste
sur la vie du saint, mais déçoit quand elle dévie pour publier la théorie de Kher selon
laquelle il aurait découvert en 1976 l’authentique demeure brahmanique de Shirdi Baba
à Pathri.) Le Prof. Charles White suggère que Shirdi Sai fut le disciple d’un musulman
et d’un gourou hindou. Il soutient que durant les derniers jours de sa vie, le fakir ne
voulait que des brahmanes à son chevet et que ceci plaide en faveur de la propre
naissance de haute caste de Shirdi. Mais il est possible que White prenne le mot
‘’brahmane’’ trop littéralement. Quand Shirdi Baba parlait de sa mosquée comme d’un
lieu pour des ‘’brahmanes blancs’’, il se peut qu’il enseignait allégoriquement et qu’il
faisait allusion à une qualité de l’âme que l’on retrouve dans l’adepte sincère de
n’importe quel religion.
Dans cette lutte entre revendications
concurrentes, on tend à oublier le fait
que Shirdi Baba avait en fait triomphé
des soucis de caste et de bigoterie. Le
meilleur exemple est Hemadpant qui
écrit avec une ouverture d’esprit
remarquable à propos d’aspects de
style de vie du fakir (comme cuire du
biryani à la viande ou fumer le
chillum) qui auraient dégoûté ses
notions brahmaniques de ce qui
constitue l’hygiène spirituelle. En dépit
de ces affronts flagrants, son attirance
pour ce que le fakir avait à lui
enseigner était assez forte pour qu’il
les ignore. Souvent, le Maître le raillait
ainsi que d’autres dévots de haute
caste à propos de leurs préjugés innés
et simultanément, il houspillait et il
chassait tout visiteur musulman qui
faisait état de son statut spirituel
56
supérieur pour avoir, par exemple, accompli le hadj à La Mecque.
Selon certains, au début, Shirdi Baba portait un genre de coquille, pratiquait le hatha
yoga et aimait la lutte. Après avoir été battu dans un combat, il abandonna le mode
athlétique et il se mit à porter son kafni blanc usé bien connu, le vêtement adopté par
les fakirs musulmans. Il accomplissait rarement les namaz de façon orthodoxe. Les
opinions sur sa connaissance du Coran sont diamétralement opposées. Les hindous
prétendent qu’il eut besoin d’être instruit, alors qu’Abdul, un proche adepte musulman
insistait sur le fait qu’il pouvait citer les sourates coraniques par cœur. Chaque jour de
sa vie, il mendia sa nourriture, allant de porte en porte, même après être devenu
célèbre. Il se comportait de manière non conventionnelle et les gens ne pouvaient pas
dire s’il était réellement inspiré ou simplement dingue. Indifférent à ce que les gens
pensaient, sa conduite restait excentrique et son langage pouvait souvent être grossier.
Il passait beaucoup de temps à transporter de l’eau d’un puits pour entretenir un petit
jardin. Jusqu’à ce qu’il obtienne de la considération pour ses prouesses spirituelles de
la part d’étrangers, la population locale de Shirdi le considéra comme un fou inoffensif
à qui les enfants du village étaient habitués de lancer des pierres.
Complètement imprévisible, le fakir de Shirdi pouvait accueillir les visiteurs par des
gros mots ou des mots gentils. Ces extrêmes de bienveillance attendrie ou de censure
violente faisaient en sorte que seuls ceux qui étaient sérieux dans leur quête
survivaient à la roulette spirituelle à laquelle il jouait. Comme Gurdjieff, il enseignait
par énigmes, provoquant et parfois choquant ses visiteurs en leur demandant de
57
l’argent. Tous les deux pouvaient être cinglants avec les gens qui prenaient des grands
airs spirituels et tous les deux aimaient rabattre toute prétention à la sainteté. Avec les
riches, ils pouvaient se montrer outrageants, mais avec les pauvres, ils étaient
charitables, acceptant des cas désespérés pour démontrer que l’amour peut tout
conquérir. Shirdi Baba attribua à Bhagoji, un serviteur fidèle qui souffrait de la lèpre,
la tâche de porter son ombrelle (signe de la royauté dans le Deccan) lors des
processions. Incapable de se défaire de son conditionnement orthodoxe, Hemadpant
attribue la lèpre de Bhagoji gratuitement au fait qu’il a dû être un pécheur au cours
d’une vie antérieure.
Le fakir avait des lampes en terre cuite remplies d’huile qui brûlaient dans la mosquée,
ce qui donnait une touche très hindoue à ses dévotions. Ce fut la transformation
miraculeuse d’eau en huile – à la manière du Christ qui transforma l’eau en vin à Cana
– qui propulsa Shirdi Baba au statut de saint dans le folklore religieux. (Les publics
58
rustiques du monde entier répondent plus spontanément aux dons divins, quand ils
s’accompagnent de bénéfices économiques.) Il gardait aussi une planche étroite
suspendue deux mètres au-dessus du sol de façon précaire sur laquelle il était censé se
reposer pendant la nuit. Mais comment pouvait-il monter sur cette chose branlante où
brûlaient également des lampes à huile ? Certains voient cela comme un symbole de
ses siddhis grâce auxquels il avait besoin de peu de sommeil et qu’il visitait plutôt ses
disciples dans un état extracorporel.
Le principal signe visible de la sadhana religieuse du fakir était de s’occuper du feu
sacré (dhuni) dans sa mosquée délabrée où il s’accroupissait et où il tirait à la manière
des saints hommes des bouffées de son chillum en discutant de la nature de Dieu. Plus
tard, quand il devint célèbre, la cendre (udi) du feu devint un grand agent de guérison
censé posséder le pouvoir spirituel qu’il avait accumulé pendant ses années de
pénitence. Il appréciait aussi chanter (en arabe, selon certains) et il aimait les
processions religieuses qui faisaient partie des fêtes villageoises. Il était arrivé à Shirdi
avec un cortège de mariage et ceci pourrait être considéré comme un comportement
inhabituel pour un saint homme, mais ce qui le différenciait d’un millier d’autres
sadhus semblables sur tout le sous-continent, c’était l’impression d’autorité qui
marquait ses paroles. Habituellement, les mendiants errants ramassent quelques
rudiments de connaissance spirituelle et la colportent à leurs hôtes villageois en
échange de l’hospitalité pour la nuit. Les paroles de Baba étaient, elles, authentiques, et
sa présence était captivante. Même ceux qui entretenaient un dégoût intense pour les
musulmans, comme Mahlsapathy, le prêtre du village, se voyaient inexorablement
attirés par l’aura de Shirdi Baba.
Hemadpant comprenait l’importance
de Shirdi Baba comme pont entre
hindous et musulmans. Il n’y avait
pas juste de la méfiance, mais un
dégoût vivace entre les deux
communautés, chacune s’appuyant
sur la fierté de la nature de sa
propre spiritualité. Shirdi se trouve
dans l’arrière-pays du Maharashtra
où les descendants de Shivaji
disputèrent l’espace spirituel bordant
les terres du Nizam. Les soufis
étaient traditionnellement les
guérisseurs des dissensions
communautaires qui affectaient
chaque village. Leur conception de
l’islam avait été élargie par des idées
hindoues sur la nature du divin et
Shirdi Baba était l’exemple parfait de
la manière dont il était possible de
tirer le meilleur des deux pour arriver à une religion universelle.
59
Cet enseignement de l’unité sous-jacente de toutes les religions n’était pas une subtilité
théorique pour Shirdi Baba, mais une inquiétude permanente. Il tombait physiquement
malade, s’il apprenait qu’une religion était insultée. Il se tourmentait et il se mettait en
colère à propos de la surenchère communautaire mesquine entre adeptes hindous et
musulmans et il s’efforçait de leur faire voir comment, non seulement ils trahissaient
leur religion, mais eux-mêmes en refusant de voir la similarité essentielle de leurs
points de vue opposés. C’est un témoignage de la ténacité d’habitudes héritées que les
trois biographes, Hemadpant, Narasimhaswami et plus tard Kasturi (pour Sathya Sai)
ne parviennent pas à présenter leurs sujets comme des forces spirituelles qui
appartiennent à l’humanité. Ils semblent satisfaits de les décrire, non seulement comme
des incarnations des idéaux hindous (ce qui est compréhensible), mais comme des
hindous idéaux (ce qui semble sous-estimer leur appel et leur message).
Sri Purohit Swami rapporte dans son
autobiographie spirituelle comment,
lors de sa visite au saint de Shirdi, le
plus grand miracle dont il fut témoin
fut la calme total et assuré de Shirdi
Baba. Comme pour faire écho à
l’enseignement de Shirdi Baba, il
conclut que le but spirituel ‘’s’établit
dans les cœurs des hommes et non
pas extérieurement pour éblouir
l’homme.’’ A la racine d’un tel calme,
il y a la compassion envers tous les
êtres vivants, le thème principal de
l’enseignement de la Sai Parampara
qui est illustré avec une clarté
saisissante dans la manière où Shirdi
Baba mangeait parfois en permettant
aux chiens et aux oiseaux de partager
son repas. Pour les orthodoxes,
c’était une habitude des plus
répugnantes et Shirdi Baba poussait
le bouchon encore plus loin en
suggérant de manger des denrées
prohibées comme des oignons et
même du mouton qu’il cuisinait
régulièrement. Au cours de ses dernières années, il semble que le processus s’inversa et
que les disciples influencèrent les habitudes du Maître. Shirdi Baba devint plus
conciliant envers les goûts de ses nombreux adeptes hindous. Il y a plusieurs exemples
où Baba enseigne en prenant des formes de vie inférieures que la plupart d’entre nous
n’apprécient pas à leur juste valeur et auxquelles nous n’attachons pas d’importance
spirituelle. C’est ainsi qu’une fois, il accusa un disciple de l’avoir frappé et quand le
dévot ahuri plaida l’innocence, il lui dit que le chien chassé par le dévot en colère était
Baba lui-même. Shirdi Baba étendait le débat aux fourmis et lorsqu’un dévot se
plaignit que Baba n’avait pas mangé la nourriture qu’il avait cuite pour lui, il lui dit
60
qu’elle avait été mangée par Baba sous sa forme de fourmis ! L’humour abonde dans
l’enseignement terre-à-terre de Shirdi Baba en marathi, mais il est en grande partie
dilué dans la traduction.
Il y a autre chose à propos de quoi le gourou était catégorique et c’était d’éviter toute
discussion pouvant donner matière à controverse sur la religion ou de critiquer
d’autres gourous ou d’autres voies spirituelles. Avant qu’il n’autorise Hemadpant à
écrire sa biographie, il insista pour qu’aucune opinion absolue de l’auteur ne soit
exprimée et pour qu’il ne réfute les opinions de personne d’autre. C’est seulement
quand Hemadpant accepta ces conditions que le projet fut béni. Pendant des siècles,
l’Inde a souffert de discussions religieuses acrimonieuses et il est important de réaliser
que souvent, les échanges théologiques ne mènent à rien. Alors que de telles
discussions peuvent théoriser sur Dieu, elles n’ajoutent pas un iota à la compréhension
de l’homme sur sa propre âme. L’appel de Baba était dirigé vers le cœur du dévot.
Shirdi Baba décéda en 1918 dans des circonstances qui rappelèrent à beaucoup le
départ du poète mystique Kabir, en 1518. Ce tisserand musulman toucha si
profondément le sentiment hindou pour la ‘’simple union’’ avec Dieu par la bhakti que,
tout comme son descendant spirituel Shirdi Sai, on ‘’attribua’’ à Kabir une mère
brahmane pour veiller à ce qu’au moins dans la tradition spirituelle, si pas dans la vie
réelle, son inspiration ait une source ‘’adéquate’’. Comme pour Shirdi Sai sur son lit de
mort, il y eut des altercations entre les deux groupes de disciples hindous et
musulmans de Kabir. L’histoire raconte qu’après être parvenus à un accord, les
plaideurs, à leur grande surprise, découvrirent des monceaux de fleurs odorantes, mais
pas de corps. Après le départ de Shirdi Baba, à la place de fleurs, il y avait une
décision judiciaire plus prosaïque qui limitait les revendications des deux parties…
61
CHAPITRE 6 : ÉLEVER CEUX DE BASSE CONDITION
Ce qui est unique à propos de Puttaparthi et qui la distingue d’autres lieux de
naissance comme Bethléem, Ayodhya ou Lumbini, c’est que vous pouvez voir le lieu
physique réel de la naissance d’un Maître spirituel. Rarement dans l’Histoire a-t-il été
offert à l’étudiant en grâce pareille opportunité d’observer le divin à l’œuvre, aux
premières loges. Au cours de ces soixante dernières années, l’observateur a pu observer
le déroulement de la banalité extraordinaire de la dimension spirituelle de la vie qui
opère dans la routine quotidienne de Sathya Sai. Sous vos yeux, vous pouvez faire
l’expérience de la divinité qui explore ses propres merveilles et revivre l’impact
revigorant que de grandes âmes comme le Bouddha, le Christ et Shirdi Sai ont eu sur
leurs adeptes. Ici, vous sentez que vous êtes en contact avec la réalité de l’amour en
faisant l’expérience de l’ivresse d’être dans la présence d’une personne qui irradie la
félicité de l’Esprit.
62
Le chroniqueur le plus cité de la vie de Sai Baba est N. Kasturi, un professeur
d’histoire à la retraite dont l’interprétation des événements est conçue pour charmer le
dévot peu inquisiteur avec des références mythologiques. Puisque tout l’exercice est
fait pour renforcer la foi, les exigences d’objectivité (comme les sources de ses
histoires) sont invariablement ignorées. Ainsi, le lecteur est conduit à croire que ‘’la
tonga de Shirdi Baba’’ (conservée dans le musée de l’ashram de Puttaparthi) fut
employée par le fakir, alors qu’en fait, cette supposition se base sur l’hypothèse des
dévots selon laquelle il l’utilisait sous sa forme astrale. Il faut prendre en compte
l’interprétation bourgeoise de Kasturi d’un monde qu’il ne connaît pas directement.
Dans son récit, il est remarquable qu’en dépit du fait qu’il soit historien, il préfère
esquiver les réalités sociologiques de la pauvreté rurale et se réfugier derrière l’écran
de fumée de la mythologie ancienne. Aucune personne qui lira ‘’Sathyam Sivam
Sundaram’’, sa vie de Sathya Sai en quatre volumes, ne devinera que derrière tout le
lustre ancien des pionniers pénitentiels, Puttaparthi se situe au cœur de la région en
proie au naxalisme, la lutte rurale de l’Inde moderne contre l’exploitation féodale des
propriétaires. Kasturi, comme tous les auteurs des Evangiles, s’engage à nous donner la
Bonne Nouvelle. Tout comme Jésus prêcha en Terre Sainte dans un contexte turbulent
de nationalisme juif (les nationalistes espéraient qu’il serait un Messie violent qui
pousserait au renversement de l’armée romaine occupante), Sathya Sai grandit dans
une agitation nationaliste pareillement instable, mais à la différence qu’à l’âge de vingt
ans, sa patrie se libéra de son oppresseur étranger. La biographie de Kasturi
présuppose un public dévotionnel hindou, car il y a des références à Rama et à Krishna
et à leurs exploits dans le Ramayana et dans le Mahabharata à chaque page. Il est clair
que le jeune gourou et son biographe orthodoxe étaient mus par la perspective de la
restauration de la sagesse éternelle de l’hindouisme. Mais leurs espoirs idéalistes de
restauration du Rama Rajya seraient tempérés par la nécessité de s’adapter à la réalité
de la démocratie moderne.
Sathya Sai Baba est né le 23 novembre 1926, huit ans après la mort de Shirdi Baba,
dans une rue étroite d’un village, bordée de constructions basses de pierre et de terre
en appentis, que l’on peut trouver dans chaque village de cette région pauvre du sud
de l’Andhra. Le premier grand miracle de l’‘histoire de Sathya Sai Baba, c’est comment,
à partir d’un départ aussi économiquement peu avenant et d’une situation sociale
inférieure, Sathyanarayana (comme on l’appelait) apparut comme l’incarnation de
l’idéal spirituel avatarique, le divin descendu sur la Terre pour sauver l’humanité de
son mauvais karma. Le deuxième grand miracle, c’est comment, grâce à la pure force
de la grâce intérieure, ce jeune Raju vainquit les préjugés qui s’attachent à ceux dont
les attributs physiques et la couleur de la peau ne cadrent pas avec la notion de
l’orthodoxie de l’idéal aryen (’’noble’’). Le terme sanscrit originel pour caste, varna ou
‘’coloration’’ traduit la superstition ancienne, bien que toujours vivante, que la vertu
peut s’identifier à la pigmentation. L’exception réside dans la propagation du
mouvement Sathya Sai qui attire des gens de toutes les races.
Comme pour les fondateurs de toutes les grandes missions religieuses, les devins et les
vieilles femmes firent leurs choux gras d’analyser les présages qui annonçaient la
naissance de Sathya Sai et ce que la science ne peut pas vérifier est facilement
remplacé par l’imagination créative. Il faut comprendre le symbolisme du respect
63
religieux ainsi que la compulsion de la religion à embellir – pour la bonne cause – les
zones dépouillées en une tapisserie merveilleuse. Comme pour la venue du Christ et
du Bouddha, il fut nécessaire pour les chroniqueurs de l’arrivée de Sathya Sai d’
‘’arranger’’ adéquatement les circonstances socio-économiques qui présidèrent à sa
naissance. En Palestine, aucune disgrâce ne s’attache à l’art de la charpenterie et pour
Jésus, suivre la profession de son père (de substitution, théologiquement modifié) ne
sert qu’à accroître l’émerveillement qui entourait la mangeoire d’une auberge de
Bethléem. L’humble naissance du Christ a ajouté énormément à sa stature d’ami
compatissant des opprimés, mais cette idée ne touche guère la tradition indienne où la
royauté (comme pour Rama, Krishna et Bouddha) est considérée comme le niveau
approprié par où le divin devrait entrer dans les affaires humaines. Même chez les
Juifs, la vision du Christ montant un âne ordinaire était un affront à la notion du
Messie dont la monture adéquate serait un cheval de guerre.
Le grand-père de Sathyanarayana, Kondama Raju, était renommé pour sa piété. Il est
connu pour avoir emmené son fils aîné, Pedda Venkappa, en pèlerinage à Srisailam, le
site de l’un des douze sanctuaires aux jyotir lingas de l’hindouisme. Shiva y est vénéré
en tant que Mallikarjuna, probablement une altération du nom du maître bouddhiste
Nagarjuna qui est né dans la région. A l’origine, le sanctuaire, un centre bouddhiste,
avait d’abord été repris par les brahmanes et puis plus tard, pendant la période
médiévale, par des lingayats non orthodoxes. Après quoi, il devint célèbre en tant que
demeure de la sainte poétesse Akka Mahadevi.
Kondama Raju avait des parents dans ces
parties plus sauvages de l’Andhra où le
brigandage était et est toujours répandu. Il
persuada un de ses parents éloignés de
venir s’installer près de Puttaparthi et
faisant partie de l’accord, la fille du
parent, Easwaramma, fut fiancée à Pedda
Venkappa Raju. Une photographie de
Pedda Venkappa et d’Easwaramma prise
beaucoup plus tard, lorsqu’ils
accompagnèrent leur illustre fils à
Rishikesh en pèlerinage en 1961, montre
un couple de villageois typiques – de
petite taille et habitués au dur labeur,
d’une apparence tout à fait quelconque
dans leurs vêtements filés à la maison. Ils
ont l’air gauche devant l’objectif et ils
semblent submergés par l’attention dont
ils font l’objet en tant que parents de Sai
Baba.
Les parents de Sathya Sai Baba
64
Les tentatives pour revaloriser les débuts humbles et démunis de Sathya Sai Baba ont
été contrées par le poids même des preuves sur le terrain. N’importe qui peut visiter
Puttaparthi et enquêter sur le statut familial de cet homme des miracles moderne.
Contrairement à beaucoup d’hommes-dieux célèbres qui brouillent les traces de leurs
débuts modestes, Sai Baba continue de vivre dans le village de sa naissance avec sa
famille et ses parents. Et les faits de sa vie diffèrent souvent ridiculement de ceux qui
sont propagés par des chroniqueurs prompts à éloigner la divinité de l’embarras de la
pauvreté et à assurer une place à Sathya Sai dans le panthéon orthodoxe.
Les parents sont traditionnellement profondément respectés en Inde et jusqu’à la
naissance de leur enfant prodige, ni Pedda Venkappa ni Easwaramma n’étaient connus
dans le village pour quoi que ce soit d’autre que les attributs partagés par leurs voisins
– la piété des femmes compensant les habitudes plus matérielles de leurs maris. Bien
sûr, ultérieurement, des histoires sont apparues qui ont été insérées par les
chroniqueurs (sans aucun effort pour les authentifier) pour suggérer des rêves et des
visions extraordinaires des parents, mais quelle mère ne rêve pas que son enfant ne
soit grand et bon ?
Les photographies de Sai Baba montrent que depuis sa tendre jeunesse, il s’avère être
un sujet naturel et coopérant pour le photographe. Tout comme son père et son
grand-père avant lui s’étaient réjouis de jouer des rôles de héros religieux pour le
théâtre populaire télougou (la famille de Sathya Sai était renommée pour ses
adaptations pour la scène de poèmes épiques religieux en télougou), Sathyanarayana
Raju s’épanouissait dans toute une gamme de domaines connexes – l’interprétation, la
mise en scène et l’écriture de scénarii. L’enfant hérita de l’amour de son père pour la
musique et le théâtre télougou fortement influencé par les thèmes de la religion
populaire locale amalgamés au plus grand véhicule des épopées hindoues. Bien qu’il
interdirait plus tard à ses disciples de se livrer à la polémique, enfant, il prenait un
malin plaisir à écrire de la poésie paillarde mettant en exergue l’hypocrisie du prêteur
du village.
Sur une photo prise à l’occasion du
centième anniversaire de Kondama Raju,
Sathya Sai (comme il avait choisi alors de
s’appeler lui-même) porte la robe de soie
colorée et la couronne de cheveux qui
deviendront sa marque d’identité publique.
Le vieil homme qui porte pleinement ses ans
possède la caractéristique distinctive
familiale des grandes oreilles avec des lobes
allongés. (Selon les devins, c’est un signe
certain d’une personne illuminée !) Ce qui
frappe, c’est la posture détendue du petit-fils
qui s’appuie familièrement sur l’épaule de
son grand-père, comme si c’était celle d’un
disciple préféré. Normalement, la coutume
indienne ne tolère aucun manque de respect
65
vis-à-vis des seniors ; néanmoins, nous avons ici un adolescent fixant l’objectif avec
assurance et annonçant de manière informelle que sa conscience de l’éternité de sa
propre âme éclipse l’âge du corps physique de son grand-père.
C’est cette grâce intérieure et cette assurance extérieure démontrée continuellement
par Sathya Sai depuis ses premières années qui ont conduit des générations de dévots
à conclure que cette personne, malgré ses origines humbles de villageois, incarne un
pouvoir impressionnant et immuable. La photographie avec Kondama Raju n’est pas
seulement un exemple de contrepoint entre la jeunesse agile et la décrépitude de l’âge.
Elle témoigne d’un feu intérieur incandescent dans le jeune homme à côté de sa
proche extinction dans le corps qui n’est que trop mortel du vieil homme. Assurément,
cet éclat intérieur majestueux aida Sathyanarayana à persuader d’abord les enfants du
village, puis les adultes, de prendre au sérieux sa mission de respect compatissant pour
toutes les formes de vie. D’autres enfants du village se moquèrent ostensiblement du
jeune pilier de bonnes œuvres et le maltraitèrent pour avoir tenté d’apporter son
idéalisme à leur niveau fruste et terre-à-terre. Lui, toutefois, possédait la force
intérieure d’un chef né avec un charisme si puissant qu’il devint une source d’irritation
pour son père qui ne pouvait pas comprendre la raison de la nature sociable de son
fils.
Contrairement au père qui était mal à l’aise et craintif quand il était confronté à
l’autorité, le fils avait une confiance absolue et faisait face aux adultes avec un calme
qui suggérait non seulement une vieille âme, mais encore une âme très remarquable !
A l’école, il était un étudiant modèle et il apprenait si vite qu’on l’aurait jugé précoce,
si ce n’est que ses intérêts ne résidaient pas dans le savoir officiel, mais dans la
compréhension directe de la nature de l’âme. La dernière chose que son père à court
d’argent, qui vivait dans un petit espace avec une grande famille élargie voulait, c’était
un fils rêveur, non productif. La famille de Pedda Venkappa dut beaucoup sacrifier
pour éduquer leur fils aîné, Seshama Raju qui, dans la tradition familiale, s’avéra être
un brillant étudiant en télougou et obtint le titre de ‘’vidvan’’ pour devenir un
enseignant de la langue. Il apporta à la famille l’argent dont elle avait tant besoin, alors
que les talents de Sathyanarayana, encore plus brillants, paraissaient se dissiper dans
son souci d’aider les autres plutôt que de prolonger sa propre scolarité. Il n’y a rien de
plus exaspérant pour des parents pauvres que d’avoir un fils doté de pulsions
généreuses et de la conviction que le Tout-Puissant fera marcher la Providence.
Il y avait conflit entre la nature charitable du garçon et l’insistance du père pour qu’il
s’en tienne à une scolarité normale. La mère était plus compréhensive. Néanmoins, elle
se désolait que son fils exceptionnellement tendre attire une telle attention non désirée
à cause de son comportement distinctement étrange. Depuis un âge précoce, il avait
cette habitude déconcertante de matérialiser des bonbons, des fruits et des petits
objets comme des stylos pour ses camarades de classe et si on lui demandait d’où il
tenait ces objets, il disait que c’était des cadeaux de la déesse locale du village. (La Sai
Parampara privilégie la matérialisation de souvenirs dévotionnels et les appelle des
‘’cartes de visite’’ du royaume immortel où nos âmes ont leur vraie demeure.
Le but est d’amener les sceptiques à la conscience qu’à son niveau le plus essentiel, la
religion ne concerne pas le fait qu’un homme croie en Dieu, mais qu’il ait fait
66
l’expérience qu’il est plus que son corps.) Plus tard, un tamarinier situé sur une colline
produisit pour ses fidèles de la première heure un mélange de différents fruits. Ce
‘’kalpavriksha’’ (arbre-à-souhaits) est l’une des quelques connexions musulmanes de
Puttaparthi, puisque le tamarinier est révéré par les musulmans, alors qu’il n’est pas
considéré comme sacré par les hindous. Particulièrement intrigante était l’habitude du
garçon de remuer sa paume tournée vers le bas dans une série de petits cercles
vigoureux d’où, comme attirée hors d’un vortex, une cendre fine presque blanche
apparaissait entre le pouce et l’index. Aux yeux du simple spectateur, cela pouvait
ressembler au tour de passe-passe d’un magicien professionnel, s’il n’y avait ce
sentiment de béatitude engendré par le jeune Swami (comme on l’appellerait bientôt).
Alors que la magie utilise la dextérité manuelle et la lenteur des réactions humaines
pour tromper, le don dont Sathyanarayana faisait preuve était celui de l’âme. Il lui
fallait investir de l’énergie psychique pour matérialiser la vibhuti ; ce n’était pas qu’un
simple truc matériel. Devant la magie de Sathya Sai, l’esprit comme l’âme sont envahis
par un sentiment d’émerveillement. Le sentiment est totalement différent. C’est un
sentiment de profondeur plutôt que celui d’une supercherie..
Que signifie cette substance et pourquoi ceux qui la reçoivent la chérissent-ils ? Il
semblerait que la vibhuti fut la première preuve tangible du lien entre Shirdi Sai et
Sathya Sai. Pendant plus d’un demi-siècle, le fakir de Shirdi s’était occupé de son
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dhuni, le feu sacré, dans sa mosquée. C’est la coutume chez certaines sectes de saints
hommes non orthodoxes (ainsi que le devoir des prêtres parsis) d’entretenir un feu
comme symbole de l’énergie sous-jacente de la vie, un écho de l’immortelle inspiration
du soleil au-delà de toutes les inquiétudes mortelles, un moyen de diriger plus en
profondeur notre regard vers le royaume spirituel où brûle le ‘’feu domestique’’ de
l’âme. La production ou la matérialisation de cette cendre sacrée a le pouvoir de
susciter l’émerveillement chez la personne ordinaire, dont la conscience des forces
infinies cachées dans son âme est occultée par le train–train anesthésiant de la routine
quotidienne. Nous savons tous à un moment ou l’autre de notre vie que nous sommes
plus que le corps. Le chamatkar (déploiement de pouvoirs miraculeux) de Sathya Sai
ranime cette conscience en démontrant la réalité du royaume psychique par lequel la
manifestation physique peut être reliée à sa source spirituelle.
Les intérêts étranges de Sathyanarayana et son comportement encore plus étrange
forcèrent son père à conclure qu’il était possédé. Inconscient du pouvoir réel qui était
à l’œuvre et manquant du discernement pour reconnaître la vraie religion, Pedda
Venkappa emmena le garçon chez un shaman pour l’exorciser de ses démons. Ceci
consista en un rite religieux des plus crus. Le garçon fut humilié et traumatisé en étant
placé dans une fosse de purin liquide jusqu’au cou, puis torturé, sa tête étant entaillée
et des potions acides frottées dessus, alors que le charlatan tantrique hurlait et
tempêtait pour impressionner la famille de peu de foi. Hormis la probabilité que son
ouïe ait été à jamais endommagée, l’imperturbable Sathyanarayana sortit de l’épreuve
sans montrer le moindre signe de repentir.
Son comportement et sa largesse qui sortaient de l’ordinaire continuèrent et pourtant,
la rigidité des perceptions du père refusa de céder. L’impuissance du père devant la
popularité croissante de Sathyanarayana dans la localité et son adoption de ce qui
paraissait être des airs spirituels dépassant le statut d’un Raju rendirent la
confrontation inévitable. Furieux de devoir se purifier avant d’entrer dans la présence
de son fils paysan, le père fit mine de le frapper à l’aide d’un lathi – le dernier
argument des paysans. Les adeptes du garçon étaient à présent trop nombreux et trop
zélés pour permettre qu’une blessure ne soit infligée à leur jeune Maître et le parent
désarmé ne put que bredouiller un ‘’Qui es-tu ?’’ déconcerté.
On parvint à un compromis entre le fils spirituellement précoce et sa famille
déconcertée. Il reviendrait d’Uravakonda (la ville voisine où il habitait chez son frère
aîné) à Puttaparthi, mais selon ses termes : il vivrait tout près, mais pas chez ses
parents et il serait libre de suivre sa mission religieuse. Bien que ses parents puissent
ne pas avoir eu le même niveau de compréhension que leur fils, ils firent preuve d’un
remarquable sang-froid, quand ils furent confrontés à cette énigme déroutante. Il
aurait été facile pour les deux parties de rompre la relation en prenant la mouche. De
toute manière, la société indienne encourage ceux qui ressentent le désir de découvrir
Dieu à trancher tous les liens, non seulement avec leurs proches, mais avec la société
qui leur est familière. La robe rouge brique du sannyasin hindou est censée
représenter la couleur des flammes de son bûcher funéraire et signifie que le
chercheur est maintenant mort à toutes les inquiétudes matérielles.
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La famille de Sathyanarayana eut la sagesse d’accueillir leur fils ‘’étranger’’ comme un
hôte à Puttaparthi pour montrer que, bien qu’elle ne comprenait pas son statut
spirituel, elle avait l’intuition de son génie et qu’elle était prête à risquer de l’honorer
en public. Ce fut un grand pari de leur part, car la campagne indienne connaît les faux
gourous et ceux qui ont la grosse tête à cause de leur capacité à exhiber ce siddhi
(pouvoir) de matérialisation que leur fils possédait.
On peut créditer Sathyanarayana d’avoir aussi eu une confiance implicite dans la
parole de sa famille qu’elle n’interférerait pas avec sa vocation. C’était toujours un
adolescent qui requérait une attention parentale. Cela aurait pu être une situation
explosive. Seuls ceux qui ne connaissent pas les exigences astreignantes que la famille
hindoue élargie impose à ceux qui sont à sa charge de se soumettre entièrement aux
ordres de leurs aînés ne pourront pas voir combien ce traité entre Rajus était
révolutionnaire. Il offensait la coutume religieuse locale et il contredisait toutes les
normes sociales. Pourtant, cela se produisit et cela se passa calmement – un
commentaire extraordinaire sur la qualité intérieure de cette famille et la meilleure
preuve d’où provenait la grâce innée de Sai Baba.
Nous n’avons pas besoin de l’intervention mythologique d’anciens rishis qui prédirent
de grandes choses pour les villages de Shirdi et de Puttaparthi et nous n’avons pas non
plus besoin d’instruments de musique qui jouent tous seuls pour annoncer la
naissance d’un sauveur. Le simple miracle d’un honnête fermier et de sa femme qui
accomplissent leur dharma pour le bien-être de leur enfant prodige à l’encontre de
leurs meilleurs instincts est la plus belle preuve d’une source divine qui est à l’œuvre.
D’après certains, leur statut spirituel peut avoir été exagéré avec la construction de
temples sur leurs restes, mais le fait demeure que Venkappa Raju et Easwaramma
incarnaient une générosité rare. Ils acceptèrent de nouveau leur fils en lui offrant la
liberté et l’amour, les choses mêmes qu’il était de la mission de Sathya Sai
d’encourager chez ses adeptes.
Le samadhi (tombeau) des parents de Sathya Sai Baba
69
***
La première mention du nom Shirdi Sai apparaît dans la vie de Sathya Sai, lorsque le
jeune Sathyanarayana forma un groupe de chanteurs de bhajans basé sur la tradition
varkari de Pandharpur et il était fait référence à Shirdi dans les hymnes qu’ils
chantaient. En rapportant ce fait, Kasturi pose la question : ‘’Comment ce petit garçon
fut-il inspiré par ce fakir musulman ( ?) ?’’ En insérant le point d’interrogation après le
mot musulman, il trahit le même instinct orthodoxe d’hindouiser le saint qui
caractérise les premiers dévots de Shirdi. C’est révélateur du fait que même des
chercheurs très cultivés proches du gourou rechignent ou sont incapables de laisser
tomber les étiquettes religieuses. Kasturi fut d’abord un sceptique et, comme c’est
souvent le cas avec les convertis, il devint le plus fidèle des croyants. Chose
intéressante, dans l’édition de la biographie publiée aux Etats-Unis où l’auteur pouvait
s’attendre à un public plus critique, le point d’interrogation après ‘’musulman’’ a
disparu. Elle inclut toutefois la revendication – par insinuation – que Shirdi Sai
portait une robe ‘’orange’’, alors qu’il est bien attesté par des contemporains hindous
que le kafni de Shirdi Sai était incolore. Autre détail potentiellement trompeur, Kasturi
rapporte comment Shirdi Baba s’installa dans les ruines d’un temple, une erreur
pouvant traduire d’autres vieux pieux.
En 1940, à l’âge de 14 ans, Sathyanarayana annonça qu’il n’appartenait pas au clan Raju
et qu’il était Shirdi Sai revenu sur terre. ‘’Je suis Sai Baba’’, dit le garçon à Uravakonda.
A première vue, le contraste entre le personnage peu soigné et irascible du fakir de
Shirdi et du garçon de Puttaparthi, pauvre, mais impeccablement propre et bien élevé
semble exclure toute similitude de but ou de point de vue. Personne à Puttaparthi
n’avait entendu parler du fakir de Shirdi, mais l’on découvrit un dévot en la personne
d’un petit fonctionnaire de la proche Penukonda et des émissaires de la famille de
Sathyanarayana furent envoyés pour voir si cette personne pouvait reconnaître une
authenticité dans les affirmations du garçon d’être une réincarnation. Le dévot les
déçut en ne trouvant aucune ressemblance. Il suggéra obligeamment que le garçon soit
placé dans un asile d’aliénés ! Néanmoins, à cause de leur acceptation ancienne de la
doctrine de la réincarnation, les revendications de Sathya Sai étaient d’une nature que
l’Inde villageoise put apprendre à digérer après le choc initial.
A cette époque, Puttaparthi était un bled sale et délabré où les pauvres n’avaient pas
d’autre choix que de souiller leur environnement. En dépit de cette pauvreté et de cet
air de désolation, la graine de l’Esprit rencontra ici un sol fertile, comme pour
démontrer qu’aucun défi n’était trop grand pour le pouvoir créateur de la vie. ‘’Vous
êtes nés pour apprendre comment ne plus naître à nouveau’’ était la portée du
message de Sai Baba, modifiant le point de vue indien traditionnel que moksha (la
libération) est le but de la religion. (La libération implique le rejet d’un esclavage,
tandis qu’apprendre la nature de l’âme mène à la réalisation.) Le chef du village de
Puttaparthi était un brahmane et sa femme, Karnam Subbamma fut la première à
reconnaître et à encourager les dons spirituels de Sathyanarayana. C’est Subbamma
qui offrit un terrain pour construire une hutte à l’écolier devenu Swami, d’où il lança
sa mission. Plus tard, Sathya Sai emménagea dans un long hangar avec un toit en zinc
(qui sera appelé ‘’le Vieux Temple’’) au bout de la ruelle où il est né.
70
Aujourd’hui, le site est marqué par le mémorial de son père. Le site où se développa
l’ambitieux ashram de Prasanthi Nilayam fut inauguré à l’occasion de l’anniversaire de
Baba, en 1950.
71
Au départ, le travail fut effectué par le gourou et par le dur labeur personnel des
volontaires. Quand le problème de transporter des poutres s’avéra impossible à
résoudre en raison du terrain difficile, Sathya Sai intervint pour donner des conseils
d’ingénierie et s’installa même à côté d’un grutier pour soutenir l’élan du travail. Cette
implication personnelle dans chaque détail du campus naissant allait de pair avec son
intérêt pour le développement du village de Puttaparthi où les membres de sa famille
résident encore et comptent parmi ses dévots les plus proches.
72
CHAPITRE 7 : FORTE ASCENSION SPIRITUELLE
Même dans les premiers jours, ce qui était remarquable à propos du jeune gourou de
Puttaparthi, c’était son assurance inébranlable et insondable. A la différence d’un
entrepreneur qui prend un énorme risque dans son investissement qui peut ou qui
peut ne pas payer, le jeune Sathya Sai semblait savoir exactement où il allait, tout
comme d’autres prodiges de la nature dotés de talents impressionnants. Nulle part
dans la carrière de Sathya Sai, on ne peut détecter la moindre défaillance de vision ou
le moindre retard. A partir de débuts pauvres et primitifs, sa marche a été une marche
triomphale qui a culminé dans le but apparemment inatteignable d’être accepté
comme un instructeur mondial, avec un panache quasiment détaché.
La nature miraculeuse ou certainement supranormale de Sai se reflète dans le
déroulement calme et résolu du programme de développement de la prospérité de son
village. Un trait notable du jeune Maître est qu’il ne tolérait aucune interférence avec
le déroulement de son plan magistral. D’où provenait la confiance de ce jeune homme
encore gauche ? Il écoutait les conseils, mais plus, semblait-il, par politesse que parce
qu’il en avait besoin. Les disciples âgés avec une vie entière d’une haute expérience
administrative apprirent vite que le seul avis qui comptait était la confirmation de la
propre décision de Sathya Sai. Après avoir servi de grandes figures du gouvernement,
ce fut un choc pour ces conseillers de découvrir un jeune homme qui non seulement
connaissait son propre esprit, mais qui connaissait l’esprit de ceux qui cherchaient à le
conseiller.
C’était comme si Sathya Sai avait
visualisé le vaste campus de l’ashram
de Prasanthi Nilayam et son propre
rôle depuis le début, pas
nécessairement à partir de
l’omniscience associée au rôle d’un
Avatar, mais à partir d’une foi pleine
d’assurance en sa vocation. Convaincu
d’être le véhicule choisi des pouvoirs
divins de Shirdi Baba, il abandonna sa
personnalité à l’influx de l’Esprit,
sachant que cela ne pouvait conduire
qu’à un résultat compatissant. En plus
d’être le catalyseur du développement
extérieur spectaculaire de Puttaparthi, il
était le témoin intérieur qui inspirait sa
direction spirituelle. Aucun de ces rôles
ne draina son énergie, ils la
rechargèrent plutôt. C’était comme s’il
savait que lui et sa mission étaient
envoyés par le divin et que son travail
n’existait que pour réaffirmer la main de l’Esprit. Le développement de la ‘’Demeure de
Paix Suprême’’ de Baba se produirait parce que la grâce voulait qu’il se produise. Ce
73
puits infini de foi auquel le jeune gourou puisa pour façonner le début de sa mission
aide à expliquer pourquoi il semblait toujours imperméable aux soucis et à l’agitation
qui semblent assaillir la plupart des ashrams qui tentent d’équilibrer leurs programmes
et leurs budgets. L’Institut de Gurdjieff connut toujours des difficultés financières et il
finit par péricliter par incapacité à payer le loyer. Le crash laissa toutefois Gurdjieff
imperturbable. Comme Sathya Sai, il comprenait la bienveillance fondamentale de la
force de vie et il savait que l’enseignement profond ne peut jamais dépendre de
structures extérieures.
Sathya Sai semble indifférent à l’enseignement, intrinsèquement. D’une manière
mystérieuse, il incarne l’enseignement lui-même. Il n’a pas de gourou, parce qu’il n’en
a pas besoin. Il est né, non pour enseigner, mais pour être. L’enseignement se trouve
dans sa manière d’être. Ceci explique pourquoi les intellectuels ont eu tendance à
considérer la philosophie de la Sai Parampara comme plutôt confuse, sans position
ferme et comme faisant preuve de peu de respect pour les subtilités scolastiques. Mais
pourquoi devrions-nous lire un texte sans vie, quand l’auteur vivant se tient devant
nous ? Etre un nouveau prophète qui annonce une nouvelle religion n’est pas la tâche
spirituelle de Sathya Sai. En réaffirmant les préoccupations compatissantes de Shirdi
Baba, le Maître de Puttaparthi prêche l’unité essentielle de toutes les religions. Bien
que la mission de Sathya Sai semblait se diriger vers l’orthodoxie dans les premiers
jours, c’était une tactique nécessaire pour engranger le poids de l’opinion respectable.
En réalité, Sai lui-même ne prend parti pour aucune ligne religieuse particulière, mais
il nous encourage à reconnaître ce qui est commun à elles toutes. Il nous faut célébrer
la joie de l’Esprit sans nous soucier des différentes formes et étiquettes des bouteilles
qui renferment l’élixir.
C’est la raison pour laquelle il y a si peu de signes religieux extérieurs à Puttaparthi :
pas d’initiation formelle, pas de conversion, pas de texte sacré, pas de credo, pas de
rituel, pas d’endoctrinement, pas de clergé, pas de temple, pas de boite pour les
donations. Le but est de faciliter la fusion de l’âme avec son Créateur. Le grand
stimulus est la présence de Sai Baba lui-même, dont l’amour cosmique presse la terre
du Deccan, exhalant une grâce surnaturelle. Il n’y a pas de religion Sai, seulement
l’amour de Sai. Le but du nouveau campus prévu depuis le début par le jeune saint est
de nous défaire de nos petites certitudes confessionnelles pour pouvoir faire
l’expérience de l’Esprit essentiel qui guide toutes les religions du monde. C’est pour
cette raison qu’au cœur du campus se trouve le Sarva Dharma Stupa érigé avec la
sueur et le labeur des résidents de l’ashram qui s’alignèrent comme une chaîne de
forçats pour se passer les matériaux de construction, symbolisant comment la
congrégation avait accepté la responsabilité d’une sorte de clergé auto ordonné.
Beaucoup de volontaires sentent que leur flux de dévotion pour Sai Baba les élève au
niveau d’agents du divin. Le pilier et son lotus épanoui qui respecte toutes les religions
s’élève comme un symbole de l’indivisibilité de l’amour.
74
Beaucoup de visiteurs de l’ashram dénigrent de tels panneaux indicateurs idéalistes et
montrent du doigt les frustrations, l’amertume et les animosités personnelles qui
marquent les relations entre les dévots. Ils négligent la possibilité que ces
imperfections peuvent être la meilleure preuve d’une transformation mentale et
spirituelle. Un ashram où il n’y a pas de friction ne fait simplement pas son travail de
changer les gens. Un tel processus est douloureux et des étincelles voleront. Comme
pour toutes les relations qui se basent sur un amour intense, la jalousie n’est pas loin,
surtout s’il semble que le Maître ait ses préférences. Chaque dévot a son propre niveau
de conscience. Seulement ceux qui ne se satisfont pas d’être les témoins passifs de
leurs faiblesses s’efforceront de comprendre pourquoi leur comportement ne
correspond pas à l’idéal. Le conditionnement d’enfance de la caste et de la croyance
n’est pas facile à vaincre et les dévots se rassemblent ici pour essayer. Qu’ils échouent
est souvent vrai, mais devant eux, il y a l’exemple du Maître qui, s’étant élevé audessus de la clameur du monde, réside dans l’éclat stable de l’Esprit.
Ce que Sathya Sai a accompli pour son village, il a l’intention de le réaliser pour le
sous-continent. La religion conventionnelle, telle qu’elle est pratiquée a lamentablement
échoué dans de nombreux domaines, d’où son appel à redécouvrir l’amour et à
entretenir un respect compatissant pour l’ensemble de l’humanité.
***
Contrairement au Bouddha et au Christ qui atteignirent la maturité avant de se lancer
dans leur mission, Sathya Sai commença à enseigner à l’âge tendre de 14 ans. L’Inde
connaît bien le phénomène du bal brahmachari, le jeune saint dont la mission
commence en fanfare, mais qui s’essouffle quand la fraîcheur du dévouement de la
75
jeunesse s’use. Peu de saints ont connu une mission aussi longue et constante que
Sathya Sai dont la côte de popularité ne cesse de grimper. Le mode de vie du saint a
peu changé en soixante années de pratique. Tout désir de confort physique a été
réduit au minimum et le temps de Baba est entièrement consacré au bien-être
d’autrui. Dans cette version de Puttaparthi de la sainte communion, il semble que
Maître et disciples bénéficient de leur compagnie mutuelle, le Maître répondant à
l’amour offert et le disciple rechargeant la batterie de son âme. Ceci n’est pas une
vaine analogie. Beaucoup de dévots expérimentent cette recharge comme une réalité
physique. Comme la femme qui toucha l’ourlet du vêtement du Christ et qui se sentit
instantanément guérie, beaucoup de nouveaux arrivants se sont sentis régénérés. La
présence électrisante de Baba est le secret qui se cache derrière toutes ces années
d’adulation croissante et elle explique l’augmentation exponentielle de ses disciples. Le
contact physique avec cette personne dont la propre batterie ne semble jamais se vider
est un tonique. Un simple aperçu furtif de l’aura de Sathya Sai fait frémir l’âme du
dévot.
Au départ de sa mission, Sathya Sai vivait avec ses dévots et partageait leur espace
physique. En 1945, il emménagea dans ce qui serait connu comme le Vieux Mandir, un
long hangar disposant d’un rideau à une extrémité pour lui offrir un peu d’intimité
lors de ses entretiens avec ses disciples. Des rencontres individuelles avec des visiteurs
sélectionnés ont toujours été la marque de la méthode d’enseignement de Sathya Sai.
Au cours de ces entretiens, il ‘’produit’’ invariablement des souvenirs comme des
bagues, des médaillons et des ornements avec son effigie ou celle de Shirdi Sai. Mais il
peut également produire des médicaments et même donner un traitement pour ceux
qui souffrent de maladies chroniques. Les entretiens attendrissent les dévots qui sont
choisis au hasard. Plus tard, une véranda fut annexée à cette structure pour loger le
nombre croissant des visiteurs. Vers le milieu des années soixante, il y en avait
tellement qu’ils dormaient par terre à l’extérieur, partageant l’espace avec les serpents
et les scorpions. Apparemment, les scorpions de Puttaparthi sont réputés pour leur
taille et pour leur piqûre et ceci décida de nombreux destins. Seuls ceux qui étaient
prêts à affronter de tels dangers physiques restèrent.
A cette époque, Baba se rendait sur la rive de la Chitravati toute proche pour ses
causeries du soir qui, à l’occasion, pouvaient être ponctuées et rendues mémorables
par la production d’images divines extraites du sable du lit de la rivière. Malgré son
nom séduisant, la Chitravati n’est qu’un cours d’eau strictement saisonnier et après
quelques mois de sècheresse quasiment désertique, elle peut brusquement faire une
crue. Immanquablement, certaines personnes considéraient ceci comme une
intervention miraculeuse de Baba, alors que l’hydrologie du district rendait prévisible
la tendance aux crues éclairs.
76
Sai au bord de la rivière Chitravathi
Sai et ses fidèles sur les sables de la Chitravati
77
Sai matérialise une idole en or de Krishna qu’il extrait du sable de la Chitravati
La majorité des premiers visiteurs étaient des pauvres des villages des alentours, mais
comme des nouvelles sur la nature de Sai circulaient – dans la mesure où il produisait
quotidiennement de la vibhuti et d’autres petits objets à volonté – les visiteurs se
mirent à venir de plus loin. Le frère de Sai Baba fut contrarié, lorsque certains de ces
riches visiteurs emmenèrent Baba à Bangalore et à Mysore dans leurs voitures,
craignant que son frère ne se laisse corrompre en étant parachuté dans la vie
inhabituelle d’une grande ville. Comme son père, le frère aîné était conformiste dans
ses vues et il était incapable de sonder le caractère imperturbable de l’âme de Sathya
Sai. Rien n‘arriva au garçon. Sa tête ne tourna pas et il ne fut pas impressionné par
autre chose que par la dévotion authentique de ses hôtes. A l’inverse de ses aînés, il
savait que la dévotion n’avait rien à voir avec le statut social, l’âge ou la richesse. Après
ces voyages à l’extérieur de Puttaparthi, la renommée du jeune saint se propagea dans
tout le sud et d’autres visites plus distantes suivirent inévitablement en réponse aux
prières des dévots.
Kasturi a décrit le tournant le plus significatif de la carrière du jeune gourou. Sathya
Sai qui visitait fréquemment Tirupati, charma le Raja Sarvagna Kumar Krishna
Yachendra de Venkatagiri, un petit Etat renommé culturellement situé près de
Kalahasti, non loin de Tirupati. Le raja était un hindou sincère et orthodoxe, si captivé
par la présence de Sai Baba qu’il n’avait pas honte de le déclarer en public. Quand
Baba visitait Venkatagiri, le raja se roulait dans la poussière devant la voiture du saint
pour démontrer spectaculairement la croyance traditionnelle selon laquelle le vrai roi
78
est celui qui possède la capacité de reconnaître
la vraie grandeur. Evidemment, ce
comportement royal exagéré fut rapporté au loin
et à cause de l’estime que lui portait la société
orthodoxe, la reconnaissance du raja du statut
spirituel de Sathya Sai intrigua beaucoup
d’hindous qui n’avaient entendu que des
rumeurs au sujet de ce faiseur de miracles
rustique. L’avisé raja comprenait les stigmates
attachées à la caste du jeune Maître et il s’attela
habilement à rénover les qualifications
socioreligieuses de Sathya Sai. En 1957, une
conférence réunissant pandits et érudits fut
organisée à Venkatagiri et Sathya Sai fut
présenté à une assemblée critique comprenant
des hauts personnages de l’orthodoxie hindoue.
Le charme qui avait conquis le raja gagna
l’assemblée et tous repartirent stupéfiés par
l’assurance du jeune gourou, par son érudition
manifeste et par son indiscutable autorité.
Le raja de Venkatagiri et Sathya Sai
Sathya Sai avec Swami Shivananda
Après cela, Sai Baba fut invité à Rishikesh pour y rencontrer Swami Shivananda, un
pèlerinage qui marqua son entrée dans la culture hindoue traditionnelle. Swami
Shivananda était un docteur provenant de Malaisie, originaire du sud de l’Inde,
généreux, sympathique et qui avait beaucoup de relations. Quand je visitai son ashram
79
(l’année de la deuxième visite de Baba), je remarquai que le swami solidement bâti
remettait une pile de ses propres livres à chaque visiteur. Il avait de l’énergie et de la
bonne humeur en abondance et il accueillait chaleureusement les pèlerins de toutes les
religions dans son ashram. Fait révélateur, les swamis qui remirent l’invitation
conseillèrent à Baba d’attendre à Puttaparthi avant de s’aventurer dans le nord. Ils
connaissaient bien les préjugés et la jalousie qui existent entre les différentes écoles et
ashrams et ils durent d’abord convaincre leurs propres gourous que ce jeune saint
était un Maître authentique digne du respect populaire hindou. Jusqu’alors, la rumeur
l’avait décrit comme un magicien, un garçon qui attirait l’attention du public, non pas
à cause de son enseignement, mais à cause de ses pouvoirs psychiques.
Cette visite à Rishikesh fut suivie quatre ans plus tard par le pèlerinage ardu à
Badrinath en compagnie du gouverneur de l’Uttar Pradesh. Faire partie de l’entourage
d’un gouverneur est une marque de responsabilité aux yeux du grand public. Il y a
quelques années à peine, comme le saint de Shirdi, le saint de Puttaparthi devait se
satisfaire de petits fonctionnaires à la base de la pyramide de l’autorité politique de
l’Inde.
Le darshan de Badrinath fut marqué par la matérialisation inattendue d’un lingam
spécial du Kailash, inattendue parce que le temple est consacré à Vishnou. Cet incident
révèle à quel point les Indiens du sud sont peu conscients des réalités historiques du
nord. Kasturi affirme que Shankaracharya avait établi le Jyotir Math (la résidence
d’hiver de la déité) ‘’pour contrer les influences bouddhistes qui menaçaient de filtrer
pas le Col de Mana’’, mais le bouddhisme était à peine arrivé au Tibet pendant cette
période. Une autre affirmation douteuse (faite par les prêtres de Badrinath) est que les
bouddhistes avaient jeté l’idole de Badrinath dans la rivière et que Shankaracharya
l’avait ensuite réinstallée. Cependant, l’idole vénérée à Badri est en réalité celle du
Bouddha, alors pourquoi les bouddhistes l’auraient-ils jetée ? (La posture padmasana
du Bouddha est cachée à la vue des pèlerins par des offrandes florales.) Kasturi
explique pourquoi Baba a produit un lingam dans un sanctuaire vishnouite. Il dit que
Vishnou avait ‘’eu recours à un stratagème’’ pour prendre possession de ce qui était à
l’origine un sanctuaire shivaïte. C’est la même expression utilisée par les historiens
pour expliquer la prise de contrôle brahmanique du sanctuaire bouddhiste de
Srisailam. En Inde, la prise de contrôle d’un sanctuaire a toujours été banale, mais les
hindous orthodoxes préfèrent attribuer cette coutume aux monothéistes.
80
Entre ces visites au nord, Baba a voyagé dans la région deltaïque de l’Andhra et il reçut
un accueil enthousiaste partout où il se rendit. Sa réputation de Maître augmentait et
lentement mais sûrement, elle dépassait sa réputation de simple faiseur de miracles qui
datait de son enfance. Il consolida sa base orthodoxe lors de ces premiers voyages
missionnaires à travers l’Andhra, ses talents poétiques en télougou servant à merveille
son dessein. Dans ses discours, il devait suivre une ligne conventionnelle pour être pris
au sérieux, reprenant ainsi le dicton de Shirdi Baba selon lequel si vous voulez que les
gens entendent ce que vous avez à dire, vous devez d’abord leur dire ce qu’ils veulent
entendre. En pratique, cela se traduisait par le fait que Baba régalait son public par
des mythes tirés des Puranas. Une fois qu’il avait conquis leur attention, il introduisait
les intuitions spirituelles plus profondes des Upanishads. Cette transition vers un
niveau de compréhension plus profond nécessitera toutefois toute une génération.
Une visite à Srisailam en 1963 fut suivie, deux ans plus tard, par le darshan de Vitthal,
la plus égalitaire des déités hindoues, de Pandharpur. Beaucoup de bhajans chantés à
Puttaparthi recapturent l’ambiance de dévotion champêtre unique de Pandharpur. Ceci
fut suivi par une retraite controversée dans l’orthodoxie rituelle sur la côte orientale de
l’Andhra où Sathya Sai présida un yagna complexe au cours duquel 200 000 cuillerées
de ghee furent offertes au feu. L’inde moderne est prompte à voir le contraste étrange
entre les paysans affamés et les propriétaires narcissiquement religieux qui gaspillent
les fruits de la terre dans des rites védiques compliqués. Cependant, dans cet exemple,
les victimes affamées étaient de pauvres brahmanes dont les moyens d’existence
dépendaient de l’accomplissement des rituels. Tous avaient été rendus inutiles, leurs
81
devoirs dharmiques balayés par la modernité. En se faisant le champion de leurs droits,
Sai Baba peut avoir agité les supporters de la gauche, mais il a moissonné une riche
récolte en obtenant les sympathies populaires hindoues.
Sai Baba était bien conscient qu’une guerre populaire était en train d’être livrée à
l’extérieur de la riche région deltaïque de l’Andhra. Mais il savait que sans le soutien
des riches propriétaires, il ne pourrait pas étendre sa mission aux régions plus difficiles
de l’Etat. Il avait une vision à long terme de la lutte du peuple contre l’injustice,
réalisant comme Gurdjieff que prendre position rigidement n’aiderait personne.
Gurdjieff avait continué sa mission en pleine prise de pouvoir bolchevique de la Russie
tsariste. Conscient de la nature éphémère des changements politiques, il veilla à rester
amical avec les deux parties, mais sans se rapprocher trop près d’aucune. S’il avait pris
parti, il aurait été éliminé. Grâce à sa prévoyance, maintenant que le communisme a
disparu, ses enseignements remarquables sont toujours disponibles pour le chercheur.
En contentant les sentiments religieux des propriétaires, Sathya Sai créa un fond de
bonne volonté soutenu par une promesse de souscrire à sa mission. Mais le problème
de flirter trop près avec l’extrémité réactionnaire de la société était que Sai Baba était
parfois décrit comme ressemblant désagréablement à un zélote hindou. Des remarques
comme ‘’le reste de la communauté ne se soucie que de se nourrir et de se
reproduire’’ auraient pu être facilement mal interprétées comme une critique des non
hindous. A l’occasion de la création de l’Académie Indienne des Erudits Védiques en
1965, Baba évoqua la déesse Bhavani qui donna une épée à Shivaji pour ‘’soutenir
l’hindouisme’’. Cette allusion subliminale d’une riposte militante contre l’épée de l’islam
fut très appréciée par les brigades de l’Hindutva et la mission de Sai Baba fut invitée à
s’allier au Vishwa Hindu Parishad, le mouvement enthousiaste de l’activisme antiminorités. Ses dirigeants seraient régulièrement présents dans la véranda du mandir de
Puttaparthi dans les années qui suivront, mais leur influence ne pénétra pas plus loin.
En 1967, Baba se rendit en excursion à
Jamnagar dont la famille régnante était
devenue ses proches adeptes. Etant un ancien
Etat beaucoup plus riche que Venkatagiri, il
pouvait offrir les insignes de la royauté qui
ont toujours ravi la Sai Parampara. Nous
avons déjà vu l’amour de Shirdi Baba pour
les processions cérémonielles, parce qu’elles
donnent de la couleur à la vie de village
terne. Le don le plus populaire qui a été fait
à Puttaparthi doit être la magnifique jhula en
argent offerte par la rajmata de Jamnagar. Sai
Baba s’y balance rituellement chaque année le
jour de son anniversaire dans une affirmation
élégante de la tradition vishnouite de
Kathiawad concentrée dans la ville de
pèlerinage de Dwarka. La rajmata de
Jamnagar s’avéra être une donatrice tellement
82
généreuse dans la construction de Prasanthi et de Whitefield que Baba la récompensa
par une maison près de la sienne dans les deux ashrams.
1968 fut marquée par le seul et unique voyage de Baba à l’étranger – en Ouganda. La
visite fut remarquable pour l’accueil trépidant que les Africains réservèrent à Baba.
Parmi les plus accueillants, il y avait le chef de la défense, Idi Amin, qui dansa devant
la voiture de Baba. La classe commerciale indienne qui avait invité Baba fut exhortée à
se montrer plus sensible aux sentiments du pays hôte, de peur que la jalousie de la
réussite indienne ne se mue en hostilité. Quatre ans plus tard, la prédiction de Baba
concernant l’Ouganda s’avéra juste. Les Asiatiques furent expulsés et leurs affaires
reprises.
Sai et ses fidèles africains
Sai en touriste sur le Nil et dans le Parc National Murchison Falls
83
Après son retour en Inde, Baba se rendit à Anantapur afin d’acquérir le terrain pour le
projet de collège pour jeunes filles. Ceci marqua la grande percée de son programme
de développement pédagogique et ajouté à l’hôpital qu’il fonda suite à la prière de sa
mère, au départ de sa mission, ceci révèle l’intérêt de Baba pour le bien-être physique
de la communauté en général.
Cet hiver-là, Sai Baba élargit sa base en entrant dans le fervent pays shivaïte du nord
du Kanara en convainquant les gens au point de leur enseigner des hymnes en
l’honneur de Krishna qu’ils chantèrent dans leurs temples. Bien que cela semble un
beau coup régional, mais mineur, ce fut en réalité un coup révolutionnaire, car Sai
Baba put assouplir des siècles d’orgueil spirituel inflexible. Ensuite, il y eut la visite à
Goa, où il séjourna chez le gouverneur Nakul Sen et sa femme Indu qui étaient des
adeptes de l’ashram d’Aurobindo de Pondichéry. Nakul Sen était hautement considéré
pour son sens administratif. Un miracle médical eut lieu au cours de ce séjour dont
Nakul Sen fut le témoin et qu’il vérifia. Baba refusa d’être opéré et se guérit lui-même
84
d’une crise d’appendicite aiguë, apparemment par sa propre volonté – à la barbe de
tous les pronostics des professionnels. Parce que le gouverneur était réputé pour son
intégrité, cet évènement reçut une large couverture médiatique.
Baba visita encore l’Inde du nord dans les
années septante, quatre-vingt et nonante. Il
était l’hôte idéal, car il n’était pas exigeant,
mais généreux de toutes les manières
possibles avec son temps et son énergie.
Riches et pauvres des villes et des villages
venaient le voir vingt-quatre heures sur
vingt-quatre et il leur donnait son darshan
chaque fois qu’il le pouvait. Ceux qui
n’avaient entendu que les rumeurs
habituelles selon lesquelles il n’était qu’un
magicien noir étaient impressionnés par la
modestie de son apparence et de ses
propos. Ils purent voir comment ceux dont
c’était l’intérêt et certains rivaux religieux
propageaient délibérément ces histoires
pour tenter de semer la confusion auprès
du public. Etre tout près de Baba est une
expérience inoubliable, non à cause d’une
crainte admirative qu’il suscite, mais pour la
raison opposée – le merveilleux contact
humain dont il fait preuve en témoignant
d’une tendre attention à tous et qui
s’exprime de la manière la plus naturelle. La grâce d’un être rare semble irradier à
travers lui et lorsqu’il resta trois jours à Mussoorie, j’eus la nette impression (qui le
distinguait de tous les autres saints que j’avais rencontrés) d’une Présence permanente.
Normalement, nous considérons la grâce comme une portion du divin, mais ici, la
plénitude de la Providence semblait déborder.
A partir des années quatre-vingt, pendant plusieurs années, Baba organisa un cours
d’été pour les étudiants dans son campus de Whitefield, au mois de juin. Whitefield est
à trois heures de voiture de Puttaparthi et il était commode pour Baba de se retirer làbas quand les foules festives de Puttaparthi devenaient envahissantes. Tant qu’il restait
chez lui dans le village, les foules ne voulaient pas rentrer chez elles. Mais Whitefield
est un campus beaucoup plus petit et si Baba y séjournait pendant trop longtemps, il y
avait peu de possibilité de darshan pour le gros de ses adeptes. Baba qui est très
conscient des besoins économiques des simples vendeurs qui gagnent leur vie grâce
aux foules qui sont attirées à Puttaparthi organise son programme de manière à ce
que ces soutiens de famille ne souffrent pas indûment pendant son absence. Ceux qui
rabâchent à propos de sa tendance à fréquenter de riches industriels et d’anciens
membres des familles royales oublient le fait que ces dévots doivent se rendre dans
son village pour le voir et supporter ses conditions. La vérité est qu’il passe une grande
partie de son temps avec ses dévots les plus pauvres. Diana Baskin rapporte comment
85
le baron Albert Rothschild, un des hommes les plus riches des Etats-Unis, est venu
pour rencontrer Baba, mais au lieu de le voir, Baba alla à la rencontre d’un groupe de
dévots si pauvres qu’ils durent faire tout le trajet à pied depuis le Népal. Pour montrer
son appréciation, Baba les invita à manger avec lui. Partager la nourriture avec les
pauvres est une autre grâce que l’on voit constamment à Puttaparthi. Pendant les
repas partagés en commun, Sathya Sai sert personnellement les visiteurs et ne montre
aucune répugnance à toucher les mendiants, les lépreux et les exclus de la société. Et il
ne considère pas non plus que les femmes sont impures pendant leurs règles.
Dans les années nonante, Sathya Sai
était devenu une personnalité
nationale si importante que son
ashram était devenu un haut lieu
touristique pour les pèlerins et qu’il
était repris dans les guides
internationaux. Sa présence exerçait un
tel magnétisme qu’elle commença à
avoir un impact sur l’économie
nationale. Il rassemblait de telles foules
que ses voyages durent être limités
pour des raisons de sécurité. Son
arrivée par avion dans la capitale, par
exemple, attirait des foules énormes
qui dépassaient en nombre tout
rassemblement pour accueillir des VIP.
Pendant plusieurs années, Baba fit des
visites annuelles à Kodaikanal. Il veillait
à ce que chaque détail concernant la
nourriture, le transport et le logement
soit parfait. Il témoignait d’un intérêt
personnel à vérifier ces arrangements
et il était à cheval sur le protocole.
Bien que pittoresque, Kodai souffre d’une pénurie chronique de logements et Baba ne
pouvait s’y attarder longtemps, puisque les foules qui se rassemblaient pour son
darshan ne pouvaient séjourner nulle part. Lors de ces visites par voie routière, le
convoi de Baba s’arrêtait dans des douzaines de villages en cours de route pour y être
accueilli par les samitis Sai locaux. En retour, Baba bénissait ces efforts, petits mais
sincères, pour pratiquer son message. Ils étaient la meilleure preuve du succès de son
enseignement.
L’aube du 21ème siècle fut célébrée avec le cadeau d’anniversaire de Baba, le Chaitanya
Jyoti, une création architecturale excitante dotée d’une beauté cosmique et consacrée à
l’unité des religions. Fait révélateur, si vous jetez un regard à l’intérieur de l’élégante
salle de méditation, il n’y a pas âme qui vive. Les foules sont toutes dehors, devant le
temple vivant qu’est Sathya Sai, maintenant (en 2004) une silhouette fragile diminuée
86
physiquement, mais aussi rayonnante que jamais, irradiant la grâce ineffable de la Sai
Parampara.
Le Chaitanya Jyoti Museum
***
La connaissance quasi superficielle de Baba de toute religion en dehors de la zone
familière de l’hindouisme est apparue lors de sa visite dans l’ancien sultanat de Bijapur
où il montra apparemment peu d’intérêt à voir les bâtiments musulmans grandioses
qui font de cette ville un des sites architecturaux les plus riches du monde. Ceci fut
également prouvé par le fait que bien que Sathya Sai visita la ville de Navsari à
plusieurs reprises, ses biographes ne mentionnent pas une seule fois le fait que c’est le
siège le plus sacré de la religion parsie. Cet étonnant manque d’informations
concernant d’autres traditions religieuses ressort clairement d’une conversation que
Sathya Sai eut avec John Hislop (un dévot américain) à propos du logo de l’ashram de
Puttaparthi qui vise à inclure les grandes religions du monde. En fait, il omet le
judaïsme (parmi d’autres) et comme Sai Baba a de nombreux adeptes qui proviennent
de la foi juive, certains d’entre eux demandèrent pourquoi leur symbole, l’Etoile de
David, avait été oublié. Selon Hislop, Baba fut sincèrement surpris de la plainte et il
demanda si les Juifs étaient ‘’fort’’ mécontents que la croix chrétienne représente leur
religion ! Etant donné les retombées atroces de l’antisémitisme qui sont quasiment
ancrées dans la chrétienté, il semble extraordinaire que quelqu’un, et Sathya Sai lui87
même, puisse être si inconscient des profondes divisions qui ont secoué l’Europe
pendant des siècles. Ou le souci de Baba est-il de subtilement guérir une rupture entre
deux fois qui partagent (en partie) des Ecritures communes ? Les symboles sikh ou
jaïn ne sont pas non plus présents sur le logo de l’ashram, mais en raison de l’absence
de tout désaccord culturel, les adeptes de ces fois acceptent le symbole aum.
Le logo du Sarva Dharma
Néanmoins, un changement notable transparut dans la perspective de Baba après
contact avec les représentants étrangers lors de la Première Conférence Mondiale des
Organisations de Sai Baba à Bombay, en 1968. Jusque-là, il avait été influencé par des
organisations hindoues qui espéraient exploiter sa popularité afin de répandre leur
propre programme. Sathya Sai refusa de s’impliquer avec ces mouvements politicoreligieux, bien qu’il puisse avoir partagé leurs inquiétudes culturelles. Ainsi, l’agitation
du Ram Janmabhumi à Ayodhya qui culmina dans la destruction de la mosquée Babri
par des fanatiques hindous trouva peu d’écho chez Sai Baba. Il déclarait
catégoriquement dès 1951 que limiter Rama à Ayodhya, c’était lui nier sa gloire
complète. Ceci suggère que Sai Baba était conscient de la manière dont le nom de
Rama avait été cyniquement utilisé à des fins politiques et qu’il veillait en s’éloignant
de toute organisation chauvine de n’importe quelle obédience qu’une utilisation
similaire ne soit pas faite avec son propre nom.
88
CHAPITRE 8 : DIEU EN TROIS PERSONNES
Le mot ‘’Sai’’ ressemble au ‘’Seigneur’’ de la Bible comme l’expression ‘’Swami’’ qui est
la manière dont la plupart des dévots font référence à Sathya Sai. Alors que Swami
signifie ‘’maître de soi’’, Sai évoque une image plus bienveillante. Ainsi, la Sai
Parampara est plus douce dans sa perception de la divinité et diffère de la version
sémitique de Dieu, comme contrôleur despotique de la destinée humaine. Le mot ‘’Sai’’
peut aussi être utilisé comme un terme d’affection entre femme et époux et il est
imprégné autant d’affection humaine que de respect spirituel. C’est pareil pour le mot
‘’Bhagavan’’ qui communique exactement le mélange de respect et de familiarité qui
caractérise l’approche Bhakti de la divinité.
L’approche simple de la religion, l’absence de dogmes et de rituels qui caractérise la
compréhension de la spiritualité de la Sai Parampara sont également visibles dans son
insistance à mener une vie normale qui cherche à éviter les deux grands défauts
extrêmes de la religion – l’avidité pour la richesse et l’inverse, le mépris pour la
richesse comme étant impie. Shirdi et Sathya Sai ont tous deux incité à s’engager dans
le monde et ils se sont opposé à la théâtralisation de la pénitence et du renoncement.
Ils partagent la digne appréciation de la vraie foi d’Addison, l’essayiste : ‘’Ceux qui font
en sorte que la religion consiste à mépriser ce monde et ses réjouissances commettent
une erreur réellement fatale et dangereuse. Comme la vie est le don du ciel, la religion
est de s’en réjouir. Celui qui, par conséquent, peut-être heureux en lui-même et qui
contribue de toutes ses forces au bonheur des autres répond le plus adéquatement à
l’objectif de sa création, honore sa nature et est un modèle pour l’humanité.’’ Ni les
vêtements du fakir de Shirdi ni la robe orange de Sathya Sai ne signifient une
distanciation réelle du sacré par rapport au commun. L’Esprit n’est pas seulement une
affaire pour les prêtres et les saints hommes, mais la propriété commune de toute âme
humaine qui le revendique. La religion véritable se résume à la compassion pour la
création qui provient de notre sentiment d’unité avec elle. L’esprit réformiste de Shirdi
Sai et de Sathya Sai reconnaît que les problèmes du monde peuvent se résoudre, non
par le fait que les gens se convertissent à d’autres fois, mais par le fait que les adeptes
de chaque religion pratiquent avec plus de sérieux les préceptes de leur propre foi.
Nous devons honorer notre religion en faisant preuve d’un amour si contagieux qu’il
convertira tous ceux qui doutent à notre cause. Les saints du Deccan ont bien fondé
une nouvelle religion, mais une religion du cœur, au-delà de toutes les étiquettes. Qui
plus est, ce n’est pas un compromis sans joie avec un monde taré, illusoire ou pécheur,
comme le propagent la plupart des religions. Shirdi Sai et Sathya Sai enseignent un
évangile rafraîchissant qui célèbre la création et qui ne trouve rien dans la vie qui ne
soit si dégoûtant qu’on ne puisse y remédier par une infusion d’amour. Sathya Sai
encourage activement ses dévots à se marier et il est heureux d’organiser pour eux
leurs mariages. Il bénira ainsi les mariages collectifs, puisque ceci épargne aux couples
les dépenses dans lesquelles les villageois doivent ruineusement investir au nom de la
religion. De donner sa première bouchée de riz à un nourrisson jusqu’à superviser les
rites de crémation, Sathya Sai témoigne d’un souci maternel pour tous.
89
Bien qu’absorbé dans le royaume de l’Esprit, cet étrange jeune Maître a toujours gardé
un pied dans le monde, son statut défiant toujours toute catégorisation facile. Le
problème est que les règles habituelles ne semblent pas s’appliquer à lui. De manière
encore plus inexplicable, il semble plutôt être celui qui fait les règles. Bien
qu’apparemment religieux dans son comportement, il ne porte aucun signe de caste ou
d’affiliation religieuse : pas de tilak peint sur le front, pas de talisman au poignet, pas
de rosaire autour du cou, pas de cordon sacré, aucun culte d’aucun dieu ni de
génuflexion devant un gourou.
Pour celui qui étudie la religion, sa présence est une énigme, car aucune figure comme
la sienne n’a depuis le Christ aussi élégamment foulé la Terre. Après avoir observé
90
pendant trente ans cette incarnation de grâce immuable, je dois admettre que la
certitude spirituelle de Sathya Sai n’a pas vacillé d’un iota. Il semble qu’il n’ait besoin
d’aucun signe extérieur de la religion, parce qu’il porte en lui la lumière dont tous
ceux-ci ne sont qu’un reflet. S’il porte une robe orange, ce n’est pas parce qu’il a
renoncé au monde, mais c’est parce que de façon commode, elle lui permet de se
détacher dans la foule et permet à plus de gens de le repérer pendant le darshan
collectif. Ni la couleur (qui peut varier selon la saison) ni la texture de la matière (qui
peut faire froncer les sourcils des orthodoxes) ne possèdent la moindre signification
religieuse. Ce sont des détails qui n’ont aucune importance, comparé à ce qu’il est
venu enseigner. En même temps, les détails sont symboliques. La robe est toujours
fraîche et impeccable et elle couvre tout le corps pour indiquer que le mystère que cet
homme incarne ne cède devant aucune explication physique.
De manière étrange, bien qu’au-dessus de toute signe extérieur de la religion, il
comprend chaque détail du rituel et de la coutume hindoue. S’il avait été un
musulman pratiquant dans une vie passée, comment est-ce possible ? S’il était né
hindou et s’il avait été élevé commun un musulman, cela impliquerait que sa sagesse
date d’une incarnation encore plus ancienne. (Lorsque Shirdi Baba dut témoigner dans
le cas d’un vol, il répondit à la question concernant son âge ‘’des centaines de milliers
d’années’’.) Cette brève réponse semble indiquer que Sathya Sai (comme Shirdi Baba
avant lui) est tout à fait unique. Qu’on attribue ce caractère unique au jeu du divin ou
à l’étrange conjonction de forces naturelles, le fait est que cette personne n’est comme
aucune autre dans sa résolution. Des hommes et des femmes pleurent ouvertement
devant la beauté qui leur est révélée. Lorsque son énergie est libérée, elle semble
immédiatement remplacée dans une négation déroutante de toutes les lois physiques
connues. Peut-être que cela indique notre pauvre compréhension de la capacité de
l’âme humaine.
La religion reçoit son dû à Puttaparthi, mais n’est pas liée à l’état que Sai Baba a
atteint. Son langage explique la voie au dévot et puisque la voie est difficile, de tels
panneaux indicateurs sont utiles. Seul le simple d’esprit prendra le nom de la
destination pour la destination elle-même. Ceux qui s’efforcent de trouver le divin en
eux ont encore besoin de la béquille de la religion, bien que, de manière significative, la
Sai Parampara insiste pour que le langage de la caste reste à la porte. Shirdi et
Puttaparthi doivent être parmi les rares lieux de l’Inde où aucune référence ouverte à
la caste n’est faite. Le Dr R. T. Kakade raconte dans Shirdi to Puttaparthi (1985), dont
il fut le coauteur avec le Dr A. Veerbhadra Rao comment l’absence de discrimination
de caste l’avait attiré auprès de Shirdi Baba.
En témoignant d’une considération égale pour les différentes fois, Sathya Sai, d’une
part, encourage le respect traditionnel envers les brahmanes qui accomplissent des
cérémonies publiques dans son ashram. D’autre part, il montre un intérêt personnel
pour le bien-être des musulmans de Puttaparthi dont il a aidé à agrandir la mosquée.
91
Sri Sathya Sai et ses fidèles musulmans lors de l’inauguration de la mosquée de
Puttaparthi en 1978
Quand on lit à propos de la vie et des enseignements de Shirdi Sai, il est remarquable
de constater que la plupart des dévots de son époque étaient des hindous qui furent
forcés de surmonter leur préjugé hérité à l’encontre d’un saint musulman. Qu’ils y
réussirent est un témoignage remarquable, non seulement de l’aura extérieure du saint,
mais aussi de leur propre force intérieure. Triomphant de leur conditionnement
culturel et de graves réserves mentales, la vraie religion fut honorée par ces disciples
confiants. Reconnaissant la valeur de ces bhaktas qui, contre toutes les normes,
choisirent de vénérer un fakir dans une mosquée, Shirdi Sai alla à son tour à l’encontre
des sentiments de ses frères musulmans en permettant aux bhaktas hindous de faire
preuve d’un comportement en apparence hérétique. Maître et disciples firent montre
de la bravoure que l’amour appelle et leurs milieux culturels divergents purent se
rencontrer, non seulement dans une mosquée délabrée, mais dans le royaume
intemporel du Compatissant et Miséricordieux. Les orthodoxes des deux fois qui
s’accrochent à leur froide évaluation des règles ratent l’expérimentation de l’amour
même qui est l’essence de la religion dont ils s’imaginent être les champions.
***
Au cours des trois dernières décennies, j’ai visité environ douze fois Puttaparthi (pas
en tant que dévot pratiquant, mais comme un pèlerin qui se rendait dans un haut lieu
de pèlerinage consacré à l’amour) et j’ai été deux fois à Whitefield et deux fois à Shirdi.
Ma première visite, fin des années septante, suivit les deux visites de Baba à Delhi,
92
durant lesquelles il trouva le temps de dîner chez Rani Ma. Comme j’étais nouveau et
toujours conditionné par ma formation de Mirtola à me méfier de toute prétention à
la divinité publiquement annoncée, je me contentai d’observer et de réserver mon
jugement. Il me fallut reconnaître la merveilleuse influence que Sai Baba exerçait sur
l’humeur de Rani Ma, mais je trouvais l’organisation, au moins à Delhi, plus
enthousiaste qu’inspirante. La caractéristique principale était le chant de bhajans pour
lequel je n’ai ni le goût ni le talent, mais le plus magnifique était la manière dont Rani
Ma accomplissait son abishekam (puja) quotidien d’un lingam que Sai Baba avait
matérialisé pour elle. Elle l’accomplissait, quelle que soient les circonstances. J’étais
intrigué par l’éclat de ce lingam. Cet objet petit mais solide, composé d’un alliage de
métaux, paraissait avoir une vie propre. J’avais une certaine expérience du culte du
shalagram de Mirtola, mais elle paraissait aussi éloignée que ses origines marines
profondes, comparé au contact vibrant du lingam.
Quand j’arrivai à Puttaparthi, on me montra un vaste hangar qui abritait des groupes
de nouveaux arrivants comme moi et nous reçûmes chacun une natte de bambou ainsi
qu’un peu d’espace pour y poser nos affaires. Les installations étaient rudimentaires et
collectives, ce qui impliquait que vous deviez faire la queue pour avoir accès à un
robinet. Il fallait aussi se rendre au petit bazar pour l’achat d’un gobelet en aluminium
(le plastic était encore une nouveauté, à l’époque).
Si Baba était proverbialement accueillant, les dévots qui dirigeaient les bureaux de
l’ashram étaient d’une autre trempe et pouvaient se montrer abrupts avec les
nouveaux venus. Je commis l’erreur de prendre le parti d’une fille qui était venue de
Londres pour un séjour de durée limitée et qui voulait être en première ligne pour le
darshan. Au départ, je n’acceptai pas de bonne grâce le conseil que le bureau donna à
la fille, mais je réalisai vite qu’ils n’avaient pas le choix, étant donné la demande
pressante pour de tels privilèges. Ils devaient avoir l’air fataliste et dire que c’était son
destin qui en déciderait. (Je dus aussi admettre que si elle n’avait pas été aussi jolie, je
ne me serais pas soucié de sa destinée...) Aussi, pour moi, les paroles de Baba eurent
un effet salutaire immédiat : ‘’Je n’aime pas les conversations sans but entre hommes
et femmes. La beauté extérieure et le charme sont éphémères La beauté réelle est la
maîtrise de soi. Vous êtes l’occupant du corps et non le corps.’’
La vie des résidents de l’ashram était épuisante et empreinte de tension et
j’apprendrais à justifier la brusquerie qui me choqua la première fois. Personne n’avait
une tâche spécifique, tous étaient volontaires. En plaçant l’obligation de diriger
l’ashram sur ses disciples, Baba les forçait à prendre leurs responsabilités. Ils n’avaient
pas d’horaire fixe, ce qui signifiait qu’ils étaient théoriquement tout le temps de
service. Pas étonnant qu’ils s’emportent en étant confrontés à des visiteurs qui
considéraient l’ashram comme une sorte de station touristique spirituelle.
Ce qui est unique à propos de l’ashram, c’est son air d’autodiscipline qui se déclare
dans l’extraordinaire qualité de silence. Celle-ci n’est pas forcée, mais provient d’une
appréciation que le son est trop sacré pour être gaspillé dans des échanges futiles. La
tenue en coton blanc encourage aussi l’unité avec l’environnement, bien qu’à l’époque,
je l’assimilai au syndrome négatif du neta de la politique indienne où des gredins
93
portent des vêtements tissés main pour avoir l’air patriote. L’effet le plus étrange de
passer de la tenue de ville à la tenue de l’ashram est le sentiment d’avoir acquis une
identité nouvelle plus sensée. C’est presque comme si on passait de la vie à la vraie vie.
Le Sai Kulwant Hall de Prasanthi Nilayam où les fidèles se rassemblent pour le darshan
et les bhajans
Comparée à Puttaparthi, Shirdi m’apparaîtrait plus rustique et bien que la dévotion y
était tout aussi intense, l’organisation – puisqu’elle était dirigée par un comité nommé
par le gouvernement – apportait un air inévitablement plus mécanique aux
procédures. Malgré ce handicap, l’arati offert à l’image de marbre du saint était
effectué avec une dévotion enthousiaste. La bousculade des dévots impatients de
recevoir le prasad mettait sous pression les pujaris et un châle qui était offert était à
peine mis sur les épaules du saint avant d’être ôté pour le suivant. Pour le simple
curieux, une telle dévotion ressemble à une chaîne de montage et pour ceux qui
espèrent au moins une apothéose esthétique à un darshan longuement désiré, c’était
une petite déception. Malgré toutes les différences apparentes et l’intervalle temporel,
je découvris que je pouvais au moins apprécier le même climat de compassion qui
imprégnait Shirdi et Puttaparthi. Les marchands qui vendaient des babioles, des
photographies et de la vibhuti des deux saints paraissaient exactement les mêmes aux
94
deux endroits, mélangeant dévotion et affaires et conférant du bonheur à leurs clients
autant qu’à eux-mêmes.
A Shirdi
***
Il paraît étrange qu’alors que Shirdi Baba était identifié à toute une série de saints
(dont Akkalkot Swami, Akunbaba, Gholapguruji, Maulisahib, Ramdas Swami et
Saptashringi Devi, sans parler d’être assimilé à Ganesh, Rama, Shiva et même à des
Tirthankars jaïns, certains dévots modernes de Shirdi s’opposent fermement à l’idée de
Sathya Sai ou de quelqu’un d’autre comme successeur spirituel. Il est amusant de
noter que quelques dévots – d’autre part intelligents – ignorent scrupuleusement
toute référence à Puttaparthi, faisant comme si Sathya Sai Baba, le plus grand
phénomène religieux de l’époque n’existe pas ! Malgré ces distances, les preuves
semblent être en faveur d’un lien spirituel commun. Le fait que Sathya Sai ait préféré
promouvoir l’ashram de Puttaparthi sans aucune référence physique à Shirdi signifie
pour beaucoup que ce n’est pas dans les hauts lieux de pèlerinage sacrés du passé que
le chercheur doit chercher la divinité, mais là ou l’Esprit se manifeste ici et
maintenant.
Il est possible que les deux saints aient des habitudes et un tempérament fort
différents ; néanmoins les similarités psychiques et spirituelles semblent de loin
95
l’emporter sur les différences physiques. Pour commencer, les deux maîtres jouissent
du statut rare d’être considérés comme ‘’unique’’ en valeur spirituelle. Dans le même
temps, ils sont les cibles d’abus notoires et violemment critiqués, parce qu’ils
‘’corrompent la religion et la moralité’’. Parmi d’autres choses, chacun a été appelé à
un moment ou à un autre un faux prophète, un ennemi de la religion, un sorcier, un
prestidigitateur, un séducteur, un pédéraste, un racketteur, un trafiquant d’or, un
obscurantiste anti-pauvres et une force satanique.
La réalité était toute autre. Les deux saints sont connus pour avoir des goûts
délicieusement non orthodoxes. Shirdi Baba, après qu’il devint célèbre, allait accomplir
ses ablutions en procession, peut-être pour ébranler l’idée conventionnelle de la portée
de la sainteté. Sathya Sai, qui est sensible aux goûts de l’homme du commun, a
construit un stade de cricket à Puttaparthi. Shirdi Sai était réputé pour être un
guérisseur accompli, doté d’une profonde connaissance de la médecine, tout comme
Sathya Sai aujourd’hui (qui accomplit même des opérations chirurgicales).
Shirdi Sai aimait la musique, la danse et les cérémonies ; c’était un cuisinier hors pair,
un jardinier (et un porteur d’eau !) ; il était favorable à une vie de famille normale ; il
enseignait de s’abandonner au pouvoir de l’amour ; il était capable de rayonner une
chaleur qui captivait ; il s’inquiétait du bien-être de ses disciples et il subvenait
généreusement à leurs besoins ; il avait un grand sens de l’humour paysan ; il ne
témoignait aucun intérêt à fonder une nouvelle religion ; il était indifférent à
l’accomplissement d’observances religieuse publiques comme la puja ou le namaz ; il
s’opposait à l’ascétisme et à l’exhibition d’exercices de pénitence ; il acceptait la valeur
de toutes les Ecritures reconnues et il trouvait de la valeur dans l’exégèse scripturaire ;
il acceptait le culte qui lui était rendu, non pas personnellement, mais en tant que
forme du divin ; il fut reconnu comme une forme de Dattatreya et il accepta
l’identification ; il témoignait de la compassion envers les pauvres, les opprimés et les
exclus de la société ; il n’était pas affecté par la conscience des castes ; il enseignait
l’unité de toutes les religions ; il encourageait le renforcement de la foi dans laquelle
on était né et il s’opposait à toute conversion par commodité ; il utilisait la cendre
sacrée comme signe de sa grâce ; il utilisait les phénomènes psychiques pour
communiquer avec ses disciples ; il aimait la nature et les animaux et il enseignait un
respect empreint de compassion pour toutes les formes de vie inférieures ; il prédit
l’extension de sa mission ; il possédait la capacité de matérialiser des objets et
d’affecter les éléments jusqu’à un certain point ; il pratiquait le siddhi de quitter son
corps jusqu’à plusieurs jours d’affilée en laissant ses dévots conclure qu’il était
cliniquement mort ; il prenait la précaution de prévenir à l’avance ses serviteurs des
retombées probables de ces exercices pour veiller à ce que personne ne soit autorisé à
interférer avec son corps pendant qu’il était absent ; il déclarait que ses maladies,
parfois graves, avaient été volontairement contractées afin de sauver un disciple
privilégié d’une mort probable ; il s’opposait à l’expression d’opinions tranchées sur les
questions religieuses et il refusait de s’engager dans des discussions, même pour
défendre son propre enseignement – et dans tous ces aspects, il était exactement
comme Sathya Sai aujourd’hui.
La théologie non déclarée de la foi de Sai Baba est que le divin – le but, la force de vie,
appelez cela comme vous voulez – est l’expérience de l’amour, la grâce ultime qui
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descend dans le cœur humain. L’illumination n’est rien d’autre que l’âme qui tombe
amoureuse de sa source. L’amour étant plus vaste que nous-mêmes, nous sommes
submergés et désorientés par son ineffabilité extatique. Au milieu de cette félicité
inattendue, l’ego et le mental sont provisoirement soumis et l’âme est fugitivement
unie à l’objet de son adoration. La flambée spontanée de l’amour est à l’opposé du
culte religieux formel où l’on cherche à développer l’humeur fervente à l’aide de
musiques et de cérémonies. L’amour équivaut à posséder le Royaume des Cieux. Il
nous donne des ailes et une compréhension cosmique. Nous mettons un terme à notre
quête de Dieu, parce que dans l’amour, nous avons trouvé où réside ce mystère.
Suivant les intuitions de Kabir et préoccupée par l’âme simple des masses, la Sai
Parampara exhorte les dévots à fondre extatiquement devant le Bien-Aimé. C’est
essentiellement ce que recommandait Gurdjieff à ses adeptes beaucoup plus sélects.
Jusqu’à ce que nous puissions nous abandonner à une force supérieure à notre ego
individuel, l’enseignement profond ne restera qu’un exercice intellectuel. ‘’Je peux peler
(votre) pomme de terre’’, disait Gurdjieff, ‘’mais il n’y a que vous qui pussiez ôter les
yeux.’’ Comme Shirdi Sai avant lui, Sathya Sai promet d’accorder à ses disciples tout ce
que veut leur cœur, à condition d’abandonner leur destin au gourou. Un refrain
lancinant qui parcourt les vies des deux saints est la question posée par le Maître :
‘’Que voulez-vous vraiment ?’’ Quand la réponse est ‘’Je veux seulement faire partie de
vous’’, le disciple est accepté, bien qu’il n’y ait pas de reconnaissance officielle. La
relation avec Sai est un lien intérieur basé sur l’amour. La recherche d’un substitut
sous forme de pouvoir, de sexe, d’argent et de célébrité accapare la plupart de notre
énergie, à moins que nous n’ayons la grâce de tomber sur un Maître compatissant qui
nous ouvre les yeux sur le but intérieur réel.
Le Maître est le catalyseur. Nous ne nous abandonnons pas à ses ordres autant que
nous ne décidons consciemment de supprimer notre ego en faveur de nos instincts
supérieurs. Toucher les pieds d’un gourou signifie réellement offrir l’intellect à la plus
grande sagesse du cœur. Pour ceux qui ont été éduqués à évaluer le cerveau comme la
plus grande faculté donnée par Dieu, il est difficile, sinon impossible de renoncer à
l’orgueil d’un esprit aiguisé. Mais l’esprit ne peut vous mener qu’au bord du précipice.
Sauter requiert la grâce de l’amour. L’amour, comme le divin, dépasse les catégories de
bon et de mauvais. Sous la forme de Shiva, il peut se comporter de manière sauvage et
imprévisible, car il est comme le feu qui consume la balle des tourbillons du mental et
réduit le minerai de notre individualité à l’or du noyau de notre être.
L’adoption du rôle de Shirdi Baba par Sathya Sai a été complète et résolue depuis le
jour de son annonce. Il est clair que depuis le départ de sa mission, Sathya Sai ne
nourrissait aucun doute par rapport à son statut inhabituel qui combine apparemment
le rôle d’un saint soufi dynamique (qui théoriquement ne se réincarne pas) et celui
d’un brahmachari hindou. Les différences d’attitude et de comportement entre Shirdi
Sai et Sathya Sai sont indéniables, mais pas inconciliables. Puttaparthi Sai a expliqué la
différence en comparant les deux incarnations à une mère qui prépare le repas. Elle se
fâche si ses enfants interrompent son travail, comme Shirdi Sai. Mais lorsqu’elle sert le
repas, la mère est plus affectueuse, comme Sathya Sai. En tant que mendiant soufi,
Shirdi Baba ne pouvait pas se permettre d’être difficile pour sa nourriture et son
97
habillement, alors que Sathya Sai, à cause de ses liens familiaux doit montrer l’exemple
en évitant la viande et les stimulants. La seule différence réelle est dans leur image
publique - la première celle d’un ascète bizarre, coloré et non-conformiste, la seconde
celle d’un semi-reclus sobre et guindé. Tandis que Sathya Sai accueille courtoisement
tout le monde, le fakir pouvait offenser les nouveaux arrivants à l’aide d’insultes bien
choisies et exiger de l’argent, parfois au-delà de leurs moyens.
Photo prise le jour où Sathya Sai a déclaré
‘’Je suis Sai Baba’’, le 23 mai 1940
Une manière de comprendre ces demandes souvent outrancières est de les considérer
dans le contexte de la tradition Bhakti du Deccan où les saints appartenaient
typiquement aux castes inférieures et où ils ne connaissaient pas la richesse, excepté
au niveau spirituel. Il y a de l’ironie dans le fait qu’un mendiant teste la foi de
chercheurs nantis qui jurent que Dieu est plus important pour eux que l’argent. Seul
un traitement de choc peut briser les notions enracinées de certaines personnes
concernant la nature de la religion réelle. Les remèdes étranges de Gurdjieff, un peu
comme le mouvement de Basaveshwara pour réactiver le noyau de la dévotion shivaïte,
s’appuyaient sur la contestation des structures fossilisées de la société. A son époque,
le renouveau lingayat était une force révolutionnaire au Karnataka (et dans certaines
parties de l’Andhra Pradesh). Un mouvement populaire vigoureux qui explorait les
idées démocratiques d’égalité des castes six siècles en avance sur son temps secoua
l’ordre brahmanique, le plaça sur la défensive et renforça l’identité culturelle
dravidienne. La Sai Parampara, en choisissant de se manifester et de grandir dans des
locations de villages arriérés est clairement du côté du cultivateur ordinaire. Son
apparition, d’abord sous les robes déchirées d’un fakir dépenaillé, puis sous l’apparence
pauvre d’un petit villageois, est la preuve de sa loyauté à la vision réformatrice de
98
générations de Maîtres du Deccan qui insistaient sur le fait que la vraie religion se
situe au-delà de la caste, de la croyance ou du statut social.
La venue de Prema Sai, le troisième
Sai Baba, a d’abord été prédite par
Sathya Sai en 1940. Apparemment,
Prema Sai vit déjà dans le district de
Mandya dans le Karnataka, mais il ne
se déclarera lui-même qu’après le
décès de Sathya Sai. Ainsi, alors que
Shirdi Baba est censé être Shiva dans
la tradition (orthodoxe) de
Puttaparthi et Sathya Sai la
manifestation conjointe de Shiva et
Parvati, le troisième Avatar
représente uniquement Parvati. (Une
autre version veut que Prema Sai
naîtra chrétien. Des portraits du
futur saint le représentent déjà sous
l’apparence du Christ dans le bazar
de Puttaparthi.) La vocation de
Prema Sai sera l’unification des
religions en conflit et de parachever
la mission de ses prédécesseurs de
Shirdi et de Puttaparthi.
99
CHAPITRE 9 : ÉCOUTEZ LA PAROLE
La production volumineuse de Puttaparthi Sai – sous forme parlée ou imprimée –
remplit les rayons de la librairie de Prasanthi en des douzaines de langues, indiennes et
étrangères. Les dévots achètent ces livres, pas uniquement pour lire, mais comme des
talismans qui les aident à combler le sentiment de solitude désespéré que ressentent
leur âmes en quittant la présence de leur Maître. Pour la personne de l’extérieur, il est
déroutant de voir la rotation de ces titres qui ne semblent que répéter ce que la
religion conventionnelle propose depuis des siècles : ‘’Soyez bon, faites le bien, soyez
conscient de l’unité de la vie, que vos actions en disent plus long que vos paroles.’’
Alors que les dévots Sai sont suspendus au moindre mot de Baba publié
mensuellement depuis 1958 dans le magazine de l’ashram, Sanathana Sarathi, le lecteur
ordinaire trouve les traductions anglaises du Professeur Kasturi à partir du télougou
quelque peu pesantes. Je trouve la traduction trop littérale et bien qu’une partie du
blâme puisse être attribué à la platitude de l’âme saxonne, le ton mielleux du
traducteur et son style fleuri n’aident pas. Les lecteurs instruits trouvent la
prédilection de l’Inde pour le mythique barbante de toute façon et les versions
officielles des écrits de Sai Baba qui renâclent à couper ce qui est trop tiré par les
cheveux et à rendre l’histoire pertinente en fonction des attentes culturelles d’un
public interrogateur paraissent conçues pour le tenir à l’écart. Le récit a tendance à
devenir répétitif, banal et diffus En tant qu’ancien professeur, l’éditeur est peut-être
sensible au fait que Baba ait classé l’érudition comme un des neufs attributs mortels
de l’ego !
Ce qui frappe le lecteur moderne dans la quinzaine de recueils (Vahinis) consacrés à
des articles mensuels de Baba, c’est leur ton suranné qui rappelle la moralité
victorienne. Le fait est que ces articles furent écrits dans la langue vernaculaire (le
télougou), principalement pour un public paysan. Cependant, le style obscurcit fort la
sagesse offerte au dévot sous forme d’exégèse textuelle et d’indications pratiques. Lus
dans leur version originale du Sanathana Sarathi, où ils apparaissent à côté d’autres
points de vue et incidents de l’ashram (dont des miracles médicaux), ces écrits
surprennent par leur variété et leur profondeur. Baba décrit facilement, en quelques
phrases les subtilités qui distinguent les écoles de philosophie hindoue, avec une telle
simplicité que cela suggère une totale maîtrise du sujet. Cette maîtrise de la
philosophie s’étend aux coutumes hindoues et il développe avec beaucoup de détails le
style de vie pénitent qu’un vanaprastha (ancien chef de famille) est censé devoir suivre,
par exemple. Lire ces commentaires experts qui concernent une vaste gamme de
sujets, c’est presque consulter une encyclopédie de la religion. Meilleur que des
théories religieuses, toutefois, le conseil de Baba sur la manière de vivre qui est simple
et efficace : ‘’Cultivez l’amour par deux méthodes. D’abord, considérez les fautes des
autres comme étant négligeables, quelle que soit leur importance. Considérez comme
importantes vos propres fautes, même si elles sont insignifiantes. Ensuite, quand vous
parlez, souvenez-vous que Dieu entend chacune de vos paroles. Soyez conscient de
Son omniprésence.’’
En feuilletant les numéros de la première année du Sanathana Sarathi, plusieurs leçons
précieuses peuvent être retirées. Le premier numéro commémore la fête de Shivaratri,
100
en 1958. Baba y décrit la vie comme un yagna et le sommeil comme le samadhi.
Manger fait partie de l’adoration, dit-il, comme la culture d’une fleur qui est offerte
pour la puja. Le deuxième numéro donne la garantie de Baba : ‘’Vous êtes libres de Me
rejeter, mais Je ne vous rejetterai pas.’’ Dans le numéro de mai de la même année, il
est fait référence au groupe croissant des critiques et à la réponse mesurée de Baba :
‘’’On ne lance des pierres qu’à un arbre chargé de fruits, pas à une souche stérile.’’
Dans le numéro suivant, il fait voir comment le Mahabharata, le Ramayana et la Gita
se jouent tous à l’intérieur de chacun de nous. Il insiste sur le fait que l’utilisation du
mot correct est importante pour transmettre le sens juste. (Un exemple involontaire
de cette leçon nous est donné avec l’adage ‘’Le karma sans bhakti est un mur sans
soubassement’’. Le mot aurait dû être ‘’fondation’’ !) Dans le numéro de novembre,
Baba nous recommande de vivre au ‘’troisième étage’’ (de notre être sattvique) pour
éviter les piqûres de scorpion. Dans une image forte, il compare l’âme à un morceau
de charbon de bois qui, lorsque le feu l’a rendu incandescente, ressemble au
Paramatma.
La couverture et le quatrième de couverture du premier numéro du Sanathana Sarathi
sorti en février 1958
Un des livres de Baba les plus anciens, la Prasnottara Vahini, est rédigé sous la forme
de questions et de réponses et prouve que, bien qu’il n’insiste pas sur les accessoires
de la religion conventionnelle, il ne les décourage pas non plus, quand ils peuvent aider
quelqu’un. Il répond à des questions sur les quatre ashramas, les pancha koshas,
101
moksha, le karma, vidya, les varnas, les mantras , le japa, le yoga et tapas. L’analyse est
succincte et objective et se tient à l’écart de toute controverse, comme c’est le style de
Baba.
Sathya Sai Speaks, un recueil de discours de Baba rédigé à partir de notes prises par
Kasturi fut publié en 1962. Il s’ouvre sur un poème du traducteur qui loue le ‘’télougou
tintant et tintinnabulant’’ de Baba. Fort heureusement, Sathya Sai n’a pas la voix du
harangueur dont la rhétorique, en vertu d’un ton retentissant, distrait l’auditeur du fait
que peu, si tant est que quoi que ce soit est en train d’être dit. Baba s’inquiète plus
que le sens de ses mots passe et tout en parlant, il veille bien à ce que son public
comprenne ce qu’il tente de dire. Avec son flair pour l’humour paysan, il a appelé ses
exposés, non pas des festins pour l’ouïe, mais des remèdes pour l’esprit. Par
conséquent, le terme ‘’discours’’ transmet mieux que ‘’conférence’’ son effort de traiter
un sujet philosophique de manière générale pour que tout le monde puisse
comprendre. Il décrit ses exposés comme une opportunité pour lui et son public de
partager leur amour et les débute et les termine généralement en chantant quelques
couplets en télougou.
Les paroles qui ouvrent sa série de discours
(qui comptent maintenant quelque trentecinq volumes depuis 1953) affirment
combien claire et simple est la manière de
connaître Dieu : ‘’Je me trouvais à
Uravakonda où J’étudiais à l’école
secondaire et un jour, Je partis, Je me défis
de Mes livres en déclarant que Mon travail
M’attendait. Ce jour de Ma première
apparition publique en tant que Sai Baba,
le premier chant que J’enseignai au public
fut :
Manasa bhajare guru charanam
Dusthara Bhava sagaratharanam.
(Installez le Seigneur dans votre cœur et
offre-Lui vos pensées, vos sentiments et vos
actions.)’’
Son message public se résume par ces
paroles : la compassion active prodiguée
dans un esprit de dévotion désintéressée
est tout ce qui est nécessaire. La plupart
d’entre nous ignorent la réalité que le
magasin de Sai Baba est rempli de tout ce
dont une personne a besoin. Nous devons arrêter d’encombrer notre esprit avec du
mobilier indésirable et demander à Sai Baba de nous fournir l’essentiel. Ce discours
particulier qui a été prononcé à l’occasion des fêtes de Dasara qui eurent lieu à
102
Prasanthi en 1953 est extraordinaire pour sa prédiction confiante de l’expansion
exponentielle de la mission de Sai Baba : ‘’Ne demandez pas comment et si Je peux
accomplir tout cela…corriger la déformation de l’esprit humain et rediriger l’humanité
vers le Sanathana Dharma.’’ La nature compatissante de son travail est clairement
expliquée depuis le départ : ‘’Les méchants ne seront pas détruits…ils seront corrigés et
reconduits sur la voie d’où ils se sont égarés.’’ Il termine par un avertissement : ‘’Etant
devenus vieux et ayant rempli vos têtes de toutes sortes de doctrines et de dogmes, il
vous faut maintenant employer votre discernement et découvrir Dieu à la dure.’’
Et Sathya Sai n’hésitait pas à corriger son propre interprète/traducteur, l’éminent Professeur N.
Kasturi, éditeur du Sanathana Sarathi, si cela s’avérait nécessaire !
Les premiers discours prononcés devant des publics moins nombreux engendrent une
ambiance plus intime. En février 1958, près de la Chitravati, Baba parla de Seshagiri
Rao, un incroyant fasciné par l’aura du jeune saint. Un jour de 1940, Baba avait surpris
l’homme en train de jeter un œil à l’intérieur de sa salle de prière et il l’avait invité à
l’intérieur pour ‘’examiner’’ Sai Baba. Seshagiri Rao entra et resta. Baba prend ceci
comme exemple de la raison pour laquelle il est venu sur la Terre – pour semer les
graines de la foi chez les sceptiques. ‘’Je n’insiste pas pour qu’une personne ait foi en
Dieu’’, dit Baba. ‘’Même la bhakti n’est pas indispensable. C’est l’amour pour dilater le
cœur pour accueillir l’entièreté de l’humanité.’’ D’où sa préférence pour le titre de
‘’Premaswarupa’’ (incarnation de l’amour) pour lui-même et pour son public. Baba
note aussi que la seule différence entre le théiste et l’athée est qu’ils regardent le
même arbre à partir d’angles différents.
La même année à Madras, Baba mit en garde l’assistance : ‘’Il a été fait mention de
Puttaparthi et on vous a conseillés de vous y rendre et de retirer de l’inspiration des
103
bhajans. S’il vous plaît, n’encourez pas la dépense Chaque fois que vous M’appelez,
votre village peut être transformé en Puttaparthi.’’ Baba adresse une autre mise en
garde : ‘’Même en ce qui Me concerne, ne soyez pas attiré seulement par des récits de
ce que Je crée d’un geste de la main. Ne tirez pas des conclusions les yeux fermés :
observez, étudiez et soupesez. Ne cédez jamais avant de ressentir la satisfaction
intérieure d’être sur la bonne voie.’’ Ce conseil de cultiver une attitude scientifique est
très souvent ignoré par des dévots trop enthousiastes qui ont l’impression que Sai
Baba pensera à leur place.
A Nellore, il examine son propre mystère : ‘’La meilleure chose que vous puissiez faire,
c’est de vous y absorber. Ensuite vous pourrez discuter de Moi à satiété.’’ A
Mirthipadu, il exprime son plaisir de se trouver avec des fermiers ‘’qui sont occupés
par un dur labeur et qui sacrifient leur confort personnel pour rendre les autres
heureux’’. A Peddapuram, il confie : ‘’Comprenez-vous vous-mêmes et cela Me révélera
aussi. ‘’ Aux érudits de Venkatagiri, il affirme : ‘’Je connais votre profession et votre
statut, mais vous ignorez les miens. Je ne suis ni un Shastravadin ni un Buddhivadin. Je
suis un Premavadin. Aussi reposez la hache de l’analyse et prenez le laddu de l’amour.’’
A un groupe d’étudiants en
sanscrit, il conseilla :
‘’L’Incarnation de l’Amour ne
peut être comprise que par
l’amour. Pour comprendre
Ma signification, vous devez
sonder votre propre réalité.
L’érudition n’est qu’un moyen
pour maîtriser l’esprit.’’ De
retour à Prasanthi après cette
visite de l’Andhra, il trouva
nécessaire de corriger
certaines idées fausses
entretenues par les bhaktas à
propos de sa vraie nature. ‘’Je
ne suis pas touché par le
karma. Pour Moi, votre joie
est Ma nourriture, votre
exaltation, la balançoire où Je
me tiens. Ma tâche est de
répandre sur vous la joie. Je
ne souhaite pas que vous Me louiez. Je serai satisfait si vous comptez sur Moi. Je
suscite des larmes de joie et J’efface les larmes de tristesse. Je rends les gens fous de
Dieu et Je guéris ceux qui raffolent des choses impies.’’
Dans cet échantillon de discours spontanés prononcés par Sai Baba au cours de haltes
au bord de la route pour une variété de publics (majoritairement simples), lors de ses
visites de la campagne de l’Andhra entre 1958 et 1960, le dynamisme de l’homme et
son message peuvent être perçus. La majorité des orateurs religieux − et l’Inde semble
104
en compter des millions dont ça les démange de se retrouver derrière un micro –
lèguent peu à la mémoire en témoignage de leur sagesse. Sathya Sai est différent et on
peut toujours s’attendre à ce qu’il laisse une forte impression par la parole ou par
l’exemple. Fait révélateur, les gens affluent, non pas pour l’entendre, mais pour être
près de lui. C’est le test unique de l’Inde pour déterminer le statut spirituel d’une
personne. Contempler le divin dans une personne peut résulter, dans de rares cas,
dans la vision d’une aura presque physique. Comparé à cette gloire contemplée par
l’œil intérieur, les paroles d’un instructeur semblent être d’une importance secondaire.
On peut le constater en écoutant des discours de Sathya Sai où une bonne part du
public ne comprend pas le télougou, son moyen d’expression préféré. En dépit du fait
qu’ils ne comprennent pas ses paroles, beaucoup peuvent saisir intuitivement son
message – une preuve, si nécessaire, du pouvoir de l’amour pour combler une lacune
dans la communication.
Inévitablement, avec un nombre aussi volumineux de discours disponibles pour l’étude,
les critiques peuvent ‘’prouver’’ quasiment n’importe quoi à propos de Sathya Sai. En
sélectionnant des passages hors de leur contexte, ils peuvent démontrer qu’il est
communiste, capitaliste, monarchiste, républicain, conservateur, libéral, orthodoxe ou
non-conformiste. C’est une autre bonne raison pour le chercheur sincère de faire
l’effort d’obtenir son darshan et de découvrir par soi-même qui est réellement cette
remarquable présence.
Dans la Dharma Vahini par exemple, Baba qui normalement évite toute controverse ou
critique des gens ou des choses, parle vigoureusement contre la libération de la femme
et déclare de façon très inhabituelle : ‘’La femme instruite n’est qu’une poupée
décorée.’’ La force de ses sentiments suggère que cette opinion remonte à son
conditionnement social antérieur, avant qu’il ne voie la nécessité de construire un
collège pour jeunes filles à Anantapur. En négligeant de clarifier ceci, l’éditeur conduit
erronément le lecteur à conclure que c’est actuellement la pensée de Sai Baba sur le
sujet. Des exemples similaires et plus sérieux de sa façon de penser en apparence
traditionaliste, aggravés par une traduction en manque d’imagination, dénaturent les
premières pensées de Sai Baba. Pour soutenir le système des castes défendu par Baba,
le traducteur affirme maladroitement : ‘’Si tout le monde est d’avis qu’il n’y a qu’une
seule caste, le bien-être et la sécurité du monde seront menacés. Si tout le monde
commande, qui obéit ?’’ Cette formulation donne des armes à ceux qui cherchent une
excuse pour critiquer Baba pour cause d’obscurantisme. Néanmoins, Sai répond luimême à cela dans le huitième numéro du Sanathana Sarathi, quand Il cite la réponse
gracieuse de Rama à la femme hors caste Sabari : ‘’Ma parenté ne concerne pas la race
ou la caste, mais la bhakti.’’
La Ramakatha Rasavahini est à ce jour la plus longue œuvre de Baba et compte
quelque huit cent pages. Bien que le Ramayana est sans aucun doute l’œuvre la plus
appréciée de nombreuses régions de l’Inde, l’affirmation de Kasturi selon laquelle
‘’aucun autre récit dans l’histoire humaine n’a eu un impact aussi profond sur l’esprit
de l’homme’’ pourra sembler faire preuve d’esprit de clocher au reste du monde qui ne
connaît pas le Ramayana. Ayant affirmé dès le départ que Rama était ‘’le résident
intérieur, la réalité de votre existence et l’incarnation même du Dharma qui maintient
105
l’humanité unie dans l’amour’’, l’éditeur parvient à créer la controverse à la fin à
propos de ces vérités. Il ne se soucie pas d’atténuer les sentiments féodaux qui
affleurent dans le bannissement de Sita par Rama. (Il y a bien sûr d’autres versions du
Ramayana qui ne finissent pas avec l’exil de Sita). Comme dans cet exemple, elle
semble avoir été condamnée tout en étant innocente, comment peut-on faire passer
une telle injustice comme une décision spirituelle prise pour des motifs supérieurs ?
Cela paraît contredire le message de Baba selon lequel l’amour est la nature du divin
et cela semble suivre la ligne orthodoxe selon laquelle la convenance sociale vient avant
la réalisation individuelle. Selon certains spécialistes, l’aspect universel de la
personnalité de Rama a été délibérément réduit dans cette version du Ramayana pour
convenir aux besoins brahmaniques.
L’analyse de Baba s’adressait à une première génération de visiteurs indiens qui
connaissaient les Ecritures hindoues à propos desquelles il choisit de rédiger ses
commentaires : la Bhagavatha Vahini, la Geetha Vahini, la Dhyana Vahini, la Prema
Vahini et l’Upanishad Vahini, parmi d’autres. (De tous les écrits de Baba, l’Upanishad
Vahini est peut-être la plus lumineuse. Chacune des dix Upanishads les plus célèbres y
est décrite avec concision et brio et compte des perles d’intuition comme ‘’l’univers est
un instrument destiné à révéler la majesté de Dieu’’ et ‘’quand l’Atma est compris, tout
le reste est compris’’.)
De telles connotations sont familières et sont culturellement significatives pour les
oreilles indiennes, si pas toujours acceptables pour chacun. Néanmoins, l’Indien moyen
sera confus, lorsque Baba mentionne d’une part que les femmes sont qualifiées pour
entendre l’enseignement le plus élevé de l’hindouisme (‘’Brahma jnana’’) et d’autre part
qu’elles devraient consciemment s’abaisser à vénérer leurs maris comme Dieu.
Aujourd’hui, l’une des principales sources de fierté de l’Inde est sa connaissance
avancée de l’informatique qui en fait un acteur majeur dans ce domaine d’activité dans
le monde. Bangalore, où Baba possède un ashram, est la capitale de l’informatique de
l’Asie et des Indiennes instruites y figurent parmi ses plus brillantes réussites. Il est
malheureux que le contexte des premières déclarations de Baba ne soit pas clarifié.
Aucun effort n’est fait pour transmettre les intérêts modernes de Baba.
Les premiers discours de Sathya Sai font également preuve de beaucoup de zèle pour
défendre l’héritage spirituel de l’Inde ancienne. Passant une nuit à l’ashram de Swami
Shivananda à Rishikesh en 1960 (l’année où Sathya Sai se rendit à Badrinath), je me
rappelle comment un simple sadhu qui faisait un exposé sur la culture indienne dit
que l’avion avait été inventé par les rishis à l’époque védique. Ce besoin d’éclipser la
science occidentale moderne en se référant au génie ancien peut être l’indice d’une
certaine compensation d’orgueil, après l’expérience coloniale. Sathya Sai partage
clairement la défense fougueuse du sadhu du génie de l’Inde ancienne. Dans son
discours inaugural pendant la conférence mondiale de ses organisations de service,
Baba fait plusieurs allusions à ce qu’il considère comme les 200 ans d’influence
étrangère de colonialisme britannique. Que son propre héritage andhraïque ait fait les
frais de 2800 ans de colonialisme culturel aryen semble l’indifférer. Un détail mineur,
mais révélateur, réside dans son observation que ‘’le sanscrit est le parent et l’âme de
toutes les langues’’. Il est possible que le traducteur ait été trop littéral, car tout
106
étudiant en linguistique sait que le sanscrit n’est que le parent du groupe de langues
indoeuropéennes. Le sanscrit n’est même pas le parent de la propre langue de Baba, le
télougou, sans parler des langues d’Extrême-Orient, d’Amérique ou d’Afrique.
Scientifiquement parlant, l’anglais est un rejeton pur-sang, tandis que le télougou n’est
qu’un enfant placé en cours d’adoption.
Le zèle de Baba à promouvoir la cause du génie de l’Inde ancienne le conduit à avancer
l’affirmation quelque peu stupéfiante qu’en 3043 avant notre ère, un yogi indien avait
prédit le départ de l’Inde des Britanniques. A supposer que ceci soit vrai, cette
revendication suggère la consternation que la pureté spirituelle de l’Inde ait été souillée
par des influences matérielles étrangères. (On pense que le terme populaire indien
indiquant le dégoût face à un ’’contaminateur’’ étranger – mleccha – trouve peut-être
son origine dans une tribu ancienne de commerçants.). D’après une autre observation
faite par Baba lors de la Première Conférence Panindienne de ses organisations de Seva
à Madras, ‘’C’est seulement après l’arrivée de la Compagnie des Indes Orientales que la
lutte pour le pouvoir politique prédomina.’’ La Compagnie Anglaise des Indes
Orientales reçut sa charte un demi-siècle après l’effondrement de Vijayanagar et quels
que soient les péchés qu’elle a commis par avidité commerciale, elle n’a pas sacrifié des
vies d’esclaves au nom de la religion, comme le fit le plus grand des empereurs de
Vijayanagar, Krishnadeva Raya. (Ironiquement, c’est un des vassaux de Vijayanagar
d’une province voisine de celle de Sathya Sai qui fut le premier à vendre de la terre
aux Britanniques et qui leur permit de prendre pied en Inde.)
La glorification initiale par Sai Baba du passé de l’Inde et le fait de raconter la
grandeur de l’Antiquité hindoue paraissent contredire son enseignement d’après lequel
nous ne devrions pas être indûment fiers de notre caste, de notre pays ou de notre
religion. Cette fierté peut refléter la quête de l’identité nationale postcoloniale de l’Inde
moderne. Mais si la fierté de l’hindouisme en ses intuitions sur la nature toujours
présente de notre Soi divin est justifiée, pourquoi rabâcher le passé ? Sathya Sai utilise
le concept de ‘’Sanathana Dharma’’ de façon idéaliste, comme base de toute religion et
moralité, contrairement au monde, en général, qui le voit comme la source de
l’orthodoxie hindoue. De la même façon, Baba suggère que, parce que le sanscrit est le
parent des intuitions spirituelles les plus profondes, ceci lui confère le statut
symbolique de mère de toutes les langues. De nouveau, l’éditeur n’a pas pris la peine
de démêler les différents sens que le Maître et son public pourraient attribuer à ces
termes.
Les discours ultérieurs sont plus fidèles au message de Baba d’appréciation universelle
des diverses cultures de l’Inde et du monde et suggèrent que sa mission s’était adaptée
à ceux qui tentaient de tirer parti de ses enseignements. Il est raisonnable de penser
qu’avec sa célébrité croissante et ses contacts avec des esprits plus raffinés, les
premiers points de vue puisés à des sources orthodoxes furent sensiblement modifiés.
L’éducation est un outil qui élargit l’esprit en supprimant le conditionnement étroit de
l’enfance. Il est possible qu’une éducation universitaire ne rapproche pas un homme de
Dieu, mais elle peut faire évoluer sa compréhension du provincial à l’universel. Ses
contacts avec des dévots étrangers auront certainement instruit Baba du fait que
l’aspiration spirituelle n’est pas le monopole de l’âme indienne.
107
La conciliation d’opinions chauvines d’abord avec une philosophie universalisante
ensuite peut se comprendre si vous considérez Sathya Sai Baba dans ses manifestations
orthodoxes et non orthodoxes. Avant d’avoir construit sa base auprès des orthodoxes,
il ne pouvait espérer toucher des publics moins orthodoxes. C’est seulement
maintenant dans le journal de l’ashram en 2004 que Baba affirme publiquement que
son être essentiel n’est pas hindou : ‘’Je ne suis pas venu parler au nom d’un dharma
particulier comme le dharma hindou.’’ Ses déclarations du 21ème siècle suggèrent qu’il
est allé au-delà du védique, comme il était allé au-delà du soufi et de l’agamique,
auparavant. A l’inverse des nombreux réformateurs religieux, c’est un conservateur qui
prend bien soin de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Fils futé de la terre, il
réalise qu’il y a un sens et une utilité pour chaque chose. Certains peuvent y lire la
préparation du terrain pour le troisième Avatar, Prema Sai, dont la mission sera l’unité
des religions.
Les modes changent, même en ce qui concerne la religion. Il y a une génération, les
hindous orthodoxes y auraient réfléchi à deux fois avant de traverser les kala pani.
Aujourd’hui, pandits et pujaris s’exportent pour effectuer des pujas hindoues pour les
expatriés tout autour du monde. Baba a dit : ‘’Je ne m’occupe pas de toutes ces
activités à la mode du monde actuel.’’ Ceci est confirmé par son indifférence envers
toutes les formes de médias. Pour son septante-cinquième anniversaire, Baba a reçu un
canal de World Space qui diffuse des programmes radio digitaux nickels vingt-quatre
heures sur vingt-quatre à partir de satellites positionnés au-dessus de Singapour. Le
canal s’appelle ‘’Sai Global Harmony’’ et bien qu’il réjouisse les oreilles des vieux
dévots, pour le monde en général, il semble manquer de professionnalisme. Toutefois,
on peut voir un professionnalisme impeccable chaque jour à l’ashram, particulièrement
dans les productions théâtrales qui ont lieu régulièrement.
Des contradictions apparaissent également dans ses œuvres imprimées. Par exemple,
un chapitre sur la concentration (comme aide à la méditation) passera de manière
déroutante d’un sujet à l’autre et ces différents bonds à la suite de généralités peuvent
sembler peu propices au développement de la concentration. La raison de ces
changements de sujet peut être de préserver l’intérêt du public, puisque plus il est
grand, plus il est difficile de guider son attention. Les discours de Sai Baba – à tout le
moins dans leur traduction – peuvent paraître diffus dans les thèmes qu’ils couvrent et
il est rare qu’un thème unique monopolise la séance. Avec un public mixte de dix à
vingt mille personnes provenant de différents milieux et avec des intérêts et des
108
attentes variés, Baba doit s’efforcer de plaire à tout le monde et ceci peut expliquer les
changements de sujet et de direction dans son raisonnement.
Quoi que les dévots puissent ressentir à propos des talents de Baba en tant qu’orateur
et auteur, le reste du monde juge ses mots objectivement et conclut que son
expression doit être à la mesure de son éducation. Ce qui a du sens pour l’étudiant en
religion, mais qui peut paraître blasphématoire aux adeptes de Baba étroits d’esprit,
c’est la supposition raisonnable qu’il est improbable qu’un Avatar qui profite du
meilleur des deux monde (son humanité est complétée par des apports surhumains
provenant du royaume divin) provoque un changement réel dans le monde. Pour
séduire efficacement les cœurs humains, l’Avatar doit être totalement humain et
supprimer temporairement sa gloire divine. S’il (ou elle) n’affronte pas les mêmes défis
physiques, mentaux et spirituels que l’être humain moyen, son exemple d’amour divin
sera vain. La leçon de la vie sur terre de Baba, ce n’est pas qu’il est venu avec à sa
suite des nuées glorieuses, mais plutôt qu’il est né simplement dans un environnement
rude et décourageant qu’il a dû surmonter grâce à l’autodiscipline. On peut remarquer
dans les discours de Baba de la fin des années soixante une note de déception qui s’est
insinuée concernant les performances de volontaires envers lesquels il avait entretenu
de grands espoirs dix ans plus tôt. Peut-être avaient-ils l’impression que Baba
invoquerait la plénitude de la divinité et sourirait de leurs points faibles. En raison de
sa compassion divine, il ferait tout le travail à leur place.
109
Il s’ensuit de l’hypothèse mentionnée ci-dessus que Baba est lié par les mêmes lois
physiques et mentales (mais pas nécessairement spirituelles) que le reste de l’humanité
et bien que son souvenir de la sagesse divine lui soit particulier, en matière
d’apprentissage terre-à-terre, son développement ne peut être que proportionnel à sa
scolarité. Par exemple, son anglais est de la variété locale et sa prononciation et son
vocabulaire proviennent de son expérience d’écolier de village. Des aspects de
l’expérience d’une jeunesse villageoise colorent jusqu’à un certain point le point de vue
de l’Avatar (ou quoi qu’il soit) et influencent très probablement son expression. Cette
théorie expliquerait au moins certaines positions contradictoires.
Toutefois, ce qu’elle n’explique pas, c’est son bagage manifeste d’érudition spirituelle
supérieure, malgré le manque de scolarité et d’études officielles. Les histoires qui
entourent ses capacités linguistiques suggèrent qu’il a des sympathies inhabituelles. Il
devine ce que les dévots étrangers tentent de dire à partir de leur langage corporel. En
dehors de la connaissance du télougou et d’autres langues du sud apparentées, Baba
partage la lingua franca du saint homme itinérant (hindoustani) ainsi qu’une
connaissance de base de l’anglais sans aucune coloration idiomatique. Sa connaissance
du sanscrit est plus curieuse et semble, à l’occasion, émaner directement d’une source
autre que des livres. On estimait que Ramana Maharshi possédait une connaissance
étonnamment profonde du sanscrit étant donné qu’écolier il s’était enfui vers sa sainte
montagne. Néanmoins, pendant toute sa vie, il discuta de philosophie abstruse avec ses
disciples et sa connaissance du sanscrit aurait pu provenir des livres consultés au
cours de ces échanges. Mais cela n’aurait pu se produire que dans le contexte d’un
ashram orthodoxe. Sathya Sai n’a jamais eu l’occasion ni l’inclination de prendre des
leçons, aussi la source de sa connaissance des textes hindous reste déroutante. Il est
difficile d’expliquer comment − lorsque l’occasion l’exige – il semble avoir accès à une
réserve de connaissance supérieure. Kasturi raconte comment il avait une fois demandé
à Baba un chapitre sur la Brihadaranyaka Upanishad (la plus longue des Upanishads)
pour inclure dans le numéro suivant du Sanathana Sarathi et Baba ne l’avait fait
attendre que pendant vingt minutes durant lesquelles il écrivit en vitesse un article de
vingt pages en télougou qui est un résumé remarquable de cette Upanishad très
difficile. Tout aussi déroutante est la nature prodigieuse de sa production d’hymnes
télougous. Alors qu’il était encore jeune, il avait composé neuf cent bhajans qui furent
notés dans un carnet. (Curieusement, les pages étaient numérotées en chiffres arabes.)
Baba peut continuellement attirer l’attention sur les risques inhérents à l’orgueil de
l’érudition et sur le danger d’ergoter acquis de la lecture des livres, mais le fait
demeure qu’il voit l’éducation comme une partie cruciale de sa mission. Malgré son
éloge abondant de l’Inde ancienne, le fait est que les études à cette époque ne
concernaient que la classe sacerdotale. Depuis le départ, Baba vise à fournir un
enseignement à tout le spectre de la société. Les critiques qui suggèrent qu’il n’a
qu’une connaissance limitée des sujets matériels doivent se rappeler qu’il a placé sa
mission avant l’achèvement de ses études. Le fait d’abandonner ses études à
l’adolescence priva Baba de l’opportunité d’aiguiser ce qui était clairement un intellect
exceptionnel. L’horizon reconnu de Baba se limitait à la culture rurale télougoue avec
son expérience de la vie qui puisait largement dans les Ecritures hindoues et le besoin
non dit de les défendre contre toute inquisition moderne. L’absence d’études
110
supérieures aurait dû le priver de la capacité de se tenir au courant des recherches
actuelles aux frontières de la science et pourtant, incroyablement, il prescrit
personnellement à ses étudiants de troisième cycle des projets de recherche à l’avantgarde de la technologie moderne.
La différence entre un esprit à demi cultivé et un esprit instruit ressemble à la
différence de qualité de lumière qu’une fenêtre laisse passer selon son degré de
propreté. Une preuve de la liberté qui accompagne une éducation supérieure est
l’absence d’absolus dans le point de vue d’une personne. C’est la personne qui a une
connaissance limitée, avec des convictions fortes qui se basent sur des prémisses à
moitié digérées qui adopte des positions extrêmes et des régimes rigides. Ceci se teinte
d’un soupçon de dédain envers la chair qui indique que la source divine de vie a
quelque peu dérapé en gratifiant de tels mystères une humanité irresponsable.
De telles attitudes, motivées par la culpabilité et niant la vie peuvent caractériser
beaucoup d’ashrams indiens orthodoxes, mais le campus de Prasanthi Nilayam, grâce à
la doctrine de Baba qui célèbre la joie, est libre d’un tel héritage. La séparation des
dévots masculins et féminins se fonde sur une appréciation pratique et sensible de la
réalité. Bien que Sai Baba lui-même encourage les joies de l’existence et que dans les
entretiens privés, il s’avère très favorable à une vision large de la vie, le visiteur a
cependant le sentiment que chez certains dévots de Puttaparthi, il y a un manque
d’appréciation ardente de la beauté de l’esprit. En prenant fait et cause pour la
suprématie du cœur, ils ont tendance à minimiser les qualités divines d’un brillant
intellect.
111
CHAPITRE 10 : BRANCHÉ SUR L’INFINI
Ceux qui recherchent une présentation formelle des enseignements de la Sai
Parampara, qu’ils émanent de Shirdi ou de Puttaparthi, sont consternés lorsqu’on les
renvoie à la Shri Sai Satcharita ou à la Sathya Sai Vahini qui sont plutôt des comptesrendus anecdotiques décousus que des élaborations rationnelles. Néanmoins, une
lecture régulière de ces traités dévotionnels s’avérera hautement bénéfique. Sathya Sai
a une fois recommandé la lecture complète du Srimad Bhagavatam à Diana Baskin en
disant qu’elle y découvrirait l’essence de son amour. Elle réserva une semaine et
parcourut l’ensemble de ce texte dévotionnel du début à la fin. Cet exercice s’avéra
être le point culminant de sa vie en matière de spiritualité. La raison de s’intéresser à
un de ces livres, c’est qu’en étant absorbée par l’ambiance qu’ils génèrent, l’âme
enregistre plus que l’esprit.
La moralité et la doctrine de la religion Sai émanent plus de la religion mère du dévot
que d’un tout nouveau code. Les saints du Deccan ne sont pas venus pour fonder une
nouvelle religion, mais pour arroser les racines des anciennes et leur donner une
nouvelle vie. Les enseignements de Sai Baba existent pour intensifier et universaliser
les enseignements de notre foyer en stimulant l’amour, où qu’il se manifeste. Selon
Sathya Sai : ‘’Je n’ai aucun projet d’attirer des disciples ou des dévots dans mon groupe
ou dans aucun groupe. Je suis venu vous parler de cette foi unitaire universelle, de
cette voie de l’amour.’’ Tout comme Shirdi Baba, il ne veut pas que nous abandonnions
notre foi ancestrale. Il veut que nous devenions de vrais hindous, de vrais musulmans
et des chrétiens semblables au Christ. L’idée n’est pas de penser avec la tête, mais de
voir avec le cœur la vérité simple que la divinité est identique à l’humanité. Pour
renforcer cette perception, nous devons accorder moins d’importance aux entraves de
la religion officielle. Au lieu de cela, nous devrions servir l’humanité. La mission de Sai
nous exhorte à cesser d’être des puits de science théologique et à reconnaître Dieu
dans notre prochain. La vraie religion ne consiste pas à joindre les deux mains en
prière à l’intention d’une déité distante, mais à tendre la main en signe de compassion
à toute âme qui en a besoin.
Pour l’étudiant en théologie, une visite à Puttaparthi peut être révélatrice. Beaucoup de
gens qui n’avaient pas d’intérêt pour la religion dans leur vie expérimentent la
plénitude de la divinité, quand ils se retrouvent en présence de Baba et par l’amour, ils
connaissent intuitivement ce que les théologiens ont mis des siècles à concevoir. Le
facteur décisif est la présence de Sathya Sai Baba. Alors, toutes les questions afin de
savoir si c’est le haut qui descend bénir le bas ou si c’est le bas qui s’élève pour
satisfaire le haut ou si Dieu est l’homme réalisé ou si l’homme est Dieu en miniature
deviennent sans importance. Tout le bavardage mental se calme dans la plénitude de la
certitude du cœur.
Pour certains, il est déconcertant de voir que Sathya Sai évite tout signe extérieur de
religion. Sa robe orange éclatante semble refléter les propensions chaleureuses du
soleil – l’opposé même de la couleur du renoncement. Le jour de son anniversaire et le
jour de Noël, il opte pour une robe blanche. Pendant Dasara, elle peut être couleur
bordeaux. Les pinailleurs ont critiqué certains tissus utilisés comme étant trop tape-à112
l’œil en vertu des anciens canons qui réglementent ce que le saint homme bien vêtu
devrait porter. Ils ignorent l’éventualité que pour ses adeptes, Sathya Sai n’est pas
moins que le Grand Designer et qu’il a donc tous les droits de fixer les modes. La robe
est cousue par le tailleur du village et elle est lavée par un dhobi de Puttaparthi. Les
anciennes robes sont offertes à des disciples favoris et sont chéries dans la tradition
indienne comme des objets de famille.
Une visite à Puttaparthi peut aussi être troublante pour un intellectuel qui s’attend à
ne trouver qu’un saint homme de plus, quand en fait ce qu’il trouve – mais qu’il ne
peut souvent pas voir – c’est quelque chose d’infiniment plus grand. Seule l’âme qui
113
est préparée à la vision complète reçoit la grâce de trouver l’amour incarné dans cette
forme légère. Et quand vous avez l’amour, qui a besoin de religion ou de quoi que ce
soit d’autre ? C’est le summum pour le chercheur. L’extase ne peut pas aller au-delà.
Pour l’âme qui est en quête d’elle-même, ici à Puttaparthi (ou à Shirdi), le vin de
l’Esprit peut être bu pur et aucun prêtre ni aucun rituel n’obstrue le paysage. Son
temple est constitué du groupe de ses dévots. Sa religion est leur dévotion à l’amour
qu’il suscite.
Car l’enseignement Sai, en un mot, c’est la nécessité d’expérimenter l’amour. Le
mantra qui le sous-tend a été énoncé par Shirdi Baba dans l’expression ‘’Sab ka Malik
Ek’’, parce que c’est ce sentiment d’unité que l’amour confère. Le transfert
révolutionnaire du divin d’une figure extérieure sévère à un témoin intérieur
compatissant donne une responsabilité morale à chaque dévot. Il est forcé de
reconnaître que ce qu’il voit en Sai n’est pas seulement l’amour incarné, mais l’amour
personnalisé. Dans son être divinisé, nous pouvons contempler le but de l’unité
humaine, le mariage parfait du masculin et du féminin dans un seul corps, seule
promesse certaine de la paix sur la terre. L’essentiel de la foi Sai réside dans le partage
de la sainte communion de l’amour où la loyauté envers notre religion ancestrale est
transcendée par l’expérience de l’unité. Elle reconnaît la valeur de la religion extérieure
comme le véhicule par lequel on arrive au seuil de la perception infinie de l’amour.
Shirdi Baba aborda cet instant d’identité duelle, lorsqu’il fit face à ses frères
musulmans agités par l’idée d’hindous offrant un culte à un être humain dans une
mosquée. Shirdi Sai ne nia pas que les normes monothéistes étaient transgressées,
mais il pria les critiques musulmans de comprendre la motivation noble d’hindous qui
rendent un culte à un mleccha dans une mosquée et qui transgressent ainsi leurs
propres normes dharmiques. En acceptant le culte, non pas pour son corps, mais pour
l’Esprit qui y réside, il démontrait que l’amour seul est le miracle qui transforme l’eau
de la religion en vin de l’Esprit.
L’amour de notre prochain, quelle que soit son appartenance religieuse, confirme notre
véritable identité d’êtres spirituels. La religion conventionnelle nous procure de faux
papiers et nous fait croire que notre ‘’adresse’’ est une église ou une secte particulière,
alors qu’en réalité, c’est ‘’le divin aux pieds de l’humanité souffrante’’. Le Bouddha
découvrit cette vérité, mais dans le sous-continent, sa religion fut étouffée par ceux qui
trouvaient que la hiérarchie féodale était une option plus profitable. Le Mahatma
Gandhi prêcha également un message de compassion que certains éléments du même
lobby orthodoxe trouvèrent défavorable. Alors que la plupart sont déprimés par la
façon dont les gardiens de la foi publique trahissent et dénaturent l’enseignement de
leurs fondateurs, la Sai Parampara, enracinée comme elle est dans la nature divine de
l’amour, n’a jamais été indûment troublée par ces réalités lamentables. Tout au long de
sa mission, Sathya Sai a révélé une suprême confiance en ses œuvres et comme le
Christ, il n’a jamais tremblé face aux critiques malveillants et leurs comptes-rendus
diffamants. L’état du monde est le problème du Tout-Puissant : vous et moi, nous ne
devons nous soucier que d’avoir un regard compatissant pour la vie, là où sa
manifestation miraculeuse traverse notre chemin.
114
Il est vrai que certains dévots des deux endroits ont établi leur propre code de
conduite personnel et qu’ils croient qu’en le suivant, ils obtiennent la grâce spéciale de
Sai Baba. Mais c’est un système bénévole et puisqu’il offre un moyen pratique de
maintenir la paix et le fonctionnement bien réglé de l’immense ashram de Puttaparthi,
il a obtenu l’approbation de Sathya Sai. Ces dévots sevadals, comme on les appelle,
acceptent un programme dévotionnel et de service social minimum qui, s’il est
sincèrement suivi, leur permet de participer à la gestion du campus, quand vient le
tour de l’Organisation de leur Etat particulier. Celui-ci attribue parfois des tâches
ennuyeuses et subalternes aux volontaires ainsi que celle plus ardue de contrôler la
foule, mais leur offre aussi le rare privilège d’avoir la garantie du darshan de Sathya
Sai et de ses bénédictions à la fin. Cet arrangement convient particulièrement aux
dévots pauvres qui autrement ne pourraient pas se permettre de passer une période
prolongée à Puttaparthi.
Sai avec un groupe de sevadals
Parce que l’unique but de Sai est d’éveiller l’amour, il se soucie plus que son
enseignement soit absorbé par le cœur que par la tête. Analyser l’amour et vous le
tuez. Le problème que l’on rencontre si l’on désire exprimer la plénitude de
l’enseignement de l’amour en anglais réside dans son manque de vocabulaire spirituel
frustrant. Nous ne trouvons nulle part aucun signe d’une conscience saxonne qu’un
homme est réel en dehors de son corps. L’idée d’une âme individuelle est respectée
mais, apparemment considérée comme hors de propos dans les affaires courantes, elle
n’est pas suivie jusqu’à son aboutissement logique. Ceci nous laisse avec l’emploi
maladroit de ‘’soi’’, qui est un des mots les plus mal considérés de tout le lexique.
L’expression à la mode ‘’réalisation de soi’’ évoque des exercices atroces pour quelque
chose d’aussi simple que le yoga. Comment transmet-on le mystère de l’être mystique
invisible au cœur de l’univers ? Comment relie-t-on cette vision cosmique à la flamme
115
immortelle du Soi à l’intérieur de notre propre cœur ? Le terme ‘’Conscience’’ pose un
tel défi à l’Anglais qu’il se propose rarement d’y réfléchir. Même le mot ‘’Dieu’’ est une
tâche redoutable qu’il vaut mieux réserver pour le dimanche matin, quand
traditionnellement, il n’est pas possible de Lui échapper !
***
Une question à laquelle est confronté un étudiant en religion qui étudie Sathya Sai est
celle de l’avatarité qui, bien qu’essentielle dans la doctrine chrétienne, est
fondamentalement un concept hindou. La question doit être abordée puisque, comme
cela a déjà été dit, de nombreux disciples considèrent la Sai Parampara comme une
manifestation du principe avatarique. Cette étude suggère que Sri Sathya Sai n’a pas
d’égal (dont l’auteur est conscient) dans toutes l’histoire de la religion, quand il s’agit
de combiner une vie simple ainsi qu’un rayonnement phénoménal et soutenu d’une
aura spirituelle qui s’est à son tour traduite par toute une gamme de bonnes œuvres.
Ici, pour la première fois sur la terre, nous avons, semble-t-il, la perspective excitante
d’une manifestation de ce qui est véritablement divin, pas homme et Esprit en parts
théoriquement égales, mais toutes deux pleinement incarnées pour révéler le mystère
ultime de la vie, la nature réelle de l’amour. Tout au long de l’Histoire, nous n’avons eu
que la parole des prophètes, des maîtres et des messagers concernant la manière dont
Dieu en tant que pur Esprit est censé se conduire. Le Bouddha et Mahavir obtinrent
l’équivalent du statut divin au moyen de la pénitence, alors que Jésus semble bénéficier
du statut divin rétrospectivement, la divinité lui ayant été conférée par une succession
de conciles de l’Eglise. Shirdi Sai ne fut pas vénéré en tant que divinité jusqu’à
quelques années après son décès, alors que Sathya Sai a été considéré comme la
divinité incarnée depuis l’âge de quatorze ans. (Certains dévots voient une importance
spéciale dans le fait que deux jours avant la naissance de Sathya Sai, Sri Aurobindo
avait interrompu un vœu prolongé de silence pour annoncer la naissance d’un pouvoir
infaillible qui attiserait le feu immortel dans les cœurs terrestres et dont la voix serait
entendue par la multitude.)
La doctrine vishnouite traditionnelle soutient que dix Avatars (qui varient selon la
tradition locale) sont prédits, le plus complet d’entre eux étant Krishna qui répond aux
seize attributs qui marquent la descente divine parfaite. Selon le Dr Gokak (In Defence
of Jesus Christ and Other Avatars, 1979), d’autres sectes qui incluent les shivaïtes
proposent également des Avatars qui diffèrent en pouvoir et en présence. Par exemple,
le terme de référence concernant un Avatar moins doté est ‘’Vibhuti’’ et des âmes de
grande réalisation comme Shankaracharya et Vivekananda peuvent être assimilés à cela
(selon Sri Aurobindo).
Le seul problème avec le statut d’Avatar, c’est qu’il limite Sathya Sai à un concept
sectaire de la divinité, alors que pour la majorité des dévots, ses attributs divins
semblent être d’une application universelle. Cette personne se situe au-dessus et audelà de toute doctrine et comme l’Atman, bien que plus proche de nous que notre
propre cœur, elle est au-delà de toute définition ou de toute description. Les gens qui
limitent Baba au rôle d’Avatar prennent peut-être l’option facile qui ferme l’esprit à
116
des merveilles encore plus grandes que cette personne incarne. Si, comme cela semble
probable à l’occasion, Sathya Sai incarne la nature même du divin, l’appeler Avatar,
c’est confondre le doigt qui indique la lune avec la lune elle-même. Ce qu’il m’apparaît,
c’est que nous avons en Sri Sathya Sai Baba l’Âme universelle sous un vêtement
hindou, l’effulgence totale de l’amour divin concentrée dans un modeste villageois de
l’Andhra.
Il a fallu aux chrétiens des siècles
d’argumentations rancunières
avant que des hommes d’église
sophistiqués ne puissent arriver
à une formule qui décrit la
grandeur de l’être du Christ.
L’Eglise s’efforça d’élaborer une
solution de compromis pour
expliquer un mystère délicat et
ne put trouver qu’une formule
sans amour qui contenta les plus
méticuleux des intellectuels
pinailleurs : ‘’Le Fils de Dieu est
consubstantiel au Père dans la
divinité ainsi qu’à nous dans
l’humanité, la caractéristique
distinctive de chaque personne
étant préservée.’’ Durant les
mille années qui suivirent, la
chrétienté fut terrorisée pour la
forcer à suivre cette ligne
doctrinale. L’alternative était la
mort – pour le bien de l’âme. La
liberté de pensée upanishadique
était impensable en de telles
circonstances. Comparez cette
évaluation tardive et discutable
avec la reconnaissance
immédiate de la divinité des
paysans du Rayalseema. Sûrs de
leurs propres intuitions spirituelles, ils honorèrent totalement et immédiatement leur
jeune prophète dans son propre pays. Ce témoignage remarquable du discernement du
villageois du Deccan est invariablement négligé dans l’histoire de la religion.
Sathya Sai a expliqué clairement quel était l’objectif d’un Avatar : ‘’Protéger le dharma,
ses dévots, les Védas et ceux qui les récitent.’’ Ce programme traditionnel formulé en
termes orthodoxes remonte clairement au début de sa mission. Deux générations plus
tard, la structure à sept niveaux du Chaitanya Jyoti révèle symboliquement comment le
concept de l’Avatar a évolué du traditionnel à l’universel. A présent, l’invincible
écoulement d’amour de Sai se révèle dans la Chaitanya (la Conscience) qui est le
117
moteur du jeu divin du cosmos. C’est pourquoi, au sommet d’un stupa commémoratif
chinois, il n’y a pas de sphère qui représente le monde, mais un ovale en équilibre sur
un doigt qui indique le sentiment d’émerveillement de tous ceux qui regardent le ciel
avec ravissement en contemplant la gloire de son grand architecte.
D’après la tradition hindoue (particulièrement dans la tradition vishnouite), il y a six
qualités qui sont reconnaissables chez un Avatar complet : la splendeur, la beauté, la
richesse, la sagesse, la renommée et le détachement. Les fidèles de Puttaparthi sont
fiers de revendiquer pour leur Swami un autre attribut moderne et parlent de lui
comme de ‘’l’Avatar scientifique’’. C’est parce qu’il recommande aux gens d’examiner et
d’expérimenter par eux-mêmes au lieu d’accepter n’importe quel maître ou n’importe
quel message aveuglément. Si les Avatars du nord sont représentés comme souverains
de Dwarka et d’Ayodhya, l’Avatar Sai du sud est seigneur du témoin intérieur, un
modèle de grâce spirituelle plutôt que de pouvoir royal. Alors que Krishna est décrit
dans l’Inde du nord comme l’aurige qui prodigue la connaissance difficile de l’âme
humaine, dans le Deccan, il se tient comme un paysan, comme à Pandharpur où il
honore sous la forme de Vitthal le dharma des mortels ordinaires et où il est
disponible pour le plus petit des dévots qui a de l’amour dans son cœur. Pouvons-nous
déceler dans ces différents accents le fonctionnement de l’ancienne lutte nord-sud pour
la suprématie culturelle ? Shirdi Sai et Sathya Sai semblent se tenir à mi-chemin,
s’efforçant de réconcilier ces tendances orthodoxes et protestantes, ne cédant pas en ce
qui concerne leur droit divin de rester avec l’ordinaire, quels que soient les efforts de
la hiérarchie établie pour les faire entrer dans leur panthéon. Le professeur Kasturi a
habilement commenté que Sathya Sai est le seul Avatar ayant une ‘’dimension sans
horizon qui incarne la libéralité spontanée de la grâce et la compassion
inconditionnelle pour le sot et celui qui tâtonne’’.
Physiquement, Sathya Sai possède la constitution mince, mais solide du paysan du sud
de l’Inde. Mesurant à peine 1,50 m, sa présence est visiblement accentuée par la grâce
de son maintien. De taille fine en raison d’un régime sobre de toute une vie, ses
épaules sont puissantes et suggèrent même la présence numineuse d’ailes psychiques.
Cette charge d’énergie psychique se voit dans son regard ainsi que dans la fluidité de
ses lèvres. C’est presque comme si sa forme physique était mue par une grâce interne
qu’il est obligé de contenir. Les yeux sont doux et compatissants, mais au-dessus, un
pli de peau entre les sourcils suggère un pouvoir caché que la tradition associe au
troisième œil. Il y a un grain de beauté bien visible sur sa joue gauche. Les traits du
visage sont du style local, mais les yeux sont infinis. Ils arborent souvent un regard
doux et lointain. Tendrement maternels, l’instant d’après ils peuvent lancer des éclairs,
aussi beaux et imprévisibles que le temps dans les hautes montagnes de Shivalaya.
Comme tous les maîtres, il cherche le motif caché et ceci requiert un regard pénétrant
qui peut être déconcertant pour de nombreux cœurs humains. Un geste caractéristique
de la main qui accompagne cette expression irréelle, c’est d’écrire avec un doigt dans
l’éther comme pour signifier que notre destinée a déjà été écrite. Une autre
caractéristique, quand il se déplace quotidiennement devant la foule, c’est de s’éponger
les mains et le visage avec des mouchoirs blancs en coton dont le stock est reconstitué
en permanence par ses serviteurs, un signe de l’élément psychique actif qui est à
l’œuvre à travers lui.
118
L’impact psychique de Sathya Sai est si fascinant que les détails physiques tentent à
s’estomper. Pour certains, son teint est doré comme le soleil, alors que pour d’autres, il
a la qualité de la couleur sacrée arborée par d’autres Avatars, une nuance bleuâtre qui
indique l’infini. (En enfilant un japamala, le dévot évitera d’employer cette couleur qui
est réservée au divin.) Quand il marche, Sathya Sai est la personnification de la grâce.
Ses pieds transmettent par eux-mêmes son message d’honorer les choses simples de la
terre et de devenir un avec tout ce qui vous entoure. La religion occidentale a perdu
l’étrange alchimie que le pied humain peut évoquer. L’inde l’a préservée et est
consciente que le pied peut être le moyen par lequel la grâce peut s’écouler. Les
Occidentaux qui visitent l’Inde remarquent immédiatement le contraste entre la
démarche pesante de leurs dames et le déplacement de gazelle des Asiatiques. La grâce
est essentiellement une qualité féminine et la présence physique de Sathya Sai révèle
cet aspect léger en plus d’un air magistral, quand il marche.
119
120
La coupe de cheveux caractéristique qui
couronne (nettement moins maintenant qu’il
a presque 80 ans) son visage est une
adaptation à la tendance locale aux cheveux
frisés. D’anciennes photographies montrent
différentes coupes. Lorsque Rani Ma rencontra
pour la première fois Sathya Sai, il se pencha
et il anticipa sa question en disant : ‘’Ce sont
des vrais. Tu peux tirer dessus.’’ Prasanthi
Nilayam est probablement unique pour
l’insistance de son Maître sur le fait que les
dévots soient en tout temps fraîchement
baignés et d’une mise propre dans une tenue
simple, mais immaculée. C’est pour honorer
l’Esprit intérieur qui à l’inverse de ce que l’on
pense conventionnellement n’est pas
indifférent à notre apparence. Sathya Sai a
appris la valeur de la discipline militaire pour
soutenir les dévots dans leur vocation. La
routine de l’ashram peut ne pas paraître
physiquement dure, mais elle peut être éprouvante pour ceux qui sont habitués à des
habitudes laxistes.
Baba a réduit son propre confort à un strict minimum. Ses quartiers minuscules reliés
au mandir où il vivait jusqu’à l’attaque meurtrière de 1993 ne contiennent qu’un lit et
une table. La table sera jonchée de lettres de dévots, chacune d’elle méritant son
attention, bien qu’il est dit que Sathya Sai puisse sélectionner celles qui nécessitent son
intervention immédiate.
La routine quotidienne de Sathya Sai est un livre ouvert et elle a à peine changé en
plus d’un demi-siècle. Tout comme Shirdi Baba, il n’a aucun bien personnel. Le
Bouddha et le Christ ne possédaient rien et au moment du décès de mon gourou, Sri
Krishna Prem, ses possessions matérielles se limitaient à quelques robes de sannyasin
de rechange. Néanmoins, même s’il ne possède rien, Sathya Sai gère des fonds dont
beaucoup de millionnaires peuvent à peine rêver. Son trésor, ce sont ses dévots pour
qui il est toujours disponible. Cependant, avec l’augmentation des foules, les problèmes
de sécurité sont arrivés et le contact physique se réduit chaque année, à l’exception des
darshans quotidiens.
Sa journée commence à 3 heures, lorsque après son bain et s’être rasé (à l’aide de
gadgets modernes), il se connecte à l’Esprit, plongeant dans la conscience du Soi. A
6h30, il apparaît pour le darshan, après être revenu à la manifestation extérieure de
maya. La magie de sa présence illustre une partie du sens de maya que l’on traduit
généralement par ‘’illusion’’. Maya signifie aussi ‘’limité’’ et suggère un aperçu d’un
motif exquis d’une tapisserie déroulée. C’est le rôle d’un Avatar, révéler dans l’espace
restreint d’un corps humain la grandeur cosmique de l’Esprit formateur de la vie.
121
Le darshan est presque toujours suivi par les bhajans. Chanter ce qu’on nomme des
hymnes en anglais ne rend pas justice aux sentiments d’amour qui imprègnent ces
chants. Les foules s’unissent à leur Maître dans le chant et il les dirige souvent avec ce
qui semble être une oreille professionnelle. Traditionnellement, on attache beaucoup
d’importance aux bhajans dans la tradition de la bhakti, car c’est le moyen du pauvre
pour contacter Dieu directement sans l’intermédiaire du prêtre. Pendant les fêtes,
Puttaparthi vit à l’heure des ‘’akhanda bhajans’’ : on chante des bhajans non-stop
pendant toute la nuit et ces occasions suscitent une frénésie de dévotion. Sathya Sai
veille à superviser ces énergies, de sorte qu’elles ne dégénèrent pas.
Pendant les bhajans, Sathya Sai choisit des individus, apparemment au hasard, pour un
entretien. Parfois, un groupe plus important s’entasse dans la petite pièce fonctionnelle
du rez-de-chaussée du mandir. Pendant une heure, Baba communique en toute
simplicité et questionne ses visiteurs, les surprenant souvent par une compréhension
inattendue de ce qui est cher pour eux. A 9h30, il s’interrompt pour son repas
principal de la journée qui est préparé par sa famille dans le village et qui
s’accompagne de plats réalisés par d’anciens dévots proches. Le repas consiste en cette
institution substantielle du sud de l’Inde, un thali végétarien – un plateau en acier
inoxydable avec des bols ou des compartiments pour une variété de petites portions de
plats différents. Contrairement au thali du nord de l’Inde qui est lourd et huileux, celui
du sud est léger et digeste. Sai Baba mange peu, même de ses plats favoris et il
préfère les goûts locaux en matière de légumes et de chutneys. Sa vie témoigne de sa
maîtrise facile de sa langue et il a renoncé pour des raisons de santé à des denrées
comme les pommes de terre, les feuilles de bétel et le café qu’autrefois il appréciait,
sans faire d’histoires. La discipline stricte qu’il s’est imposée depuis l’enfance lui a
procuré la maîtrise de ses sens.
122
Jusqu’à 11h30, Sathya Sai se repose et dans le silence profite de sa seule activité profane
en parcourant la gazette du matin. Inutile de dire qu’il préfère la presse télougoue.
(Ramana Maharshi lisait aussi quotidiennement son journal, de préférence en tamoul.)
Autrement, son seul accès aux nouvelles profanes se fait par l’intermédiaire de ses
serviteurs. Sathya Sai n’emploie pas de secrétaire et il écrit ses propres lettres et ses
articles pour le Sanathana Sarathi ; il signe des chèques en tant qu’administrateur
principal des fonds de l’ashram et il supervise chaque détail de l’administration
quotidienne de son campus en expansion. A midi et demie, il pourra prendre une
petite collation (idli ou dosa) qui est suivie d’un moment privé et d’une plongée dans
le mode de silence océanique. En Inde, le pays le plus bruyant et le plus tapageur,
Prasanthi Nilayam est comme un havre de paix bienheureuse. Le darshan est
pareillement une excursion mémorable dans un silence absolu où ne sont audibles que
la respiration et le bruissement des ailes des pigeons.
A quinze heures, les files des dévots attendent fiévreusement et lors du darshan de
l’après-midi, Sathya Sai se mêle aux dévots et accorde spécialement du temps à ses
étudiants. Il peut prendre des lettres, distribuer des présents ou se détendre en
écoutant un récital de musique. Il peut s’agir de musique classique carnatique ou de
jazz dixieland, par exemple, et tous deux trouvent une oreille complaisante chez ce
maître universel de l’harmonie. Ensuite, on chante les bhajans à 17h30. Puis Sathya Sai
se retire pour faire de l’exercice, généralement une marche à allure rapide avant de
prendre son léger repas du soir constitué de chapatis et de sabji préparés par ses
cuisiniers. Ensuite à 18h30, il se retire en privé, mais pour travailler. D’autres lettres
attendent et chacune d’elles sera examinée. Il y en a tellement qu’il faut avoir recours à
la déchiqueteuse à la fin de la journée pour faire de la place pour l’arrivage du
lendemain.
123
Pour le dévot, le clou du darshan, c’est peut-être d’avoir vu Baba craquer une
allumette pour allumer une lampe destinée à la puja ou l’avoir vu briser une noix de
coco. Quelle profondeur de grâce élégante Sathya Sai apporte à ces actes naturels
empreints de symbolisme ! Certains peuvent se rappeler l’odeur de la vibhuti ou même
de parfum qui, dans la tradition de Shirdi Baba, réjouit le saint de Puttaparthi. La
grâce, en tant qu’événement physique, est manifestée chaque fois que Baba est présent.
Ses visites impromptues à l’une de ses institutions, chez un disciple malade ou chez un
membre de sa famille peuvent déclencher une vague de bénédictions qui semble
toucher tout le voisinage. Les mots magiques ‘’Sai Baba est venu’’ n’ont qu’à être
chuchotés pour se répandre comme une traînée de poudre : les foules sont attirées en
sa présence et chacun abandonne ce qu’il était en train de faire.
***
124
Sai Baba est venu ouvrir le troisième œil de l’amour et sa présence physique possède la
grâce inhérente pour susciter la compréhension de tels mystères. Bien que taillé dans
un moule d’une douce féminité, son humeur est pleine d’assurance. La grâce n’est pas
accordée à ceux qui ne la méritent pas. Le divin sous forme humaine est un paradoxe
et, pour insister sur ses possibilités déroutantes, Sai Baba peut dire à ses dévots : ‘’Je
suis votre propriété, Je n’ai aucun droit.’’ Pour un chercheur, l’expérience de
Puttaparthi passe de la concentration extérieure sur une seule personne à la lutte
interne pour établir la vérité de cette présence immortelle à l’intérieur. La bataille
contre le mental qui doute se livre et se perd cent fois par jour − pour n’être
remportée que brièvement pendant le darshan. Mais petit à petit, l’océan d’amour
reconquiert le rivage submergé des doutes du dévot. Le conflit des marées continuera,
mais un jour, le dévot découvre un terrain solide sous ses pieds. Les vagues continuent
de déferler sur lui, mais il n’est plus emporté.
La réalisation survient que Sathya Sai ne peut être reconnu comme divin qu’en raison
de la propre capacité du dévot à atteindre cet état. L’idée que Sai Baba est un Avatar
reste une théorie jusqu’à ce qu’il nous apparaisse que chaque être est un Avatar en
cours de fabrication. Nisargadatta Maharaj déclare succinctement (dans ‘’Je Suis Cela’’)
que chacun d’entre nous est Dieu, bien que nous ne le sachions pas. Nous souffrons à
cause de cette ignorance de notre être réel. La tâche intérieure, c’est de réajuster notre
perception et de réaliser, quelle que soit l’improbabilité de la chose, qu’il n’y a pas de
différence entre Sai Baba et nous-mêmes. Les deux Sai Baba illustrent l’évolution de
l’âme humaine à un niveau où elle a transcendé les exigences de désir physique, sans
renier sa place dans le projet des choses. Leurs vies (avec celles d’autres saints qui ont
montré des voies différentes) démontrent la réalisation d’un état ineffable au-delà
d’étiquettes comme Avatar qui les limitent à des normes religieuses sectaires. La
présence de Shirdi Baba évoque plus que l’islam officiel tout comme le cadre extérieur
de Sathya Sai qui semble lourdement insister sur l’hindouisme cache le fait que son
être dépasse largement l’hindouisme conventionnel – ou tout autre ‘’isme’’.
125
CHAPITRE 11 : ROUTINE QUOTIDIENNE ET TÂCHES
COURANTES
Pour celui qui est confiné à une existence urbaine, même une excursion d’un jour de
Bangalore à Puttaparthi remontera le moral. La nature se rencontre à son propre
tempo, les chars à bœufs grinçants remplaçant les véhicules diesel fumants. La grâce
saine d’un ordre naturel et neuf restaure le rythme intérieur, quand le bus vous
dépose aux portes de l’ashram. Prasanthi Nilayam se situe en bordure du village de
Puttaparthi à une altitude un peu plus élevée à l’écart de la rivière.
Celui qui a fait un séjour prolongé à Puttaparthi apprend à quel point le village reste
essentiellement arriéré. Il y a quelques années à peine, on devait aller jusqu’à Bangalore
pour acheter des articles comme un clou en acier (pour faire tenir une photographie
de Sai sur un mur en ciment) ou une petite clé (pour dévisser la tête d’un robinet).
Les rues du village, bien qu’égayées par des façades modernes en ciment décorées de
couleurs vives, restent primitives, quand il s’agit de trouver des articles de confort. La
pauvreté et l’arriération restent le lot de la majorité, bien que beaucoup de villageois
soient maintenant au seuil de revenus inimaginables pour leurs parents. Ils ont vendu
au prix fort leurs parcelles de terrain à des promoteurs immobiliers et le profil de la
rue principale du village qui voyait s’aligner une série de stands branlants est
maintenant constitué de tours d’appartements luxueux.
Les deux niveaux économiques que l’on retrouve à l’intérieur et à l’extérieur de
l’ashram ne sont pas ouvertement hostiles envers l’autre, grâce à la présence
conciliante de Sathya Sai. S’il avait été un étranger venu s’installer ici, il y aurait eu
une guerre non déclarée entre les gens du pays et les ashramites (comme à Pondichéry
et à Pune, par exemple). Parce que ce garçon du pays a apporté l’honneur et des
avantages à son village, il est adoré autant par ses voisins pauvres que par des gens
plus riches qui viennent de loin pour recevoir ses bénédictions. Ceci explique pourquoi
Sathya Sai qui prêche depuis deux générations dans une région infestée de naxalites et
qui fait régulièrement le trajet de quelque 150 km entre Puttaparthi et Bangalore par
des routes en mauvais état (jusqu’il y a peu) n’a jamais été ennuyé par des hors-la-loi.
126
En fait, les préoccupations sociales de Sai sont manifestes dans les multiples centres de
formation professionnelle qu’il a ouverts pour diminuer le chômage rural chronique.
Chez Sai Baba, il est caractéristique que même dans le tourbillon de la visite d’une VIP,
il trouvera du temps pour remettre un cadeau au chauffeur d’un dignitaire. Les
pauvres remarquent de tels actes et ils ne se laissent pas abuser par les histoires selon
lesquelles Baba ne s’intéresse qu’aux dévots riches. Quoique les vastes Poornachandra
et Sai Kulwant Halls furent donnés par de riches industriels, ils permettent aux simples
villageois de participer aux activités de l’ashram en étant protégés des éléments.
Bien que les institutions de Baba s’étalent maintenant sur plusieurs kilomètres, le vieux
centre reste inchangé et ses quartiers ne sont qu’à un jet de pierre de la porte de
Ganesh. Pendant de longues années, Ganesh fut la seule déité présente sur le campus
de Puttaparthi, mais récemment des sanctuaires ont été construits pour Subramaniam
et Gayatri. Ceux-ci doivent être les seuls sanctuaires dans toute l’Inde qui ont été
conçus pour empêcher les offrandes. En dehors de l’ashram, des cyniques font
remarquer qu’une raison notable de l’augmentation des temples consacrés aux saints
Sai est que le retour financier est à la fois généreux et immédiat. Vous entendez que
même dans une petite ville de province, on récolte des dons publics pour un montant
de cinquante mille roupies par jour. Plutôt que d’affaiblir l’argument de l’augmentation
de sentiments collectifs authentiques, ces statistiques les renforcent puisque les
offrandes ne sont pas sollicitées, mais faites librement et avec enthousiasme par un
échantillon représentatif de la communauté. Les images de Sai Baba ont captivé
l’imagination du public et l’affection humaine en matière de dévotion est une des rares
constantes qui défie le monde des modes éphémères.
Autour de la résidence sobre de Baba, des blocs d’appartements du genre caserne ont
été construits pour les dévots dans les années 1970. Leur livrée rose et bleue égaye ces
premiers bâtiments utilitaires. Plus tard, les blocs construits pour des adeptes plus
riches ont été mieux conçus et séparés par des arbres et par des jardins. Ces
appartements (loués par Baba à des dévots choisis) qui ont fait de Prasanthi une
commune, distinguent Puttaparthi de Shirdi. En raison de la présence du Maître
vivant, les dévots font de plus longs séjours à Puttaparthi. Chaque petit appartement
possède son espace cuisine et salle de bain derrière la pièce principale (living et
chambre à coucher) qui donne sur une véranda qui accueille le surplus de dévots en
période de fêtes. Puttaparthi est aussi austère et aussi pieuse dans son mode de vie
que l’est Sathya Sai.
Lorsque le règlement de l’ashram parut pour la première fois en 1962, la journée de
l’ashram débutait à 4 heures et finissait à 22 heures. (Actuellement, l’extinction des
feux est à 21 heures.) Il recommande à chacun de ‘’parler avec douceur et gentillesse’’
et met en garde contre toute offrande ‘’excepté prema’’ (l’amour). Sathya Sai était
devenu tellement populaire dans le sud qu’un an plus tard, le Sanathana Sarathi fut
forcé de publier un avertissement de Baba contre des escrocs qui profitaient de son
nom pour récolter des fonds : ‘’Certaines filous ont eu l’audace d’imprimer des en-
têtes avec le nom de Baba et d’envoyer des lettres, comme si elles avaient été écrites
par lui, lettres qui demandaient aux bhaktas de verser de l’argent aux personnes
mentionnées dans la lettre, à savoir eux-mêmes.’’ Pour beaucoup, la découverte de leur
127
dimension spirituelle grâce à un contact soudain et inattendu avec Sathya Sai se fait
avec peu de compréhension de la réalité du royaume psychique. Ne sachant rien des
mondes autres que l’état de veille, ces nouveaux-venus aux pieds du Maître de
Puttaparthi constituent des proies faciles pour les filous rusés qui rôdent dans l’ombre
de Sathya Sai et qui prétendent avoir reçu de lui des pouvoirs spéciaux.
Incroyablement, même les plus réalistes des hommes d’affaires peuvent se faire piéger
par les services onctueux de ces arnaqueurs en raison de leur méconnaissance du
milieu spirituel. Le bazar à l’extérieur de l’ashram est devenu une destination favorite
des hippies avec ses vendeurs de tapis du Cachemire, ses nettoyeurs d’oreilles d’Uttar
Pradesh et ses boulangers allemands de Manali. La corruption qui s’est étendue à
partir des plages de Goa s’est introduite à Puttaparthi, parce que beaucoup de
disciples étrangers sont riches et sots et constituent des cibles auxquelles aucun
racoleur de touristes ne peut résister. Il est difficile pour les nouveaux adhérents
d’accepter la règle de l’éthique protestante de la Sai Parampara : pas de prêtre ni
d’intermédiaire entre le Maître et son disciple. Il y a un contact direct sur plusieurs
plans et à moins que cela ne soit spécifiquement déclaré, les instructions transmises
sont strictement réservées à l’usage privé du dévot. Puttaparthi possède son lot de
disciples qui, par suffisance, propagent des informations qui ne furent confiées que
pour la seule croissance de leurs âmes. Dans l’étude de toute biographie des Maîtres
du Deccan, il est essentiel de vérifier si l’information révélée émane d’une autorité
objective ou d’un enthousiaste.
Une journée à l’ashram débute à 5 heures pour le visiteur avec la récitation du aum
dans le ‘’temple’’. Cependant, tout le monde n’a pas la permission d’y prendre part.
L’atmosphère vibrante du petit matin est rendue plus angoissante par des volontaires
résolus qui, comme des préfets d’école, supervisent les lignes et se précipitent sur tout
articulateur de la syllabe sacrée (répétée 21 fois) dont la voix n’est pas à la hauteur de
la musique de circonstance. Ces anciens dévots qui préservent les standards stricts de
la pratique de l’ashram se seront levés beaucoup plus tôt. Après l’accomplissement de
leurs ablutions corporelles et de leur puja domestique, ils iront dans l’air frais du
plateau rendre hommage à Ganesh avant de prendre leurs fonctions dans le hall de
prière. Pour leur Maître, Sathya Sai, la journée a commencé beaucoup plus tôt.
Comme pour Shirdi Baba avant lui, le sommeil ne semble pas être une priorité et
repos du corps semble mieux décrire la manière dont les heures de la nuit se passent.
Après la récitation du aum vient le rite (du sud de l’Inde) du suprabhatam, le réveil
mélodieux des dieux qui est suivi du chant des Védas pour purifier le lieu. En
prolongement de ces rites, les dévots se rassemblent afin de marcher autour du
campus de l’ashram pour le nagar sankirtan, le chant de bhajans pour induire des
pensées de Dieu dans les rues désertes et bénir ceux qui les emprunteront. Le nagar
sankirtan accompagne généralement le concert matinal de la prodigieuse population
d’oiseaux de Prasanthi Nilayam qui quittent le sanctuaire Sai pour aller se nourrir dans
les champs des environs. Des réverbérations du aum étouffées par les murs du temple,
l’oreille du dévot est ainsi conduite à l’expression d’hymnes chantés par les humains et
par les oiseaux. Le nagar sankirtan est dirigé par un groupe de brahmanes qui
chantent des slokas sanscrits auspicieux et est un signe en direction de l’orthodoxie.
Toutefois, ceci est l’unique signe de reconnaissance de la dignité présidente des deux
128
fois nés. Le reste de la journée, l’ashram suit son logo en honorant le message de
toutes les religions et en reconnaissant en Sathya Sai, non pas un prêtre sectaire, mais
Dieu apparu sous forme humaine.
Mais que contemple-t-il donc ? Regardez-bien, à droite de la photo !
Inspiré par le darshan du matin qui a lieu vers 6h30, le dévot est rechargé pour
accomplir du ‘’seva’’ (des bonnes œuvres) pour l’amélioration du monde. Pour le
visiteur, le darshan semble être une attente dénuée d’intérêt et stressante à la fois
pour le corps et pour l’esprit, forcé que l’on est de demeurer dans une position
inhabituelle de vigilance. Dans ces circonstances épouvantes où une heure ou plus peut
se passer assis inconfortablement sur des dalles en attendant l’arrivée de Sathya Sai, il
semble que les philosophes se soient trompés sur le fait que la liberté soit l’instinct qui
définit l’humanité. L’agitation semble être un candidat beaucoup plus probable. Pour
ajouter à l’irritation qui augmente, suite à trop d’activité mentale et trop peu d’activité
physique, il y a le comportement de nos voisins qui bougent subtilement par petites
touches pour tenter d’obtenir une meilleure vue en évinçant ceux qui sont devant. La
bonhomie veut qu’une condamnation soit sous-entendue plutôt qu’exprimée, mais il
arrive qu’une personne qui a attendu longtemps pour s’assurer d’une place devant
explose, lorsqu’à la toute dernière minute, quelqu’un tente de s’installer devant et
bouche la vue.
Il y a vingt ans, le darshan se donnait
au même endroit, à ciel ouvert. Avant
que le mandir ne soit rénové et que la
surface sablonneuse ne soit remplacée
par d’impitoyables dalles de pierre, il y
avait des palmiers contre lesquels on
pouvait appuyer son dos. Une
atmosphère détendue imprégnait tout
le processus et le dévot était libre
d’apporter son sac avec ses livres, son
appareil photo et, capital pour les
129
fesses des citadins, un coussin bien rembourré. Autrement, la routine était fort
semblable à ce qu’elle est aujourd’hui. Si vous vouliez un bon siège, vous deviez vous
mettre tôt dans les files. Baba était plus accessible en ce sens qu’il n’y avait pas encore
de campus universitaire et qu’il était l’unique figure qui arpentait la véranda. Il pouvait
faire très chaud ou très humide et les dévots excentriques qui insistaient pour s’asseoir
dehors dans de telles conditions extrêmes étaient récompensés par le darshan
personnel de Baba…mais pas comme ils l’espéraient. Baba leur faisait signe de l’étage
de la véranda pour leur indiquer qu’ils étaient toqués et qu’ils feraient mieux de
disparaître ! C’était fait tellement affectueusement que cela ne supposait aucune
critique. Ils savaient que seul leur bien-être physique le préoccupait.
Au fil des ans, le Sai Kulwant Hall a augmenté en taille et en opulence et il plaît
beaucoup au simple villageois, comme signe de virya et d’aishvariya – la splendeur et
la richesse inépuisable que l’on associe à un Avatar. Pour les vieux dévots, les palmiers
qui ondulaient étaient préférables au plafond moulé richement orné actuel auquel est
suspendue une myriade de lustres scintillants. Cette enceinte extraordinaire peut
contenir jusqu’à 40 000 dévots. A côté, nous avons l’amphithéâtre Poornachandra pour
les spectacles culturels qui accueille confortablement 10 000 personnes. Les fêtes
religieuses régionales sont célébrées dans ces espaces publics et pendant Dasara, on
accomplit les rituels védiques avec un respect méticuleux de la pratique ancienne.
Le Sai Kulwant Hall, théâtre d’un yagna (à l’avant-plan)
Le Poornachandra Hall, qui jouxte le Sai Kulwant Hall
Il paraît étrange qu’en période creuse, il y a pour le darshan plus de 10 000 personnes
qui ont toutes leurs yeux rivés sur l’arrivée d’une petite silhouette mince qui apparaît
maintenant comme une flamme glissant le long d’un tapis rouge. Chacun aura son
instinct confirmé selon sa perception de la divinité. Pour certains, il n’est qu’un
villageois insignifiant aux cheveux frisé vêtu comme un saint homme, de taille
décevante et juste capable de produire une poignée de cendres miraculeuses. Pour
130
d’autres, il apparaît dans des nuées glorieuses indiquant une énergie cosmique
supérieure à mille soleils, comme sauveur des trois mondes et homme né pour régner
sur le royaume du cœur humain. A présent qu’un handicap physique l’oblige à
emprunter un véhicule, réduit ses mouvements et fait en sorte qu’il reste beaucoup
moins longtemps, on peut constater que la foule qui autrefois attendait après le
darshan la fin des bhajans se dispersera tout de suite, dès que la voiture de Baba
disparaît, montrant par là qu’elle préfère son aura personnelle au rite religieux.
L’aura, le magnétisme et les pouvoirs psychiques de Sai ne sont pas altérés par son
handicap physique qui semble faire partir du rôle qu’il s’est lui-même attribué…
Au fil des ans, l’impact du darshan de Sathya Sai commence à avoir un effet durable.
Le processus rappelle l’art alchimique de transmuter le plomb en or. La plupart des
anciens dévots ont appris à considérer la capacité de Sathya Sai à les transformer de
mortels ordinaires en quelque chose d’infiniment plus significatif, comme le plus grand
miracle. Et c’est par le darshan répété que ce miracle se réalise lentement. Ceux qui
sont indifférents à l’aura gracieuse de Sai se coupent de ses bénéfices, alors que ceux
qui recherchent ses bénédictions en s’ouvrant à ce qu’il est venu donner sont
généreusement récompensés. Pour certains, ce qu’il y a de plus satisfaisant à propos
du darshan, c’est de contempler la réalité physique d’un garçon du pays qui, grâce à
une discipline auto-imposée, marche avec assurance parmi ses frères villageois et est
accepté par eux comme un modèle de leurs idéaux. Dieu et le surnaturel passent après
la fierté locale d’avoir engendré dans le Rayalseema – une des régions les plus pauvres
de l’Inde – cette merveille de l’Esprit.
Entre l’heure du darshan et le chant des
bhajans, ceux qui le désirent feront la
file pour obtenir une place dans le
temple où l’arati sera exécuté, non pas
pour les dieux, mais pour le gourou en
apothéose des chants. Bien que Sathya
Sai, comme Shirdi Baba, accepte avec
grâce la validité des sentiments
exprimés par les dévots, il s’éloigne
rapidement pour signifier que ce n’est
pas sa forme extérieure que l’on vénère.
Similairement, Sai Baba ne montrera un
131
geste d’occupation symbolique du trône de cérémonie que pour indiquer que son
corps représente l’hôte divin invisible.
Après ces cérémonies, certains dévots pourront chercher une place plus proche de la
zone du darshan que Sathya Sai pourra traverser plus tard. Toutefois, pour la plupart
des appétits normaux – aiguisés par l’air excellent du plateau – les diverses cantines de
l’ashram et de l’extérieur appellent à déjeuner. Après ce léger repas, les dévots
effectuent diverses corvées ménagères, ce qui inclut l’exercice typique de Puttaparthi
d’attirer l’attention d’un dhobi. Porter des vêtements blancs immaculés qui constituent
l’uniforme du campus ne peut se concevoir que par une blanchisserie efficace. Le
volume et la bonne exécution des opérations de blanchissage à Puttaparthi sont
étonnants. Elles s’opèrent de la manière traditionnelle en battant les vêtements contre
des pierres érigées le long de la Chitravati (généralement à sec). Un des nombreux
miracles du lieu que l’on remarque moins, c’est la manière dont ces dhobis illettrés
gardent la trace de centaines de milliers de pièces par jour, chacun grâce à sa marque
d’identification particulière qui la distingue de milliers de sosies. Pour le dhobi,
l’insistance de Sathya Sai sur une tenue modeste et propre est une aubaine.
Sathya Sai entouré par quelques-uns de ses étudiants immaculés !
Pour faciliter ce nettoyage géant, Baba a construit des ghats appropriés et creusé
profondément pour amener l’eau. Pour certains, cette mer de kurtas-pyjamas blancs
immaculés ou de chemises sahariennes et pantalons (le costume préféré des étudiants
des collèges de Baba, avec des manches longues et des pantalons en coutil) propage
l’aura d’une bourgeoisie spirituelle, puisqu’en Inde aucun paysan ne pourra jamais
rêver de porter des vêtements blanchis et repassés, sauf pour des occasions spéciales.
Ceux qui peuvent se permettre un tel luxe (et de changer de vêtements deux fois par
jour) ne sont pas du tout préoccupés par leur image, puisque les normes culturelles de
l’Inde sont respectées et que ces vêtements simples sont idéaux pour le climat de
Puttaparthi et pour s’asseoir par terre. Sitôt que ces visiteurs de l’ashram quitteront
l’enceinte, ils reprendront l’habit du citoyen cultivé. Puttaparthi est pour eux un genre
de vacances de l’âme où les valeurs indiennes traditionnelles sont invoquées pour
132
satisfaire l’homme intérieur et extérieur. La politique, le cricket et la télé sont pour une
fois délibérément laissés chez soi, même si on peut trouver le journal juste en dehors
de l’ashram.
Les cantines de Puttaparthi sont un autre miracle d’organisation limpide. Le secret
derrière leur succès – une nourriture succulente et pas chère − c’est l’intérêt personnel
de Sathya Sai pour le régime quotidien et son insistance à goûter le menu avant
d’octroyer ses bénédictions.
Sai inspecte le contenu des marmites !
A la façon typique du sud de l’Inde, la cantine principale fonctionne efficacement à
l’aide d’ustensiles en acier inoxydable étincelants disposés sur des tables recouvertes de
tablettes de marbre derrière lesquelles peuvent s’asseoir une douzaine de dévots,
chacun sur son tabouret fixé. Des volontaires préparent et servent la nourriture et
celle-ci est offerte en portions généreuses, car généralement l’appétit des villageois est
féroce au moment de la pause. On achète des coupons pour les différents éléments qui
composent le repas dans une baraque à l’extérieur et ceci permet au dîneur de varier
son menu. Des milliers de dévots sont nourris rapidement et hygiéniquement à la
cantine sud-indienne. Pour ceux qui ne sont pas habitués à un régime à base de riz,
d’autres arrangements sont possibles.
La cantine nord-indienne fournit les chapatis, les légumes et le dal que les palais du
Pendjab apprécient. Ici, la clientèle est plus réduite et l’atmosphère est moins agitée. Il
y a aussi la nouveauté d’un buffet, aussi cette cantine constitue un changement
133
agréable après la routine de base riz-sambar-rasam du sud de l’Inde. Une troisième
cantine prépare des repas adaptés aux goûts non épicés des Occidentaux et, bien que
chère, elle offre de bons repas nourrissants, même si elle semble suivre les dernières
modes diététiques. A l’extérieur de l’ashram, il y a d’innombrables petits cafés et
restaurants qui accueillent le visiteur occasionnel qui ne se sent pas trop concerné par
la recommandation de l’ashram de s’en tenir aux cantines officielles où la grâce de Sai
Baba vient en prime avec la nourriture.
Pour ces récidivistes qui trouvent que la nourriture végétarienne constitue un affront
aux droits de leur estomac, une petite enquête dans le voisinage les conduira
rapidement dans une baraque où l’on consomme discrètement de la viande. Malgré la
pression pour désapprouver ces goûts minoritaires, le fait demeure que les pauvres des
villages environnants mangent ce qu’ils peuvent trouver. Le souci spirituel de l’ashram
d’éduquer les villageois s’accompagne d’une compréhension de ces réalités
quotidiennes. Après tout, Sathya Sai a été élevé dans cet environnement et il est
parfaitement au courant de ce qui se passe.
Pour sa propre alimentation, Sathya Sai préfère la nourriture végétarienne locale, mais
ce qu’il prend est si négligeable en quantité que c’en est préoccupant. On dit qu’il
apprécie les boulettes de ragi (une sorte de millet) qui est traditionnellement une
source riche en protéines. Des petites portions de légumes locaux et peut-être
quelques pickles constituent le reste de son repas qui sera peut-être suivi d’un dessert
régional et de feuilles de bétel (auparavant). Des cuisiniers loyaux sensibles à ses goûts
ont parfois l’honneur de l’accompagner pendant ses tournées et même les dames qui
préparent son chutney favori peuvent trouver place dans son entourage. Bien que
134
minime en quantité, la cuisine de Sathya Sai implique une sécurité maximale. Seuls les
dévots les plus anciens et les plus dignes de confiance sont chargés de cette tâche,
rappelant en cela les traditions des cours du Deccan où la fonction de goûteur du roi
était hautement considérée. Il y a plusieurs tentatives d’empoisonnement sur Sathya
Sai qui ont été confirmées et son immunité est interprétée par certains adeptes
comme une preuve de son statut de Neelkantha (le nom de Shiva qui fait référence à
sa capacité de neutraliser les effets du poison).
Contrairement à tant d’ashrams, à Prasanthi, la nourriture et la boisson ne sont pas
considérées comme de tristes nécessités. Sathya Sai se réjouit d’offrir de tels agréments
et quand la mode des glaciers toucha l’Inde dans les années 1980, le campus de
Puttaparthi suivit rapidement Bangalore et Hyderabad en ouvrant un point de vente.
Une série de magasins vit le jour pour les dévots et les étudiants près du centre de
l’ashram, tout près des quartiers de Baba, d’où il pouvait surveiller la joie de ses
disciples. Quelques années plus tard, pour des raisons de sécurité, on construisit un
centre commercial plus éloigné où les dévots peuvent aller déguster une glace ou
prendre un café après le darshan de l’après-midi. Ici, l’ambiance est feutrée, très
différente des cafés de l’extérieur où certains dévots sont tentés de mélanger quête
spirituelle et avantages matériels. C’est sans doute pour les tenir à l’écart de telles
tentations que Sai Baba encourage ses propres dévots à tenir des échoppes qui
satisfont à la majorité des besoins des visiteurs.
Pendant la chaleur de midi, l’ashram arbore un air somnolent. Pour les visiteurs, ce
peut être le temps d’une sieste avant que les files ne se forment vers 14 heures pour le
darshan de 16 heures, mais pour les résidents et les volontaires, leur labeur quotidien
ne leur accorde pas de répit. Prasanthi fonctionne avec un minimum de surveillance et
un maximum de service consciencieux. L’oisiveté est une insulte à la raison d’être ici :
apprendre à mieux servir son prochain. Il est moins question de répartition des tâches
que de vouloir s’y adonner dans un esprit de service. Comme Sai Baba est
perfectionniste, les heures sont longues et les récompenses, en termes de
reconnaissance extérieure, négligeables. Comme dans la majorité des ashrams, les
résidents sont forcés de travailler sur eux-mêmes et en raison des foules immenses, le
contact avec le guru qu’ils servent se réduit chaque année. Ceux qui considèrent
Prasanthi comme un refuge pour des riches oisifs qui peuvent fuir ici le monde réel et
suivre un fantasme spirituel personnel n’ont pas pris la peine d’examiner ce qu’en
pensent les résidents. Plus longtemps ils restent, plus difficile est leur sort, parce que
Sathya Sai, qui est maintenant sûr de leur loyauté, dirige à présent son attention sur
un groupe de nouveaux-venus et apparaît pour les anciens encore plus réticent à
octroyer ses faveurs.
Le darshan de Sathya Sai de l’après-midi apparaîtra comme l’apogée de la routine de
l’ashram en vertu des foules qu’il attire. Les visiteurs affluent par bus et (maintenant)
par train et tous les étudiants des collèges et des écoles des institutions Sai viennent
grossir les rangs du public. Les dévots étrangers viennent souvent par groupes (qui se
distinguent par un foulard de couleur) et beaucoup d’entre eux sont des Indiens nonrésidents. L’attrait de Sathya Sai n’est pas seulement spirituel, mais il s’étend aussi aux
domaines de la culture, de l’enseignement, de la médecine et même de la psychologie.
135
Les adeptes de toutes ces disciplines trouvent en lui un guide plein de fraîcheur, libre
des toiles d’araignée académiques et affranchi de la croyance aveugle selon laquelle la
science occidentale détient toutes les réponses.
Sathya Sai Baba et le Président de l’Inde, A.P.J. Kalam, connu comme ‘’The Missile Man
of India’’ et l’un des scientifiques indiens les plus renommés
Le darshan est un rassemblement coloré, rendu plus intéressant par la diversité de son
attrait. Des gens curieux, dévoués, remplis d’espoir, reconnaissants, en colère,
déprimés, handicapés, comblés, perturbés, désespérés – toute la condition humaine
en fait – se rassemblent et attendent, cherchant à savoir pourquoi la vie les a traités
comme elle l’a fait. Personne ne veut finir comme l’empereur Aurangzeb qui, sur son
lit de mort, avait confessé : ‘’Je suis venu seul et je ne sais pas qui je suis.’’ Pendant ces
quarante dernières années, certains ont été les témoins quotidiens de ce drame de
l’âme humaine qui s’élève pour s’interroger (sous la forme de cette mince figure vêtue
d’orange). Jamais le frisson d’un darshan de Sathya Sai ne lasse, jamais son
rayonnement palpable ne manque de réchauffer. C’est un instant d’amour rare qui
équivaut à se sentir brièvement comme la personne la plus riche de l’univers.
Comme tout le monde, je n’ai jamais manqué de me sentir élevé par la simple vue de
cette incarnation du divin. Il y a ce déroutant courant d’énergie entre lui et ses
disciples qui opère sa magie sur le public. Ce que l’on voit, ce n’est pas seulement un
fils de la terre transfiguré, mais le potentiel de la grâce divine réalisé sous forme
humaine. C’est l’apothéose de ma recherche pour voir en action la grâce. De manière
extraordinaire, elle descend toujours, année après année, comme si Sai Baba raillait les
critiques qui exigent un volume suffisant de preuves statistiques.
136
Personne, à l’exception de ses admirateurs paysans, ne verra que Sathya Sai vêtu en
saint homme. Tous reconnaissent les miracles d’une âme incandescente qui a rendu
universel un corps provincial, réalisant en une seule vie la grâce que la religion
conventionnelle nous enseigne être l’œuvre de plusieurs.
***
137
Etant donné le milieu indien, la manière dont Prasanthi se gère elle-même est
extraordinaire. Les foules gardent le silence et observent les règles qui limitent leurs
démonstrations de dévotion et coopèrent généralement avec les autorités de l’ashram
pour permettre à Sathya Sai de consacrer toute son énergie à sa mission. Depuis le
départ, la tendance démocratique est typique de la mission Sai et à l’époque du vieux
Mandir, il était disponible à toute heure pour s’occuper des besoins de ses disciples.
C’est à partir des rangs de ces dévots que l’organisation des volontaires s’est constituée
en sevadals. L’ashram communique facilement avec la commune de Puttaparthi et pour
savoir à quel point cette dernière dépend de la présence physique de son fils le plus
célèbre, il faut voir son état désert, lorsque Sathya Sai est parti à Whitefield, son
deuxième ashram situé dans la banlieue de Bangalore.
Une grande part de l’atmosphère paisible de Prasanthi est due aux efforts incessants et
discrets des volontaires sevadals de chaque Etat (et de l’étranger) qui supervisent le
contrôle de la foule et la gestion journalière de l’ashram. Ils portent ce que Baba a
appelé ‘’la charge de l’insigne’’ et comme symboles distinctifs, les hommes arborent un
foulard bleu et les femmes un foulard jaune. ‘’Vous obtiendrez plus ma grâce par le
service et par le sacrifice qu’en étant assis au premier rang en approuvant tout ce que
je dis’’, affirme Baba et c’est difficile à mettre en pratique, quand on a voyagé aussi
loin rien que pour le contempler. Sur quelques milliers de travailleurs authentiques, il
y en aura un qui dérogera aux règles et qui laissera entrer subrepticement un parent
pauvre pour vendre à la dérobée des photographies de Sai. De retour chez eux, ces
fantassins de la mission Sai tiennent des réunions hebdomadaires dans leurs localités
où un travail social et éducatif est entrepris bénévolement.
Sevadals actifs dans une institution médicale de Sai (pas de limite d’âge,
ni de retraite !)
138
Ce réseau de succursales Sai s’étend maintenant tout autour du monde et Sathya Sai
est l’équivalent des Nations Unies pour ce qui est du nombre des Etats où il a des
adeptes. A l’inverse d’autres Eglises, aucun de ses adeptes provenant de 150 nations
n’est né dans son mouvement. Tous se sont engagés en réponse à l’amour qu’il
incarne.
A l’occasion, Baba exprimera son
déplaisir aux dévots, tout comme le
faisait Shirdi Baba. Dans un tel contexte
social où les horizons sont
consciemment limités afin d’intensifier
le travail sur soi, le seul exutoire, c’est le
commérage, la création de factions et le
besoin de diaboliser ceux qui agacent.
Autrefois, Sathya Sai accomplissait des
tournées d’inspection du campus et il
n’hésitait pas à faire quelques
remontrances cinglantes à d’anciens
disciples, une grâce à laquelle la plupart
d’entre nous préféreraient renoncer. Il
les accusait de chanter les bhajans
tellement mal qu’il avait envie de mettre
des boules Quies dans ses oreilles. Il
réprimandait certains anciens disciples
pour leurs basses mesquineries
politiciennes et parce qu’ils lui
envoyaient des lettres délatrices suppurant la jalousie envers les nouveaux-venus. Il se
plaignait de la saleté et des détritus à l’extérieur de leurs chambres, si typiques du
souci unique de l’Inde orthodoxe pour la spiritualité. Ils laissaient leur chambre se
délabrer en espérant que Baba s’occuperait des réparations et des travaux de peinture.
Parfois, il menaçait de renvoyer les mauvaises langues et (comme Gurdjieff) de fermer
l’ashram, sauf pour une poignée de travailleurs sincères. Baba dramatisait combien il
faisait pour ses disciples et combien ceux-ci étaient ingrats pour ne pas changer leurs
manières. Qu’ils devaient être mauvais, leur rappelait-il, puisqu’ils forçaient même un
Avatar à utiliser des mots durs.
Il faut ajouter qu’après avoir prononcé ces diatribes, Baba revenait à sa personnalité
compatissante endéans quelques minutes. En ce temps-là, avant que les foules
n’arrivent, il se mêlait aux disciples, visitait les hangars pour s’assurer des conditions
de vie et plaisantait avec chaque personne qu’il croisait. Je me souviens combien Baba
aimait qu’on le prenne en photo et qu’il posait pour quiconque avait un appareil
photo. Aujourd’hui, pour des raisons de sécurité, les appareils photos sont strictement
interdits. En fait, même les stylos ne sont plus autorisés dans la zone du darshan et un
policier en uniforme est attaché à l’entourage de Baba.
139
CHAPITRE 12 : CAR MES YEUX ONT VU
A cause de son long ministère constant et immuable, Sathya Sai a connu trois
générations de dévots qui ont offert leurs services à plein temps. Beaucoup des
premiers dévots du jeune guru sont décédés. Les disciples de la deuxième génération
sont encore là et chacun a sa place dans le cœur de Baba pour sa compagnie fidèle. Le
professeur Kasturi est largement connu pour ses efforts littéraires, mais ce qu’on ne
sait pas, c’est que Sai Baba lui a fait subir énormément de pression, comme à tous ses
proches disciples. La vie à Prasanthi Nilayam est une véritable sadhana où perdre son
sang-froid un seul instant peut replonger le chercheur des mois en arrière en quête
d’une équanimité qui se dérobe. Certains ont comparé la vie à Prasanthi à l’intérieur
d’une casserole à pression.
Sai accomplissant le vibhuti abhishekam,
assisté par le Prof. Kasturi
Le nombre de disciples qui méritent une mention pour leur loyauté est légion et ils
proviennent de tous les milieux. Par exemple, Shivraj Patil, l’actuel Ministre de
l’Intérieur de l’Inde est un dévot, comme l’était le Dr. Bhagavantam, un des plus
éminents scientifiques du pays. Pendant des années, Bhagavantam traduisit les discours
publics de Sai Baba du télougou en anglais. Des altesses royales, des diplomates, des
politiciens, des artistes, des musiciens, des chanteurs, des danseurs, des stylistes, des
sportifs, des stars de cinéma, on peut voir de tout dans les rangs du darshan à
Puttaparthi. Pour avoir une idée de la variété des esprits raffinés qui ont été attirés par
le message de Sathya Sai, le lecteur est renvoyé aux divers volumes commémoratifs qui
140
ont été publiés pour célébrer les anniversaires les plus marquants de Baba. Par
exemple, Golden Age (1980) inclut un article brillant sur le sens de la religion de
Krishna Iyer (le juge qui tenta d’inclure l’entièreté de l’hindouisme en une seule
définition) ainsi qu’une vision d’ensemble toute aussi inspirée sur le même sujet par
l’éminent administrateur, K. Guru Dutt.
Bhagavan Sri Sathya Sai Baba
entouré par les souverains du Népal
Un des premiers dévots intimes fut Raja Reddy. Pendant des années, il fut le meneur
des bhajans et sa présence dévouée auprès de Baba semblait en faire son bras droit.
Tout le monde pensait qu’il ferait toujours partie des meubles, mais comme toujours
avec la mission d’amour de Sathya Sai, rien n’est prévisible. Le mariage de Raja Reddy
arrangé par Baba fit la une de l’ashram. Il conduisit à une vie à l’extérieur de
Puttaparthi. (Le mariage arrangé de disciples est devenu un signe coutumier de la
grâce de Baba. Néanmoins, le nombre de victimes, comme dans toute activité qui
implique le conflit d’ego peut être élevé et ceci a amené certains à conclure que les
pouvoirs de Baba sont imparfaits. Faire en sorte qu’une union arrangée fonctionne est
la responsabilité des partenaires concernés.)
141
Le colonel Joga Rao est une autre figure à part entière et l’un des très rares que Baba
pouvait traiter en ami. Baba aime plaisanter avec ses proches disciples, mais ceux qui
ont été élevés traditionnellement créent consciemment un espace entre ce qu’ils
considèrent la divinité et leur propre état non racheté. Joga Rao qui était d’une nature
célébrant la vie, était comme une bouffée d’air frais dans des situations où des
attitudes de supériorité vertueuse pouvaient être comprises comme étant spirituelles. Il
vaut la peine de mentionner ici que le sens de l’humour et la nature enjouée de Baba
désavantagent une étude en anglais en ce sens qu’il n’est pas possible de capturer la
saveur truculente du télougou ou Baba dans son élément naturel. Il se moque toujours
des inclinations romantiques des vieux dévots et certaines de ces plaisanteries peuvent
paraître presque grivoises. Une fois, après Dasara, il fit observer que le meilleur moyen
de disperser les foules qui s’attardaient serait de mettre Kasturi sur scène avec Shirdi
Ma (une disciple toute aussi ancienne). En les voyant danser tous les deux, la foule
fondrait comme neige au soleil ! Chaque fois qu’il saluait Shirdi Ma, il feignait la
surprise en disant ‘’Quoi ? Encore vivante ?’’ A l’occasion du mariage de Diana Baskin,
Baba, avec son sens de l’humour habituel dit à une autre veuve âgée : ‘’J’ai un bon
mari de 120 ans pour toi !’’ Son humour est essentiellement rural, et comme celui de
Shirdi Baba, direct, sans affectation et original. Il appelle presque tous ses dévots
‘’bangaru’’, ce qui veut dire ‘’or’’ et les bien nourris ‘’pakoras’’ (‘’beignets de légumes’’).
Il utilise souvent l’expression ‘’ayyo papam’’, qu’on pourrait interpréter comme un salut
affectueux à un ‘’ancien pécheur’’. Il est vrai des deux Maîtres du Deccan qu’ils n’ont
jamais pris une position moraliste. Ils sont bien conscients des défauts de leurs
visiteurs et ils abordent leurs faiblesses avec beaucoup de tact. Quoique pas toujours…
Je me souviens qu’à Delhi, Baba avait demandé au fils d’un riche homme d’affaires qui
était venu le voir en pantalon de golf à carreaux écossais : ‘’Tu t’es pris dans un
tapis ?’’
142
Kutum Rao, administrateur de l’ashram pendant plusieurs années, était un autre dévot
intime qui apporta son expérience de juge de la Cour Suprême pour favoriser une
gestion ordonnée. Deux volontaires, Patel, puis Khaya Das, avec leurs physiques de
lutteur, étaient employés pour ‘’protéger Baba’’ pendant son darshan et dissuader les
dévots trop enthousiastes de lui tendre une embuscade. Une autre figure familière que
l’on voit toujours sur la véranda du temple, prête à sonner la cloche de l’arati et
portant le seul couvre-chef blanc à la Gandhi de toute l’assemblée, n’est autre que le
neveu du gardien de Manohar. Après s’être occupée du chien de Shirdi Baba, cette
famille porte maintenant la masse d’argent de cérémonie de Sathya Sai.
Un disciple de l’Andhra Pradesh qui ne cache pas ses préférences mondaines, c’est
Ramana Rao, un coordinateur sevadal franc et direct. Son livre, Love is My Form
(2000), rédigé directement à partir du cœur est rafraîchissant dans son approche. Il
révèle Sai Baba comme un frère aîné chaleureusement humain plutôt que comme une
pieuse figure distante. Le caractère direct de l’amour de Ramana Rao est révélé dans la
toute première remarque par un ami qui l’emmena voir Sai Baba contre son gré. Son
ami lui avait garanti : ‘’Je vais te montrer Dieu.’’ Baba appelle invariablement ‘’voyou’’
Ramana Rao et c’est extraordinaire de lire comment il semble avoir posé des pièges
pour attraper ce dévot hors pair, conscient que sous sa façade de directeur général se
cachait un cœur d’or. L’auteur raconte brièvement, mais avec éloquence, comment, lors
de sa première visite à Puttaparthi, il fit la connaissance d’un ancien disciple célèbre,
Surayya (Suryaprakasha Rao) qui dirigeait la cantine dans un style autoritaire et dont
la taille imposante avait incité Sai Baba à le surnommer ‘’cocotier’’. D’après l’auteur,
‘’sa voix guérissait directement la constipation’’. Surayya avait été l’employé du raja de
Venkatagiri qui fut le plus dynamique de tous les anciens disciples. Le raja travaillait
sans compter pour promouvoir la cause de Baba et il contribua à élargir sa base
populaire. Tout le monde aimait le raja, car sa dévotion était sincère et flamboyante.
Baba visitait régulièrement l’ancien petit Etat de Venkatagiri et entre ces deux-là, il y
avait une belle relation suivant le modèle classique où la sagesse du guru guidait
l’énergie du roi.
La mère de Rani Ma, Kanwarani Balbir Kaur, une sardarni de Patiala, était une disciple
qui ne souffrait aucune absurdité. La séquence événementielle qui la conduisit à
rejoindre l’ashram est une histoire maintes fois répétée. Sai Baba est intervenu
directement pour sauver sa vie. En dépit de sa santé précaire – les meilleurs docteurs
la considéraient comme perdue − cette dame supervisait toutes les volontaires, ce qui
n’était pas une mince affaire avec les gens du pays qui la considéraient comme une
étrangère venue du nord. Sai Baba comprit que la Kanwarani était ce que les Sikhs
appellent une ‘’sawa lakh’’ valant toute une armée par son fighting spirit. Ayant vaincu
la mort et le cancer sur la table d’opération, elle arriva à Puttaparthi pour relever le
formidable défi de façonner le paysage futur de Prasanthi Nilayam.
Une autre disciple formidable venue du nord est Brij Rattan Lal qui renonça à la vie
dans la haute société de Bombay pour apporter l’expertise de son affaire familiale au
projet d’impression de Sathya Sai à Whitefield. C’est grâce aux Rattan Lal que le
Sanathana Sarathi devint le phare diffusant la lumière de la parole de Sai aux quatre
coins du monde.
143
Dans ce qui est probablement le compte-rendu le plus remarquable d’une vie vécue à
proximité de Sathya Sai, le livre de Diana Baskin, Divine Memories of Sri Sathya Sai
Baba (1990) décrit littéralement deux années de vie comme voisins de Baba à
Whitefield. Comme la décision bizarre d’avoir un jeune couple d’Américains comme
voisins, ce livre est tellement rempli de surprises qu’il inverse totalement l’image de
Baba comme personnage reclus. Ces souvenirs le présentent comme un voisin
attentionné, affectueux, plein d’humour et de rire, très loin du personnage religieux
austère décrit par certains dévots. Diana aimait beaucoup les animaux et une fois, Baba
accomplit un miracle qui sauva la vie d’un chien, un petit acte de miséricorde,
accompli consciemment par amour pour le cœur tendre d’une disciple.
144
Il ne sera pas incongru de mentionner ici quelques-uns des dévots à quatre pattes de
Sathya Sai, compte tenu de l’amour de Diana pour les animaux. Le plus volumineux et
le plus endurant est l’éléphante de Baba, Sai Gita, qui est arrivée toute petite et qui
semble se conduire comme une fille affectueuse lors des cérémonies.
Parmi les résidents les plus inhabituels
de l’ashram, il y avait des chameaux
offerts par un dévot. Au fil des ans,
beaucoup de chiens ont laissé des
traces, les plus célèbres étant deux
loulous de Poméranie, Jack et Jill, qui
étaient réputés pour jeûner le jeudi.
Jack dormait près de la tête de Baba et
Jill à ses pieds. Quand ils trépassèrent,
Baba érigea un petit mémorial audessus de leurs restes pour honorer
leur fidélité. (Shirdi Baba possédait un
cheval en plus de son chien et Ramana
Maharshi avait un chien qu’il envoyait
pour guider les pèlerins autour de la
sainte colline.) Bien qu’il aimait les
petites races, Baba a aussi eu des bergers allemands. Un magnifique portrait qui les
montre en train de tirer sur une laisse a pour légende ‘’Baba avec Tommy et Henry’’.
Ceci rappelle une pose souvent adoptée par le gourou mystique Dattatreya. Comme il
a déjà été mentionné ailleurs, Puttaparthi s’enorgueillit d’une population d’oiseaux
145
remarquable avec des milliers de spécimens qui viennent se percher dans les arbres
tout autour du campus.
Il semble que Sai Baba ait reconnu en Diana ce qui faisait une vraie disciple et son
livre concernant sa quête de la réalité intérieure témoigne du courage et de l’honnêteté
dont seule peut-être une femme peut faire preuve. Tout semble authentique à propos
de la dévotion de cette femme. Bien qu’appartenant à la haute société hollywoodienne,
elle avait des liens avec la Fondation Krishnamurti. Elle était malheureuse en mariage
avec Joe, un autre archétype d’Hollywood qui était aussi nonchalant à propos de
recherche intérieure que Diana était sérieuse. Chose étrange, Baba se prit d’affection
pour Joe et, à la surprise générale, il invita le couple à emménager à côté de sa
résidence de Whitefield. Bien que marqué par des querelles conjugales et des
chamailleries – racontées avec une honnêteté rare – leurs moments passés auprès de
Baba constituent une lecture fascinante. Un gros plan merveilleux de l’affection
parentale de Baba pour sa famille adoptive étrangère est offert au lecteur. Dès le
départ, l’humour caractérise la relation comme lorsque Baba offrit à Diana un
médaillon qui le présente de manière peu flatteuse sans ses dents de devant ! Avant de
rencontrer Baba, Joe l’appelait ‘’ce personnage’’ et disait qu’il ne serait pas convaincu
par les qualifications de Baba, à moins qu’il ne matérialise quelque chose de réellement
gros comme un arc-en-ciel. Le jour où ils arrivèrent à l’ashram, ils eurent la surprise
de voir un arc-en-ciel qui, au lieu d’être courbe, filait droit dans les cieux. Quand ils
rencontrèrent Baba, la première question qu’il posa à Joe fut : ‘’Alors, personnage, tu
l’as trouvé comment, l’arc-en-ciel ?’’
Il semble que la vision de la vie grossièrement américaine de Joe était une nouveauté
que Baba désirait expérimenter, mais comme sa relation avec Diana ne s’améliorait pas,
Baba conseilla d’y mettre un terme. C’est à ce moment-là que, malgré l’avis contraire
de sa femme, Joe subit une opération chirurgicale et mourut. Comme le couple avait
une enfant en pleine croissance, Baba insista pour que Diana se remarie et dit qu’il lui
trouverait un partenaire adéquat. Le nouveau mari était un avocat américain beaucoup
plus jeune que Diana, mais comme tous les deux étaient des disciples de Baba, ils
acceptèrent de lui obéir, bien qu’avec le choc de l’Occidental devant l’absence de toute
146
consonance romantique. Tous les deux étaient perplexes, quant à l’insistance de Baba
pour qu’ils engendrent un fils, sans délai. Après que le couple se soit dûment exécuté
et qu’il soit revenu en Inde avec le bébé pour obtenir les bénédictions de Baba, il
choisit de les ignorer. Pendant quatre longues années, Baba refusa de reconnaître leur
présence. Ce test de loyauté sévère était quelque chose dont Gurdjieff était le
spécialiste. Peu survivent au passage de l’affection au suprême dédain du guru.
Certains deviennent amers et écrivent des livres dénonçant leur maître ; quelques-uns
comme Diana et son époux tiennent bon et trouvent en l’autre l’amour du guru et
passent l’épreuve de glace.
Le récit de Baskin du gel brutal après la chaleur des rapports de bon voisinage avec
Baba fait de son livre une description absolument authentique de ce qu’est emprunter
la voie intérieure avec ses dangers et ses abîmes. Il montre combien cette forme de
Shiva, le gourou intérieur, peut être imprévisible et combien il est risqué de le décrire
comme traditionaliste ou comme moderniste. L’œil perspicace de Diana note comment
le délicatement féminin adhère au fortement masculin en lui, rappelant l’union de
Shiva-Shakti. Elle note aussi comment son teint peut passer de l’ivoire au brun foncé.
En bref, il est unique, unique en son genre. Elle cite une parole inhabituelle qui fait
voir à quel point les vues de Baba peuvent être originales : ‘’Il vaut mieux viser un lion
et le rater que toucher un chacal.’’
Sathya Sai Baba et Howard Murphet
Le récit le plus objectif de la vie de Sai Baba et de ses leelas en anglais est celui de
Howard Murphet (Sai Baba, l’Homme des Miracles, 1971). Murphet, un Tasmanien
simple et direct doté d’un instinct de terrier s’approche de l’aura miraculeuse de Sai
Baba avec toutes ses facultés critiques en alerte. Reconnaissant peut-être qu’il y a là un
Boswell réellement conscient de la nature miraculeuse de la vie et motivé par
l’altruisme, Sathya Sai répond positivement et affiche une remarquable variété de
pouvoirs apparemment divins devant cet examinateur unique. Murphet donne
147
l’impression d’être un chercheur sain, un témoin fiable et un reporter impartial, bien
qu’il est vrai qu’au terme de ses découvertes, il est devenu un croyant confirmé.
Avec sa formation théosophique qui l’autorise à évaluer l’authenticité ou non des
phénomènes psychiques, il apporte le rare don de savoir écrire à propos des sujets
spirituels dans un langage ordinaire. Ses chroniques de jours passés dans la proximité
physique du saint de Puttaparthi à une époque où le mouvement Sai était encore
facilement gérable en termes de nombres sont aussi utiles pour leur contenu social,
puisqu’elles dressent la liste des gens de la haute société qui recherchèrent l’aura du
saint. Ce qui est remarquable, c’est la rotation continuelle des dévots. C’est comme si
Baba veut faire en sorte qu’un maximum de gens débutent sur la voie spirituelle. Ils
viennent, ils sont impressionnés par l’amour et par l’attention de Baba, ils reviennent
et ils sont accros. Après, Baba accueille de nouveaux visages et les anciens commencent
à se sentir délaissés. Il y en a qui tombent et d’autres qui trouvent Baba en euxmêmes.
Après l’accueil phénoménal et bien
mérité de son premier livre sur
Sathya Sai, en 1978, Murphet publia
un compte-rendu de sa deuxième
visite en Inde. Il possède le même
mélange convaincant de respect et
de retenue dans sa tentative pour
jauger le statut d’une personne qui
semble ne pas avoir d’égal pour ce
qui est du sentiment extraordinaire
du numineux qu’elle dégage. Si le
premier livre sur les miracles de
Baba plaît à l’homme de la rue, le
deuxième, Sai Baba Avatar, traite les
questions d’étudiants plus
spécialisés qui veulent comprendre
les qualités déroutantes de Sathya
Sai. Ceux qui possèdent une
tournure d’esprit scientifique
exigent des statistiques, de
préférence de la plume d’un Ph D.
Réalisant que ceci est une condition
préalable pour que les attributs de
Baba soient pris au sérieux par un monde sceptique, Murphet rassemble les preuves de
manière convaincante. Il apparaît que Sathya Sai, depuis sa tendre enfance, a produit
de la vibhuti et d’autres menus objets à une fréquence moyenne d’environ vingt-cinq
manifestations par jour. Ceci signifie qu’à ce jour, plus d’un demi-million de
démonstrations soi-disant miraculeuses de cet ordre mineur ont été effectuées par lui
en public, ce qui constitue un ensemble de preuves écrasant !
148
Pour soutenir ces faits de manière scientifique, Murphet cite le rapport de deux
chercheurs universitaires, les Dr Otis et Haraldsson de l’American Society for Psychical
Research qui accomplirent 14 expériences en présence de Sathya Sai et qui conclurent
que ce à quoi ils avaient assisté ne portait aucune trace de fraude et était inconnu de
la science. Pour montrer la rigueur de leur enquête, ils notent que ce serait plus facile
de simuler la matérialisation de substances sèches (comme la vibhuti), mais admettent
que Baba pouvait aussi produire des substances humides et grasses. Les deux
chercheurs étaient enthousiasmés par leurs découvertes et par la perspective d’un
changement du visage de la science. Simultanément, ils étaient suffisamment réalistes
pour savoir que la science moderne n’est qu’une autre forme de prêtrise qui protège
jalousement ses dogmes. A l’époque du Moyen Age, eu Europe, la théologie était
connue comme la reine des sciences et le monde moderne fut proclamé en bousculant
la prééminence de la théologie. La science possède maintenant le respect des masses et
le pouvoir grisant qui s’attache à cette croyance. Il est très peu probable qu’elle
abdique volontairement son pouvoir au profit d’une réalité aussi inquantifiable que
l’amour. La science et particulièrement la science médicale, diraient certains, est
devenue la superstition la plus en vogue et la plus chère du monde.
Le troisième livre de Murphet, Sai Baba : Invitation to Glory (1982) étudie plus en
détail les phénomènes psychiques et débute avec le traitement personnel de l’auteur
auprès d’un célèbre guérisseur psychique philippin. La voix de Murphet est une voix
sensée qui maintient fermement le sujet dans le royaume du possible. Parce qu’il n’est
qu’un visiteur de passage, il commet une erreur en rapportant certains détails culturels
mineurs, mais la transparence de ses motifs et la générosité de son esprit qui tente de
comprendre les coutumes asiatiques font de ses écrits une présentation admirable du
message de Sathya Sai. Mêlés à des réflexions sur la manière dont les phénomènes
fonctionnent, il y a des exemples de guérisons dramatiques auxquelles l’auteur assista
et tout ceci est dit avec un sentiment d’intérêt empreint de compassion qui procure au
livre sa valeur.
Poussé par Sai Baba, Murphet a produit sans grand enthousiasme un quatrième
volume largement autobiographique qui est un testament émouvant de la quête de
découverte de soi authentique d’un mortel ordinaire. Where the Road ends décrit le
début de sa vie en Australie où il suivit une formation de journaliste et comment le
destin le vit atterrir en Angleterre, juste quand la Deuxième Guerre Mondiale fut
déclarée. Faisant fi de ses principes pacifistes, il s’engagea dans l’armée et s’éleva au
rang de colonel, sa formation de journaliste faisant en sorte qu’il ne soit pas exposé à
la boucherie du front. Néanmoins, celle-ci ne l’empêcha pas d’être confronté aux
horreurs de Belsen et d’être le témoin des procès de Nuremberg qui s’ensuivirent.
Murphet raconte son intérêt de toute une vie à étudier tout mouvement spirituel qui
croisa son chemin et la sincérité de sa quête fut récompensée par un sentiment
profond d‘être arrivé après son darshan de Sathya Sai. De même, le guru semble
immédiatement avoir reconnu en Murphet un véhicule sain pour propager son
message à l’étranger.
Son cinquième livre, The Light of Home (2002) est dédié à Shiva et c’est un résumé
mature du pèlerinage d’une vie enrichissante. L’auteur conserve jusqu’au bout
149
l’enthousiasme et l’humanité qui caractérisent son écriture. Grâce à sa modestie
naturelle, les lecteurs peuvent voir en lui un guide fiable. Contrairement à la prose
habituelle qui loue Sai Baba, il n’y a ni hommages dithyrambiques ni revendications
exagérées. Le succès des cinq livres de Murphet réside dans la présentation sobre d’un
Maître moderne dont l’aura extraordinaire peut – par sa grâce – être expérimentée par
les chercheurs les plus ordinaires. Le style tout simple de l’auteur australien garantit
que le sujet de la spiritualité est investigué avec l’objectivité exigée par n’importe
quelle science.
Un des disciples étrangers les plus proches de Baba est le Dr John Hislop, un
Américain à qui il confierait la charge de superviser la gestion de la mission Sai aux
Etats-Unis. Tout comme Howard Murphet, le Dr Hislop est quelqu’un qui aime bien
prendre des notes et il a publié deux recueils de ses conversations et de sa
correspondance avec Sathya Sai. A l’inverse de Murphet qui teste les qualifications de
Baba avant de l’accepter comme guru, Hislop tomba directement sous le charme de
Baba. Il dit comment son moi intellectuel et sans âme trouva immédiatement de l’eau,
quand il rencontra Sai. Hislop était sérieux dans sa quête. C’est un lundi qu’il entendit
parler de la capacité de Sai Baba de changer réellement le caractère d’une personne. Le
jeudi, il était dans un avion pour l’Inde. Ceci indique aussi que c’était quelqu’un qui
avait des moyens, mais le bon côté d’Hislop, c’est son indifférence envers la richesse et
une innocence qui est inhabituelle chez un homme d’affaires.
Baba lui aussi se prit immédiatement
d’affection pour Hislop et il lui accorda
régulièrement des entretiens.
Contrairement à Murphet qui paraît
un peu froid, les conversations
d’Hislop sont celles d’un disciple qui
s’est abandonné aux pieds du Maître.
Son style ressemble à celui de Kasturi,
plein d’une dévotion adulatrice avec
peu de trace d’une faculté critique à
l’œuvre. Sai Baba répond avec
enthousiasme à cette suspension
volontaire d’incrédulité et donne
généreusement de son temps à cet
exemple éclatant d’abandon, un homme au grand cœur qui travaille sincèrement à
réduire la taille de son ego. Hislop a l’humilité de prendre du recul et de faire la
distinction entre son moi physique et son Moi immortel. Il est douloureusement
conscient de ses limites, mais au lieu se s’en lamenter, il célèbre à la place l’état sans
limite de Sathya Sai. Le lecteur ressent que ces deux-là qui conversent ressemblent à
Arjuna à qui enseigne Krishna.
L’innocence charmante d’Hislop est reflétée dans sa recherche antérieure d’un Maître.
Comme beaucoup d’autres, il fut ce que mon guru appelait un ‘’collectionneur de
timbres’’, faisant la tournée des ashrams à la recherche du Maître qui lui conviendrait.
Comme pour Murphet, il y a un lien théosophique ténu. Il débute sa quête sur le
150
campus californien de Krishnamurti, l’Avatar promis qui préféra rester humain. Après
une période avec le désabusé Krishnamurti, il trouva Maharishi Mahesh en qui il vit
peut-être le reflet de sa propre innocence. Pratiquant la méditation transcendantale
(MT), Hislop acquit rapidement le statut d’initiateur. Le Maharishi l’invita alors en
Inde pour trouver un terrain pour un ashram à Uttarkashi.
Murphet comme Hislop passa par la phase de la méditation transcendantale et il est
intéressant de comparer leurs raisons de ressentir qu’ils l’avaient dépassée. Murphet
n’a pas de regret et il adopte un ton d’adieu courtois, louant les efforts du Maharishi
pour éveiller notre ère matérielle moderne à son héritage spirituel et il reconnaît l’aide
qu’il a reçue du mouvement. Hislop, en accomplissant la période prescrite de
méditation intense atteignit le niveau de félicité promis. Toutefois, son âme raffinée
reconnut immédiatement ceci comme n’étant pas un état spirituel authentique, mais
un substitut. Réalisant qu’il serait responsable d’initier des gens à une expérience
pseudo spirituelle, Hislop choisit de démissionner.
Ces départs du giron de la MT constituent un contraste saisissant avec celui des
Beatles dont le désenchantement, quant aux méthodes du Maharishi est rapporté dans
le livre de Nancy Cooke de Herrera, Beyond Gurus (1992). D’après le témoignage de
cette femme mondaine de la haute société, ils quittèrent l’ashram de Rishikesh du
Maharishi en état de choc, se sentant trahis par les manigances commerciales qu’ils
découvrirent là-bas. (Par contraste, quand certains des Beatles rendirent visite à Sathya
Sai et découvrirent qu’ils étaient traités dans son ashram tout comme n’importe quel
autre dévot, ils ne restèrent pas.) Malgré la crainte que la tournée tourbillonnante de
la spiritualité indienne de Nancy Cooke ne soit racontée que comme les impressions
d’une touriste de plus, son livre révèle une personne dotée d’une intrépidité et d’une
compréhension considérables. Sa description de ce qu’elle ressentit, lors du darshan de
Sathya Sai à Puttaparthi est la plus honnête que j’aie rencontrée. Les femmes
réagissent plus instinctivement que les hommes en ces matières et le miracle total de
l’amour est suggéré dans son appréciation très féminine : elle ressentit une vague
d’exultation qui l’envahit encore et encore comme un orgasme – seulement en mieux,
comme elle le dit. Elle note que cela ne s’est jamais produit avec le Maharishi.
Les livres d’Hislop, Conversations avec Sathya Sai Baba (1978) et Mon Baba et Moi
(1985) révèlent un rapport qui se base sur une authentique fraternité, et en présence
d’un disciple aussi digne de confiance, le guru peut s’assouplir et se détendre dans une
veine plus légère. Les conversations sont de nature amicale et abordent les questions
pratiques de l’administration de l’ashram, spécialement la gestion de l’argent et la
manière de traiter les disciples peu commodes. Pour la première fois dans une
biographie concernant la Sai Parampara, la facilité et la chaleur de l’échange déplacent
l’accent de la gloire de la divinité accomplie dans le guru à sa possibilité réelle de
briller dans des disciples ordinaires comme Hislop. Un des étudiants de Baba résume
joliment ce progrès en appelant Hislop ‘’une petite portion de Swami’’. Trop souvent le
Maître de Puttaparthi est décrit sur un mode distant inatteignable et il semble n’y
avoir aucune urgence chez les disciples pour tenter d’imiter cette gloire. Le fait même
que Sathya Sai soit né conscient de son statut divin en décourage beaucoup et donne à
d’autres l’excuse qu’aucun mortel ordinaire ne peut espérer atteindre un état aussi
151
avancé. L’écoulement d’amour constant d’Hislop opère de grands miracles et prouve
que tout dévot qui tente de devenir un avec l’océan peut découvrir des réserves
cachées en lui-même. Lors d’une conférence internationale Sai qui eut lieu à Rome en
1983, le message de Sathya Sai conclut : ‘’Quelle est l’utilité de toute cette
connaissance si l’homme ne se connaît pas lui-même ? La réalité intérieure de l’homme
ne peut pas être connue en explorant le monde extérieur.’’ Il accuse la science de
limiter notre individualité à celle d’une vague se brisant sur la plage. C’est tout le
contraire, insiste Baba : pulsant dans le cœur de chacun de nous, il y a l’océan.
Sri Sathya Sai entouré par John Hislop et son épouse
152
Parmi les quelques livres réellement perspicaces écrits en anglais à propos du
phénomène Sai, Bhagavan Sri Sathya Sai Baba : The Man and the Avatar du Dr V. K.
Gokak – écrit pour commémorer le cinquantième anniversaire de Sathya Sai en 1975 –
est le plus lucide. Gokak était un universitaire réputé dans toute l’Inde ainsi qu’un
littérateur kannarien distingué. Il est intéressant de noter que ses prénoms, ‘’Vinayak
Krishna’’, regroupent les dieux des deux traditions shivaïte et vishnouite. Significatif,
car Sathya Sai, bien qu’apparaissant essentiellement hindou, ne montre jamais aucune
préférence pour les sectes vishnouites ou shivaïtes par lesquelles la majorité des
hindous identifient leur religion. Gokak était aussi un poète et un traducteur doté
d’une maîtrise exceptionnelle de l’anglais. De tous les biographes, Gokak est le plus
érudit et le mieux qualifié pour fournir les détails contextuels de ce qu’implique
l’avatarité. Sai Baba le traitait comme un ami et comme Hislop, l’âme naturellement
modeste de Gokak ne chercha jamais à abuser de ce privilège. Que du contraire. Gokak
était plus soumis que l’Américain, puisque les redoutables implications de l’avatarité
sont susceptibles d’être ignorées des non hindous. Universitaire chevronné, Gokak
pénétrait au cœur de n’importe quelle philosophie pour indiquer ses forces et ses
faiblesses. Lui-même humaniste, il perçait l’affectation de certains rationalistes et les
accusait d’ignorer des réalités telles que l’âme et l’amour, parce que ces catégories sont
difficiles à quantifier. Pour Gokak, la vie était poésie et Sai Baba lui apparaissait
comme Shiva venu ouvrir le troisième œil de l’amour.
Le Prof. Gokak prononçant un discours de bienvenue à l’occasion de l’inauguration
du Sri Sathya Sai Arts and Science College for Women à Anantapur, en 1971.
A la droite de Sathya Sai Baba, on distingue Sri V.V. Giri, le Président de l’Inde.
153
Quand un dévot américain devenu critique publia un livre (Lord of the Air de Tal
Brooke) pour tenter de salir la réputation de Sai Baba et l’appeler l’antéchrist, le Dr
Gokak releva le défi et mit les choses au point. Son In Defence of Jesus Christ and
Other Avatars dénonce la doctrine de la haine qui inspire et qui alimente de tels livres.
Il est devenu commun au fil des ans que des Occidentaux trop enthousiastes plongent
dans la vie des ashrams indiens et puis accusent l’Inde de tenter de les noyer ! (Au
moins, les Beatles, lorsqu’ils quittèrent vexés l’ashram de Maharishi Mahesh, eurent la
grâce d’admettre qu’ils avaient trop attendu de lui. Figurant parmi leurs déceptions, il
y avait son échec à arrêter le processus du vieillissement). Un des aspects inquiétants
de la voie intérieure, c’est qu’elle tend à attirer les caractères instables et mon propre
guru admettait que la première chose contre laquelle il devait se prémunir en prenant
un nouveau disciple était le moindre signe de folie naissante. Même un guru ne peut
pas guérir un esprit malade. Certaines missions rivales se sentent menacées par la
popularité de Sai Baba et sont jalouses de la diffusion exponentielle de son message.
D’anciens disciples favoris dont les ego furent meurtris en étant relégués au fond de la
classe peuvent devenir des cibles de choix pour ces missions en attisant la moindre
braise de ressentiment en un feu géant.
En proposant cet échantillon parmi une multitude de dévots Sai, il est pertinent de
dire qu’une bonne proportion de dévots étaient sceptiques au départ. Sathya Sai
approuve une telle approche prudente, car trouver un Maître authentique ressemble à
la traversée d’un champ de mines. Howard Murphet se souvint que son tout premier
contact avec Baba se produisit à la suite d’une rencontre avec un théosophe
britannique qui venait juste de rentrer de Puttaparthi. Murphet questionna avidement
le visiteur à propos de l’authenticité de Sai Baba et celui-ci formula sa réponse avec
une réserve toute britannique : ‘’Si Sai Baba est un escroc’’, affirma le théosophe, ‘’je
me remets à boire !’’
154
CHAPITRE 13 : RASSASIER LES AFFAMÉS ET COMBLER LES
DÉSHÉRITÉS
Le miracle le plus évident à Puttaparthi après la grâce de la présence physique de
Sathya Sai, c’est ce qu’a réalisé Sai Baba le bâtisseur, à lui tout seul. Dans cette gamme
sidérante d’ouvrages publics qui illuminent cette région autrefois arriérée, il semble
avoir été inspiré par la beauté rocheuse des paysages du Deccan et incité à la
surpasser. Une des caractéristiques extraordinaires de la région primitive du
Rayalseema, c’est la manière dont les gens du pays ont toujours pensé grand en termes
architecturaux. Même en ruines, Hampi est plus impressionnante que la majorité des
villes modernes de l’Inde. Aujourd’hui, Puttaparthi fournit une nouvelle preuve de ce
talent de l’Andhra à construire des bâtiments remarquables. Peu d’Indiens mettraient
l’Andhra sur la carte des merveilles architecturales. Néanmoins, des ruines comme la
capitale Kakatiya, à Warangal et le stupa bouddhiste d’Amravati (parmi d’autres)
étonnent par leur richesse et par leur finesse. A peine à quarante kilomètres au sudouest de Puttaparthi, il y a le fabuleux temple de Lepakshi, une superbe construction
dotée d’impressionnantes œuvres d’art, à la fois par leur taille et par leur impact
esthétique. La chambre la plus intérieure du temple possède une gigantesque et
flamboyante fresque murale en l’honneur des déités shivaïtes de l’ordre lingayat et à
l’extérieur du temple, il y a le monolithe serein du véhicule de la déité, Nandi. On dit
que cette superbe sculpture géante de taureau, réalisée sur le site à partir des rocs de
granite rose qui parsèment le paysage a été conçue comme une œuvre d’amour par les
maçons durant leur temps libre. C’est le plus grand Nandi de tout le sous-continent.
(De manière curieuse, cette image ancienne caractéristique qui transmet la dévotion
du Deccan pour Shiva est absente du campus de Puttaparthi.)
155
L’envergure impressionnante de l’architecture à Puttaparthi reflète non seulement cette
capacité de l’imagination à penser grand, mais à construire remarquablement. De façon
significative, l’approche de Sathya Sai diffère de celle de l’empereur Krishnadeva Raya
qui érigea plusieurs immenses gopuras solitaires dans le sud pour proclamer sa
puissance. A Puttaparthi, le gopura ne fait que 10 m de haut, signifiant qu’ici,
l’architecture comme la religion est conçue pour l’homme ordinaire. L’enceinte massive
du Hall Sai Kulwant jouxtant habilement le temple est connue de tous les visiteurs.
Plus louable en termes de mérite architectural, mais moins visité à cause de sa
situation au sommet d’une colline, il y a les lignes agréables du bâtiment administratif
de l’université.
Pour certains, les couleurs
rose et bleu que l’on
retrouve dans tout le
campus de Puttaparthi
semblent parler en faveur
du goût populaire de l’Inde
ordinaire et c’est exactement
le public ciblé. La résidence
de Sai Baba et les autres
constructions sont conçues
pour ressembler à la notion
romantique des villageois
des pavillons célestes.
Et… la gare des trains leur en fournit déjà un avant-goût !
***
156
Tous les pratiquants de la religion authentique se soucient du bien-être physique de
l’humanité. Contrairement à la religion conventionnelle qui promet aux sous-alimentés
d’être rassasiés dans la vie prochaine, la religion authentique exige que soins médicaux
et nourriture soient offerts ici et maintenant. Tous les instructeurs compatissants du
monde ont été des agents de guérison intervenant personnellement pour guérir les
malades et pour remettre sur pied ceux qui souffrent. Le Bouddha, comme Shirdi Baba
après lui, prit sur lui les maladies d’autrui. Gurdjieff et Sathya Sai sont remarquables
pour leur traitement non orthodoxe des patients, réalisant des guérisons apparemment
magiques et, dans le cas de Sathya Sai, ayant même recours à la chirurgie. Il est
significatif que les deux instructeurs affirment le monde et célèbrent la vie dans le
présent. Ils croient à l’action dans le présent pour contrer l’influence latente d’attitudes
religieuses éculées qui acceptent la souffrance d’un haussement d’épaules fataliste et
qui l’imputent au karma passé pour être traitée par le destin dans l’au-delà.
Les guérisons miraculeuses du Christ indiquent la voie de la religion authentique
associant les sermons sur la montagne qui élèvent l’âme et les traitements médicaux
plus terre-à-terre. Pour Sathya Sai, toute sa mission consiste à offrir des soins
médicaux à ses voisins immédiats, car des idées prétentieuses concernant le divin n’ont
aucun sens pour des corps malades et sous-alimentés. La doctrine spirituelle la plus
chérie de l’Inde, l’advaita qui voit l’Ame en tout, tend à ignorer le fait brut que de
telles intuitions édifiantes ne peuvent voir le jour que chez une personne qui a le
ventre plein et qui n’a pas à se soucier d’où viendra son prochain repas.
Sathya Sai insiste tout particulièrement sur le Narayana seva (1948)
157
Les soins de santé de l’Inde moderne sont un secteur gravement négligé où de pauvres
infrastructures hospitalières sont envahies par une multitude de patients souffrant
excessivement. Dans le même temps, les pharmacies qui fournissent les médicaments
font des bénéfices énormes (en s’abaissant parfois à vendre des médicaments douteux),
alors que les étudiants luttent pour gagner leurs places dans les universités de
médecine et pour les gros gains qui les attendent, lorsqu’!ils obtiendront leurs
diplômes de médecine. Comme les prêtres médiévaux qui dépouillaient leurs ouailles,
certains professionnels modernes de la médecine s’enrichissent grâce aux souffrances
de leur prochain.
C’est pour essayer de fournir une alternative afin d’enrayer ce mal que Sathya Sai a
créé ses hôpitaux, ses collèges et ses projets d’approvisionnement en eau. Sans ces
éléments de base, la noble doctrine de la religion est vouée à l’échec. Le besoin criant,
c’est de démontrer à une société attachée aux biens de consommation que la
satisfaction que l’argent procure, selon les gens, provient en fait du service à
l’humanité. Cette attitude de seva compatissant a été inculquée aux dévots de
Puttaparthi depuis le départ. Ceci, semble-t-il, est la vraie raison pour laquelle le divin
a choisi un lieu aussi peu avenant que Puttaparthi pour fournir un agent pour
poursuivre sa mission. La compréhension humaine de la religion est devenue trop
cérébrale et trop intéressée et les sombres statistiques de l’Inde d’après l’Indépendance
montrent que le fossé entre les riches et les pauvres s’agrandit. Comme laboratoire des
religions du monde où les expériences pour comprendre le divin ont toujours fait
partie de la culture, l’Inde moderne a en Sai Baba un exemple rare qui aurait pour
mission de démontrer la divinité inhérente en l’humanité.
***
La médecine n’est pas bon marché en Inde et beaucoup de familles se ruinent en
cherchant à soulager leurs membres au moyen d’un traitement médical coûteux. C’est
en réponse à ce besoin que l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi a vu le jour, ce qui
montre aux pauvres que leurs soucis occupaient la première place dans l’esprit de Sai
Baba. Inauguré le jour de son anniversaire en 1991, l’Institut Sri Sathya Sai des Sciences
Médicales était spécialisé en cardiologie, en uro-néphrologie et en ophtalmologie. Un
institut de troisième cycle a également été fondé. Des développements ultérieurs ont
apporté des modifications dans les compétences de l’hôpital. Construit près de
l’aéroport sur la route de Puttaparthi, ce campus tentaculaire fut, comme c’est la
norme, approuvé et supervisé par Baba dans tous les détails et a surgi dans la durée
phénoménalement brève de huit mois.
L’hôpital super spécialisé le plus récent de Baba – un autre projet ambitieux conçu
pour apporter aux plus pauvres les meilleurs soins médicaux du monde – s’est ouvert
en 2001 à Whitefield. L’hôpital a été bâti en un temps record sur un terrain donné par
le gouvernement du Karnataka. C’est une démonstration claire de ‘’Sai sankalpa’’,
(volonté) actualisé par une action de soutien éclair (‘’vajra sankalpa’’) plutôt
inhabituelle dans le milieu indien des atermoiements chroniques. Si surprenant que
cela puisse paraître, Baba a eu l’inspiration de construire cet hôpital un matin et le
158
soir même, le site avait été visionné et choisi. L’hôpital a une conception qui ne nuit
pas à l’environnement et il offre des services diagnostiques, médicaux, préopératoires,
chirurgicaux et postopératoires gratuits. Il s’enorgueillit de soins médicaux de pointe
en cardiologie, chirurgie cardiaque, neurologie et neurochirurgie et il y a des projets
pour proposer une formation de troisième cycle. Baba a conçu un temple de guérison
spacieux où l’architecture grandiose mais rassurante est déjà un tonique pour le
patient.
Inauguration de l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi en 1991
Une vue panoramique de l’hôpital super spécialisé de Puttaparthi
159
Et une autre de l’hôpital super spécialisé de Whitefield
L’Inde compte en moyenne trois lits d’hôpitaux pour mille citoyens et l’hôpital de
Whitefield fournit 333 lits. Les toutes dernières procédures sont suivies ici et l’air
conditionné moderne embarrasse presque les patients habitués aux traitements
rudimentaires administrés dans les dispensaires des villages. Les patients pauvres
reçoivent la préséance et parmi eux, les jeunes mères, les enfants et les soutiens de
famille sont traités prioritairement. Tous les traitements sont gratuits. En raison du
taux excessivement élevé de maladies cardiaques du sous-continent (plus d’un million
d’enfants souffrent de maladies cardiaques dans le pays), l’accent est spécialement mis
sur les soins cardiaques. Au cours des six premiers mois suivant l’ouverture de
l’hôpital, quelque 1300 opérations ont été effectuées dans les douze salles d’opération.
Des patients de toute l’Inde et du Bangladesh y sont traités sans tenir compte de leur
religion. Malheureusement, pour chaque enfant traité, il y en a des centaines qui
doivent attendre leur tour.
Inhérent au problème des soins médicaux, il y a le problème du suivi médical.
Beaucoup de patients souffrant de malnutrition qui viennent de très loin sur la
recommandation d’un médecin (qui est obligatoire) sont opérés avec succès. Ils
retournent ensuite chez eux où leur pauvreté ne leur permet pas de suivre un régime
postopératoire. Beaucoup meurent en raison de carences alimentaires et ceci veut dire
que des opérations coûtant plusieurs centaines de milliers de roupies le sont en pure
perte. Malgré leurs réussites souvent inutiles, ces opérations témoignent des motifs
généreux de Baba et elles remontent le moral des pauvres qui savent qu’il y a au
moins une personne qui se soucie de leur condition accablante. Une autre réalité
sinistre qui touche les pauvres, c’est que certains se sentent poussés à l’extrémité de
vendre un rein pour obtenir de l’argent. Pour cette raison, certaines opérations ne sont
pas effectuées dans les hôpitaux de Baba afin d’éviter toute retombée pénible chez des
gens en bonne santé. La philosophie médicale derrière le programme de soins
médicaux de Baba est de fournir un traitement holistique au corps et à l’âme du
patient en créant une atmosphère non commerciale où la valeur de la vie humaine
n’est pas amoindrie par le désir de gagner de l’argent sur le dos de la maladie de
quelqu’un.
Il va sans dire que la politique charitable de Baba est une entreprise très coûteuse.
C’est ici que le Sai Central Trust créé par Baba et composé de dévots triés sur le volet
apparaît. Jusqu’il y a peu, il était présidé par Indulal Shah, un expert-comptable de
Bombay lié depuis longtemps à l’idéologie gandhienne. Baba est l’administrateur
principal et lui seul à le pouvoir de signer des chèques. Cet arrangement signifie que
160
Sathya Sai ne possède en fait rien personnellement. Ceci le libère de l’accusation
commune à laquelle beaucoup d’hommes-dieux modernes doivent faire face, à savoir
de ne pas s’occuper des comptes de leur ashram d’une manière transparente.
Grâce à son instinct en matière de gestion, ses critiques ne peuvent trouver rien à
redire à la comptabilité de l’ashram ni même le prendre au piège en matérialisant de
l’or non déclaré. Selon des statistiques officielles, la mission de Sathya Sai a été le plus
grand bénéficiaire de dons étrangers au cours de ces dernières années. (Contrairement
à beaucoup de gurus, Sathya Sai ne sollicite pas de dons et il n’a pas bâti de temples
où l’on fait des offrandes d’argent. Trop souvent en Inde, l’argent que l’on retrouve
dans la boite destinée aux offrandes est entaché par l’exploitation des pauvres et les
riches hommes d’affaires se rendent dans ces temples dans l’espoir que le pardon de la
déité puisse – comme la plupart des choses – être acheté.) Ces dons sont dépensés
dans la gestion d’institutions dont les frais peuvent s’élever jusqu’à dix millions de
roupies par jour, comme c’est la cas des hôpitaux modernes super spécialisés. C’est
parce que, non seulement les salaires des chirurgiens hautement qualifiés doivent être
payés, mais aussi parce que le coût total des techniques opératoires les plus récentes
doit être supporté, puisque tous les traitements sont gratuits. Ceci a été le principe
capital de Baba en lançant ces hôpitaux modernes. Le pauvre doit pouvoir bénéficier
des derniers progrès de la médecine et on ne peut pas s’attendre à ce qu’il paie pour
cela.
***
Chronologiquement, après que
l’hôpital du village ait été
construit pour satisfaire aux
vœux de sa mère, Sathya Sai
se tourna vers l’éducation. Le
collège pour jeunes filles
d’Anantapur constitua un
progrès, défiant l’obstacle de
l’orthodoxie qui a continué à
lier l’Inde, en dépit de sa
liberté déclarée. Quoique fier
des anciennes valeurs de
l’Inde, Sathya Sai, plutôt que
de se décourager des
performances ternes de la
nation depuis l’Indépendance, s’attela à la tâche de montrer ce que l’on pouvait faire,
quand l’amour devenait l’outil du développement au lieu de l’intérêt personnel.
Dans le domaine de l’éducation, l’accent est mis sur les Valeurs Humaines et l’on
insiste pour que l’on puise à la culture et à la tradition pour renforcer l’identité
spirituelle de l’étudiant. Le système pédagogique de Sathya Sai vise à faire table rase en
offrant de nouvelles perspectives aux étudiants. Connu sous le nom d’EVH –
161
Enseignement des Valeurs Humaines − le système met l’accent sur la construction du
caractère et sur le développement de la confiance en soi de l’étudiant. L’étudiant indien
est bien exposé à la culture indienne. ‘’Le but de l’éducation, c’est le caractère’’, déclare
Baba, ‘’et le but de la connaissance, c’est l’amour.’’ La continuité de l’esprit créateur
de l’amour est visible dans la ligne de bâtiments scolaires impressionnants qui annonce
les limites de la commune de Puttaparthi. Chacun accueille une tranche d’âge
différente et possède des façades élégantes impeccablement entretenues au milieu
d’une verdure bien soignée.
Le jour où le premier départ modeste a été pris dans le domaine de l’enseignement
institutionnel, la voiture de Baba dépassa des garçons qui rentraient péniblement vers
leurs villages dans la chaleur de midi, après avoir assisté à la cérémonie d’inauguration.
Il en sortit immédiatement, s’assit sur le bord de la route, puis ordonna à son
chauffeur d’utiliser la voiture pour ramener les garçons chez eux. Les voitures de
plusieurs dévots furent également réquisitionnées et comme il y avait 300 étudiants,
Baba dut patienter pendant trois heures avant que tous ne soient ramenés chez eux.
Contrairement à la plupart des écoles bien gérées de l’Inde qui imitent le système
d’éducation britannique, les étudiants du Sai Vidya Giri (‘’colline de la connaissance’’)
suivent la coutume indienne en portant de simples vêtements de coton blanc, mais
avec une coupe moderne. L’Institut Sri Sathya Sai d’Enseignement Supérieur fondé en
162
1991 est assimilé à une université et propose lettres, sciences et matières
professionnelles en premier, deuxième et troisième cycle. Son bâtiment administratif
qui couronne la colline au-dessus du campus de Prasanthi est un symbole fort du
mélange du religieux et du profane et il doit figurer au rang des plus belles
constructions de la commune.
Sai Baba s’inquiète aussi de tenir
les pauvres au courant des outils
pédagogiques les plus récents et il
a construit un planétarium pour
les encourager à s’émerveiller non
seulement de l’astrologie, mais
aussi de l’astronomie. Le bâtiment
le plus récent, le Chaitanya Jyoti,
qui abrite un musée combine des
arches gothiques, des dômes
mauresques et un grand toit
chinois, indiquant l’unité d’esprit
qui a conduit à Puttaparthi des
visiteurs du monde entier.
Comme pour toutes les bénédictions conférées par Baba, nulle part dans son éducation
l’étudiant ne doit payer pour sa scolarité. Simultanément, il est enseigné aux
bénéficiaires de chérir le don de la serviabilité et de transmettre aux autres ce qu’ils
ont reçu. A côté d’un enseignement universitaire sain, l’étudiant reçoit de solides bases
163
en matière de responsabilité civique et apprend la valeur du service comme étant la
plus grande contribution qu’il puisse apporter à la société. Les étudiants s’impliquent
activement dans les programmes de développement des villages où ils peuvent voir de
leurs propres yeux le retard affligeant de la région. A la longue, la renaissance du gram
sabha (conseil du village) sera le plus grand don de Sathya Sai au Rayalseema.
Sathya Sai Baba observe ses étudiants qui s’apprêtent à partir pour un ‘’Grama Seva’’, une opération
annuelle où pendant dix jours, à l’occasion d’une fête religieuse, ils vont apporter de la nourriture et
des vêtements aux plus démunis des villages environnants
Le Professeur Gokak a décrit la philosophie pédagogique et la méthode d’enseignement
du programme pédagogique Sai dans Bhagavan Sri Sathya Sai Baba : The Man and the
Avatar (1975). Il commence par donner les propres idées de Baba sur les défauts de
l’éducation moderne qui sont sans ambiguïté. Baba compare les diplômés modernes à
des chasseurs de diplômes qui ont transformé ce que la Déesse du savoir a à offrir en
une course aux jobs indigne. Il déplore le fait que nulle part l’éducation moderne
n’introduit l’étudiant à ‘’la joie de l’enquête sur sa propre réalité’’. Il regrette aussi le
fait que beaucoup d’écoles considèrent leurs étudiants comme des numéros plutôt que
comme des noms. L’humanité est la seule base sur laquelle la confiance entre étudiant
et professeur peut se fonder.
Le remède de Baba est la restauration des quatre piliers de la vérité, du devoir, de la
paix et de l’amour sur lesquels on peut fonder la voie quadruple de la confiance en soi,
164
de la satisfaction de soi, du sacrifice de soi et de la réalisation de soi. Le NAAC
(National Assessment and Accreditation Council) a récemment accordé à l’Institut
d’Enseignement Supérieur Sri Sathya Sai sa côte la plus élevée et le considère comme
un ‘’joyau du système pédagogique universitaire du pays’’. Selon le Dr Gokak, qui dut
une fois soigner un mal de tête après avoir été la victime d’un jet de pierre des
étudiants de l’Université de Bangalore, ces réformes ne pourraient pas être lancées un
jour trop tôt. Mais pour montrer comment le monde universitaire est en conflit avec
lui-même, un autre vice-recteur s’avéra être le critique le plus véhément de Sathya Sai.
Le Dr Narasimhaiah insista avec arrogance pour que Baba se ‘’soumette’’ à un
interrogatoire à propos de ses ‘’soi-disant’’ pouvoirs divins. Ironiquement, le Dr
Narasimhaiah partageait des vues semblables à celles de Baba pour ce qui est de
rendre l’enseignement plus accessible aux pauvres. Les derniers mots de Gokak
concernant la direction que l’enseignement en Inde devrait prendre valent la peine
d’être répétés : ‘’Notre système national doit s’enraciner dans l’Esprit en accord avec le
génie du pays. Il aspire à apprendre à l‘individu à se sculpter lui-même.’’
***
Après avoir fourni une éducation et une assistance médicale à la population
avoisinante du Rayalseema, Sai Baba dut faire face à l’autre problème récurrent de la
région : le manque d’eau potable. Non seulement, l’eau est essentielle à la vie du
villageois, elle est le secret de sa bonne santé. Il y a un côté conte de fée à l’histoire du
miracle de Baba qui fait face à la crise de l’eau dans la région. Envoyé travailler chez
une belle-sœur cruelle dans le Tamil Nadu, le jeune Sathya Narayana Raju transportait
quotidiennement des pots d’eau du canal Krishna sur son dos. Baba porte toujours sur
son corps les marques provoquées par le transport de ces pots durant son enfance. Le
garçon ne se plaignit jamais et en réalité, il se réjouissait d’effectuer une corvée dont
Shirdi Baba s’était lui-même chargé. C’est sans nul doute cette corvée infernale qui a
poussé Sathya Sai à entreprendre son projet d’eau potable révolutionnaire en faveur
du Rayalseema enclin à la sécheresse. Il connaît mieux que quiconque les bénédictions
de l’eau potable transportée par canalisation.
Parce que le Rayalseema se situe quelque part entre la route des moussons du sudouest et du nord-est, de manière chronique, il a manqué d’eau tout au long de
l’histoire. Le réservoir de Bukkapatnam était une tentative médiévale pour stocker cette
ressource précieuse. Le livre très applaudi de P. Sainath, Everybody Loves a Good
Draught (1996) est une étude qui fait réfléchir sur les projets bien intentionnés du
gouvernement d’attribuer des fonds à des régions enclines à la sécheresse. Comme le
livre le montre, la plupart des fonds destinés à l’aide de petites familles rurales dans le
besoin ne franchissent jamais l’obstacle de la bureaucratie administrative du district.
L’argent est englouti par des petits fonctionnaires qui sont de mèche avec de riches
entrepreneurs. L’auteur note qu’Anantapur, le siège du district situé à quelque 80 km
de Puttaparthi, se classe comme une des villes les plus riches de l’Inde, à en juger par
la vente de luxueux 4X4. Ceci grâce à l’argent destiné à l’aide à la sécheresse qui est
détourné vers les show-rooms par des fonctionnaires corrompus et des entrepreneurs
complices. D’autres statistiques épouvantables et connexes qui concernent le district de
165
Sathya Sai montrent que durant les trois ans qui précédèrent le millénaire, presque
2000 fermiers touchés par la pauvreté se suicidèrent après de mauvaises récoltes dues
à la sècheresse. Incapables de rembourser leur prêt pour les engrais et les pesticides,
ils se suicidèrent en avalant ces derniers.
Face au bourbier de décadence morale et de souffrance sur le pas de sa porte, Sathya
Sai s’attela à la tâche herculéenne de résoudre le problème de la sècheresse, à sa façon.
Ce que le gouvernement n’a pas pu réaliser en cinquante ans, il l’a fait en trois ans. Le
Projet d’Approvisionnement en Eau Sri Sathya Sai exécuté au prix de 3 milliards de
roupies fournit actuellement de l’eau à 700 villages du Rayalseema. Là où trouver de
l’eau potable impliquait jadis une longue marche quotidienne pour les femmes, il y a
maintenant un robinet dans leur propre village avec un flux constant et propre.
Le projet comprend quatre idées. La première implique de collecter l’eau via des puits
d’infiltration et des puits collecteurs situés le long des rivières saisonnières, la
Chitravati, la Penna et la Hagari. La deuxième implique le pompage direct à partir d’un
réservoir régulateur situé au-dessus d’Anantapur et un traitement via une filtration
rapide par sable. La troisième comprend sept réservoirs de stockage d’été qui
recueillent l’eau du canal Tungabhadra – quand il y en a. La quatrième, qui concerne
presque trois cent villages, implique de creuser des puits de forage profonds, la
construction de réservoirs de stockage et la pose de pipelines.
166
Timbre émis par la poste indienne et qui représente le projet
En 1997, lors d’une traversée à moto du Deccan de Shirdi à Puttaparthi, je circulais
dans la région sauvage du pays des hautes terres entre Uravakonda et Anantapur.
Après avoir franchi la ligne de partage des eaux, je fis halte à l’oasis du temple de
Penna Ahobilam perché sur la crête. Il y avait quelque chose de magique à propos de
ce site et en descendant dans un vallon pour découvrir son secret, je tombai sur une
petite source d’eau fraîche entre des dalles de granit péninsulaire, un bonus
singulièrement inattendu après cette montée à travers des landes désolées. La paix
ressentie là, je le réaliserais plus tard, était due au fait que ceci était la source du
Projet d’Approvisionnement en Eau Sri Sathya Sai.
Le réservoir régulateur de Penna Ahobilam
Comme tous les autres projets de Sathya Sai, cette ligne de vie fut réalisée en un
temps record. Deux mille kilomètres de pipelines furent posés, vingt réservoirs
167
régulateurs construits au sommet de collines, presque 300 réservoirs surélevés érigés
et plus de 100 réservoirs aménagés au niveau du sol. Quelque 1500 citernes en béton
moulé dotées de quatre robinets furent fournies aux villageois. Chose incroyable, la
pose des tuyaux fut quasiment terminée en trois mois. Chose encore plus incroyable,
après avoir terminé ce projet, Sathya Sai entreprit un nouveau projet au nord
d’Anantapur dans les districts de Medak et de Mahaboobnagar qui garantissait de l’eau
à un million de villageois supplémentaires. Ceci amenait le total des villages couverts à
1100. Pour couronner cette performance de service désintéressé financé par la dévotion
d’adeptes de Baba du monde entier, le projet entier a été légué au gouvernement
d’Andhra Pradesh.
Ce n’est pas la fin de l’histoire. En 2002,
Sathya Sai permit à l’argent de son trust
de terminer le canal Telugu Ganga, un
étroit cours d’eau dont les
gouvernements de l’Andhra et du Tamil
Nadu d’une génération précédente étaient
à l’origine (pour aider à résoudre la grave
pénurie d’eau potable de Madras) et qui
avait été achevé – au moins sur papier –
en 1996. Toutefois, à cause de l’apathie et
de la corruption, l’eau ne parvint jamais
aux citoyens assoiffés de Madras. Baba
donna pour instruction de renforcer et
de bétonner la portion de 176 km entre
Kandaleru et Poondi, offrant du même
coup 150 000 ha de terres irriguées à
l’Andhra. Dix-huit mois après avoir
annoncé son projet, Sathya Sai faisait
couler le Telugu Ganga. De façon
appropriée, si l’on considère le lien
mythologique de Sathya Sai avec Shiva et
sa capacité unique à bénir tout projet
qu’il touche, le canal porte à présent le
nom Sai Ganga.
Le canal avant, pendant et après réfection !
***
168
Toute l’atmosphère de Puttaparthi est animée par le souci principal de Sathya Sai de
veiller aux besoins de ses dévots. Lors de mes séjours à l’ashram, les tarifs des
chambres étaient fort raisonnables. Un petit loyer quotidien est prélevé pour couvrir
les frais d’eau et d’électricité. Ceux qui séjournent dans les hangars, comme je l’ai fait
lors de ma première visite, ne doivent rien payer. Les repas de l’ashram sont
abondamment subventionnés, tout comme la littérature dévotionnelle en vente dans la
librairie de l’ashram.
La librairie de l’ashram
La plupart des dévots de Baba sont pauvres
et beaucoup parcourent de longues distances
et encourent des frais considérables, s’ils
voyagent avec leurs familles. C’est ce
sentiment familial qui existe entre Sai et ses
adeptes qui fait de Puttaparthi une expérience
vibrante et constructive. Cette famille s’étend
aux oiseaux et une caractéristique
extraordinaire de l’ashram, c’est d’être
assourdi par le volume incroyable du chant
des oiseaux, lorsque les corneilles, les
mainates et les aigrettes viennent chaque soir
se percher dans les arbres entourant les
quartiers de Sai Baba. Si vous téléphonez à
Prasanthi au crépuscule, le bruit que les
oiseaux font est si fort qu’il noie la voix de la
personne appelée. Il y a là un lien mystérieux
avec l’attraction magnétique que Sathya Sai
exerce sur ses adeptes humains. C’est presque
comme si nous avions en résidence un Joueur de flûte aviaire qui offre refuge à sa
chorale ailée et admirative – bien que tapageuse.
169
Sathya Sai, qui nourrit une foi fervente dans l’avenir de l’Inde, a une technique
terriblement simple pour briser l’apathie sociétale envers les projets de
développement : faire appel à la nature plus raffinée de l’homme, voir le divin en
chaque visage, manifester l’amour et œuvrer pour le bien commun. Même les cœurs
les plus endurcis fondront devant cet appel. Baba est venu pour guérir et le travail
s’effectue à travers lui et non par lui. ‘’Quand votre foi rencontre mon amour, la
guérison s’opère’’ est une profonde vérité holistique répercutée par toutes les religions.
Il est de la nature de la vie d’être compatissante, soutient Baba, et donc, aucun pouvoir
ne pourra finalement vaincre cette autorité divine. Nous ne nous rappelons plus les
ennemis du Christ, du Bouddha et du Mahatma Gandhi et l’Histoire ne gardera pas les
noms des critiques de Sai Baba. L’humanité n’honore pas ceux qui critiquent, mais
ceux qui sauvent. Une étude sur la contribution phénoménale de Sai Baba à la santé
physique et mentale de sa circonscription du Rayalseema révèle la main cachée du
Divin. Pour l’étudiant en religion, il semble que ce soit là l’unique explication d’une
explosion de compassion sur une période aussi brève qui a vu Prasanthi Nilayam
s’ériger sur un plateau désolé et attirer par une propriété presque magnétique des
gens de toutes les fois du monde entier qui viennent volontairement, attirés par
l’urgence de l’appel de l’amour et non par des promesses utopiques.
Une vue partielle du Hillview Stadium qui accueillit tous les fidèles pour le 80ème
anniversaire de Sathya Sai Baba
170
CHAPITRE 14 : DES LEÇONS QUI DÉPASSENT LA RÉFLEXION
Pour le monde en général, le phénomène Sai Baba est lié à la démonstration publique
de miracles. Comme les propres frères et sœurs de Sathya Sai répugnaient initialement
à accepter sa nature miraculeuse, il est à peine surprenant que le reste du monde
hésite à se prononcer sur son authenticité. Traditionnellement, les maîtres indiens ont
mis en garde contre la démonstration de pouvoirs psychiques, car ceux-ci peuvent
empêcher le chercheur de passer à un niveau spirituel plus élevé. Il semble qu’en
exploitant le miraculeux pour propager son message, la Sai Parampara déclare une fois
de plus ses qualités indépendantes et non orthodoxes. Aujourd’hui, lorsqu’après avoir
été associée pendant des siècles à des charmeurs de serpents et à des tours de yogis,
l’Inde cherche à s’affirmer comme une nation moderne, toute mention de
comportement supranormal hérisse les poils des rationalistes qui écartent de telles
affirmations comme des absurdités superstitieuses conçues pour abuser le citoyen
illettré. Si un contrôle adéquat des escrocs qui font un mauvais usage de la religion et
de sa composante psychique pour un bénéfice personnel est intéressant, il y a quelque
chose de pervers à refuser l’évidence. Ce que l’on suppose être motivé par un
tempérament scientifique peut n’être que du snobisme intellectuel qui implique
l’obstination de préjugés tenaces.
Le problème avec un miracle, c’est qu’il ne permet pas une vérification objective facile,
bien que nous sachions qu’il est vrai. Dès le départ, nous notons des partis pris, de la
négativité et de la suffisance dans l’attitude soi-disant scientifique vis-à-vis des
miracles. Les miracles menacent les fondations de leur culte de la raison et doivent
être démolis ou expliqués à tout prix. Il faut aussi tenir compte de la façon de penser
du spectateur. Ceux qui sont portés sur l’imaginaire voient plus de miracles que
l’esprit qui est scrupuleusement attaché à la méthode scientifique. Mais l’attachement
scrupuleux ne veut pas dire objectivité détachée et les scientifiques peuvent être aussi
obstinément superstitieux à propos de leur discipline.
Pris entre ces extrêmes de la science et de l’inspiration, l’homme ordinaire exerce son
droit d’appliquer son bon sens commun à ce qu’on affirme être un miracle. Depuis des
millénaires, le paysan qui sème dans le sein de la terre mère pour nourrir sa famille est
conscient de la grâce inhérente de sa réponse. Ce cycle de la nature est un miracle
constamment récurrent dont nos vies dépendent. Un autre miracle évident que nous
tous, riches ou pauvres, expérimentons à chaque instant de nos vies est le battement
de notre cœur. Où trouverez-vous sur terre une pompe qui est assortie d’une garantie
de 70 ans et qui ne nécessite ni changement d’huile ni révision mécanique – à
condition que vous l’utilisiez avec un mode de vie sain ? Tout ce qui concerne le cœur
humain est miraculeux. Des gens surveillent le développement du fœtus humain en
permanence et pourtant ne parviennent pas à réaliser ses origines miraculeuses, sous
leurs yeux. Un moment (dans l’embryon de l’utérus) il n’est pas là, l‘instant d’après, il
est là. La sagesse orientale soutient que dans la félicité de l’union corporelle, quand les
ego jumeaux sont transcendés par leur unité, l’âme descend dans le milieu qu’elle
choisit. Donc, alors qu’au niveau physique les parents imaginent que l’enfant provient
de leur choix, au sens spirituel, c’est en fait l’enfant qui choisit ses parents. (Comparez
171
avec la remarque de Sathya Sai : ‘’Les enfants viennent par votre entremise, ils ne
viennent pas à vous.’’)
En voyant le cœur humain comme une pompe physique, nous sous-estimons son
potentiel divin. C’est notre passeport pour le royaume de l’éternel rarement utilisé et à
jamais assujetti aux décisions du mental. Contrairement au mental, peu importe son
niveau d’éducation, le cœur (grâce à ses racines divines) n’est pas le théâtre des
illusions. La plus grande illusion, c’est d’ignorer les pouvoirs miraculeux du cœur qui
seuls peuvent faire comprendre les tourbillons de l’esprit. Complémentairement à l’idée
classique qui veut que le mental doit être apaisé avant de pouvoir connaître Dieu, la
bhakti enseigne que le cœur devrait être activé.
Sans doute que ceux qui sont sourds au miracle du battement de leur propre cœur
doivent être aveugles à l’aura qui émane de Sathya Sai. De tels esprits se soucient plus
de détecter la supercherie dans la matérialisation de la vibhuti et de la réduire au
niveau d’un truc de magicien, en dépit d’un demi-million de démonstrations publiques
de ce siddhi.
Comparer Sathya Sai à un amuseur professionnel n’est pas seulement une insulte à
quelqu’un qui est immunisé contre les insultes, mais une dépréciation de notre être le
plus intime. Mettre en doute les incitations de votre propre cœur, c’est être affecté
d’une maladie pire que la mort.
D’après le juriste M. N. Krishnamani (Divine Incarnation, 2001), une plainte a été
déposée auprès de la Haute Cour de l’Andhra par laquelle Sai Baba est accusé de
contrevenir à la loi sur le contrôle de l’or, puisqu’il a matérialisé des médaillons en or
pour ses dévots. La mesquinerie de la plainte a été dénoncée, quand la Cour fit
remarquer que la loi interdisait la fabrication d’or, mais pas sa création. Quelle
tragédie que, bien que nés avec un cœur rempli de merveilles, certains hommes
172
puissent être aussi insensibles à la réalité de leur propre être et en dépit de multiples
démonstrations de miracles spirituels, continuer de répéter ces accusations de
prestidigitation, comme des perroquets.
D’après le philosophe Locke, ‘’un miracle, selon moi, est une opération sensible qui, se
situant au-delà de la compréhension du spectateur et selon son opinion étant contraire
au cours établi par la nature, est considérée par lui comme étant divine’’. Un miracle –
comme une catastrophe – est un acte de Dieu que notre esprit de veille refuse de
reconnaître. Car la plupart des miracles semblent outrager les lois naturelles. Mais
pour les quelques-uns qui sont convaincus que la nature et la force vitale qui se
manifeste à travers elle sont elles-mêmes miraculeuses, de telles expressions
d’émerveillement semblent appartenir en propre à l’âme humaine.
Les miracles sont ce que Sathya Sai appelle la carte de visite du divin indiquant qu’il
est un canal, un agent de ce pouvoir. Nous le sommes tous dans une certaine mesure,
comme l’incident suivant va le montrer. Je me trouvais sur le toit du palais de
Jaisalmer en train d’écrire quelques notes dans mon agenda, quand le vent
tourbillonnant délogea une photo glissée entre ses pages. Le jour avant, j’avais été à
Nathdwara où j’avais acheté une photo de Shrinathji, le Krishna noir caractéristique de
ce lieu de pèlerinage. La photo fut happée par un courant d’air ascendant, mais à la
place d’être emportée au loin, elle descendit lentement en spirales pour atterrir aux
pieds d’une femme qui franchissait le portail du palais précisément à cet instant. Elle
ramassa ce signe visible de la grâce et se congratula en ne pensant qu’aux bénédictions
de Krishna plutôt que d’essayer de déterminer d’où provenait la photo. On peut
soutenir que c’était un miracle, puisqu’il serait impossible de reproduire le
comportement du vent, de la photo et de la femme. Mais le point à noter, c’est que la
femme le ressentit comme étant un miracle.
La science ne tient pas compte de la
réalité des phénomènes psychiques et elle
conclura par défaut d’explication physique
que les niveaux psychiques et spirituels
atteints par les grandes âmes tout au long
de l’Histoire sont illusoires. La science se
moque par exemple de la revendication de
‘’l’immaculée conception’’ commune à
beaucoup de religions. Non seulement le
Christ et Krishna, mais aussi Merlin et
Platon jouissent de ce statut. Faire de cela
une croyance aveugle semble aussi peu
imaginatif que l’exclure comme étant
impossible. Lorsqu’il fut interrogé par un
pandit pour savoir s’il avait été engendré
ou créé, Sathya Sai envoya le questionneur
chez sa mère pour avoir une réponse. Elle
lui parla d’une ‘’grosse boule de lumière
bleue qui se glissa en elle.’’ Mariée à l’âge
173
de 14 ans, elle entamait sa huitième
grossesse, après avoir perdu la
moitié de sa progéniture à cause
des sciences occultes, selon la
tradition du village. C’est par
rapport à ces réalités frustres
gouvernant l’Inde des villages où
des circonstances économiques
contraignantes sont aggravées par
une superstition grossière et une
coutume stupide que la venue de
Sathya Sai semble aussi
miraculeuse. Dans le contexte arriéré et primitif de Puttaparthi, il apparaît comme une
curiosité, bien distinct de ses frères et sœurs et appartenant à un plan spirituellement
entièrement différent. Le caractère immaculé fait ici allusion au fait indéniable que la
grâce qui est venue dans le monde avec Sathya Sai est unique en étant immortelle. De
là, ce qui ne meurt pas ne peut pas être né. Tous ceux qui surprennent le monde par
leurs dons apparemment immortels tendent à acquérir un statut semblable par la
mythologie.
***
Les leelas de son enfance ont tendance à obscurcir le défi spirituel que Sathya Sai dut
surmonter en affirmant sa nature réelle. Son enfance et sa carrière ultérieure sont
parsemées d’événements miraculeux que tous ses biographes attribuent à sa nature
divine inhérente. Ils choisissent d’ignorer le fait que même le petit acte de produire de
la vibhuti est un épuisement psychique, car la cendre sacrée ou n’importe quelle autre
substance matérialisée n’apparaît pas sans effort de son propre chef, mais est voulue
par de l’énergie psychique.
174
On raconte l’histoire du jeune Sathyanarayana toujours scolarisé qui tomba sur un
fonctionnaire britannique en train de chasser. La voiture était tombée en panne et le
chauffeur avait demandé l’aide des villageois. Sathyanarayana sermonna le sahib sur les
maux inhérents au fait de prendre la vie et après avoir terminé sa leçon, la voiture
démarra miraculeusement. Il n’est pas nécessaire d’ajouter que le père de Sathya Sai
fut horrifié par les conséquences possibles dues au fait que son fils précoce retarda la
voiture d’un fonctionnaire britannique et le sermonna pour le même prix. Il est
amusant de noter comment Kasturi a actualisé cette histoire pour la rendre plus
écologique, avec le garçon guru qui conseille au sahib de ne viser qu’avec un appareil
photo et de faire don de tout animal sauvage orphelin à un zoo. Quelle que soit la
précision des détails, cela montre à quel point ce jeune étudiant était courageux et
dévoué à la cause de la compassion.
Ce genre de miracle mécanique est populaire chez les villageois qui connaissent peu la
technologie. On raconte souvent le ‘’miracle’’ d’un saint homme qui, débarqué d’un
train pour avoir voyagé sans billet, fit usage de ses pouvoirs yoguiques et empêcha le
moteur de redémarrer. Le saint homme fit carrière à la suite de cet incident et le
public superstitieux lui attribua le nom de la gare d’où on l’avait fait descendre. La
psychologie derrière ce prétendu miracle (ceux-ci, soit dit en passant, ont
spectaculairement diminué avec l’arrivée de la traction diesel-électrique) est que le
conducteur de la locomotive à vapeur a paniqué en entendant que sa famille était
maudite par le yogi. En conséquence, il ouvrit trop fort le régulateur et il fit patiner les
roues motrices au lieu de les mettre en mouvement. Le vrai Maître n’a pas besoin de
telles situations forcées qui jouent sur la peur et l’ignorance humaine. Sathya Sai est
arrivé à sa nature extraordinaire grâce à une application constante, une sadhana
physique qui stupéfie par son engagement acharné.
Contrastant avec cette lumière de l’Esprit qui caractérise Puttaparthi, la réalité de la
magie noire dans les villages isolés est une sombre réalité que peu veulent reconnaître.
Avec un taux d’alphabétisation supérieur à celui de nord, les villageois du sud de l’Inde
devraient, en théorie, être moins victimes du côté sordide de la religion. Mais dans la
pratique, l’accès à la connaissance a conduit à une expertise dans l’art de la magie.
Tout comme le Professeur Kasturi contourne la réalité de terrain de la prédominance
de la sorcellerie en faveur de l’euphorie mythologique, de même, l’hindouisme
orthodoxe cache le fait que la plupart des Vedas se soucient de rituels de magie plutôt
que de la philosophie de l’Esprit.
La mission de Sathya Sai, depuis le début, était de sevrer les villageois des superstitions
primitives de l’hindouisme populaire en faveur du véhicule supérieur plus respectable,
où les démons locaux assoiffés de sang sont remplacés par la majesté yoguique d’un
Shiva compatissant. Sa première bataille fut par conséquent la plus rude, puisqu’il dut
se battre contre la majorité grossière et son intérêt personnel à maintenir l’ordre
ancien. Les instincts brahmaniques du garçon, jusqu’à ce qu’ils deviennent publics,
œuvrèrent en sa défaveur et révèlent les nombreux étages de la demeure de
l’hindouisme. La confrontation avec son père vit la victoire du véhicule supérieur. (Bien
entendu, pour le mythologue populaire, Puttaparthi n’avait pas besoin d’être libérée,
175
puisqu’à une époque fantasmagorique, il y a longtemps, elle était peuplée d’êtres
illuminés qui prédirent son âge d’or sous l’ère de Sathya Sai.)
Il était nécessaire pour le jeune Maître de captiver son public qui augmentait
quotidiennement en faisant référence à des enseignements brahmaniques orthodoxes.
C’est seulement quand son autorité fut bien établie qu’il put révéler le message
complet de la Sai Parampara, à savoir que toutes les religions sont une. Pendant tout
le restant de son long ministère, Sathya Sai devra jongler avec la nécessité de captiver
les adeptes de son village attachés aux Ecritures puraniques et son attrait universel
pour un public international.
Le problème avec les miracles du jeune Maître, ce n’était pas seulement qu’ils
offensaient la raison de l’intelligent, mais qu’ils se produisaient tellement souvent qu’ils
tendaient à diminuer la crainte mêlée d’admiration qui entoure traditionnellement la
divinité. Des centaines de milliers de personnes ont vu de près la matérialisation de la
vibhuti et celle-ci apparaît difficilement comme un miracle, maintenant. Pour répondre
à ces critiques qui pensent que les vrais miracles devraient produire des objets plus
gros que le poing humain peut contenir, à deux reprises, pendant la fête de Shivaratri,
j’ai vu Sathya Sai matérialiser des quantités phénoménales de vibhuti à partir d’un
récipient en bois retourné, maintenu au-dessus d’un grand plateau d’argent. Sur le
plateau, dans sa posture où il se tient le pied, il y avait une idole d’argent de Shirdi
Baba. Les manches remontées, accompagné des bhajans chantés par un public exalté, le
bras de Sathya Sai œuvrait avec tant d’énergie − en recueillant des nuages de vibhuti
tourbillonnante, d’abord avec une main, puis avec l’autre – que Kasturi qui tenait le
pot devait s’accrocher en serrant les dents pour éviter d’être renversé. Ce vigoureux
récurage d’un pot vide qui résulta en une montagne de vibhuti recouvrant l’image de
176
Shirdi Baba continua pendant plusieurs minutes avant que Sathya Sai ne s’écarte en
titubant, épuisé. Il fut de retour endéans une brève période, comme d’habitude avec
ses pouvoirs apparemment restaurés.
177
Ce qui est aussi miraculeux que la cascade de vibhuti, c’est le fait que durant les
quelques secondes qu’il faut à Baba pour enlever un bras du pot et y insérer l’autre, la
vibhuti cesse de tomber. Au moment où il insère de nouveau son bras dans le pot, la
vibhuti s’écoule en abondance. Cette preuve étonnante de matérialisation à grande
échelle démontrée annuellement pendant de nombreuses années devant des foules
énormes (et la suite où Baba produit le Linga) peut être visionnée au Chaitanya Jyoti
Museum. Pour le dévot, c’est le signe certain de la présence bénie de Shiva. Pour le
scientifique, cela dépasse sa compréhension normale. Pour un étudiant objectif en
religion, le verdict doit aller en faveur de l’authenticité. Le Dr Narasimhaiah, vicerecteur rationaliste invétéré, s’inquiétait particulièrement du faible volume des
matérialisations de Baba et ceci montre combien peu scientifiques sont les soucis de
tels investigateurs. Qu’est-ce que le volume a à voir avec le fait qu’une chose est réelle
ou pas ? Nier ce que l’on voit à de multiples reprises simplement parce que c’est petit
et que l’on n’a pas de nom pour cela est très peu scientifique. L’affirmation suivant
laquelle des amuseurs publics et des illusionnistes peuvent reproduire la
matérialisation de la vibhuti de Shivaratri n’est pas plausible. Qu’est-ce qui les
empêche de le démontrer ?
Jusqu’où certains critiques iront dans leurs affirmations pour réfuter l’authenticité de
tels phénomènes s’avère absurde. Un film réalisé par la BBC affirme montrer Sai Baba
en train de remettre subrepticement un collier caché sous des livres qu’il présentait à
un distingué visiteur. En fait, la séquence du film − qui peut être ralentie pour un
examen plus minutieux – ne montre rien de la sorte. Ce qu’elle montre, c’est ce que
chaque observateur pendant ces septante dernières années a vu par lui-même ; à un
moment donné, il n’y a rien et l’instant d’après, un objet (dans ce cas-ci un collier) est
apparu comme précipité hors de l’espace psychique.
***
Il existe différentes catégories de miracles. Il y a ces bizarreries objectives de la nature,
influencées par le magnétisme. Au Ladakh, sur la route de Leh par exemple, un
véhicule vide gravira la colline de lui-même, le moteur coupé, apparemment en raison
d’une sorte d’attraction magnétique. Après les phénomènes purement physiques, il y a
la deuxième catégorie – les incidents psychophysiques. Un bon exemple serait les
prouesses impossibles réalisées par mon père pendant une crise de somnambulisme à
laquelle j’ai personnellement assisté. Mon père, qui souffrait de maux de dos pouvait,
quand il dormait, déplacer d’une seule main du mobilier très lourd, lors de ses crises
de somnambulisme. Dans mon enfance, je l’ai vu bouger un piano que trois hommes
remirent péniblement en place le lendemain ! Murphet et Hislop ont décrit des
phénomènes similaires dans leurs livres sur Sathya Sai. Contrairement au dévot indien
qui est émotionnellement comblé à la vue d’un lingam émanant de l’estomac de Sathya
Sai, l’esprit occidental veut comprendre le processus mécanique impliqué. De manière
intrigante, Hislop suggère que le lingam auquel Baba donne naissance suit le modèle
de la nature et que son état fondu se solidifie dans la gorge, comme de la lave
provenant d’un volcan. Quand j’observe le lingam de Rani Ma (produit par la grâce de
Baba), son contact métallique solide me rappelle comment les roches de notre planète
178
se sont formées à partir de magma fondu. Ce qui a pris des millions d’années à la
nature apparaît via Sai Baba en quelques secondes.
Sai Baba matérialisant un Lingam par la bouche à l’occasion de la fête de Shivaratri, en
2002
Murphet a décrit l’exemple encore plus remarquable et improbable d’un morceau de
granit transformé en sucre candi et qui fut consommé par plusieurs témoins oculaires.
S’il est étrange de produire quelque chose comme du sucre candi, il est important de
se rappeler que la matérialisation de substances humides et collantes est beaucoup
plus difficile à simuler que de la poudre sèche. Les professeurs américain et islandais
qui ont enquêté sur la capacité de Baba à matérialiser des substances étaient
convaincus que leurs critères d’authenticité ont été respectés. L’un d’eux conclut :
‘’Nulle part, je n’ai rencontré des phénomènes semblant indiquer aussi clairement et
aussi puissamment la réalité spirituelle.’’
Le troisième type de miracle semble être psychosomatique, impliquant l’esprit, le corps
et les émotions. Un exemple des plus spectaculaires est la guérison de John Gilbert, un
Américain invalide chronique qui n’avait aucun espoir de survivre à ses infirmités. Un
jour, par chance, il vit un enfant noyé que l’on ramenait à la vie et l’émerveillement de
ce sauvetage compatissant altéra son jugement négatif concernant ses propres chances
de vivre. La gratitude pour le don de la vie bannit l’auto-apitoiement qui avait
handicapé son esprit et son corps malingre. Le cas de Sai Baba ressuscitant Walter
Cowan est une autre intervention miraculeuse. Son importance ne réside pas dans le
temps de vie supplémentaire accordé à Cowan (il n’a vécu que 18 mois de plus), mais
179
dans le motif de Sai Baba. Il le fit dans un geste purement pratique afin d’épargner à
son épouse âgée le fardeau supplémentaire de rapatrier le corps de son mari en
Amérique. Presque tous les miracles, si on les soumet à un examen attentif, révèleront
de la compassion. Il y a là un indice de ce qui motive un miracle. Sathya Sai, par
exemple, ne guérit pas la calvitie. Son souci, c’est d’ennoblir l’homme intérieur, plutôt
que l’homme extérieur.
Sai Baba entouré par Elsie et Walter Cowan
180
Bien qu’il appelle ses miracles des ‘’présents pour ma famille’’, ce sont des étincelles
spontanées de sa nature divine. Dans un article intitulé ‘’Le plus grand miracle’’,
Kamaladevi Chattopadhyay, la doyenne des travailleuses sociales indiennes, fait
clairement comprendre que le miracle véritable, c’est d’être confronté à l’affection sans
limite de Sathya Sai, ‘’une force qui est à peine descriptible…l’éveil de l’étincelle divine
en nous’’.
***
Les miracles sont une grâce. Ils trahissent le mécanisme par lequel fonctionne la grâce.
Je puis citer une petite grâce qui eut pour conséquence de me sauver la vie. Quand Sai
Baba visita la maison de Delhi de Rani Ma en 1980, elle lui demanda de bénir mon
piolet, comme j’allais bientôt partir en expédition dans le sanctuaire de Nanda Devi.
Baba saisit le piolet doté d’une lame et d’une panne et après avoir matérialisé de la
vibhuti, il en frotta la lame, mais pas la panne. ‘’Tu réussiras !’’, me dit-il en me le
rendant. Tout en escaladant sans corde la paroi d’une gorge à pic, j’utilisai la lame du
piolet pour tenter de trouver une prise et alors que la lame sur laquelle Baba avait
frotté de la vibhuti pénétrait dans la falaise, je perdis pied pour rester suspendu de
tout mon poids sur la lame − 100 mètres au-dessus du Rishi Ganga. La lame tint le
coup suffisamment longtemps pour que les porteurs puissent redescendre me secourir.
Bill Aitken
Ayant bénéficié de la grâce de mini-miracles, je n’ai jamais eu besoin d’être convaincu
de plus grands miracles dans la vie d’autrui. Il y en a toutefois un que je ne puis pas
ignorer, car il dura vingt-cinq ans et je fus le témoin de son déploiement. La mère de
Rani Ma, Balbir Kaur, avait un cancer de l’estomac et elle fut opérée par le meilleur
chirurgien de Bombay qui conclut qu’elle ne vivrait pas jusqu'au matin. Elle avait une
photo de Baba dans sa chambre et elle priait comme seule une personne mourante
peut le faire. Elle ne savait pas qui il était. C’était un parent qui lui avait remis la
photo en lui certifiant que cette personne était un guérisseur qui faisait des miracles.
Cette nuit-là, son corps cessa de se détériorer et à la grande surprise du médecin qui
s’attendait à la trouver morte le lendemain matin, on la trouva en vie et récupérant.
Non seulement elle vécut, mais elle alla superviser les dames à l’ashram de Puttaparthi
avec les heures éprouvantes que le travail impliquait. De plus, elle dirigeait sur le
terrain en s’acquittant du travail physique avec les volontaires pour aider à construire
le Sarva Dharma Stupa. Elle était l’un des nombreux miracles vivants de Baba, guérie
181
par le mélange de sa foi et de son amour. Les rationalistes soutiennent que c’est la
médecine qui l’a guérie, en dépit du fait que les médecins avaient cessé de lui donner
des médicaments à cause de leur inutilité. Ils soutiennent encore que techniquement, il
se peut que son cancer n’ait pas été guéri, mais le fait est qu’elle fut rendue à vingtcinq années d’activité vigoureuse.
On peut trouver une longue liste de miracles qui ont marqué la carrière de Sathya Sai
dans des douzaines de livres chroniquant les expériences de ses disciples de tels
phénomènes. Sai Baba, l’Homme des Miracles (1971) de Howard Murphet donne un
compte-rendu plus objectif que la biographie officielle de Kasturi. Une liste avait été
établie précédemment par Nagamani Purnaiya (The Divine Leelas of Bhagavan Sri
Sathya Sai Baba) qui fut une disciple très proche dans la première partie de sa
mission. Ra Ganapati inclut une liste de 370 miracles dans l’appendice de Baba Satya
Sai et donne aussi un compte-rendu de l’étrange échange du lingam de Rani Ma par
Baba. Miracles Are My Visiting Cards : An Investigative Report on the Psychic
Phenomena Associated With Sri Sathya Sai Baba (1987), de Erlendur Haraldsson, est le
compte-rendu objectif d’un spécialiste, de plusieurs rencontres avec Sathya Sai.
Impartial dans ses observations, il est clair que dans cette étude, Sathya Sai apparaît
sous un jour plus favorable que ses accusateurs.3
Le Prof. Erlendur Haraldsson
Deux miracles pris au hasard, dont le même scientifique américain fut le témoin,
montrent comment la grâce de l’Esprit universel – l’essence de Sai − opère, même
quand le corps physique du saint de Puttaparthi n’est pas présent là où le miracle se
produit. Al Drucker, un ingénieur en astronautique de la NASA, rappelle (dans Golden
Age, 1980) comment, en volant dans un petit appareil pris dans un orage électrique,
pratiquement à cours de kérosène, il avait été sauvé par une ‘’voix’’ à la radio qui
l’avait guidé jusqu’au sol en sécurité, malgré des obstacles apparemment
3
Une suite est sortie en juillet 2013 (Erlendur Haraldsson, Modern Miracles : The Story of Sathya Sai Baba : A
Modern Day Prophet, White Crow Productions Ltd), NDT.
182
insurmontables. Pour ajouter au mystère, le contrôle au sol n’avait pas eu connaissance
de cet échange radio. Après réparations, l’appareil poursuivit sa route jusqu’au
Mexique où, par chance, le pilote visita un ashram dirigé par une fidèle de Sathya Sai.
Dès que le pilote vit la photo de celui-ci, il fut convaincu que c’était la ‘’voix’’ qui
l’avait guidé en sécurité. Chose curieuse, un autre fidèle américain, Charles Penn,
connut une expérience remarquablement similaire dans un appareil secoué par un
orage. Cet épisode le conduisit aussi à Puttaparthi.
Al Drucker et Charles Penn
Sathya Sai en compagnie d’un autre homme-volant, l’astronaute américain
Brian Todd O’Leary, qui porte une bague matérialisée par l’Avatar
(Réf. : Brian O’ Leary, The Second Coming of Science, 1993)
183
Un second miracle d’un ordre complètement différent se produisit en 1975 à Prasanthi
Nilayam, où Al Drucker était allé offrir sa gratitude à la voix qui lui avait sauvé la vie.
Il prit une photo de Sathya Sai marchant devant le temple de l’ashram, quelques
minutes après avoir pris un portrait rapproché du profil de Sai Baba. Ces deux
photographies forment les illustrations de couverture de Discourses on the Bhagavad
Gita de Sai Baba (édités par Al Drucker, 1988). Regardez attentivement le quatrième
de couverture et étrangement il y a, parfaitement placée ‘’en dessous’’, une image de
face en arrière-plan de Sathya Sai qui apparaît et qui donne une sensation numineuse
de présence cosmique. Les critiques appelleront ceci un trucage, ignorant la réalité
physique que le seul pouvoir qui puisse truquer de manière aussi convaincante doit
être Dieu lui-même.
Au bout du compte, aucun de ces deux miracles n’ajoute à notre compréhension des
pouvoirs étranges de Sathya Sai. Ils furent donnés à Al Drucker pour son instruction
et nous les citons parce qu’ils sont typiques des expériences vécues par des centaines
d’autres chercheurs. Le premier miracle eut lieu à cause d’une question de vie ou de
mort et il a ébranlé tout l’être, alors que le second n’a fait que stimuler l’appétit de
l’âme pour connaître la merveille sous-jacente au tissu de l’univers. Ensemble, ils
illustrent comment un Maître peut suivre un dévot potentiel et après l’avoir ferré
grâce à une intervention radicale, il utilise ensuite des miracles de moindre importance
comme la double photographie en une seule pour donner une preuve généreuse de la
leela continue ou du jeu divin du Maître. Ce que nous savons, c’est que le miracle
principal vers lequel pointent les autres doit provoquer la transformation d’un être
humain d’un état de comportement animal inconscient à une conscience de son
héritage divin. Quand Hislop apprit que Sathya Sai pouvait accomplir l’ultime miracle
de transformer la nature humaine, il attrapa le prochain avion pour l’Inde.
184
CHAPITRE 15 : DISPERSER LES ORGUEILLEUX
Le manifeste du mouvement rationaliste, c’est de dénigrer le monde de l’Esprit et de
rejeter ses aspects miraculeux sur la présomption que tous les phénomènes
supraphysiques insultent les lois de la nature et qu’ils ne peuvent être l’œuvre que
d’escrocs prêts à tirer parti de la crédulité des pauvres. Qu’aucun effort ne soit fait
pour distinguer une manifestation spirituelle authentique d’une fausse suggère que les
critiques ne s’intéressent pas à la vérité, mais à leur version préconçue de la vérité.
Shirdi Sai comparait ses critiques à des hommes assoiffés qui s’approchent d’un puits
avec leurs récipients retournés et qui se plaignent ensuite qu’il n’y a pas d’eau.
Personne ne peut nier que la superstition et l’obscurantisme sont souvent et justement
assimilés à la religion populaire qui, pendant des siècles, a joué sur la crédulité des
illettrés. Lors de grands rassemblements de pèlerins, des prêtres orchestrent des
interventions apparemment divines pour impressionner les fidèles et par ces moyens
garantissent une participation encore plus élevée l’année suivante. Ainsi, à Sabarimala
dans le Kerala, les pèlerins d’Ayyappa seront éblouis par un feu d’artifice
prétendument divin au paroxysme de la visite. De même, un jour fixe, chaque année, à
sa source, la Kaveri débordera de son réservoir sacré et on attribuera à la déesse
l’ingéniosité des prêtres qui provoquèrent l’inondation. Personne ne reprochera aux
critiques de dénoncer la manipulation grossière des esprits humains par un pouvoir
sacerdotal cupide.
Grâce au leader dravidien, Periyar, qui critiqua catégoriquement le système
brahmanique, le rationalisme possède une base plus large dans le sud que dans le
nord. Abraham Kovoor fut un rationaliste éminent du sud. Il se donna pour mission de
dénoncer la fraude des saints hommes en examinant au ralenti comment ils
accomplissaient des trucs de magicien qui paraissaient miraculeux à un public peu
critique. Sa sincérité ne peut pas être mise en doute et ses révélations ont
incontestablement contribué à réduire le nombre des imposteurs qui avaient espéré
exploiter une croyance aveugle en leur tromperie. Kovoor appréciait clairement la
publicité et il alla jusqu’à offrir de grosses récompenses en argent liquide à tout
homme-dieu qui pourrait accomplir avec succès un miracle, à la satisfaction des
critiques. Comme personne ne parvint à mériter la récompense, Kovoor conclut qu’il
avait gain de cause. Il n’existait rien de tel que des miracles.
L’approche grossière et insensible de ce type d’investigation nous rappelle l’athée
Charles Bradlaugh qui brandissait un chronomètre sous le nez de son public
britannique et qui mettait ensuite le Tout-Puissant au défi de le frapper à mort
‘’endéans les cinq minutes.’’ Après que le temps se soit écoulé et après avoir pu
constater que M. Bradlaugh était toujours bien vivant, le public était censé conclure
que Dieu n’existait pas. Et si Dieu avait conclu par pure compassion que M. Bradlaugh,
bien que stupide, ne méritait pas la peine de mort ? Et si Dieu avait conclu qu’en
permettant à M. Bradlaugh de vivre sa vie jusqu’à son terme normal, quelque sagesse
pourrait peut-être s’immiscer dans son crâne arrogant ? Ironiquement, sa compagne
d’armes, Annie Besant, finit par embrasser la vie spirituelle.
185
Le défaut le plus flagrant du rationaliste, c’est sa propension à laisser l’amour en
dehors de l’équation. Leur approche est cérébrale et omet les émotions humaines
ordinaires. Les rationalistes utilisent Sai Baba pour attaquer ce qui est en fait leur
principal ennemi – la liberté de chérir le monde de l’Esprit. Quand on lit les abus dont
ils font preuve à l’encontre du Maître de Puttaparthi, il semble qu’ils ne sont pas tant
furieux contre lui que contre les pauvres qui se rassemblent autour de lui. Leur
prétention d’agir en faveur de l’homme ordinaire sonne faux, quand ils font montre
d’autant de mépris pour les préférences des villageois. Une épitaphe érigée par des
parents affligés dans le cimetière de guerre de Kohima saisit le caractère émouvant que
ces critiques ne parviennent pas à comprendre :
‘’Pour le monde, notre Tom n’était qu’un simple soldat.
Pour nous, c’était le monde entier.’’
***
A côté des critiques rationalistes, il y a ceux que l’on pourrait appeler les
irrationalistes. Ils suivent un modèle bien connu de l’histoire de la religion où un
disciple trop enthousiaste devient un apostat et après un retournement émotionnel
déconcertant dénonce comme Satan la personne même que la veille encore il déclarait
être Dieu. Le meilleur exemple de ce comportement névrotique est St Paul qui débuta
sa carrière comme un persécuteur de chrétiens juif enthousiaste. (Il est ironique que le
premier missionnaire chrétien donna à son église son premier martyr, quand Paul fit
lapider Etienne.) Il y a un modèle perceptible dans le comportement des mécontents
de Puttaparthi. D’abord, le guru les établit, leur donne une place privilégiée pour qu’ils
aient l’impression de faire partie du cercle intime de l’ashram et d’une manière
générale, il leur accorde beaucoup d’attention. Ensuite, certain de leur amour, le guru
entreprend le travail de démolition de leur moi irréel. Ils sont à présent ignorés, priés
de s’asseoir dans le fond et généralement remis à leur place. Pour eux, la porte de
sortie facile est de se chercher un autre guru qui sera plus réceptif à la sensibilité de
leur âme. Sinon, le disciple indigné écrit un livre condamnant l’aveuglement du guru,
incapable de reconnaître l’or spirituel qui se cache dans l’ego éconduit.
Je peux compatir avec ceux qui jettent l’éponge, puisque j‘ai failli en faire autant après
avoir reçu le traitement spécial du guru. En fin de compte, nous devons trouver
l’enseignement en nous-même et comprendre que le guru n’est que le représentant
extérieur de ce qui est immortel en nous. Que nous saisissions cet enseignement par la
grâce ou par l’effort, sa vérité nous libère du besoin de l’ego d’occuper toujours le
premier plan. Trouver le maître intérieur et la place où vous vous asseyez n’a aucune
importance. Vous n’aurez pas besoin non plus d’écrire un livre expliquant comment
vous avez été trompé par Sai Baba, ce qui ne vous a laissé d’autre choix que de vous
répandre en méchancetés exagérées.
Tal Brooke était l’un de ces adeptes enthousiastes désabusé par Sai Baba. Il écrivit Lord
of the Air. Le livre possède la saveur des années flowerpower qui virent des centaines
de jeunes étrangers idéalistes faire le tour de l’Orient en papillonnant de sectes en
186
cultes, comme des abeilles, récoltant des intuitions spirituelles où qu’ils aillent (selon
eux), mais ne trouvant jamais un ashram digne de leur âme où il pourraient jeter
l’ancre en permanence. Il est habituel de trouver dans les récits de ces voyageurs
inexpérimentés des prétentions à ‘’révéler’’ au monde que des charlatans se cachent
derrière les robes de ces gurus. Puisque eux-mêmes se posent en charlatans en
prétendant comprendre le sens d’enseignements que seule l’expérience peut fournir,
comment pouvaient-ils espérer détecter un Maître authentique ? (Gurdjieff a une fois
dit à l’intellectuel Ouspensky que si ce dernier comprenait une fraction des
enseignements qu’il avait écrits dans ses livres, il (Gurdjieff) toucherait ses pieds.
Un autre dévot occidental désenchanté, David Bailey, un musicien anglais, utilisa
Internet pour essayer de discréditer Sai Baba et son mouvement. Brooke et Bailey
parlent de conduite impropre, mais ils ne donnent pas d’autres preuves que les on-dit
d’autres disciples mécontents, dont beaucoup se cachent derrière un pseudonyme sur
le site Web de Bailey. Brooke s’appuie sur un jeune Anglo-Indien non identifié qui
étant pauvre et chrétien, pourrait être un indicateur payé par le lobby missionnaire.
(Une édition en livre de poche de Lord of the Air provient d’une maison missionnaire.)
Etant donné que les jeunes Anglo-Indiens de Whitefield n’ont pas l’occasion de
fréquenter l’ashram, ce garçon doit être allé frayer avec les étrangers. Le règlement de
l’ashram – que Brooke a enfreint – met en garde les dévots (avec une vision quasi
prophétique dans ce cas-ci) : ‘’Ne fréquentez pas les étrangers. Il est possible qu’ils
aient des arrière-pensées qui conduiront ultimement à des désagréments.’’
Tous les arguments de Bailey s’autodétruisent quand, reconnaissant son incapacité à
discréditer la réputation de Sai Baba par des insinuations salaces, il se lance dans une
tirade générale, ridicule par le délire de ses accusations contre l’ashram et ses rouages.
La vibhuti de Sai Baba, affirme-t-il, est préparée en capsules pour duper le public. Mais
même, en admettant la possibilité que Bailey soit le seul témoin perspicace parmi un
demi-million d’imbéciles, comment cela explique-t-il la pluie abondante de vibhuti, lors
de Shivaratri devant des foules énormes qui ne peuvent pas toutes être aussi stupides
qu’il l’implique ? La méchanceté élaborée de ses fulminations résonne de manière aussi
exagérée que la dénonciation des païens chez un missionnaire victorien. De façon
révélatrice, Brooke et Bailey reprennent le vocabulaire de l’évangélisateur et accusent
leur cible d’avoir pactisé avec le diable. C’est très banal pour des gens naïfs à l’étranger
et je me rappelle la visite d’un célèbre moine catholique britannique à Mirtola, dont les
premières impressions concernant la cérémonie de l’arati le convainquirent qu’il était
bien en enfer, écoutant (et reconnaissant) les rites de Satan. Ce qui est comique avec
toutes ces réactions étrangères au choc des cultures, c’est l’implication que les visiteurs
possèdent une connaissance pratique et rapprochée des goûts du diable !
Comme les voix rationalistes égarées, ce que ces critiques isolés disent réellement, c’est
qu’ils sont les seuls témoins fiables et que les trente millions d’adeptes de Sai Baba
sont tous des simples d’esprit. Un tel matraquage exagéré révèle le scénario connu
d’un croyant déséquilibré qui, incertain de ses attaches, accepte un guru pour le sortir
de sa confusion. La haine religieuse est un signe d’énergies mal orientées et ceci peut
expliquer pourquoi des adeptes qui deviennent des apostats expriment invariablement
leur frustration par le biais d’insinuations à caractère sexuel.
187
Tout au long de l’Histoire, chaque instructeur religieux digne de ce nom a été la cible
de quelque groupe vengeur et le moyen le plus facile pour jeter le doute sur le
caractère d’un saint, c’est d’insinuer une conduite sexuelle déviante. C’est le prix que
les Maîtres paient pour insister sur une vie chaste, bien qu’il devrait être noté que
même Gurdjieff, qui n’avait pas de problèmes sexuels, fut pris pour cible. Au lieu
d’être bien disposée envers un guru qui renonce aux conforts de la vie de famille pour
enseigner à l’humanité et d’essayer de comprendre son inévitable solitude physique, la
société critique d’une façon pseudo vertueuse toute déviation apparente du chemin du
sacrifice. Le Christ fut accusé de fréquenter des ivrognes et des prostituées et, comme
Ramakrishna Paramahansa, d’avoir des tendances homosexuelles.
Nous pouvons aussi voir dans le cas de Ramana Maharshi comment opèrent ceux qui
font courir des rumeurs, répandent la méchanceté et rendent l’innocence semblable à
de la culpabilité. Une jeune femme romantique et pressante fit une demande en
mariage à Ramana. Le jeune sannyasin déclina l’offre courtoisement. La dame
déséquilibrée se suicida tragiquement et l’incident fut étouffé pour refaire surface
cinquante ans plus tard. A présent, le scénario avait été déformé pour affirmer que le
saint était responsable. Sinon, disait la rumeur, pourquoi avoir tout d’abord étouffé
l’incident ? Les autorités de l’ashram n’étaient pas en position de force. Souhaiter
qu’un événement n’existe pas, d’un point de vue théorique, n’était pas un
comportement idéal, mais il était pratique, étant donné ce que Ramana tentait
d’incarner. Pourquoi un seul événement tragique devrait-il détourner l’attention du
public de l’exemple de dévotion inébranlable incarné par Ramana ? Conformément au
modèle, cette version fut propagée par un disciple étranger devenu apostat.
Dans tout contexte ashramique, le sexe est un sujet explosif et quand vous avez,
comme à Puttaparthi, des milliers de dévots des deux sexes assis côte à côte deux fois
par jour pour le but apparent du darshan, il n’est pas étonnant que parfois, certains
sentiments deviennent incontrôlés. Bien que ceci soit discrètement reconnu, rien n’est
dit, bien que ce soit la politique stricte de l’ashram de ne pas encourager de liaisons
pour la raison évidente que le but de venir à Puttaparthi, c’est de dépasser les désirs
physiques. C’est l’amour de l’Esprit universel qui est encouragé. Dans un tel contexte,
l’éros est considéré comme inapproprié, bien qu’il puisse y avoir un grand flux de cette
force vitale puissante pendant le darshan. Sai Baba a déclaré que la raison pour
laquelle les hommes et les femmes ne devraient pas converser inutilement sur le
campus, c’est parce que cela les distraira du but pour lequel ils sont venus, à savoir
trouver leur propre Soi intérieur.
Contrairement au célèbre guru moderne, Mata Amritanandamayi qui exprime son
amour en serrant dans ses bras tous ceux et toutes celles qui viennent pour son
darshan, l’éloignement strict de Sathya Sai vis à vis de tout contact humain et
particulièrement féminin est bien attesté. Comme pour toutes les figures saintes qui
mettent un point d’honneur à une telle ségrégation, la rumeur vulgaire ignorera les
précautions pratiques nécessaires dans un rassemblement de masse et supposera qu’il
doit y avoir une préférence homosexuelle cachée. Faire taire une telle rumeur est dur
dans un monde où le clergé des religions contraint au vœu du célibat manque trop
souvent son idéal proclamé. L’hindouisme est la seule religion ayant la sagesse de
188
percevoir que le sexe doit être un sujet tabou, non pas parce qu’il est profane, mais
parce que c’est un mystère trop sacré que pour en parler vainement.
Brooke et Bailey plaident que Sai Baba a abusé de leur foi innocente. En fermant les
yeux à la réalité que chaque nouveau disciple est chouchouté et ensuite
remarquablement ignoré (pendant quatre ans dans le cas de Diana Baskin et de son
mari), ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Sai Baba ne les a jamais invités à
Puttaparthi et ne leur a pas demandé de devenir ses disciples. Il ne leur a pas promis
la vie après la mort, s’ils signaient avec lui un contrat pour être leur sauveur. Ils sont
venus de leur propre gré. Quand il leur accorda de l’importance, ils l’appelaient Dieu.
Quand il transféra à d’autres cette importance, ils l’appelèrent Satan. Un demi-siècle de
pratiques quotidiennes à Puttaparthi aurait dû leur faire voir à quoi s’attendre, s’ils
n’avaient pas fermé leurs yeux à tout, excepté à leur propre importance. Bailey
reconnaît maintenant qu’il n’a plus besoin de guru extérieur, ce qui veut dire que Sai
Baba a réussi à faire passer un enseignement essentiel. Howard Murphet note dans son
dernier livre que les retombées de ces publications ont eu pour effet salutaire de
purger Prasanthi Nilayam d’autres sceptiques, pique-assiettes ou simplement curieux.
***
Comme troisième catégorie de critiques, il y a ce qu’on pourrait appeler le dilettante
littéraire qui est intrigué par le mystère qui se dégage de cette figure magistrale, mais
qui ressent que tout ce qui est populiste doit être évité. Il se dit rationaliste et
humaniste, mais son mode de vie est très éloigné du dur labeur du villageois et il
préfère sermonner les masses plutôt que de se mêler à elles. Ces dévoués persécuteurs
de Sai Baba font preuve d’une fureur disproportionnée par rapport à leur attitude
autrement douce et éclairée. Sathya Sai fit observer à propos de ces ‘’pinailleurs’’ que
leur obsession à son égard s’avère être, négativement au moins, un intérêt subliminal
pour le divin. Comme la majorité des critiques citadins, les dilettantes préfèrent
ignorer les réalisations sociales de Baba qui a approvisionné en eau potable un millier
de villages et ils continuent de l’admonester pour induire les pauvres en erreur.
Ayant grandi avec quelques-uns des plus célèbres rédacteurs en chef actuels et les
ayant vus devenir des écrivains et des personnes de principes, je trouve étrange, sinon
amusant que ces professionnels, autrement impartiaux, doivent en étant promus
directeurs se sentir compétents pour prononcer un jugement instantané sur le
caractère et sur la mission de quelqu’un qui est aussi profondément intriguant que
Sathya Sai. Les rédacteurs en chef matures formuleront leur indifférence pour le
domaine spirituel en une prose réfléchie, mais trop souvent, il y a un désir
irresponsable de faire les gros titres et de condamner sur ouï-dire, puisqu’il est à la
mode de ne pas être vu comme soutenant quelque chose qui est du goût des masses.
Dans un cas frappant, Sai Baba neutralisa le mauvais karma que la presse s’attire à elle
avec insouciance. R. K. Karanjia, le rédacteur en chef de Blitz, l’hebdomadaire le plus
populiste et le plus direct de l’Inde de l’époque, dont on pouvait s’attendre à ce qu’il
dénigre la mission de Sai Baba, fut sidéré par la présence de Sathya Sai et passa d’un
extrême à l’autre en affirmant ‘’Dieu est indien.’’ Il y a ici une indication de la raison
pour laquelle le succès de Sathya Sai a eu mauvaise presse à l’étranger. Dans tous les
189
comptes-rendus négatifs, le trait commun est la phobie, une peur que les pouvoirs
supranormaux de Sai Baba ne prouvent qu’il soit un croquemitaine. Pour aggraver ces
sentiments souvent racistes de la presse internationale, il y a la réalité économique
qu’en Occident, où les foules des églises déclinent, la mission du nouveau-venu, Sai,
attire des donateurs de gros calibre. La jalousie envers un tel succès spirituel est une
autre raison qui se cache derrière le fait que les critiques minimisent délibérément le
vrai statut spirituel de Sathya Sai.
Quand un hebdomadaire indien de premier plan préleva dans un quotidien londonien
un article diffamatoire anti-Sai Baba, il dut faire marche arrière par crainte d’une
réaction violente de ses lecteurs. La colère ne concernait pas Sai Baba, mais le respect
de l’Indien envers lui-même. Pourquoi un magazine devrait-il reproduire un article
anti-indien destiné à influencer l’opinion publique sans examiner l’affaire ? Le
quotidien en question est l’organe de l’establishment tory bien connu pour ses
positions insulaires et colonialistes. Tout ce qu’il y a de négatif à propos de la tradition
religieuse hindoue est certain d’être mis en relief dans ses pages. C’est ce journal qui
collecta des dons pour le général Dyer qui avait été cassé pour avoir ordonné d’abattre
des civils lors du massacre de Jallianwala Bagh en 1919.
Un quotidien indien très en vue encourut pareillement de sévères critiques concernant
la même histoire et dut publier ses excuses pour avoir contrarié ses lecteurs. Les
journaux ne sont pas imprimés pour le bien-être de notre âme, mais pour que leurs
propriétaires gagnent de l’argent. Etant donné que leurs propriétaires ont leurs
propres gourous, il n’est pas surprenant de trouver, à l’occasion, des comptes-rendus
calomnieux à propos de chefs spirituels rivaux.
***
Un domaine où beaucoup de sympathisants ont l’impression que la mission de Sathya
Sai pèche est celui de la désignation d’un responsable des relations publiques avec qui
la presse pourrait s’entretenir. Souvent le ressentiment de la presse est provoqué par
la politique officielle de l’ashram de rester silencieux, ce qui suggère (au moins pour
les médias) une organisation autocratique ou d’avoir quelque chose à cacher. Vous
avez ainsi la rumeur propagée par des missions rivales et reprises par la presse, selon
laquelle Puttaparthi est un lieu de culte sinistre où le Maître pratique un genre
d’hypnose pour plonger ses adeptes dans une obéissance aveugle. Ceci ignore de façon
commode le fait que la presse peut également se conduire despotiquement et prend
grand soin de cacher son potentiel de malveillance. Une fois que vous vous engagez
avec les médias, il n’y a pas de fin à leurs exigences. Tout qui a déjà accordé une
interview a appris à s’attendre à trouver ses paroles déformées et ses idées dénaturées.
On s’excuse de gros titres préjudiciables qui se sont avérés faux dans de tous petits
caractères. La presse, qui recherche des titillations éphémères, fuit trop souvent sa
responsabilité de soutenir les valeurs quotidiennes, sans parler des valeurs éternelles.
Un être aux réserves de compassion supérieures, en entrant dans un corps humain,
doit accepter l’examen sévère que son message va attirer et la garantie que son corps
190
est susceptible de toutes les plaintes dont la chair est l’héritière. Comme le prix des
journaux l’indique, la plupart des lecteurs préfèrent des scandales, de la violence et des
catastrophes à l’art de la paix et au baume de l’Esprit. Sathya Sai a rendu la vie à plus
d’un millier de villages assoiffés du Rayalseema, mais aucun journaliste n’estimera
intéressant de propager la dimension historique de cet acte de charité unique.
Cependant, un seul crime à l’intérieur de l’ashram attirera des hordes de journalistes
prêts à ressusciter l’ambiance de cet ancien sport sanguinaire qui consistait à jeter des
chrétiens aux lions.
Quand un meurtre à l’intérieur de l’ashram secoua Puttaparthi en 1993, Sathya Sai luimême le résuma comme le fruit de la jalousie. Pourtant, cela n’empêcha pas la presse
de faire ses choux gras de spéculations sauvages et de reportages imaginatifs. Une
étude des coupures de presse concernant cette affaire sensationnelle ferait grimacer
n’importe quel journaliste professionnel face à l’amateurisme sommaire et aux
insinuations faciles qui en ressortent. Si l’ashram avait jamais eu besoin d’arguments
montrant qu’il avait eu raison de garder la presse à distance, nous en avons ici la
meilleure preuve. Un jeune reporter inexpérimenté s’était pointé sur le campus de
l’ashram, avait annoncé que les dévots observaient une ‘’conspiration du silence’’ pour
déduire de ce silence l’histoire la plus ridicule, non corroborée.
Il semble que quatre membres du propre détachement de sécurité de Sai Baba soient
entrés par effraction dans ses quartiers (adjacents au temple) pendant la nuit. Armés
de ce qui semblait être des couteaux artisanaux, ils ont tué l’aide favori de Baba et un
autre étudiant venu à sa défense. Les quatre montèrent ensuite à l’étage, apparemment
pour affronter Sai Baba et l’instruire de leurs griefs, lacérant tout ce qui se trouvait
sur leur chemin, mais ils se replièrent quand Baba leur ordonna de partir. A présent,
l’alarme avait été déclenchée, car des étudiants dormaient à l’extérieur du temple. Baba
fut secouru par ses étudiants et abrité dans une réserve du temple. Alors même qu’il
s’asseyait sur un sac de riz, quelqu’un fit remarquer qu’il avait été trahi par quelqu’un
de son propre cercle intime. Désignant le sac, Sathya Sai dit que seuls quelques grains
de riz étaient mauvais. Au comble de l’horreur, il avait encore de la compassion pour
les tueurs.
Entre-temps, la police locale avait été appelée et des policiers gagnèrent les quartiers
de Baba où les quatre meurtriers s’étaient enfermés. Sathya Sai avait déclenché une
alarme qui avait été placée pour prévenir l’ashram de toute menace naxalite qui
semblait imminente à une époque. Celle-ci éveilla les villageois qui, armés de bâtons,
vinrent grossir les rangs des dévots dont l’humeur était devenue explosive en
apprenant le siège de Sathya Sai. N’étant pas réputée pour sa réponse subtile aux
situations délicates, la police locale fit ce que la plupart des polices locales de l’Inde
feraient – elle ouvrit le feu sur les assaillants. Un panneau de la porte derrière laquelle
ils s’étaient cachés avait été défoncé à coups de crosse et, d’après la police, ils
ouvrirent le feu en état de légitime défense après que les meurtriers les aient attaqués
avec leurs couteaux. Tous les quatre furent tués. Deux des conspirateurs prirent la
fuite en moto et furent appréhendés plus tard. On pense qu’il s’agit des cerveaux de
l’attaque. Toutefois, Sai Baba ne porta jamais plainte contre eux et l’affaire fut
prescrite. La presse vit quelque chose de sombre dans le refus d’un remède juridique à
191
long terme, négligeant le souci principal de Sathya Sai qui est que les familles des
personnes impliquées (la majorité étant ses dévots) ne soient pas encore plus affectées.
Le mot ‘’conspiration’’ est un favori de la presse : il offre des perspectives illimitées à
la spéculation. Ceci fut encore mieux mis en évidence, quand on prétendit avoir trouvé
des mines terrestres et des produits chimiques toxiques dans la chambre de l’un des
fuyards. (Mais s’il y a eu conspiration pour saboter l’ashram, pourquoi les assaillants
eurent-ils recours à des couteaux artisanaux ?) Nulle part dans les coupures de presse
n’est considéré le motif le plus simple – la jalousie de Radhakrishnan, l’aide de Baba
qui fut poignardé si violemment que cela suggère la haine réprimée d’une cour
médiévale du Deccan typique où un usurpateur poignarderait dans le dos un rival
l’ayant remplacé dans les faveurs du sultan. En fait, il y avait probablement un angle
romantique au crime. Il semble que l’aide soit tombé amoureux d’une femme et on
pense que Baba n’approuva pas l’union. Les meurtriers étaient jaloux de l’intimité de
l’aide avec Baba et d’autant plus enragés qu’il refusait de renoncer à la femme. La
presse était plus amourachée d’une conspiration au niveau national. Un chef du
Vishwa Hindu Parishad anti-minorités était un visiteur régulier de l’ashram et un des
conspirateurs avait récemment participé à une réunion du VHP à Bangalore. Et comme
pour contrebalancer cette théorie communautaire, le nom d’un musulman de la pègre
de Bombay circula comme cherchant à assassiner l’éminent saint de Puttaparthi.
Un autre point de vue donné par la presse fut celui de conflits internes entre diverses
factions de l’ashram pour le contrôle des avoirs considérables accumulés par Sathya
Sai. Des histoires concoctées d’activités étranges ou mafieuses peuvent avoir amusé le
lecteur, mais sont très peu sensées pur celui qui connaît Puttaparthi. Les jeunes
reporters ont exagéré la situation au centuple. Lorsque, de leur propre aveu, personne
à l’ashram ne leur a parlé, il s’ensuit que beaucoup de choses qu’ils ont écrites étaient
inspirées par des ouï-dire. L’ashram se trouvait dans une situation délicate, car la
presse était arrivée avec un programme hostile.
***
Pour gonfler les rangs de ces critiques mordants qui considéraient comme leur mission
vitale d’humilier Sathya Sai et de découvrir sous son image de prince charmant un
vilain crapaud, il y avait le Dr Narasimhaiah, le chef d’une organisation rationaliste
censée être humaine dans ses instincts, mais toutefois impudente dans ses exigences
que tout citoyen libre se soumette sans réserve à son comité autoproclamé pour un
examen minutieux. En tant que Vice-président de l’Université de Bangalore, le Dr
Narasimhaiah a peut-être pensé que la dignité de sa fonction lui conférerait du soutien
dans sa chasse aux sorcières au nom de l’encouragement de l’esprit scientifique. En
fait, le Vice-président utilisa l’imposition de l’état d’urgence de Mme Gandhi (qui
réduisait les droits démocratiques et qui encourageait les petits tyrans) pour établir un
comité trié sur le volet qui, avec un maximum de publicité, se rendit en car à l’ashram
de Whitefield et exigea que Baba apparaisse pour s’entretenir avec lui. Il semble que
l’objectif de la sortie n’était pas plus que de se donner en spectacle au public. Les
rationalistes semblaient plus baigner dans leur propre suffisance que vouloir
192
sérieusement examiner les phénomènes psychiques de Sathya Sai. Sinon, ils auraient
adopté une approche plus conciliante. Après que Sai Baba ait refusé d’accéder au
caprice de la délégation, au grand dépit du Vice-président, au lieu de réduire le
nombre de ceux qui se rendaient chez Sai Baba, la sympathie du public suscita une
augmentation. Et pour mettre un peu de sel sur ses blessures de rationaliste, les Viceprésidents qui suivirent furent des dévots Sai ! Quand Sathya Sai créa sa propre
université à Puttaparthi, le Président fut naturellement Sathya Sai lui-même. En moins
d’une décennie, cette institution d’enseignement supérieur est devenue l’une des
universités indiennes de premier plan.
Sathya avec le Dr A.P.J. Abdul Kalam, Président de l’Inde, à l’occasion d’une cérémonie
de remise des diplômes, en 2002
Il y a quelque chose de profondément symbolique dans les manières différentes dont
ces deux figures ont approché les mystères de la vie. Intellectuel sérieux, le Dr
Narasimhaiah atteignit le sommet de la réalisation académique. Toutefois, à cause de
son manque de considération singulièrement dépourvu de grâce pour ceux qui ne
partageaient pas son zèle de croisé, il ne parvint pas à émouvoir ses semblables. Par
contraste, le villageois à la scolarité réduite, Sathya Sai, convainquit le monde par la
plus grande profondeur de sa compréhension. En s’adressant aux besoins du cœur, il
démontra que la plupart des gens savent faire la différence entre des mots qui sonnent
bien et la sagesse innée.
La bonne volonté que met Sathya Sai à discuter du mystère de sa nature avec ceux qui
sont bien disposés envers ce sujet est bien connue. A plusieurs reprises, Sai Baba a
exprimé sa volonté de faire examiner ses pouvoirs, mais uniquement si le motif n’était
pas de dénigrer le divin. Comme on a pu le constater, quand les investigateurs du
domaine psychique sont sérieux et objectifs, Sai Baba est heureux de coopérer pour
des expériences contrôlées. Deux universitaires étrangers et d’autres étudiants sérieux
du domaine psychique ont écrit un traité sur le sujet, mais étant de nature positive, de
telles découvertes ne se prêtent pas au sensationnalisme journalistique.
193
Les critiques ratent leur procès en préjugeant de la question de l’authenticité des
miracles de Sathya Sai. Ils ne cherchent pas à enquêter objectivement, mais à
démystifier. Leur hostilité semble provenir d’une sorte de phobie. Après l’annonce du
meurtre à l’ashram, le Dr Narasimhaiah déclara triomphalement que Baba, au lieu
d’utiliser ses pouvoirs divins pour transformer les quatre meurtriers en crapauds ‘’fit
exactement ce que j’aurais fait et s’enfuit’’. Bien entendu, si Baba avait utilisé un
quelconque siddhi pour mettre hors d’état de nuire ses assaillants, on l’aurait alors
accusé d’un acte inhumain et illégal.
Il est intéressant d’observer l’opinion du rationaliste quant à sa propre valeur et la
question se pose, quant à savoir pourquoi ces gens qui ont tant à enseigner à
l’humanité passent leur temps à dénoncer la fraude d’autrui. Sans doute que la façon
la plus simple de prouver les limites de Baba pour des critiques comme le Dr
Narasimhaiah serait de surpasser les œuvres charitables de Baba par les leurs. Quand
ils inciteront trente millions d’êtres humains à suivre leur message, ils auront tous les
droits d’exiger que le monde les prenne plus au sérieux.
Ecrire des livres contre Sai Baba ou chercher à ternir sa réputation sur Internet
pourrait mériter des lecteurs, si les auteurs de ces griefs possédaient un standing dans
le monde de la philanthropie. S’’ils avaient fait le millième de ce que Sathya Sai a
accompli pour promouvoir le bien-être de l’humanité, nous aurions de bonnes raisons
de prendre leurs doléances au sérieux et nous envisagerions de voir si de l’eau pure
peut provenir d’une source polluée. Les critiques appartiennent à la catégorie des
intellectuels qui ne peuvent pas reconnaître la réalité de l’Esprit et qui veulent
désespérément l’expliquer. Ils sont hantés par la vérité que Sathya Sai incarne et ils
désirent nier une présence que des millions de personnes ordinaires considèrent
comme la plus belle preuve qu’elles ont du sens ultime de la vie. Ce qui est commun
chez tous les critiques, c’est un mépris sans limite pour les affections du citoyen
ordinaire dans son choix d’expression religieuse. C’est pour guérir ces idées retorses
que les Maîtres de toutes les fois sont venus parmi nous. La réponse de Sai Baba aux
critiques, c’est que tous les miracles qui se produisent ne sont pas dus à sa forme
humaine, mais à la compassion et à l’amour qui ont fait d’elle leur instrument.
194
ÉPILOGUE
Je sais qu’il y avait deux religions chez les anciens – une pour le vulgaire et une pour
l’érudit – mais je pense qu’un seul amour aurait très bien pu les servir toutes les deux.
Laurence Sterne dans
Vie et Opinions de Tristram Shandy, Gentilhomme
Le 21ème siècle promet de voir une résurgence asiatique où le rôle de l’Inde, comme
toujours, sera celui d’un esprit guide réaffirmant les valeurs basées sur la conscience
directe du mystère éternel de la vie, de l’âme humaine. Pendant des siècles, le dharma
hindou a été altéré et dilué pour convenir à une prétendue élite spirituelle et la
présente étude suggère que la Sai Parampara propose un remède curatif qui répond au
besoin de la démocratie vibrante de l’Inde moderne. Elle nous enjoint de réaliser l’Etre
divin à l’intérieur de nous-même, plutôt que de cultiver les intermédiaires extérieurs
brahmaniques ou autres.
Après quarante ans de voyages autour du sous-continent, ayant vu le paysage religieux
se modifier, il me semble que la caractéristique la plus remarquable est le statut de
‘’star établie’’ de Sai Baba, à Shirdi comme à Puttaparthi. Des douzaines de gurus sont
venus puis sont partis, qui ont montré une lueur de l’Esprit, mais en aucun, excepté
Sai Baba, je n’ai rencontré la lumière de l’amour inébranlable qui soutient et qui donne
un sens à l’existence. Bien entendu, d’autres auront leurs propres expériences valables
d’autres voies et d’autres Maîtres, mais pour cet étudiant particulier, l’aura de Sai est
la plus grande merveille découverte dans son voyage en Orient. Les dévots ont
tendance à ignorer l’affirmation répétée de Sathya Sai qu’il est venu convaincre le non
dévot. C’est pourquoi la Sai Parampara plaît à un non-croyant (en les formes
extérieures) comme moi-même, puisqu’elle se passe de l’hystérie, des paroles creuses et
des sornettes que l’on associe habituellement à la religion et qu’elle délivre, non pas
des sermons, mais des connaissances que chacun peut exploiter dans sa quête de la
réalité.
Sathya Sai possède de loin la présence la plus charismatique, électrisante dans le
crépitement d’énergie comprimée qu’il irradie. Mon cœur répond spontanément à son
aura divine. Ajouté à cela, il y a la connaissance qui passe que la vraie religion
concerne le vécu et a peu à voir avec les signes extérieurs de religiosité
conventionnelle. Sathya Sai, malgré de sérieuses réserves de ma part envers tout qui
fait étalage de ses croyances dans des habits saints, a la capacité d’éveiller en moi
l’amour le plus profond et de toucher mon âme si profondément que tout
questionnement mental cesse. (Enfin presque.) Je ne sais s’il est Dieu ou homme – ou
les deux – mais ceci n’affecte pas le moins du monde l’impact qu’il a sur mon âme. Je
sais ce que je ressens et cette réalité allègre transcende toute définition verbale. J’ai
l’impression d’être indescriptiblement béni d’être né pour voir un aspect de la divinité
que l’on n’a pas vu sur la terre depuis des milliers d’années.
195
A cause de sa nature ardente, l’amour est un remède désespéré auquel ont recours
ceux qui sont passionnés de découvrir qui ils sont et pourquoi ils sont ici. La limite
que beaucoup de dévots Sai imposent à leur compréhension est de confiner l’amour à
leur paroisse particulière, Shirdi ou Puttaparthi. Le danger, en intériorisant
l’enseignement Sai pour le dévot est de ressentir que le but a été atteint, quand son
âme est sensible au divin. Mais le vrai travail, c’est de réaliser le Alle Menschen werden
Brüder de Schiller et de considérer le monde entier comme une seule famille non
divisée. Le message des deux saints est que leur essence – la divine grâce de l’amour –
survit au corps. Quoi ou qui que nous aimions libère une grâce qui nous rapproche du
divin.
Selon le Coran, ‘’Allah prêtera sa générosité à chaque homme de grâce’’, et l’impact de
deux citoyens exceptionnels du Deccan sur la vie d’un voyageur ordinaire témoigne
amplement de la vérité de ceci. Mon but a été d’essayer de découvrir le réceptacle de
la grâce divine et comment, comme le dit de manière exquise Ezra Pound, ‘’la lumière
196
nous fait fondre’’. Cette étude du fonctionnement de la grâce dans le Deccan nous
conte une merveilleuse histoire de richesse intérieure et de pauvreté extérieure, de défi
environnemental brutal et de tendre réponse humaine. Suivant la théorie de la
civilisation actuelle, le district d’Anantapur devrait être le dernier endroit sur la carte à
afficher des signes visibles de bonheur humain et pour cela, nous devrions nous
tourner vers Londres ou New York. Néanmoins, des gens du monde entier affluent à
Puttaparthi où la présence de Sai Baba renverse la logique matérielle. Les théoriciens
ont oublié de prendre en compte le besoin désespéré de l’âme humaine d’expérimenter
l’amour.
Adolescent, je me rendis à Glasgow pour écouter un évangéliste fortement vanté de la
confession évangélique américaine. Selon moi, l’atmosphère suggérait une manipulation
névrotique malsaine du complexe de culpabilité du public. Alistair Cooke, le célèbre
journaliste de l’audio-visuel, a rédigé un exposé sur la manière dont les prêcheurs
fondamentalistes (de toutes les religions) emploient la même technique de stimulation
du sentiment de masse comme moyen de réduire notre faculté rationnelle et de nous
rendre vulnérables à leurs flatteries qui vont d’appels à donner notre âme à notre
solde bancaire. Cette dernière tentative ‘’de rendre à Dieu ce qui appartient à César’’
contraste fortement avec l’atmosphère que j’en suis venu à associer avec Sathya Sai.
La grâce ressentie à Puttaparthi, lorsque je contemple Sai Baba, affirme le monde
d’une manière saine, presque comme des noces où l’ambiance est à la fois sensuelle et
spirituelle, l’être et le corps étant unis par l’aura magique de l’amour. Une prière
celtique traditionnelle capture cette humeur :
Ceux qui rejettent le pouvoir de l’amour
Ressemblent à un bateau qui prend l’eau sur une mer agitée
Ou à un pommier qui ne fleurit jamais.
Ceux qui répondent à l’appel de l’amour
Sont comme une coupe qui déborde de vin
Ou une belle mariée qui attend son époux.
197
Mes voyages d’Occident en Orient (la direction correcte pour acquérir la sagesse, si
l’Orient représente le témoin intérieur) ne démontrèrent rien que je ne savais déjà
avant de partir. Toutefois, sans ces voyages, ma certitude concernant l’unité de la
religion serait restée du domaine intellectuel fragile. Expérimenter ce sentiment d’unité
est la vraie preuve, car c’est alors que toute discussion cesse. Ramana Maharshi
raconte l’histoire d’un marchand qui fit le tour du monde en quête d’un joyau
précieux. C’est seulement lorsqu’il rentra chez lui qu’en regardant dans un miroir, il le
découvrit sur son propre front. Le saint insistait sur le fait que sans le voyage ardu et
apparemment futile, le chercheur n’aurait pas trouvé le trésor qu’il cherchait. En
d’autres termes, il avait appris à la dure que regarder dans un miroir peut être plus
que faire profession de vanité.
Mes amis, quand je leur dis que j’écrivais un livre sur Sai Baba, à juste titre, selon leur
point de vue (qui voit la Sai Parampara comme un genre de curiosité à voir en
passant), exprimèrent de la surprise et demandèrent : ‘’Que sais-tu sur Sathya Sai
Baba ?’’ J’avoue que je sais très peu de choses, mais j’écris sur lui parce qu’à chaque
occasion où je l’ai vu, j’expérimente le sentiment réconfortant que cet homme – et ici
des millions de personnes du monde entier seront d’accord avec moi – reflète une
vérité que je sais être le Moi réel. Aussi, ce livre ne concerne pas vraiment Sai Baba,
mais le sentiment d’allégresse qu’il éveille en moi et d’autres, l’amour que mon cœur
chérit comme la seule chose digne d’être possédée dans l’univers. Il est satisfaisant
pour quelqu’un qui a vécu une existence longue et souvent précaire de pouvoir
exprimer sa gratitude à une personne pour avoir confirmé ses sentiments les plus
profonds sur la vie (avant qu’il ne parte à un autre niveau). Je n’ai aucun lien intime
extérieur avec Sai Baba et cependant, il a été une grâce qui a plané sur l’écriture de ce
livre, quand je sentais que le projet me dépassait. Ceci semble renforcer l’argument
selon lequel Sai Baba plaît principalement aux récidivistes et aux ‘’pseudo
professeurs’’ !
Il y a aussi le plaisir secondaire de terminer un cycle, puisque mon premier livre Seven
Sacred Rivers commença par cette observation, ‘’Ce qui est important, que l’on
parcourt le monde ou que l’on voyage à l’intérieur, c’est de trouver l’amour’’. A
l’occasion d’un trek himalayen, je campai au-dessus de la limite supérieure de la forêt
dans une cabane en rondins faisant face à l’imposant pic du trident de Shiva. Ce lieu
improbable paraissait avoir été choisi par des tourtereaux en voyage de noces, car
fraîchement et hardiment gravés dans ses planches, il y avait les mots ‘’L’amour est
198
l’énergie qui dépasse le pouvoir de la pensée’’. Comme c’était extraordinaire de trouver
si loin du trafic mortel une réaffirmation aussi inattendue par des mains inconnues de
la sagesse intérieure expérimentée par le cœur humain ! C’est dans des moments
comme celui-ci, lorsque la grâce semble vous submerger d’attentions que l’effort
d’avancer péniblement sur le sentier de montagne semble vraiment en valoir la peine.
Sai et ses fidèles au cours d’un pèlerinage dans l’Himalaya
***
En ce qui concerne les questions de l’Esprit, à moins d’avoir une expérience du sujet, la
plupart des discussions restent théoriques et peuvent être en grossière contradiction
avec les faits intérieurs. La sommité la plus littéraire du cricket, Neville Cardus, a mis
en garde tout écrivain potentiel de ne pas écrire, à moins de se sentir forcé
intérieurement à le faire et de ne jamais écrire sur quelque chose que vous n’avez pas
expérimenté. On nous apprend tous à croire que la mort est un sujet sinistre,
spécialement quand elle rôde autour du corps de quelqu’un de jeune. A l’âge de 26
ans, je suis presque mort de la typhoïde. Pendant quarante jours, j’ai jeûné (en ne
prenant que du liquide), et au lieu d’être mortifié à la perspective d’une transition
douloureuse, mon âme fut saturée d’un ravissement béatifique aux dimensions
orgiaques. Tant que cela dura, mon être entier sembla produire une poésie de
gratitude envers la merveille de la création. Il n’était pas question que la mort puisse
me dérober cette réalité glorieuse, un Esprit universel dont je pouvais entendre le
moteur sous la forme d’une vibration régulière en arrière-plan. Ce qui pouvait – et ce
qui réussit à me la dérober – ce fut mon propre corps. A partir du moment où je
recommençai à manger, le ravissement s’estompa. Cette rencontre révélatrice avec la
199
réalité de l’Esprit modifia totalement la manière dont je considérais les choses et
m’obligea à accepter que presque toutes les notions sur la vie dont j’avais hérité
étaient basées sur des on-dit et pas sur l’expérience. Comme Joseph Campbell l’aurait
dit, ma jeunesse s’était passée à escalader laborieusement une échelle posée contre le
mauvais mur ! Depuis lors, mes oreilles s’orientent, non pas sur ce qu’une personne
dit, mais évaluent si elle a expérimenté ce qu’elle décrit. J’imagine que l’ensemble des
adeptes de la Sai Parampara emploient la même pierre de touche. Ils ne se soucient
pas de ce que les rationalistes ou de ce que les orthodoxes peuvent dire, parce qu’ils
ont trouvé ce que leur âme cherchait.
Dans un sens, cela n’a pas d’importance que Sai Baba soit Dieu, Avatar ou Sauveur. Ce
sont toutes des projections de l’Esprit intérieur. Cet Esprit n’est pas une projection ni
un projecteur sans vie. Ainsi qu’Orage, le gurdjiévien, nous le rappelle : ‘’Vous êtes le
pianiste et non le piano.’’ Plutôt que de déterminer le statut de Sathya Sai, il est
important de connaître et d’apprécier sa capacité à éveiller le divin chez quiconque
recherche sincèrement cette grâce. Une personne qui peut faire cela, peu importe que
vous l’appeliez fakir ou magicien, mérite un sérieux respect. Sa présence réaffirme à
elle seule le caractère immaculé de votre âme en dispersant les nuages que votre
mental a accumulés au-dessus d’elle. Pour ceux qui se demandent comment un Avatar
peut jouer au tennis de table, gagner des courses de sac, pique-niquer, construire un
planétarium et un stade de cricket dans son village ou encore ouvrir un magasin du
style Marks & Spencer pour ses dévots, la réponse est que l’amour fabrique ses
propres règles.
200
En pique-nique à Kodaikanal avec quelques étudiants et fidèles méritants triés sur le
volet
Quel abus de confiance absurde, quelle supercherie la doctrine religieuse fait payer à
l’humanité ! Quelle insanité, cette notion de péché, quand nous contemplons
l’effulgence immortelle de cette réalité intérieure ! (L’historienne Romila Thapar a fait
cette observation profonde que la continuité de la sagesse de l’Inde est due à l’absence
de Satan dans sa culture.) Nous et nos idées brillantes, nous ne dirigeons pas l’univers,
et il ne fonctionne pas non plus comme un mécanisme sans amour. Il est mû par la
force irrésistible que Sathya Sai personnifie et dont le message est simple :
Il n’y a qu’une seule religion,
La religion de l’amour.
Il n’y a qu’une seule caste,
La caste de l’humanité.
Il n’y a qu’un seul langage,
Le langage du cœur.
Comme l’homme de la rue – quelle que soit sa foi – le sait, c’est l’amour qui fait
tourner le monde. Sathya Sai est le guide de l’âme qui nous enseigne comment ignorer
nos notions limitées et comprendre que nous ne faisons qu’un avec cet amour, notre
essence immortelle. Luther, le monothéiste réformateur, réaffirma : ‘’L’amour est
l’essence vivante de la nature divine.’’
S’il le faut, nous pouvons oublier le Sai extérieur et tous les attributs de la religion,
puisqu’ils ne peuvent être que des limitations par rapport à la seule chose réelle. Ils
passeront – contrairement au pouvoir de l’amour qu’ils incarnent brièvement. Comme
le montre la Sai Parampara, cette ‘’chose’’ que nous appelons amour peut apparaître
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sous le déguisement d’un fakir irascible, d’une incarnation gracieuse de l’amour ou
d’un (futur) saint qui tentera d’unifier l’humanité. Ceux qui se rendent à Puttaparthi
ou Shirdi ou Gunaparthi (dans le futur) trouveront peu de choses, à moins qu’ils ne
s’y rendent avec de l’amour dans leurs cœurs. Comment pouvons-nous trouver du sens
à Sai Baba, si nous avons perdu le sens de nous-mêmes ? La religion a trahi la
confiance de l‘homme du commun en imposant des hiérarchies élitistes au nom de
Dieu. Les saints du Deccan sont des fils de la terre qui font confiance, non seulement à
l‘amour de Dieu, mais à celui de leurs semblables, peu importe la forme sous laquelle il
apparaît.
En Inde, la coutume du namaste, ou saluer le divin en l’autre, possède un sens profond
que l’usage quotidien a tout sauf détruit. Nous ne saluons pas, parce que l’autre est
plus ancien, plus riche ou plus important, mais parce que, profondément à l’intérieur,
nous reconnaissons que la forme humaine contient le grand mystère du Soi. Nous
saluons en fait un reflet de nous-mêmes. Dans une lettre écrite à Rajagopal (publiée
dans le livre de Diana Baskin), Baba conclut par – et souligne les mots – ‘’Vous êtes
Sai’’. C’est la vérité de cette formule que nos vies devraient tester, mais comme Diana
le note : ‘’L’énergie que nous gaspillons à critiquer les autres est juste ce qu’il faut
pour être à la hauteur de nos propres idéaux.’’
Les critiques qui s’insurgent contre le théâtre spirituel quotidien joué à Puttaparthi
peuvent techniquement n’avoir qu’à moitié tort. Tout ce qui est en dehors de nous,
dans cette mesure, est faux, puisque ce n’est qu’un reflet du réel intérieur. Sathya Sai
serait le premier à être d’accord sur le fait que ce qu’il semble être est quelque chose
de très différent de ce qu’il est réellement. Un fait criant que les critiques négligent,
c’est que ce sont eux qui sont obsédés par l‘image extérieure de Sai Baba et non le
dévot qui exulte en le trouvant installé dans son propre cœur. Tous les vrais dévots
insistent sur le fait qu’ils se rendent à Shirdi et à Puttaparthi pour recharger leurs
batteries. Ils reconnaissent que la source de l’Esprit est cachée dans le mystère de
l’individualité d’une personne – de chacun. L’importance théologique ultime de la Sai
Parampara se situe dans cette relocalisation osée de la divinité − d’un lieu, à l’intérieur
d’une personne. Nous pouvons explorer ce Soi chez nous ou nous rendre à Puttaparthi
pour le voir incarné dans un corps, de manière unique. Etre témoin d’une telle grâce
vaut bien l’effort que le voyage implique, mais la Puttaparthi réelle, la Cité de Dieu sur
la Montagne des Philosophes, s’avérera être plus merveilleuse encore, une fois que
vous en aurez trouvé le chemin.
Cela fait peu de différence que vous soyez riche ou pauvre, quand vous empruntez ce
chemin. Ce qui est important, c’est la réalisation que tous les mortels ont la capacité
d’engendrer ou de produire des fils, extérieurs et intérieurs. Toute la question
concernant le fait d’avoir des enfants, c’est de leur permettre de trouver ce que nous
cherchons. Le sexe n’est pas le démon que la religion conventionnelle dénonce, mais le
divin désir de nous donner un indice, en terme de béatitude physique, de l’endroit où
réside l’enfant divin. C’est à nous d’accepter que les parents les plus ordinaires –
comme Venkappa Raju et Easwaramma – peuvent être les véhicules de l’incarnation de
la progéniture divine de l’amour. Chacun de nous est Venkappa Raju et Easwaramma
– attendant que notre Soi intérieur naisse en tant que Sathya Sai. Il est la réponse
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directe à la question de savoir qui nous sommes réellement. Il accomplit ceci en nous
montrant ce que nous ne sommes pas, ce qui, à son tour, révèle le potentiel de ce que
nous pouvons devenir.
En sa présence, il est possible que vous ne reconnaissiez pas l’atman indifférencié ou
que vous ne ressentiez pas nécessairement la gravité qui va de pair avec le fait de
contempler Dieu. Il se peut même que vous ne soyez guère touché par la forme mince
de Sai Baba. Ce que vous enregistrez, toutefois, c’est la réalisation ineffable que, grâce
à la grâce abondante de cette toute petite personne, vous êtes face à face avec le
miracle de l’amour. Et vous savez avec certitude que c’est un reflet de votre propre Soi
réel. Rani Ma, qui comprend les limites des mots et qui n’a pas besoin de la béquille
de la logique semble l’avoir bien compris en ne cessant jamais de me rappeler : ‘’Je ne
crois pas que Sai Baba soit Dieu. Il est quelque chose de beaucoup plus.’’
Cela résume plus ou moins mon expérience d’être amoureux.
***
La vie d’un homme qui approche des septante ans correspond à peu près à 25 000
jours et pour la plupart d’entre nous, ils sont consacrés presque entièrement à notre
propre avantage. En ce qui concerne Sathya Sai, non seulement ses jours, mais aussi
ses nuits sont invariablement consacrés à augmenter le bien-être de ses dévots. C’est
dans l’accumulation de cette vertu appliquée que sa nature miraculeuse est le mieux
vue. Le souci permanent de ses dévots est un autre lien avec Shirdi Baba qui alla
jusqu’à dire qu’il était l’esclave de ses disciples, affirmant : ‘’Nuit et jour, je pense à
mes gens’’’. Il les considérait comme des enfants orphelins et eux aussi avaient
l’impression de faire partie de la famille Sai.
Alors que la religion orthodoxe attache ses adeptes avec les liens de la peur et du
conformisme, la Sai Parampara prospère grâce au lien vital qui unit le Maître et les
élèves. Le contraste est le plus visible dans l’humeur qui affecte une congrégation qui
doit être visitée par un ecclésiastique de haut rang ou un prêcheur célèbre et la
manière dont les villageois et les dévots de Puttaparthi réagissent à la nouvelle du
retour de leur Baba. La première sera correcte dans la forme et accompagnée du
cérémonial approprié, alors que l’autre vibrera de l’anticipation du retour du prodige.
La nouvelle de l’arrivée de sa voiture fait sortir précipitamment la population. La porte
du gopura, fermée en l’absence de Bhagavan est ouverte en hâte et les dévots
s’alignent spontanément, munis de conques pour célébrer l’arrivée du marié. Ce qui
était un campus mort reprend maintenant vie. Nous avons ici une résurrection avec un
grand R, le miracle de la grâce opérant sous vos yeux avec le couple de l’amour et de
l’aspiration qui se rencontrent et qui fusionnent.
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GLOSSAIRE
Abisheka : onction, consécration d’une idole
Advaita Védanta : doctrine de la non-dualité
Agamas : traités à caractère mythologique, ritualiste et philosophique, parfois
considérés comme le cinquième Véda. Il existe des Agamas vishnouites, shivaïtes et
shaktiques
Arati : rite qui marque la fin des bhajans (chants dévotionnels). A l’image du camphre
qui brûle pendant l’arati en ne laissant aucun résidu, notre ego devrait se consumer et
disparaître totalement pour laisser toute la place à la Divinité.
Ashramas : les quatre stades de la vie humaine : brahmacharya (stade de l’étude, du
célibat et de la chasteté) ; grihasta (stade du chef de famille) ; vanaprastha (stade du
reclus) ; sannyasin (stade du renonçant)
Atman : l’Ame suprême, la Réalité suprême, le Soi, le témoin universel et immanent en
chaque être, la divinité qui est en nous. L’Atman est au-delà de la perception du
complexe corps, mental et intellect.
Aum (Om) : le son primordial, origine de la création, le Verbe, Brahman
Avatar : incarnation du divin dans une forme humaine afin de restaurer le dharma (la
loi morale). Le principe de la descente de Dieu sur terre pour l’élévation de l’existence
humaine.
Ayodhya : capitale de Rama
Ayyappa : déité très populaire dans le sud de l’Inde dont le sanctuaire principal est
Sabarimala
Bhagavad Gita : ‘’Le Chant du Seigneur’’, un des plus célèbres textes religieux du
monde. Il fait partie du Mahabharata.
Bhajans : chants dévotionnels
Bhangra : style de danse qui provient de la région du Pendjab
Bhakta : dévot
Bhakti : voie dévotionnelle, une des trois voies spirituelles principales préconisées par
la Bhagavad Gita avec le Karma yoga, la voie de l’action et le Jnana yoga, la voie de la
connaissance
Bidi : cigarettes
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Biryani : préparation à base de riz
Boswell James (1740-1795) : écrivain écossais qui est l’auteur de la biographie de
Samuel Johnston, considérée comme un des chefs d’œuvre de la littérature anglaise du
XVIIIème siècle
Brahma jnana : la réalisation de Brahman, la connaissance de Brahman, l’Absolu
Buddhivadin : celui qui disserte sur l’intelligence
Chapatis : petites galettes plates qui font office de pain
Chillum : genre de pipe
Dakshina : offrande, honoraire d’un rituel
Dal : légumes secs de différentes variétés
Darshan : vision auspicieuse d’un sage, d’une déité
Dasara : fête consacrée à la Mère Divine qui dure dix jours
Dhobi : blanchisseur
Dhuni : feu sacré
Dosa : crêpe à base de farine de riz et d’urad dal, un petit haricot noirâtre à la chair
jaune
Dwarka : capitale de Krishna
Ganesh(a) : dieu à tête d’éléphant, dieu de la sagesse qui écarte tous les obstacles et à
qui on rend un culte avant toute entreprise ; on l’invoque aussi au début des livres
Gayatri : la déesse aux cinq visages qui est la Mère des Védas
Ghats : escaliers qui descendent dans la rivière
Ghee : beurre clarifié
Gopura : tour à l’entrée des temples, dans le sud de l’Inde
Gunas : caractéristiques humaines, qualités, attributs et comportements. Ils sont de
trois ordres : tamasique, rajasique et sattvique (tamas, rajas, sattva)
Hatha yoga : yoga où l’on pratique des exercices physiques pour le bien-être du corps
et pour l’éveil des centres spirituels
Hindutva : ’’hindouité’’, terme qui décrit des mouvements qui prônent un nationalisme
hindou
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Hindvi : ancienne forme de l’ourdou
Idli : gâteau de riz cuit à la vapeur
Jagat guru : maître du monde
Jangamas : prêtres lingayat
Japa : répétition d’un des noms du Seigneur, d’un mantra ou d’une prière qui
s’effectue généralement avec un rosaire (mala)
Jhula : balancelle
Jnana yoga : la voie de la connaissance, une des trois voies spirituelles principales
préconisées par la Bhagavad Gita avec le Bhakti Yoga, la voie de la dévotion et le
Karma yoga, la voie de l’action
Jyotir lingas : lingams de lumière
Kala pani : eau noire, océan (Une malédiction était censée frapper les hindous qui
quittaient la terre sacrée pour aller courir les mers, malédiction participant de la
prévention hindoue à l’égard du monde lointain étranger, corrupteur, source
d’impuretés et de déchéance spirituelle.)
Karma : action physique, verbale, mentale ou spirituelle soumise à la loi de cause à
effet à laquelle personne ne peut échapper. Loi de cause à effet.
Karma yoga : la voie de l’action, une des trois voies spirituelles principales préconisées
par la Bhagavad Gita avec le Bhakti Yoga, la voie de la dévotion et le Jnana Yoga, la
voie de la connaissance
Kathiawad : péninsule du Saurashtra
Kurta : tunique longue à col montant portée par les hommes
Laddu : sucrerie indienne
Lathi : bâton utilisé par les policiers en Inde
Leela : jeu divin. Tout l’univers est la scène sur laquelle joue le Seigneur. Tout l’univers
est son jeu, y compris la création, la préservation et la destruction de l’univers.
Linga : Symbole de Shiva, œuf cosmique, la forme du sans forme, symbole de l’Absolu.
La forme ovale symbolise ce qui n’a ni début ni fin, ce qui est sans limite et qui se
fond dans l’infini.
Lingayat : secte shivaïte dont les membres portent sur eux un lingam
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Mahabharata : un des deux grands poèmes épiques sanscrits de l’Inde, l’autre étant le
Ramayana
Mandir : temple
Mantras : formes sonores de Dieu. Les syllabes sont composées de lumière et de
pouvoir. Sathya Sai Baba recommande le Gayatri Mantra. C’est aussi le préféré de
Krishna dans la Bhagavad Gita.
Maulana : maître
Maya : l’illusion, l’ignorance qui voile la vision de Dieu. Se dit de l’illusion séduisante
qui forme le monde.
Moksha : libération du cycle des naissances et des morts
Namasankirtan : chanter le nom de la divinité
Namaz : les cinq temps de prière quotidienne chez les musulmans
Naxalites : rebelles et révolutionnaires proches de la classe paysanne et des basses
castes
Neta : politicien, leader
Nizam : titre héréditaire du prince régnant d’Hyderabad avant l’Indépendance de l’Inde
Padmasana : posture du lotus
Pancha koshas : les cinq gaines de l’homme : annamaya kosha (gaine charnelle),
pranamaya kosha (gaine vitale), manomaya kosha (gaine mentale), vijnanamaya kosha
(gaine intellectuelle), anandamaya kosha (gaine béatifique)
Paramatma : l’Ame Suprême:
Pir : maître soufi
Pirsthan : sanctuaire
Prasad : nourriture que l’on offre au Seigneur après les bhajans et que l’on distribue
ensuite à tous les participants. Don de nourriture consacrée.
Prema : l’amour
Premavadin : celui qui dit l’amour
Puja : adoration rituelle, offrande, culte en l’honneur de la divinité
Pujari : prêtre
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Puranas : recueils d’anciens mythes qui concernent la création du monde, sa
destruction et sa recréation, les généalogies des dieux et des patriarches, les règnes des
Manus et l’histoire des dynasties solaire et lunaire. Il en existe 18 principaux dont le
Bhagavata Purana.
Rajamata : reine mère
Rajas : guna de l’activité, du dynamisme de la passion et de l’ambition
Rama : incarnation solaire de Vishnou représentant la loi cosmique, le dharma
Rama rajya : ‘’règne de Rama’’, considéré comme le gouvernement idéal
Ramayana : un des deux grands poèmes épiques sanscrits, l’autre étant le Mahabharata
Ram Janmabhumi : lieu de naissance de Rama
Rasam : soupe de l’Inde du sud que l’on mange souvent avec le riz
Rishi : sage de l’époque védique
Sabji : légumes
Sab ka Malik Ek : ‘’Dieu est un’’
Sadhana : discipline spirituelle, exercices spirituels
Sadhu : saint homme
Samadhi : état d’union méditative avec l’absolu qui comporte plusieurs degrés ;
tombeau
Sambar : mélange de lentilles ou de pois chiches, souvent en purée, accommodé avec
des légumes frais
Samiti : comité, groupe
Sanathana dharma : la philosophie éternelle, l’ancienne sagesse, la loi cosmique, l’ordre
permanent
Sanathana Sarathi : Nom de la publication mensuelle de Prasanthi Nilayam (= l’Eternel
Aurige, allusion à Krishna dans la Bhagavad Gita)
Sannyasin : renonçant
Sardarni : femme sikhe
Sattva : représente le guna de l’équilibre et de l’harmonie, les autres gunas étant tamas
et rajas
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Sawa lakh : combattant sikh valant toute une armée
Seva : service désintéressé, service rendu à autrui en ayant conscience de servir le
Seigneur
Sevadal : volontaire formé au service désintéressé
Shalagram : pierre qui est considérée comme une forme du Seigneur Vishnou
Shastras : traités qui couvrent à peu près tous les domaines de l’activité humaine
Shastravadin : celui qui disserte sur les Shastras
Shishya : disciple
Shivalingam : symbole de Shiva, de forme ovoïde, représentant l’aspect impersonnel de
Dieu.
Shivaratri : pop. pour Mahashivaratri, la grande nuit de Shiva, la nuit la plus propice
de l’année durant laquelle l’influence de la lune sur le mental est totalement nulle, ce
qui favorise la réalisation de la Vérité. Fête annuelle.
Shri Sai Satcharita : biographie officielle de Sai Baba de Shirdi
Siddhis : pouvoirs psychiques obtenus par certaines formes de méditation ou par la
répétition d’un mantra
Sloka : verset
Srimad Bhagavatam : autre nom du Bhagavata Purana
Subramaniam : second fils de Shiva et de Parvati, frère de Ganesha
Tapas : austérités, ascétisme
Tehsildar : haut fonctionnaire de l’administration d’un district
Tamas : guna de l’inertie, de l’ignorance et de l’apathie
Tilak : point de couleur entre les sourcils, symbole du troisième œil, de l’œil intérieur
Tirthankar : ascète ayant atteint l’illumination et qui montre ensuite le chemin aux
hommes
Tonga : véhicule léger à deux roues tiré par un cheval
Upanishads : œuvres philosophiques qui concluent les Védas
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Varkari : secte vishnouite dont le culte comprenait un pèlerinage entre Alandi (où se
trouve le sanctuaire du saint Jnaneshwar) et Pandharpur (lieu saint de Vithoba, un
aspect de Vishnou)
Varnas : la structure sociale des quatre castes qui comprend les brahmanes (ceux qui
conservent tout ce qui est spirituel, religieux, qui aident les autres à visualiser la
Réalité et à découvrir leur nature véritable), les kshatriyas (ceux qui défendent le
système politique, la loi, la justice et l’ordre moral ainsi que le bien-être et la
prospérité de leur pays), les vaisyas (les commerçants et les hommes d’affaires qui
doivent consacrer leurs richesses à développer et à promouvoir toutes les bonnes
causes : l’éducation, la santé…) et les sudras (les ouvriers, les travailleurs et les artisans
qui doivent s’efforcer de réaliser et de produire des choses et des objets de qualité
pour le bien-être de tous)
Vedas : les plus anciennes Ecritures hindoues révélées par Dieu Lui-même aux sages
antiques (rishis). Science sacrée compilée en quatre grands recueils (Rig Veda, Sama
Veda, Yajur Veda, Atharva Veda). Cette science contient les prières pour les rituels, les
hymnes à la gloire de Dieu, les codes de conduite concernant la vie sociale et religieuse
ainsi que bien d’autres enseignements
Vibhuti : cendre sacrée, symbole de la fin de la matière, symbole de Shiva
Manifestation de la puissance divine sous forme d’amour, d’énergie et de force.
Vibhuti abishekam : cérémonie de la consécration de l’idole de Shirdi Sai Baba avec de
la cendre sacrée matérialisée par Sathya Sai Baba
Vidya : connaissance sacrée, savoir. Education.
Virasaiva : voir Lingayat
Vitthal (ou Vithoba) : un aspect de Vishnou, populaire dans le Maharashtra
Yagna : rituel sacrificiel, offrande
Yoga : discipline, concentration, maîtrise de soi, contrôle du mental. Il y a diverses
techniques pour des aspirants aux caractéristiques et aux aptitudes différentes : karma
yoga, bhakti yoga, jnana yoga, raja yoga, kundalini yoga…
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