Controle executif cognition sociale emot

Telechargé par amallia.rose
doi: 10.1684/nrp.2009.0004
Contrôle exécutif, cognition sociale,
émotions et métacognition
Executive control, social cognition,
emotion and metacognition
Résumé Cette synthèse aborde la question de la cognition sociale
(théorie de lesprit en particulier), du traitement des émo-
tions et de la métacognition dans une perspective de neuropsychologie clinique. Nous nous
attardons sur les études examinant les relations quentretiennent ces différents aspects du
comportement humain avec les fonctions exécutives et les structures frontales. Les résultats
rapportés montrent que les liens potentiels entre la théorie de lesprit et le fonctionnement
exécutif font encore beaucoup débat, et que létude des relations entre théorie de lesprit et lobe
frontal mérite dêtre affinée. Les lésions frontales perturbent le traitement des émotions, mais les
relations entre perturbation des fonctions exécutives et troubles du traitement des émotions
restent inexplorées. La métacognition a été peu étudiée chez les patients dysecutifs par lésions
frontales, si ce nest au travers de quelques études sur la métamémoire qui montrent que les
patients frontaux ont globalement tendanceà surestimer leurs performances. Cettesurestimation
ne semble pas nécessairement procéder dun déficit exécutif, dune incapacité de jugement, ni
dune méconnaissance du fonctionnement mnésique normal et pathologique. Il ne sagit pas
non plus dune difficulté dutilisation de connaissances. De plus, les différentes mesures métam-
nésiques obtenues chez les patients frontaux corrèlent peu entre elles, indiquant quelles
engagent probablement des processus du contrôle métamnésique relativement indépendants
quil conviendrait de spécifier. Enfin, il faudra aussi vérifier, avec des malades porteurs delésions
frontales et/ou de syndromes dysexécutifs, les propositions théoriques les plus récentes voulant
que les concepts de théorie de lesprit et de métacognition soient finalement assez proches.
Mots clés : fonctions exécutives
théoriedelesprit
perception des émotions
métacognition
Abstract This chapter examines the question of social cognition
(theory of mind in particular), emotional processing
and metacognition in a perspective of clinical neuropsychology. We review studies focusing
on relations between executive functions, frontal lobe and various aspects of human beha-
viour. Study results show that the potential relations between theory of mind and executive
functioning still make debate and that the study of the relations between theory of mind and
frontal lobe deserves further studies. Frontal lobe lesions disrupt emotion processing, but the
relations between this disturbance and executive disorders remain unexplored. Metacogni-
tion remains insufficiently examined in dysexecutive patients, except for metamemory,
which was found to be impaired in frontal patients due to overestimation of their future per-
formances. This overestimation apparently does not proceed from executive deficit, poor
judgment or misunderstanding of the normal and pathological functioning of memory. It is
neither due to difficulty of knowledge use. Furthermore, the various metamemory measures
obtained in frontal patients have been found to be poorly intercorrelated, indicating that
they probably engage relatively independent processes of metamemory control that it
would be advisable to specify. Finally, it will also be necessary to demonstrate, in patients
with frontal lesions and\or dysexecutive syndromes, that concepts of metacognition and
theory of mind are closely related as suggested in recent theoretical propositions.
Key words: executive functions
theory of mind
perception of emotion
metacognition
Article de synthèse
Rev Neuropsychol
2009 ; 1 (1) : 24-33
Correspondance :
D. Le Gall
Didier Le Gall
1,2
, Jérémy Besnard
1,2
,
Valérie Havet
2
, Karine Pinon
2,3,4
,
Philippe Allain
1,2
1
Département de neurologie,
unité de neuropsychologie,
CHU dAngers, 4, rue Larrey,
49933 Angers cedex 09, France
2
Laboratoire de psychologie
(UPRES EA 2646),
université dAngers,
10, boulevard Victor-Beaussier,
49000 Angers, France
3
Centre régional de rééducation
et de réadaptation fonctionnelle,
rue des Capucins, 49000 Angers, France
4
Mutualité française Anjou-Mayenne,
UEROS Arceau Anjou,
4, rue de lAbbé-Frémond,
49000 Angers, France
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Linterprétation des troubles comportementaux et
cognitifs liés à la pathologie frontale a conduit à
individualiser latteinte préférentielle des fonctions
de contrôle exécutif, intervenant principalement dans les
situations nécessitant une articulation des actions ou pen-
sées dirigées vers un but finalisé, situations souvent com-
plexes et/ou nouvelles. Lintervention privilégiée de la
mémoire de travail a également fortement influencé les
approches conceptuelles dominées par les modèles de
Shallice [1] et de Baddeley [2]. Néanmoins, des cas clini-
ques célèbres, devenus historiques, illustrent parfaitement
le décalage possible entre des capacités cognitives préser-
vées et, a contrario, un mauvais ajustement du comporte-
ment en situation dinteraction sociale ou lors de prise de
décision personnelle et interpersonnelle [3]. Ces observa-
tions ont permis de pointer les limites des approches exclu-
sivement centrées sur une appréciation des habiletés cogni-
tives et ont favorisé lintroduction de nouveaux champs
dexploration.
Deux notions nous semblent ici particulièrement centrales
tant dun point de vue historique que conceptuel : la méta-
cognition et lapproche pragmatique ou interactionniste.
Quel que soit le modèle, le concept de métacognition
englobe à la fois la connaissance et la régulation de lacti-
vité cognitive [4]. Quant à celui de pragmatique, il souligne
que la perception et la connaissance dautrui sont au ser-
vice de laction. Dans les deux cas, il est fait référence aux
activités permettant de guider et de réguler lapprentissage
et le fonctionnement cognitif dans des situations de résolu-
tion de problème ou, plus spécifiquement, lors des inter-
actions sociales.
En quelques années, les travaux réalisés dans le
domaine des neurosciences sociales se sont particulière-
ment développés. Easton et Emery [5] relèvent que de
moins de 20 publications, en 1999, on est passé à plus de
100 en 2003. Dans le même ordre didée, Lieberman [6]
indique que dune cinquantaine de références sur Internet
en 2001, on est passé à plus de 30 000 en 2007. Ajoutons à
cela que, depuis 2000, deux revues internationales dévo-
lues à ces questions ont été créées (Social Neuroscience,
Social Cognition et Affective Neuroscience).
Sur cette courte décennie et de façon très synthétique,
suite à la publication de Premack et Woodruff [7], la grande
majorité des travaux se sont intéressés aux compétences
sociales des animaux, en particulier les primates non
humains ainsi quàlacquisition de lintelligence sociale
chez lenfant. Parallèlement, les travaux faits en clinique
se sont surtout concentrés sur les maladies psychiatriques
(autisme et schizophrénie). De nombreuses études en ima-
gerie cérébrale, surtout fonctionnelle, ont aussi été réalisées
chez ladulte sain et ont progressivement permis de cerner
les structures cérébrales engagées dans les tâches propo-
sées, centrées pour lessentiel sur les processus de mentali-
sation dont les plus connus sont la théorie de lesprit (TDE)
et la théorie de lempathie. La revue exhaustive de Lieber-
man [6] distingue chez lhomme quatre grands répertoires
dinvestigation : la compréhension des autres, la compré-
hension de soi-même, le contrôle de soi-même et les pro-
cessus à linterface entre soi et les autres. Il faudrait y ajouter
la compréhension des émotions et les mécanismes dana-
lyse des visages.
Il nest bien évidemment pas question pour nous de
reprendre tout cela ici, mais plutôt de nous arrêter sur les
travaux réalisés en neuropsychologie clinique, qui para-
doxalement restent assez rares. Cest précisément à ceux-
là que nous allons nous intéresser du point de vue de la
cognition sociale, du traitement des émotions et de la méta-
cognition. Deux questions principales vont guider notre
démarche : quels liens avec les fonctions exécutives (FE) ?
Quels liens avec les structures frontales ?
Théorie de lesprit, fonctions
exécutives, lobe frontal
Il nous semble que nous avons été les premiers, en
France, à faire le lien entre des perturbations cognitives,
observées chez des malades dysexécutifs ou porteurs de
lésions frontales, et un dysfonctionnement possible de
niveau sociologique (TDE en particulier). Contrairement
aux sujets de contrôle, les malades que nous avons étudiés
en arrangement de script avec distracteurs et en résolution
de problèmes numériques avec énoncés insolubles [8-10]
étaient insensibles à lincongruité des actions de script pré-
sentées ou de lénoncé du problème parce quils étaient
dans lincapacité de se soustraire à lautorité de lexpéri-
mentateur, telle quelle sexprimait dans la résolution des
tâches qui leur étaient soumises, fussent-elles aberrantes.
Mieux, lorsquon leur demandait dexpliciter leur réponse,
la totalité de largumentaire était asservie à la démonstra-
tion de la cohérence de la démarche en référence à une
présupposée réponse, dont tout démontrait quelle répon-
dait à lexigence dun savoir partagé entre eux et lexamina-
teur, alors que par ailleurs leurs performances pour des
tâches classiques darrangements de script ou de résolution
de problèmes nétaient pas différentes de celles des sujets
de contrôle. Nous avons montré ultérieurement [11] que
ces anomalies pour les actions aberrantes dans les scripts
et les problèmes insolubles coexistaient le plus souvent
chez les mêmes patients, révélant par-là une certaine trans-
versalité du processus pathologique. Ces différentes don-
nées nous ont définitivement convaincus que lexplication
du phénomène ne pouvait pas résider dans laltération dun
système de contrôle cognitif unique dont le système atten-
tionnel superviseur [1] ou ladministrateur central [2] serait
le prototype, mais bien dans une altération de linteraction
entre le patient et lexpérimentateur auquel est attribuée
une attente qui, de fait, induit le comportement patholo-
gique. Autrement dit, les perturbations observées dans les
tâches de script ou de problèmes procèdent non pas dune
perturbation du contrôle cognitif, mais dun déficit en TDE.
Comme le rappelle Georgieff [12], dune capacité à pré-
dire les comportements et actions des congénères, la TDE
est devenue progressivement laptitude à accéder aux états
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mentaux dautrui, puis à « adopter le point de vue de lau-
tre », cest-à-dire se mettre à la place de lautre. Coricelli
[13] distingue deux dimensions dans les processus de men-
talisation en fonction du type dinférences effectuées.
Les aspects « froids » renvoient aux inférences sur des
états épistémiques (croyances, désirs, connaissances) sans
implication affective. Cest ce que lon appelle aujourdhui
la TDE « cognitive ». La base de cette TDE est de pouvoir
nous imaginer à la place de lautre, cest-à-dire utiliser notre
pensée propre pour simuler les processus mentaux qui opè-
rent dans lesprit dautrui. Cette compétence nous permet
de comprendre les états mentaux (intentions, buts et
croyances). Les aspects « chauds » renvoient à des inféren-
ces sur les états affectifs des autres, cela passe par lempa-
thie, que certains appellent aujourdhui la TDE « affec-
tive ». Lempathie permet :
de partager le ressenti et les émotions des autres (basiques
et complexes) ;
dadopter un comportement altruiste (partage des affects,
attribution détat mental, contrôle de laction, imitation).
Cependant, pour Decety et Lamm [14], lempathie est la
capacité à faire lexpérience et à comprendre ce que les
autres pensent sans confusion avec soi-même. Autrement
dit, si lon suit Decety [15], la TDE renverrait à la capacité
dattribuer un état mental à un autre et lempathie à la capa-
cité de deviner les expériences émotionnelles de lautre.
Sur un plan théorique, lémergence de hauts niveaux de
conscience (conscience de soi et TDE) pourrait être corré-
lée au développement des niveaux exécutifs, en particulier
du contrôle inhibiteur, de la flexibilité mentale, du raison-
nement et de la mémoire de travail [16]. Toutefois, les don-
nées actuelles font débat quant au lien potentiel entre le
fonctionnement exécutif et la TDE, dune part, et dautre
part, quant aux relations entre TDE et lobes frontaux.
Hypothèse dune indépendance fonctionnelle
de ces deux niveaux
Les études dimagerie cérébrale montrent que les tâches
de TDE impliquent des niveaux de résolution de problème
différents de ceux requis en tâche évaluant les FE. Par
exemple, Duncan et Owen [17] ont montré que lactivation
de la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur (CCA)
était associée à la difficulté de la tâche. Or, lors des tâches
de mentalisation, les activations semblent plus antérieures
et concerner davantage le cortex paracingulaire antérieur
(CPCA) que le CCA.
Des études lésionnelles de patients vont dans le sens
dune distinction entre tâches exécutives et tâches de
TDE. Ainsi, des patients peuvent être très dysexécutifs
mais rester performants en tâches de mentalisation [18].
Bird et al. [19], à partir de létude dun cas, ont montré
quun patient peut présenter un syndrome dysexécutif sans
déficit de TDE associé. À lopposé, Fine et al. [20] ont rap-
porté lobservation dun patient schizophrène qui manifes-
tait des difficultés réelles en tâches de TDE (tâches de faus-
ses croyances, de compréhension dhumour) mais restait
performant dans les tâches évaluant les FE. Ainsi, il semble
exister une indépendance entre ces deux niveaux que sont
la TDE et le fonctionnement exécutif.
Des perturbations de la TDE ont donc été observées,
indépendamment de toutes perturbations exécutives chez
des malades porteurs de lésions de certaines régions fronta-
les touchant, notamment le cortex orbitofrontal (COF) et
lhémisphère droit. Mais il est possible dobserver une asso-
ciation de ces troubles (FE déficitaires et compétences en
TDE altérées) sans que ces deux types de dysfonctionne-
ment napparaissent liés sur un plan statistique [21, 22].
Ces différents travaux tendent à montrer que les deux
niveaux (TDE et FE) sont indépendants bien que relevant
tous deux des régions frontales.
Hypothèse dune étroite dépendance
entre fonctions exécutives et théorie de lesprit
Àlopposé, pour certains auteurs, la TDE fonctionne sur
une analyse logique de la situation comme pour les tâches
exécutives. Ils postulent que les informations sur les états
mentaux relèvent de fonctions cognitives générales et font
lhypothèse que la TDE se développe en parallèle des autres
compétences cognitives, comme la mémoire de travail et
les FE [23-30]. Pour exécuter une tâche de TDE, il faut
dabord la comprendre et pouvoir contrôler ses propres
états mentaux. De cette conception émergent deux posi-
tions différentes quant aux relations entre FE et TDE.
La première [31-34, 25-30] suppose que le développe-
ment des FE permet celui de la TDE chez lenfant ou, en
tous les cas, optimise son développement. Ainsi, Pellicano
[30] a récemment montré auprès de 30 enfants autistes et
40 enfants témoins sains, des corrélations entre les perfor-
mances en TDE (tâches de fausses croyances de premier et
de second ordre) et les variables exécutives (inhibition, pla-
nification et flexibilité mentale). Dans cette étude, une seule
dissociation apparaît (TDE déficitaire versus FE préservées),
alors que la réciproque (TDE préservée versus FE déficitai-
res) nest pas observée. Ces résultats apportent du crédit à
lhypothèse que les FE jouent un rôle important dans la
TDE, car en cas datteinte, la TDE nest pas correctement
appréhendée. Par ailleurs, labsence de double dissociation
nétaye pas lhypothèse modulaire.
La deuxième conception suppose que la mise en œuvre
détats mentaux et les performances lors de tâches de TDE
pourraient résulter du fonctionnement exécutif [35-38].
Les auteurs considèrent que la TDE repose à un certain
niveau sur la base dune déduction logique, et que beau-
coup de tâches censées mettre en œuvre les FE nécessitent
la même logique.
Tantôt on insiste sur le rôle des FE dans la construction
initiale dune compréhension conceptuelle (système méta-
représentationnel), mais une fois formé et opérationnel, ce
système TDE ne requiert plus les niveaux exécutifs [39].
Cette position postule que chez ladulte, ces constructions
(métareprésentations) sont stables et résistent au déclin
cognitif associé au vieillissement. Tantôt on insiste sur la
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contribution perpétuelle des FE dans la TDE [38, 40]. Au
départ, chez le jeune enfant, le niveau de TDE reste
archaïque et névolue que lorsque les niveaux exécutifs se
développent, permettant alors la compréhension de situa-
tions sociales complexes de plus en plus élaborées (premier
ordre puis second ordre). De ce point de vue, un déclin
exécutif occasionné par lâge ou par des lésions cérébrales
contribuera à une réduction des performances en tâche de
TDE [40]. Les hypothèses sont donc aujourdhui multiples.
Les tâches utilisées ne sont pas pures, et il est probable
quelles mettent bien souvent en jeu les deux composantes.
Corrélats neuro-anatomiques de la théorie
de lesprit : des études dimagerie cérébrale
àlapproche anatomo-clinique
Un nombre important détudes de neuro-imagerie a
déjà tenté didentifier le substrat neuro-anatomique sur
lequel repose notre capacité à raisonner sur les états men-
taux dautrui ([41-44]). À partir des études réalisées en ima-
gerie cérébrale fonctionnelle et des études lésionnelles,
nous pouvons retenir limplication :
du cortex préfrontal médian et notamment du CPCA
(aires 9 et 32 de Brodmann) [45-54]. Cette zone est activée
lorsquun sujet doit déterminer létat mental dun autre sujet
(tel quune croyance) qui peut être différent de la réalité et
lorsquil faut prendre en compte simultanément ces deux
perspectives du monde. En dautres termes, ces résultats
appuient lidée que cette région cérébrale permet de sépa-
rer notre pensée de celle des autres, de reconnaître que
quelquun a des croyances et des intentions différentes des
nôtres [55] ;
du cortex orbitofrontal : des lésions du COF engendrent
des déficits subtils en TDE plus quune réelle perte de cette
compétence. Les auteurs [56-58] ont montré une augmen-
tation du débit sanguin au niveau du COF au cours dune
tâche de reconnaissance détats mentaux. Cette région ven-
trale du lobe frontal est associée aux fonctions sociales et
aux comportements interpersonnels liés aux émotions [59],
et permet la régulation du comportement social ;
des amygdales [60, 61] qui jouent un rôle dans le déco-
dage des signes sociaux tels que le regard, la reconnais-
sance émotionnelle et les mouvements du corps [60].
Létude en IRMf de Baron-Cohen et al. [60] étaye fortement
lhypothèse dun rôle de lamygdale dans lintelligence
sociale normale et son dysfonctionnement chez les sujets
autistes ;
pour mémoire, nous évoquerons la participation des
pôles temporaux et du sulcus temporal supérieur (STS).
Les pôles temporaux joueraient un rôle précis dans laccès
aux connaissances sociales, sous la forme de script. Ils per-
mettraient la convergence entre tous les sens, la décision
sémantique, ainsi que la récupération de la mémoire auto-
biographique et émotionnelle. Ils représentent en quelque
sorte une réserve de la mémoire personnelle, sémantique et
épisodique. Différentes études utilisant les techniques
dimagerie cérébrale ont montré une activité au niveau
des pôles temporaux préférentiellement à gauche en tâche
de mentalisation [45, 47, 48, 51, 52, 62-64]. Selon Frith et
Frith [42], les pôles temporaux sont le support cérébral qui
génère le contexte sémantique et émotionnel de nos pen-
sées en se basant sur nos expériences passées. Brunet et al.
[47] ont montré que le STS était impliqué dans la compré-
hension de la causalité et de lintentionnalité. Cette même
région est activée pour les actions manuelles, mouvements
corporels, mouvements des lèvres et lecture sur les lèvres,
mouvements des yeux et orientation du regard [65-68].
Pour Gallagher et Frith [54], cest grâce à cette analyse
des traits physiques et des états mentaux qui y sont liés
que lon parvient à comprendre le comportement dautrui.
Différentes études évaluant le jugement social lont bien
démontré [48, 69].
Bird et al. [19] ont néanmoins décrit le cas dune
patiente présentant une lésion sétendant de la région fron-
tale orbitaire jusquau genou du corps calleux, englobant le
gyrus cingulaire antérieur, le sillon cingulaire et frontal
médian supérieur. Cette lésion était la conséquence dun
infarctus ischémique bilatéral dans le territoire de lartère
communicante antérieure. La patiente, qui présente un syn-
drome dysexécutif, a passé correctement cinq tests évaluant
la TDE et la cognition sociale. La bonne réalisation de ces
tests chez une malade présentant une lésion de la partie
médiane des lobes frontaux démontre que cette région nest
peut-être pas systématiquement impliquée pour résoudre
les problèmes cognitifs de la TDE, la patiente parvenant à
se représenter et à comprendre les états mentaux dautrui.
Par ailleurs, on observe que la TDE peut fonctionner sans
avoir recours aux FE.
Dans un travail en cours décriture [70], nous montrons
que les atteintes frontales focales favorisent le déficit de
TDE, contrairement à ce que signalent certains travaux
récents réalisés auprès des patients [19, 71, 72], à cela
près que létude met en évidence deux profils distincts.
Bien que tous soient dysexécutifs, 13 malades présentent
un déficit de TDE, 47 sujets en sont indemnes. Lanalyse
des aires cérébrales frontales impliquées dans les échecs
de TDE met en évidence des proportions de lésions plus
importantes dans les régions orbitaires et médianes pour la
tâche de photographies de regards [73] et des régions
médianes et latérales droites pour la tâche dattribution
dintention à autrui [74]. Ces résultats sont assez cohérents
avec les différentes études dIRMf réalisées initialement par
les auteurs de ces tests. A contrario, les patients qui sont
restés performants dans ces deux tâches présentent essen-
tiellement des lésions de la région frontale operculaire gau-
che (partie latérale du lobe frontal). Cette observation
conduit à nous poser la question de limpact du syndrome
dysexécutif sur les compétences en TDE. Cette question,
nous lavons vu, a généralement été abordée dans la littéra-
ture à partir dapproches développementales, mais rare-
ment chez ladulte frontolésé. Les difficultés exécutives de
nos patients peuvent-elles expliquer les difficultés quils
présentent en TDE ?
Article de synthèse
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Nos résultats appuient davantage lhypothèse soutenue
par Moses [39] ou Rowe et al. [75] en faveur dune indé-
pendance entre les niveaux exécutifs et les capacités en
TDE chez ladulte, car les variables exécutives nont pas
permis dexpliquer les scores en TDE. Les deux profils dis-
tincts de patients frontolésés en tâche de TDE ne présen-
taient pas de différence sur lensemble des critères exécutifs
appréhendés. Lutilisation adéquate du système métarepré-
sentationnel ne dépend donc peut-être pas des FE, ce qui
est un premier argument en faveur dun système de TDE
modulaire. Néanmoins, la question du choix des tâches
pour ce type de travail reste ouverte dans la mesure où
lon peut toujours sinterroger sur le traitement émotionnel
engagé dans les épreuves.
Émotions, fonctions exécutives,
lobe frontal
Parce quelle est aussi dotée dune dimension sociale,
culturelle et solidarisante pour le groupe, lémotion est un
signal social qui peut être utilisé pour modifier laction du
partenaire, mais aussi de lindividu lui-même, qui se consi-
dère alors comme cet autre. Les êtres humains peuvent
détecter à la fois des expressions faciales basiques et des
expressions reflétant des états mentaux plus complexes
qui régulent les interactions sociales (comme par exemple
paraître hostile ou aimable) ou reflètent les pensées des
autres (comme par exemple sembler songeur).
Du point de vue anatomique, Hornak et al. [76] ont
démontré, chez des patients qui présentaient des compor-
tements sociaux inadaptés, la présence de perturbations
dans lidentification des expressions émotionnelles faciales
et vocales. La pauvreté de lidentification de lexpression
émotionnelle était corrélée avec le degré de changement
du ressenti émotionnel subjectif évalué par les patients.
Par ailleurs, la recherche a montré une corrélation positive
forte entre ce ressenti et les problèmes comportementaux.
Ainsi, lincapacité à décoder lexpression émotionnelle nui-
rait au contrôle comportemental (adaptation sociale, com-
portement sexuel inapproprié, euphorie, irritabilité)
puisque lémotion nagirait plus comme censeur environne-
mental pour ajuster le comportement.
Quen est-il des liens entre traitement
des émotions et lobe frontal ?
Dune manière générale, les travaux convergent pour
montrer que ce déficit didentification des expressions émo-
tionnelles faciales et vocales est généralement dépendant
de lésions frontales droites [77, 78]. Cependant, un travail
récent dHeberlein et al. [79] montre que les structures ven-
tromédianes du lobe frontal jouent un rôle crucial dans la
reconnaissance des émotions faciales. Une autre étude de
Hornak et al. [80], réalisée auprès de malades ayant subi
une exérèse chirurgicale du cortex orbitofrontal, souligne
que si les perturbations affectant lidentification des émo-
tions, par la voix et les expressions faciales apparaissent
après lésion uni- ou bilatérale du cortex orbitofrontal et du
cortex cingulaire antérieur, les modifications importantes
dans les conduites sociales sont toujours liées à des lésions
bilatérales.
Pour explorer les expressions sociales (par exemple
paraître hostile ou aimable) ou les expressions cognitives
(révélant les pensées intérieures des autres), Shaw et al.
[81] ont examiné des malades avec lésions temporales ou
frontales. Une atteinte de lamygdale droite ou gauche était
associée à un déficit de reconnaissance des expressions
sociales et cognitives. Les lésions du cortex préfrontal
droit engendraient une altération spécifique des expres-
sions sociales à valence négative.
Dans un registre proche, Moriguchi et al. [82] ont étudié
les bases biologiques de lalexithymie. Les auteurs définis-
sent ce désordre comme une difficulté à reconnaître et à
décrire ses propres émotions, témoin du niveau de cons-
cience émotionnelle de soi. Les auteurs ont étudié les
bases neuronales des capacités de mentalisation dans le
cadre de lalexithymie afin de déterminer sil existait un
substrat cérébral commun dans le processus dattribution
détats mentaux à soi et à autrui. Les deux groupes (16 sujets
avec un fort niveau dalexithymie et 14 sujets avec un faible
niveau dalexithymie) ont été comparés sur la base de
mesures psychologiques, incluant un test de mentalisation
(TDE : animations visuelles de formes géométriques imitant
lhumain) et lindex de réactivité interpersonnelle (IRI) dans
lequel quatre domaines sont évalués :
prise de perspective (cognitive) ;
intérêt empathique (émotionnelle) ;
détresse personnelle (avoir des sentiments négatifs en
réponse à la détresse dautrui) ;
fantasy (identification émotionnelle aux personnages
dun livre).
Les résultats dactivation en imagerie fonctionnelle
montrent une activation dans les deux groupes des régions
associées à la mentalisation à savoir les cortex préfrontaux
médians (MPFC), les jonctions temporopariétales (TPJ) et le
pôle temporal (TP). Le niveau dactivation dans le MPFC
droit est corrélé aux performances de prise de perspective
et est donc affaibli dans le groupe alexithymique. Bien quil
nexiste pas de différence de groupe dans lactivation céré-
brale dans la TPJ et le TP, lactivité dans le TP droit a une
corrélation positive avec les scores de mentalisation et le
score de détresse émotionnelle à lIRI. Ces résultats suggè-
rent que lalexithymie associe une perturbation des capaci-
tés de mentalisation et de lhabileté empathique de prise de
point de vue dautrui. Ainsi, les processus impliqués dans la
compréhension de soi et des autres sont interconnectés et
jouent un rôle important dans la régulation émotionnelle.
Les auteurs rappellent dailleurs le travail de Lane et de
Schwartz [83] qui soulèvent lidée que plus le niveau de
conscience émotionnelle de soi est élevé, plus la distinction
soi/autrui augmente. En labsence dune telle différencia-
tion, les émotions deviennent globales et mènent à une
incapacité relative à utiliser ses propres émotions pour gui-
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