NON-DUALISME ET CHRISTIANISME SWAMI ABHAYANANDA ‘’Les judéo-chrétiens occidentaux sont souvent mal à l’aise avec le mot ‘’non-dualité’’ qu’ils associent souvent (négativement) aux religions orientales, mais je suis convaincu que Jésus fut le premier maître religieux non-dualiste d’Occident et une raison pour laquelle nous n’avons pas pu comprendre autant de son enseignement, et encore moins le suivre, c’est que nous avons tenté de le comprendre avec un esprit dualiste.’’ Fr. Richard Rohr, The Naked Now, Learning to See as the Mystics See, The Crossroad Publishing Company Je pense qu’il est important de souligner le fait que les saints et les sages de l’Inde ne sont pas plus titulaires ou propriétaires de la Vérité que les fidèles d’autres pays ou bien issus d’autres traditions religieuses. Toute tradition religieuse digne de ce nom reconnaît la même Vérité éternelle et tous les grands instructeurs religieux ont enseigné selon leur propre expérience intime de Dieu, conformément à leur ‘’vision mystique’’ – qu’on l’appelle ‘’samadhi’’, ‘’nirvana’’, ‘’fana’’ ou ‘’union avec Dieu’’. Comme il n’y a qu’une seule Réalité ultime que tout le monde partage, tout qui a fait l’expérience de la Vérité a fait l’expérience de cette même Réalité ultime. Il est donc naturel que les enseignements à ce sujet et sur la manière de l’expérimenter soient similaires. Les langues et les cultures des différents maîtres qui ont vécu tout au long de l’Histoire diffèrent les unes par rapport aux autres, sans aucun doute. Leurs personnalités et leurs styles de vie varient. Mais leur vision est unique et la voie qu’ils enseignent est la voie de l’unité. Dans l’expérience mystique qui transcende toutes les traditions religieuses, toutes les cultures et toutes les langues, le chrétien et le védantin parviennent à la même réalisation : ils réalisent l’unité de leur propre âme et de Dieu, l’Âme de l’univers. C’est cette expérience-là qui a incité Jésus qui est à l’origine du christianisme à expliquer régulièrement à ses disciples qu’il avait fait l’expérience de la grande unité dans laquelle lui et le Père de l’univers sont un : ‘’Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l’avez vu.’’ Philippe lui dit : ‘’Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit.’’ Jésus lui dit : ‘’Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : ‘’Montre-nous le Père ?’’ Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même. Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres œuvres. Croyezmoi, je suis dans le Père et le Père est en moi ; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces œuvres.’’ (Jean 14. 7-11) C’est la vérité du non-dualisme védantique. Le terme ‘’unité’’ a bien sûr le même sens, mais il semble que ‘’pas deux’’ est plus catégorique qu’une simple affirmation de l’unité. Le mot ‘’unité’’ est souvent utilisé par des religieux zélés qui l’appliquent à Dieu, mais sans même jamais avoir considéré la pensée qu’eux-mêmes sont logiquement inclus dans l’unité absolue. Le non-dualisme, la philosophie de l’unité absolue, est ce qu’enseigne principalement, non seulement le Védanta, mais tous les voyants purs de la Vérité. Cette position est incarnée par la déclaration védantique ‘’tat twam asi’’, Cela, tu l’es. Aussitôt que nous commençons à examiner les enseignements de Jésus à la lumière de son expérience ‘’mystique’’ de l’unité, nous avons une perspective beaucoup plus claire de tous les aspects de la vie et de l’enseignement de l’homme. Ses enseignements, à l’image de ceux des sages védantins qui ont enseigné au fil des siècles, est que l’âme de l’homme n’est nulle autre que la divinité unique, nulle autre que Dieu, et que cette identité divine peut être expérimentée et connue par l’entremise d’une révélation qui se produit intérieurement, par la grâce de Dieu, pour ceux qui se préparent et qui purifient leur esprit et leur cœur pour l’accueillir. Nous connaissons si bien les paroles de Jésus depuis notre enfance qu’elles ont peutêtre perdu leur sens à cause d’une familiarité excessive avec elles. Il a tenté de nous expliquer avec les mots ‘’moi et le Père, nous sommes un’’ que le ‘’je’’, notre propre conscience intime d’être, n’est nulle autre que le Soi unique, la Conscience unique, le Seigneur et le Père de nous tous. Pourquoi alors sommes-nous tellement incapables de le voir ? Pourquoi devrait-il être si difficile pour nous d’acquérir cette pureté du cœur que Jésus a déclaré si essentielle pour cette vision ? Sans doute parce que nous n’avons pas réellement essayé – pas comme Jésus l’a fait en s’éloignant dans le désert, en mettant en péril tout le reste dans sa vie pour cet unique objectif, en se concentrant totalement sur l’obtention de la vision de Dieu. Pas comme le Bouddha l’a fait. Pas comme tous ceux qui ont fait l’expérience de Dieu l’ont fait. Peut-être ne sommes-nous pas encore suffisamment prêt pour un effort d’une telle concentration. Peut-être avons-nous encore d’autres désirs dont nous devons nous défaire pour être assez libre pour poursuivre un idéal aussi élevé. Pour nous, il reste peut-être encore beaucoup à faire pour attendrir notre cœur afin d’être assez pur pour entendre l’appel de la grâce de Dieu. C’est pour des gens comme nous, pour qui il reste encore beaucoup à accomplir avant d’atteindre la pureté du cœur que Jésus a parlé. Tout ce que Jésus a enseigné à ses disciples fut pour leur expliquer que sa nature réelle, comme celle de tous les hommes, est divine et qu’on pouvait réaliser directement cette réalité. En outre, il leur a enseigné la voie ou la méthode à suivre pour parvenir à cette réalisation directe. Examinons ses propres paroles pour corroborer ceci. Dans l’évangile de Jean, il déplore : ‘’Ô Père juste, le monde ne T’a pas connu, mais je T’ai connu.’’ (Jean 17.25) Et assis parmi les religieux orthodoxes dans le temple juif, il dit : ‘’Vous dites qu’Il est votre Dieu, néanmoins sans L’avoir connu. Mais je L’ai connu.’’ (Jean 8.54-55) Jésus avait ‘’connu’’ Dieu directement au cours d’une période de prière profonde qui a suivi son initiation par son ‘’sadguru’’, sans doute pendant sa période dans le désert et cette expérience l’avait séparé et même isolé de ses frères, car parmi ses contemporains, il semblait seul posséder la connaissance rare de la vérité de toute l’existence. C’est la situation difficile de tous ceux qui ont reçu la grâce de la ‘’vision de Dieu’’. C’est le plus grand des dons, la plus grande de toutes les visions possibles et pourtant, parce que la connaissance ainsi reçue s’oppose totalement à tout ce que les hommes croient en ce qui concerne Dieu et l’âme, c’est une connaissance terriblement aliénante qui confère à celui ou à celle qui la possède le dédain et les railleries de tous les hommes. L’histoire est pleine d’exemples d’autres personnes qui, après avoir obtenu cette connaissance salvatrice, se sont aperçu que le monde était peu enclin à la recevoir, et même prêt à défendre son ignorance agressivement. Ces circonstances ont peu changé, aujourd’hui. En raison du fait que la ‘’vision’’ de Dieu est si difficile à transmettre à ceux qui n’en ont pas eu l’expérience, Jésus utilisa souvent des analogies ou des métaphores pour clarifier ce qu’il entendait. Ainsi évoqua-t-il l’expérience de la vision de Dieu comme entrer dans un royaume qui se situe au-delà du monde, un royaume où il n’y a que Dieu, qu’il appela ‘'malkutha’’ dans sa propre langue araméenne. (‘’Basileia’’, dans la traduction grecque.) En français, on parle généralement de Royaume de Dieu. Ses disciples lui demandèrent : ‘’Quand le Royaume viendra-t-il ?’’ Jésus dit : ‘’Il ne viendra pas d’une manière attendue. On ne dira pas : le voici ou le voilà ! Le Royaume du Père s’étend déjà sur la Terre, et pourtant, les hommes ne le voient pas.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 113) ‘’Ce que vous attendez est déjà là, mais vous ne le reconnaissez pas.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 51) Les Pharisiens lui demandèrent : ‘’Quand le Royaume de Dieu viendra-til ?’’ Il dit : ‘’On ne peut dire par des faits observables quand viendra le Royaume de Dieu. On ne dira pas : ‘’le voici !’’ ou ‘’le voilà’’, car en fait, le Royaume de Dieu est en vous.’’ (Luc 17. 20-21) Jésus dit : ‘’Si ceux qui vous guident vous disent : voici, le Royaume est dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous auront précédé. S’ils vous disent : il est dans la mer, alors les poissons vous auront devancé. Le Royaume est au-dedans de vous et il est aussi en dehors de vous. Quand vous vous connaîtrez (votre Soi), alors vous (votre vraie nature) serez connu et vous réaliserez que c’est vous qui êtes les fils du Père vivant. Mais si vous ne vous connaissez pas (c’est à dire votre Soi), vous vivez dans la pauvreté. (C’est-à-dire dans l’illusion d’être une pauvre créature éloignée de Dieu)’’ (Evangile selon Thomas, Logion 3) D’autres métaphores de Jésus utilisaient les termes ‘’lumière’’ et ‘’ténèbres’’ pour représenter la divinité et l’illusion inhérente aux hommes. Jésus dit : ‘’Les images du monde sont manifestes pour l’homme, mais la Lumière en elles demeure cachée. Dans l’image est la Lumière du Père. Il se manifeste dans les images, mais en tant que Lumière, Il est voilé.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 83) Il leur dit : ‘’Il y a de la lumière à l’intérieur d’un homme de lumière et il donne de la lumière au monde entier. S’il ne donne pas de lumière, il est dans les ténèbres.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 24) Ce sont des termes qui sont employés depuis des temps immémoriaux pour représenter la Conscience divine en l’homme et l’ignorance trouble qui l’obscurcit. Dans le tout premier paragraphe de l’évangile de Jean, nous trouvons une excellente explication de ces deux principes et leurs synonymes grecs, Theos et Logos : ‘’Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était avec Dieu au commencement. Tout fut par Lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans Lui. En Lui était la Vie et la Vie était la Lumière des hommes, et la Lumière brille dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont point comprise. (Jean, 1. 1-5) Un mot d’explication est ici nécessaire. Les deux termes ‘’Lumière’’ et ‘’ténèbres’’ indiquent aussi les aspects cosmiques de la Réalité. En d’autres mots, ils ne sont pas seulement la Conscience divine en l’homme et les ténèbres de l’ignorance, mais ils sont, à un niveau supérieur, la Divinité même et son pouvoir de manifestation. Ce sont ces deux mêmes principes que nous avons si souvent rencontrés et que l’on appelle ‘’Brahman’’ et ‘’Maya’’, ‘’Purusha’’ et ‘’Prakriti’’, ‘’Shiva’’ et ‘’Shakti’’. C’est la Divinité en nous qui nous procure la Lumière et c’est le principe de la manifestation qui, dans la création d’un complexe corps-mental-âme individuel, nous procure toute l’obscurité nécessaire pour nous garder dans les ténèbres par rapport à notre identité infinie et éternelle. Jésus dit : ‘’Si l’on vous demande ‘’d’où venez-vous ?’’, dites-leur : nous sommes venus de la Lumière, d’où la Lumière vint d’Elle-même à être, s’est fixée et s’est manifestée dans notre image. Si l’on vous demande ‘’L’êtesvous ?’’, dites : ‘’Nous sommes ses enfants et nous sommes les élus du Père vivant.’’ Si l’on vous demande ‘’Quel signe y a-t-il du Père en vous ?’’, dites-leur : ‘’Le mouvement et le repos.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 50) Jésus dit : ‘’Je suis la Lumière. Je suis au-dessus de tout le manifesté. Tout est issu de Moi et tout retourne à Moi. Fendez un morceau de bois, Je suis là ; soulevez une pierre et vous Me trouvez là.’’(Evangile selon Thomas, Logion 77) Ici, Jésus s’identifie à la Lumière éternelle, mais il semble n’avoir jamais voulu laisser sous- entendre qu’il était uniquement et exclusivement identique à celle-ci. Il devrait être clair que son intention a toujours été de transmettre la vérité que tous les hommes sont en essence la Conscience transcendante qui se manifeste dans la forme. ‘’Vous êtes la Lumière du monde. Permettez que votre Lumière brille devant les hommes, de sorte qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est au ciel.’’ (Matthieu 5.14-16) Il répétait souvent à ses disciples qu’eux aussi obtiendraient la même réalisation qu’il avait expérimentée : ‘’Je vous le dis, certains parmi ceux qui sont ici ne goûteront pas à la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu dans toute sa puissance.’’ (Marc, 9.1) ‘’Les cieux et la terre s’enrouleront devant vous. Et celui qui vit à partir de l’Un vivant ne connaîtra pas la mort. N’ai-je pas dit que celui qui trouve son Soi est supérieur au monde ?’’ (Evangile selon Thomas, Logion 111) ‘’Prêtez attention à l’Un vivant tant que vous vivez, de peur que vous ne mouriez et que vous ne cherchiez à Le voir et que vous ne le puissiez pas.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 59) ‘’Ce que vous avez vous sauvera, si vous Le faites jaillir de vous-mêmes. Ce que vous n’avez pas en vous vous détruira.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 70) ‘’Ce que vous avez’’ est bien entendu la Vérité, la Lumière, la Divinité qui se manifeste en tant que vous. Et ‘’ce que vous n’avez pas’’ fait allusion à la fausse identité de l’individualité séparée qui est juste un mensonge. C’est la compréhension erronée de qui vous êtes qui vous limite et qui vous empêche de faire l’expérience de l’Eternel. L’enseignement commun à tous les vrais ‘’mystiques’’ qui ont réalisé le Suprême est : ‘’Vous êtes la Lumière du monde ! Vous êtes Cela !’’ Identifiez-vous à la Lumière, à la Vérité, puisque c’est ce que vous êtes réellement. Jésus ne voulait pas que ceci ne reste qu’une simple question de foi chez ses disciples, il voulait qu’ils réalisent cette vérité par eux-mêmes. Et il leur enseigna la méthode via laquelle il était parvenu à connaître Dieu. Comme tous les grands voyants, il connaissait les moyens et la fin, l’Un et le multiple. Ainsi, nous entendons une ambiguïté apparente dans le message de Jésus, nécessitée par la nature paradoxale de la Réalité. Dans l’Un, le deux – l’âme et Dieu – jouent leur jeu amoureux de dévotion. A un moment, l’âme appelle Dieu son ‘’Père’’ et à un autre, elle s’identifie à Dieu et parle en tant que ‘’Je’’. Similairement, dans les paroles de Jésus à ses disciples, nous retrouvons cette même complémentarité. A un moment donné, il évoque une dévotion dualiste sous forme de prière (‘’Notre Père qui est aux cieux’’) et à un autre, il affirme son unité, son identité avec Dieu (‘’Soulevez la pierre, et Je suis là…’’). Il mit toutefois en garde ses disciples de ne pas offenser autrui par cette attitude (‘’Si on vous demande, L’êtes-vous ? Dites, nous sommes ses enfants…’’). Parfois, il s’identifie à l’Un et affirme qu’il a le pouvoir d’octroyer l’expérience de l’unité : ‘’Je vous donnerai ce qu’aucun œil n’a vu, ce qu’aucune oreille n’a entendu, ce qu’aucune main n’a touché et ce qui n’a jamais effleuré l’esprit humain.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 17). Et à d’autres moments, il s’identifie à l’âme humaine et accorde tout le crédit à Dieu, le Père : ‘’Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon hormis l’Un qui est Dieu.’’ (Luc, 18.18) Il y a une histoire intéressante qui apparaît dans Matthieu et Luc et qui illustre la connaissance, du point de vue de l’âme individuelle, que la réalisation de Dieu ne s’opère pas par un acte propre, mais seulement par la grâce de Dieu. Jésus venait tout juste de commenter combien il serait difficile pour un jeune homme qui avait un fort penchant spirituel, mais qui était attaché à ses biens et à ses occupations matérielles de réaliser Dieu et ses disciples qui étaient rassemblés autour étaient quelque peu déconcertés par ceci et ils lui demandèrent : ‘’Alors, qui peut parvenir au salut ?’’ Et Jésus leur répondit : ‘’Pour l’homme, c’est impossible, mais pour Dieu, c’est possible.’’ Et Pierre, qui avait compris que Jésus niait que tout homme puisse provoquer cette expérience par ses propres efforts, mais que Dieu seul octroie cette illumination par sa grâce, objecta : ‘’Mais nous, nous avons abandonné nos biens pour devenir tes disciples.’’ Et Jésus, qui voulait leur garantir que tout effort pour réaliser Dieu porterait ses fruits dans cette vie et dans les vies à venir leur dit : ‘’En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus en ce temps-ci et, dans les temps à venir, la vie éternelle.’’ (Luc 18.18-30 ; Matthieu 19.16) Il ne pouvait garantir à personne cette connaissance de Dieu, c’était entre les mains de Dieu. Mais Jésus savait que tous les efforts que l’on fait pour se rapprocher de Dieu doivent porter leurs fruits dans cette vie et dans les vies à venir. Et donc, tout au long des enseignements de Jésus, on retrouve ces deux attitudes apparemment contradictoires qui cohabitent : l’attitude du jnani (‘’Je suis la Lumière’’, ‘’Je suis au-dessus de tout le manifesté’’) et l’attitude du bhakta (‘’Père, Père, pourquoi m’as-Tu abandonné ?’’). Ce sont les deux voix de l’homme illuminé, car il est les deux, l’unité transcendante et l’âme. Il a ‘’vu’’ cette unité dans ‘’l’expérience mystique’’. Jésus avait fait l’expérience de la Vérité ultime. Il l’avait clairement vue et connue, sans le moindre doute et il savait que la Conscience qui vivait en lui était la Conscience unique du tout. Il savait qu’il était la Conscience vivante d’où provient tout l’univers. C’était la vérité certaine, incontestable, et pourtant, Jésus ne trouva que peu de gens qui étaient à même de la comprendre. Jésus s’adressait souvent à des religieux bien-pensants, incapables d’accepter la signification profonde de ses paroles. L’orthodoxie religieuse de son époque, comme tous ces types d’orthodoxie, soutenait du bout des lèvres des idéaux spirituels en servant ses propres intérêts et elle observait toutes sortes de rituels symboliques, mais elle ignorait totalement le fait que la Réalité ultime pouvait être connue directement par une âme pure et dévouée et que c’était l’objectif réel de toute pratique religieuse. Bien sûr, Jésus avait compris que, malgré l’influence accablante des religieux conventionnels, il y avait quand même eu dans sa propre tradition juive d’autres visionnaires de Dieu qui avaient connu et enseigné cette Vérité. ‘’Je ne viens pas détruire la Loi des Prophètes, mais l’accomplir’’, dit-il. (Matthieu, 5.17) Il savait également que toute personne qui annoncerait le fait qu’elle avait vu et connu Dieu serait persécutée et dénigrée et considérée comme une infidèle et une menteuse. On rapporte que Jésus a dit dans l’Evangile selon Thomas : ‘’Celui qui connaît le Père (l’Absolu transcendant) et la Mère (le Principe créatif) sera appelé fils de chienne !’’ (Evangile selon Thomas, Logion 105) Il semble qu’il jouait sur le fait que celui qui ne connaît ni son père ni sa mère est généralement appelé ainsi, mais dans son propre cas, il connaissait le Père de l’univers et le pouvoir de la Mère Nature derrière toute la création et pourtant, on l’appelait encore avec ce nom dérisoire. C’est l’expérience commune de tous les grands visionnaires – Lao Tseu, Socrate, Héraclite, Plotin, al-Hallaj, Maître Eckhart, St Jean de la Croix... Tous furent cruellement torturés et persécutés pour leur bonté et leur sagesse. Jésus constata aussi que le monde des hommes manquait singulièrement de compréhension, car il dit : ‘’J’ai pris ma place au milieu du monde et j’ai circulé parmi les hommes. Je les ai trouvés ivres (d’orgueil et d’ignorance) et je n’en ai trouvé aucun assoiffé (de Vérité). Et mon âme s’est chagrinée pour les fils des hommes, car ils sont aveugles dans leurs cœurs et car ils n’ont aucune vision. Vides, ils sont venus au monde et vides, ils veulent le quitter. Actuellement, ils sont ivres. Lorsqu’ ils auront évacué leur vin, ils se repentiront.’’ (Evangile selon Thomas, Logion 28). Source: Swami Abhayananda, The Wisdom of Vedanta, Chapter 10