Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 32 (2013) 60–62 Communication brève Profil bactériologique des péritonites communautaires de l’enfant prises en charge au CHU de Marrakech§ Bacteriology of community-acquired peritonitis in children treated in the university hospital of Marrakech Y. Mouaffak a, M. Boutbaoucht a,*, N. Soraa b, L. Chabaa b, T. Salama c, M. Oulad Saiad c, S. Younous a a Service d’anesthésie-réanimation pédiatrique, hôpital Mère-Enfant, CHU Mohammed VI, université Cadi Ayyad, rue Ibn Sina, Amerchich, Marrakech, Maroc Service de microbiologie, hôpital Mère-Enfant, CHU Mohammed VI, université Cadi Ayyad, rue Ibn Sina, Amerchich, Marrakech, Maroc c Service de chirurgie pédiatrique, hôpital Mère-Enfant, CHU Mohammed VI, université Cadi Ayyad, rue Ibn Sina, Amerchich, Marrakech, Maroc b I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Reçu le 1 juillet 2012 Accepté le 25 octobre 2012 Mots clés : Péritonites Antibiothérapie Pédiatrie R É S U M É Introduction. – Les données microbiologiques sur les péritonites communautaires de l’enfant sont insuffisantes et leur antibiothérapie n’est pas consensuelle. Notre travail vise à étudier la bactériologie des péritonites pédiatriques dans notre région et discuter l’antibiothérapie appropriée. Patients et méthodes. – C’est une étude descriptive étalée sur un an, en colligeant les cas de péritonites pour lesquels une étude microbiologique du liquide péritonéal a été réalisée. Résultats. – Sur 38 cas, le germe le plus fréquemment isolé est Escherichia coli (E. coli) (50 %). Sa sensibilité était de 64 % à l’amoxicilline acide–clavulanique, de 93,33 % aux céphalosporines de troisième génération (C3G) et de 100 % à l’ertapénème et aux aminosides. Conclusion. – Nous constatons un taux élevé de résistance de l’E. coli à l’association amoxicilline–acide clavulanique. Cela nous incite à reconsidérer notre attitude thérapeutique. Nous pensons que l’association C3G + aminosides + métronidazole doit être utilisée en première intention lors des péritonites pédiatriques dans notre contexte. ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). A B S T R A C T Keywords: Peritonitis Antibiotherapy Pediatrics Introduction. – The available microbiological data on community-acquired peritonitis in children are inadequate, and antibiotic therapy is not consensual. Our work aims to study the bacteriology of peritonitis in children in our region and discuss the appropriate antibiotherapy. Patients and methods. – A descriptive study spread over one year. We collected cases of peritonitis in which a microbiological study of peritoneal fluid was performed. Results. – Of 38 cases, the most frequently isolated bacteria is Escherichia coli (E. coli) (50%). Its sensitivity was 64% to amoxicillin–clavulanate, 93.33% to third generation cephalosporins (C3G) and 100% to ertapenem and aminozides. Conclusion. – We find a high rate of resistance of E. coli to amoxicillin–clavulanic acid. This prompts us to reconsider our therapeutic approach. We believe that the association C3G + aminoglycoside + metronidazole should be used first-line in the pediatric peritonitis in our context. ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). 1. Introduction § Présenté au 40e Congrès de la Société de réanimation de langue française (SRLF) à Paris le 18 janvier 2012. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Boutbaoucht). Les péritonites sont des affections graves qui nécessitent à la fois un geste chirurgical de qualité et un traitement antibiotique efficace. Les données épidémiologiques et microbiologiques disponibles sur les péritonites communautaires de l’enfant sont insuffisantes, et l’antibiothérapie de ces dernières ne fait pas encore l’objet d’un consensus. En revanche chez l’adulte, 0750-7658/$ – see front matter ß 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar). http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2012.10.031 Y. Mouaffak et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 32 (2013) 60–62 l’antibiothérapie de ces infections intra-abdominales a fait l’objet d’une conférence de consensus française recommandant l’emploi de l’association amoxicilline–acide clavulanique et aminoside [1]. Par ailleurs, des données récentes ont montré une évolution de la résistance aux antibiotiques des germes responsables des péritonites secondaires. C’est ainsi que nous avons mené ce travail pour étudier le profil microbiologique des péritonites communautaires de l’enfant au niveau de notre région, afin de discuter leur antibiothérapie probabiliste. 2. Patients et méthodes Il s’agit d’une étude prospective descriptive réalisée au niveau de l’unité de bactériologie de l’hôpital Mère-Enfant du CHU de Marrakech au cours de l’année 2010, incluant tous les prélèvements peropératoires réalisés chez les enfants présentant un tableau de péritonite appendiculaire. Le pôle Mère-Enfant est une formation hospitalière qui fait partie du CHU Mohammed VI de Marrakech et qui draine toute la région du sud marocain. Il a une capacité de 240 lits et regroupe les spécialités médicales et chirurgicales de l’enfant, la néonatologie, la réanimation pédiatrique, la maternité et la gynécologie. La présente étude a été autorisée et validée par le comité de lecture locale de notre CHU. Les parents ont été informés à l’admission de leurs enfants au bloc opératoire et ils ont tous exprimé leur accord pour faire les prélèvements microbiologiques. Nous avons inclus les cas de péritonite pour lesquels un prélèvement du liquide péritonéal et une étude microbiologique ont été réalisés. L’isolement et l’identification de ces souches ont été réalisés par les techniques conventionnelles : caractères morphologiques, examen direct, isolement sur milieux adaptés, tests d’orientation rapides et galeries biochimiques d’identification. Différents antibiotiques ont été testés : amoxicilline, ticarcilline, amoxicilline–acide clavulanique, céfalotine, céfotaxime, cefixime, ceftazidime, aztréonam, ertapénème, imipénème, amikacine, gentamicine, tobramycine, chloramphénicol, cotrimoxazole, colistine et ciprofloxacine. L’étude de la sensibilité aux antibiotiques a été pratiquée par diffusion en milieu gélosé et l’interprétation a été faite selon les normes du Comité de l’antibiogramme de la Société française de microbiologie (CA-SFM 2011). 3. Résultats Sur les 50 patients opérés, 38 cas (76 %) ont été colligés durant la période de l’étude. Les enfants étaient âgés entre trois et 14 ans. Toutes les péritonites étaient d’origine appendiculaire. La plupart des patients étaient admis avec retard, avec un délai moyen entre les symptômes et l’admission de 36 heures. Six patients étaient admis en sepsis grave et deux en choc septique. Tous les enfants ont reçu au moins une fois une antibiothérapie à base d’amoxicilline ou amoxicilline–acide clavulanique dont 75 % d’entre eux en automédication. Trente (79 %) des 38 prélèvements effectués (Tableau 1) étaient positifs. L’infection était polymicrobienne dans 29 cas (77 %). Par ordre de fréquence, les germes isolés sont : 15 61 (50 %) souches d’Escherichia coli (E. coli), six (20 %) souches de Pseudomonas aeruginosa, cinq (16 %) souches de Klebsiella pneumoniae et quatre (13 %) souches de Streptococcus spp. Les souches identifiées d’E. coli étaient sensibles à l’amoxicilline dans 30 %, à l’amoxicilline–acide clavulanique dans 64 %, à la ceftriaxone et fluoroquinolones dans 93 %, à la ticarcilline–acide clavulanique dans 73 % et à l’ertapénème, la ceftazidime et la gentamicine dans 100 % des cas. Toutes les souches de Pseudomonas isolés étaient sensibles à l’imipénème et aux fluoroquinolones et à la gentamicine, et uniquement une seule était résistante à la ceftazidime. Toutes les Klebsiella mises en évidence étaient sensibles au ceftriaxone, fluoroquinolones et à la gentamicine, mais résistantes à l’amoxicilline–acide clavulanique dans 40 % des cas. L’antibiothérapie probabiliste administrée initialement est l’association amoxicilline–acide clavulanique en plus de la gentamicine, sauf pour les patients compliqués de sepsis grave ou choc septique. Ces derniers ont bénéficié d’une triple association : ceftriaxone + gentamycine + métronidazole. Une adaptation de l’antibiothérapie est systématiquement faite après la récupération des résultats des prélèvements microbiologiques. L’évolution était favorable chez 37 patients (97,36 %), et un seul enfant est décédé dans un tableau de choc septique réfractaire avec défaillance multiviscérale. 4. Discussion La microbiologie des péritonites est issue de la flore intestinale [1,2]. Il s’agit le plus souvent d’infections polymicrobiennes, mais un rôle pathogène n’est prouvé que pour un petit nombre [2]. Les entérobactéries, particulièrement E. coli, sont responsables de la mortalité précoce et les anaérobies sont impliqués dans la formation des abcès [1,2]. Ce sont les germes à prendre systématiquement en compte lors des péritonites communautaires. En l’absence de recommandations chez l’enfant, les praticiens s’inspirent encore de celles de l’adulte. La conférence de consensus française de l’an 2000 recommande d’associer l’amoxicilline–acide clavulanique avec un aminoside [1]. Dans une étude, menée chez l’adulte, réalisée dans notre centre hospitalier en 2009, 26 % des E. coli étaient résistantes à l’association amoxicilline–acide clavulanique [3], révélant une augmentation de ce taux de 10 % par rapport à une étude similaire réalisée en 2006 [4]. Les résultats de la présente étude ont objectivé 36 % de résistances de l’E. coli à cette association. Ce taux alarmant dépasse de loin celui retrouvé dans les publications récentes. Dans une étude française récemment publiée, 90,3 % des E. coli étaient sensibles à l’association amoxicilline–acide clavulanique lors des péritonites communautaires pédiatriques [5]. Ce taux était de 87 % dans une autre étude française [6] et de 81 % dans une étude scandinave [7]. Nous pensons que ce taux de résistance élevé dans notre contexte pourrait être en rapport avec l’utilisation abusive des antibiotiques, surtout l’amoxicilline–acide clavulanique, souvent en automédication pour des infections respiratoires, digestives et urinaires. Cela pourra engendrer une ascension du taux des souches résistantes et de voir apparaı̂tre d’autres, sécrétrices de bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) [8]. À l’échelle mondiale, Tableau 1 Germes isolés et leur sensibilité aux antibiotiques. Germes isolés Nombre (%) E. coli P. aeruginosa K. pneumoniae Streptococcus 15 6 5 3 (50) (20) (16) (10) Sensibilité aux antibiotiques (%) Amoxicilline–acide clavulanique C3G Aminosides Ertapénème Ceftazidime 64 0 60 100 93 0 100 100 100 100 100 100 100 0 100 100 100 83 100 100 E. coli : Escherichia coli ; P. aeruginosa : Pseudomonas aeruginosa ; K. pneumoniae : Klebsiella pneumoniae ; C3G : céphalosporine de troisième génération. 62 Y. Mouaffak et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 32 (2013) 60–62 l’étude SMART ayant comme objectif le suivi de l’évolution microbienne des sepsis intra-abdominaux, a montré que l’E. coli est le germe le plus souvent incriminé et qu’il est producteur de BLSE dans 18 % des cas en 2006–2007, contre 12 % des cas en 2005. Une différence notable entre régions a été constatée : la plus grande fréquence des BLSE était en Asie (34,9 %), suivie de l’Amérique latine (21,6 %), l’Afrique et le Moyen Orient (12,1 %), l’Europe (8 %) et l’Amérique du Nord (4,8 %) [9]. Notre étude a révélé un taux élevé de Pseudomonas (20 %). Ce résultat doit être pris avec précaution en raison de l’échantillon assez réduit dans ce travail (30 prélèvements positifs). Aucun de nos patients n’était porteur d’une maladie lourde de type hématologique ou mucoviscidose. Nous pensons que ce taux est attribué à la prise d’antibiothérapies répétées notamment en automédication dans notre contexte. Cela a été démontré dans plusieurs études antérieures [10]. Même si le Pseudomonas n’était pas pris en compte dans l’antibiothérapie probabiliste, la récupération des résultats microbiologiques a permis d’inclure des antibiotiques actifs sur ces germes. De nouveaux protocoles d’antibiothérapie probabiliste ont été proposés pour traiter ces infections potentiellement graves [3,11,12]. Une triple association à base de ceftriaxone, métronidazole et gentamicine couvre efficacement les E. coli et les anaérobies. Une monothérapie à base d’ertapénème est aussi efficace. L’association pipéracilline–tazobactam peut être également proposée, mais n’était pas systématiquement étudiée dans notre série. L’utilisation des autres antimicrobiens comme l’impénème, le céfépime, l’aztréonam et la tigécycline doit être limitée pour éviter l’émergence de souches multirésistantes. 5. Conclusion À la lumière de ces données et en tenant compte de la gravité potentielle des péritonites communautaires de l’enfant, nous optons dans notre contexte pour une triple association cefriaxone, métronidazole et gentamicine. Un intérêt particulier doit également être porté pour réduire l’usage inapproprié des antimicrobiens et bannir l’automédication. D’autres études prospectives doivent être menées afin de suivre l’évolution du profil bactériologique des germes responsables des péritonites de l’enfant et de guider l’antibiothérapie probabiliste. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Société française d’anesthésie-réanimation. Prise en charge des péritonites communautaires–Conférence de consensus–texte court. Ann Fr Anesth Reanim 2001;20(Suppl. 2):368s–73s. [2] Leone M, Boyadjiev I, Martin C. Péritonites communautaires : quelle antibiothérapie probabiliste. Urg Prat 2007;80:31–4. [3] Nejmi H, Laghla B, Boutbaoucht M, Samkaoui MA. Évolution des résistances de l’Escherichia coli au cours des péritonites communautaires. Med Mal Infect 2011;41:218–20. [4] Eddlimi A, Abouelhassan T, El Adib AG, Oueldbaallal H, Younous S, Samkaoui MA. Profil bactériologique des péritonites communautaires. J Magh A Rea Med Urg 2006;8:64–6. 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