Article Clavurier Psychopatho de la VQ

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PSYCHOPATHOLOGIE DE LA VIE QUOTIDIENNE ET SAVOIR-FAIRE
(HÖREN) DE L'ANALYSTE
Vincent Clavurier
ERES | « Essaim »
2003/1 n° 11 | pages 227 à 239
ISSN 1287-258X
ISBN 2-7492-0158-6
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-essaim-2003-1-page-227.htm
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Psychopathologie de la vie quotidienne
et savoir-faire (hören) de l’analyste
Vincent Clavurier
Le travail de collection et d’analyse mené par Freud dans son célèbre
ouvrage de 1904 est entièrement consacré aux bévues du sujet. Sujet qui
oublie (les noms propres, les mots appartenant à une langue étrangère, les
souvenirs, les projets et impressions), qui commet des lapsus (d’articula-
tion, de lecture, d’écriture), des méprises et des maladresses, des actes
symptomatiques. Bref, le sujet de la psychopathologie de la vie quoti-
dienne est un sujet qui agit, verbalement et physiquement, de façon erro-
née et significative. Freud n’a pas intégré à la très complète et dense
collection 1de formations de l’inconscient de sa Psychopathologie de la vie
quotidienne le sujet qui déforme le message qu’il reçoit. Il faut attendre 1916
et l’Introduction à la psychanalyse pour voir ce sujet épinglé au moyen du
Verhören 2(traduit fausse audition 3, lapsus auditif 4ou méprise d’audi-
tion 5). Et si la présentation des autres types d’actes manqués est alors étof-
fée d’exemples précis, celui-là n’apparaît que mentionné, rapidement
défini, pas même illustré d’un seul exemple. Sur fond de la casuistique flo-
rissante de la Psychopathologie de la vie quotidienne reprise dans l’Introduction
à la psychanalyse, se détachent les deux seules lignes où est mentionné le
Verhören : « Quand il [l’être humain] entend de travers quelque chose qu’on
lui dit, le lapsus auditif, bien sûr sans qu’intervienne une perturbation orga-
nique de sa faculté auditive 6 Et : « Nous nous en tiendrons à la réparti-
1. Il parlait lui-même de sa considérable « collection » de lapsus et d’oublis. Cf. M. Plon et E. Rou-
dinesco, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, 2000, p. 860.
2. GW XI, p. 18 et p. 62.
3. S. Freud, Introduction à la psychanalyse, traduit par S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1999, p. 55.
4. S. Freud, Conférences d’introduction à la psychanalyse, traduit par F. Cambon, Paris, Gallimard, 1999,
p. 31 et 87.
5. S. Freud, Œuvres complètes, traduit par J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, J.-G. Delarbre,
D. Hartmann, F. Robert, Paris, PUF, 2000, t. XIV, p. 19.
6. S. Freud, Conférences d’introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 31.
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tion en trois groupes à laquelle nous avions déjà procédé d’entrée de jeu :
le lapsus linguæ avec les formes connexes du lapsus calami, du lapsus de lec-
ture, du lapsus auditif ; l’oubli […] ; enfin, le geste manqué 7
Voilà les seules occurrences dans l’œuvre freudienne du signifiant
Verhören qui prend du coup valeur d’apax (ou de double apax) 8. Plus
encore, il est remarquable que pas un exemple historique ou cas concret ne
soit fourni par Freud pour illustrer ce genre de lapsus, alors même que foi-
sonnent les exemples d’erreurs d’écriture, de lecture, d’articulation et de
tout autre type d’acte manqué spécifié par lui. L’Index des actes manqués et
des actions symptomatiques de la Gesammelte Werke 9recense ainsi une
longue liste de tous ces cas concrets de formations de l’inconscient, mais il
n’y est mentionné absolument aucun exemple de Verhören. Pas un.
D’ailleurs, J. Laplanche et J.-B. Pontalis reproduisent l’oubli freudien
de 1901 dans leur Vocabulaire de la psychanalyse : le Verhören est curieuse-
ment absent de la longue énumération des types de Fehlleistung dressée
dans leur article « acte manqué 10 ». Il n’est pas non plus mentionné par
E. Roudinesco et M. Plon dans l’article « acte manqué » de leur Dictionnaire
de la psychanalyse 11 mais sans doute est-il inclus dans le « etc. » final, ce qui
apparenterait plutôt ce choix à celui du Freud de 1916 et à son peu d’inté-
rêt pour le Verhören. Toutefois, dans un troisième ouvrage de référence,
L’apport freudien, la rédactrice de l’article « acte manqué » inclut le Verhören
dans la liste qu’elle dresse 12.
Devant ce silence freudien (cette gêne ?), on poursuivra ici quatre
objectifs : construire le Verhören comme catégorie d’acte manqué de façon
satisfaisante et à l’aide d’exemples ; montrer son intérêt théorique ; discu-
7. Ibid., p. 87.
8. J’ai utilisé à cette fin de recension le tome XVIII de la G.W., le Gesamtregister.
9. Register der Fehlleistungen und Symptomhandlungen, G.W. XVIII.
10. « La langue allemande met en évidence ce qu’il y a de commun dans tous ces ratés par le préfixe
ver– qu’on retrouve dans das Vergessen (oubli), das Versprechen (lapsus linguae), das Verlesen (erreur
de lecture), das Verschreiben (lapsus calami), das Vergreifen (méprise de l’action), das Verlieren (fait
d’égarer un objet) », J. Laplanche et J.B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1998,
p. 6.
11Dans ses Conférences d’introduction à la psychanalyse, [Freud] fera d’ailleurs remarquer que cette
unité [entre les actes manqués] est mise en évidence dans la langue allemande par le préfixe ver
commun à tous les mots désignant ces « accidents » : das Vergessen (l’oubli), das Versprechen (lap-
sus linguae), das Vergreifen (méprise de l’action), das Verlieren (le fait d’égarer un objet), etc. »,
M. Plon et E. Roudinesco, Dictionnaire de la psychanalyse, op. cit., p. 860.
12. « Il s’agit en fait d’un acte où le corps est en jeu (fausse lecture, fausse audition, ne pas retrouver
un objet, pertes) dans un instant donné ou d’un acte de parole ou d’écrit remplacé par un autre. »
Si la disjonction énoncée par l’auteur semble enlever au Verhören sa qualité d’« acte de parole »,
la suite de l’article corrige cette impression : « Ces actes ont une fonction de langage doublement :
ils témoignent tout d’abord de la mise au jour d’un désir inconscient ; en même temps, ils répon-
dent d’un inconscient structuré comme un langage (condensation, déplacement, métaphore,
métonymie) et peuvent à ce titre être décryptés comme un message. » M. Andrès, dans P. Kauf-
mann (sous la direction de), L’apport freudien, Paris, Larousse-Bordas, 1998, p. 4.
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ter ses traductions possibles en français ; enfin, tenter de comprendre pour-
quoi Freud l’oublie quand il rédige la Psychopathologie et le néglige dans
l’Introduction.
Commençons par donner quelques exemples : Untel, dont le père est
saoudien, entend l’énoncé que lui adresse un ami « tiens camarade, donne-
moi du champagne » sous la forme modifiée : « Eh toi l’arabe, donne-moi
du champagne. »
Ailleurs, une jolie jeune femme annonce en souriant à un collaborateur
d’une quarantaine d’années avec qui elle s’entend bien : « Je me marie en
juillet. » Comme il répond : « Ah bon, pourquoi ? » avec un air interloqué,
elle répète sa phrase et le malentendu se dissipe en s’énonçant : l’homme
avait compris : « Je me barre en juillet »… C’est sans doute qu’aux yeux
d’un prétendant plus ou moins avoué, une jeune femme charmante qui se
marie, non seulement ça interroge narcissiquement (« Ah bon, pourquoi
(pas avec moi) ? »), mais c’est aussi une jeune femme qui s’éloigne et s’in-
terdit – elle « se barre » sexuellement, au moins pour un temps…
Un troisième exemple est rapporté par une journaliste. Dans un article
intitulé « L’espoir, comme une traînée de poudre », elle raconte comment
3000 personnes qu’on a coutume d’étiqueter du simple signifiant « sans-
papiers » se sont rassemblées devant la Bourse du travail, à Paris, espérant
leur inscription sur une hypothétique liste débouchant sur leur hypothé-
tique régularisation. La journaliste décrit la cohue, la file d’attente : « Toute
personne munie d’un papier et d’un stylo provoque la confusion. “Vous
faites les inscriptions ?” On explique qu’on est journaliste. Les oreilles enten-
dent : “Vous faites la liste 13 ?”»
Un mari parle à sa femme de son plaisir de passer ses journées dans
une certaine bibliothèque. Il précise : « En plus, je pique nique là-bas. » Elle
entend – le désir derrière l’énoncé ? – : « En plus, je peux niquer là-bas. »
Un touriste français en Italie se plaint au serveur que son caffè freddo est
imbuvable car beaucoup trop sucré. Le serveur refuse de remplacer la bois-
son et, devant l’insistance du touriste, il demande ironiquement : « Non fa
male (« ça ne fait pas mal ? »). Le client, énervé par le refus et l’ironie
qu’il pressent, entend « non fémale ?», qu’il traduit immédiatement et sau-
vagement par « (tu n’es) pas une femelle ? ». Seule l’énormité de l’énoncé
perçu, qui le rend improbable, permet au touriste de comprendre dans un
deuxième temps ce qui a été réellement prononcé (il n’en sera vraiment sûr
13. C. Rotman, « L’espoir, comme une traînée de poudre », Libération, 3 septembre 2002, p. 2. La der-
nière phrase de l’extrait cité condense maladroitement deux moments distincts du Verhören : le
moment du malentendu proprement dit, lorsque « les oreilles entendent » mal, et le moment sui-
vant, de confirmation/dissipation, lorsque le sujet du lapsus demande s’il a bien compris (d’où
l’énigmatique point d’interrogation en fin de proposition).
Psychopathologie de la vie quotidienne… • 229
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