André S
LEIMAN
, « Appartenir sans croire. Vers une conceptualisation sociologique »
© André S
LEIMAN
2007
sociologique est largement dépendante de ce que déclarent les enquêtés, elle est tributaire de
la subjectivité des individus. La sociologie ne peut étudier la religion comme chose crédible
en soi, elle peut juste voir dans quelle mesure elle est crédible pour l’individu.
L’empreinte identitaire du catholicisme en France
Avant de poser la problématique de ce paragraphe, il s’agit de préciser ce que l’on entend par
culture catholique. Le catholicisme tel qu’il est, c’est bien sûr l’Eglise catholique, les
fidèles… mais pas seulement. Le catholicisme, c’est à côté de cela une empreinte identitaire
qui est le fruit d’une histoire très longue et d’une culture très prégnante. Evaluer l’état actuel
du catholicisme commande donc un retour à la démarche exclusivement empirique. Apparaît
alors une dialectique entre le discours hors-du-monde et le discours dans-le-monde
1
; c’est
comme si les deux démarches se relativisaient l’une l’autre.
En 1905, Ferdinand Buisson, Aristide Briand, Jean Jaurès invitèrent les anticléricaux à tenir
compte d’une réalité sociale largement façonnée par le catholicisme. En effet, malgré les
efforts accomplis en vue de garantir la neutralité confessionnelle des institutions publiques,
l’instauration de la laïcité ne pouvait pas abolir une situation de fait : non seulement la France
était un pays de forte majorité catholique, mais c’était un pays culturellement imprégné de
catholicisme. Le calendrier de la République, c’est le calendrier catholique. Le patrimoine
physique et matériel est un garant de la permanence identitaire, à savoir la vie artistique
(musique classique, surtout baroque, peinture), intellectuelle (penseurs et philosophes,
théologiens, romanciers — pour ne citer que François Mauriac). Le catholicisme structure
également énormément l’espace (noms topographiques, monuments, édifices), la visibilité
médiatique de l’Eglise, sans compter la place du catholicisme dans l’imaginaire collectif
national. Juifs, protestants, musulmans et incroyants se plient implicitement, comme un
allant-de-soi, à cet état des choses. « La laïcisation des institutions ne signifie pas laïcisation
culturelle, encore moins laïcisation de l’imaginaire » (JPW, p. 39), car ne l’oublions pas, la
laïcité est avant tout un système de règles juridiques qui configurent la nature et la structure
de l’Etat commande la pratique politique. La laïcité ne dépasse pas le cadre juridique, elle ne
peut pas effacer un legs matériel et immatériel âgé de plus de mille ans d’histoire. L’essai de
Philippe Braud
2
s’ouvre sur un sondage récent qui montre que deux tiers des Français se
disent catholiques. Mais que signifie vraiment le fait d’être catholique ? Car il existe un
catholique croyant et un catholique non croyant, et parmi les croyants, il y a les croyants
orthodoxes, les croyants « moyens », et les croyants incertains. Il faut alors de trouver des
explications à ce chiffre relativement élevé. L’idée est que l’osmose entre religion et culture
n’épuise pas aisément tous ses effets, surtout si elle a été durable. La religion détient une force
sociologique indépassable (hérédité, histoire, culture matérielle, mémoire collective,
éducation) qui appose une empreinte identitaire énorme sur la société. Les religions donnent
du sens, une explication. Contrairement au sens interprétatif qui est relatif, le sens explicatif
est absolu et normatif. Il sécurise et donne des raisons d’exister. Les religions sont toujours un
refuge, des berceuses de l’angoisse. Elles intègrent l’individu dans leur giron et l’initient à des
traditions et des rites qui participent du sentiment d’unité de la personnalité. Beaucoup de
personnes ont été élevés dans la croyance en l’au-delà, et puis, ils l’ont abandonnée, ou plutôt
ils l’ont mise entre parenthèses ; on peut éventuellement rejeter la religion, ou ne plus s’en
soucier, mais elle persiste en nous comme une matrice originelle, fondatrice, qui structure
1
Nous reprenons la distinction innerweltlich/au
β
erweltlich introduite par Max Weber. Dans une autre démarche
— holiste, celle-ci —, Louis Dumont la fait sienne dans ses Essais sur l’individualisme et Homo hierarchicus.
2
Philippe BRAUD, « Etes-vous catholique… ? », Paris, Presses de sciences po, 1998.