IV- Violence et embrigadement des esprits
> Document 1 : 30 juin 1934, "La nuit des longs couteaux"
Aux lendemains de la nuit des longs couteaux la SA braillarde et trop visible est remplacée
par une organisation autrement plus redoutable, disciplinée et hierarchisée : la SS qui se
transmuera effectivement en seconde armée à partir de 1936. Si Mussolini s'éloigne un
temps, la crise d'Ethiopie et la guerre d'Espagne le feront rapidement revenir et les élites
britanniques, rassurés par la discipline apparente de la nouvelle Allemagne lui proposeront
bientot l'apaisement. Plus grave que tout : Staline au Kremelin exprimera à voix basse son
admiration devant l'efficacité de la purge et en tirera l'idée de se débarrasser à son tour des
oppositions de droite et de gauche avec l'assentiment de Hitler.
Emission Histoire de comprendre, la nuit des longs couteaux 1934
> Document 2:
La mobilisation idéologique s'opère par le truchement d'une propagande omniprésente,
confiée au Dr Goebbels. Il s'agit d'abord d'empêcher toute opposition intellectuelle et pour
cela, la presse, la radio, le cinéma, l'édition sont étroitement surveillés…/... Les
bibliothèques sont expurgées. Des millions de livres sont brûlés en place publique.
Résultat : la culture allemande …/...décline tandis que de nombreux savants et intellectuels
quittent l'Allemagne ou cessent de produire. Le régime utilise d'autre part les grands
médias culturels, ainsi que les imposantes parades de Nuremberg ou de Berlin, pour
mobiliser et fanatiser les masses allemandes. L'enseignement est également l'objet des
soins attentifs du régime, les manuels scolaires sont révisés. Plus soucieux de former des
corps et des esprits disciplinés que des intelligences cultivées, Hitler met l'accent sur les
organisations de jeuness du parti et rendues obligatoires en 1936. L'appareil policier est
d'une efficacité redoutable. A côté de la SA, dont le rôle ne cesse de décroître, la Gestapo et
la SS – sous les ordres de Himmler – à la fois armée d'élite, corps policier chargé des
basses besognes du régime et creuset d'une nouvelle aristocratie guerrière – constituent
les instrument d'une répression, dirigée principalement contre les communistes et les
socialistes. Les méthodes sont d'une brutalité et d'une sauvagerie inouïes : assassinats,
tortures, "suicides" organisés et envois dans les camps de concentration. Dans ces
conditions, les oppositions au régime ne tardent pas à être éliminées.
Histoire du XXème siècle, Tome 1, 1900-1945, S. Berstein et P. Milza, 2017
> Document 3:
En même temps dans mon séjour en Allemagne, j'ai découvert le diabolique. J'ai découvert
la puissance, la politique, le monstre, le monstrueux car j'ai vécu depuis 1930 jusqu'à 1933 au
mois d'août la montée au pouvoir de Hitler et en suivant l'arrivée au pouvoir de Hitler, j'étais
à la fois terrifié et fasciné. Terrifié parce que entre 1933 et 1939 j'ai attendu la catastrophe
inévitable, c'était la guerre, et en même temps fasciné en ce sens que la politique à ce degré
de dramatique, ces mouvements de foule, courant vers le malheur, tout cela, ce n'était pas
un objet de spectacle seulement, c'était un objet, une matière de réflexion philosophique sur
la manière dont se déroule l'histoire et la manière dont vivent les hommes. A cette époque,
c'était facile, si je puis dire, d'être contre, parce qu'il était facile pour un français, intellectuel,
de milieu israélite, d'être contre le national socialisme. Mais en même temps mon contact
avec les étudiants allemands nationalistes, même nationaux socialistes, ces jeunes
allemands me donnaient quelque chose d'indispensable au sociologue, c'est à dire ils me
donnaient "l'Autre", l'altérité. Levis Strauss a découvert l'Autre dans les sociétés
archaiques, moi j'ai découvert les autres dans la société moderne sous la forme de Hitler et
ceux qui le suivaient.
Raymond Aron, l'expérience en Allemagne pendant la montée du nazisme, 30 octobre 1977, ina.fr