REVUE DE PRESSE > contact Catherine Guizard 01 48 40 97 88 & 06 60 43 21 13 [email protected] ŒDIPE ROI de SOPHOCLE texte français et mise en scène Antoine Caubet (Théâtre Cazaril – Paris), artiste associé au Théâtre de l’Aquarium avec Pierre Baux, Antoine Caubet, Cécile Cholet, Éric Feldman, Jean Opfermann, Clotilde Ramondou et Delphine Zucker assistante à la mise en scène Aurélie Van Den Daele, scénographie et costumes Isabelle Rousseau, lumière Jean Opfermann et Antoine Caubet, son Valérie Bajcsa, régie générale Jean Opfermann production > Théâtre Cazaril (compagnie conventionnée DRAC Îlede-France), L’apostrophe (Scène Nationae de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise), Théâtre de l’Aquarium. Avec l’aide au compagnonnage du Ministère de la Culture – DGCA Théâtre de l’Aquarium 13 novembre > 15 décembre 2012 du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h L’“Œdipe roi“ de Sophocle décrypté à l’Aquarium Au Théâtre de l’Aquarium, son port d’attache, le metteur en scène Antoine Caubet ne tourne pas en rond. Après une adaptation particulièrement pertinente du Finnegans’ Wake de Joyce, en 2012, il présente jusqu’à dimanche un Œdipe roi de Sophocle d’une grande clarté, sur un ton plus proche du conte noir que de la tragédie, avec en fil rouge une double énigme - celle posée à Œdipe par sa propre histoire, mais aussi celle posée au théâtre contemporain par ce théâtre grec dont on ne sait rien en dehors du texte. Une enquête bien menée par Pierre Baux (Œdipe) et tous les autres, Cécile Cholet, Delphine Zucker, Éric Feldman, Clotilde Ramondou et Jean Opfermann. René Solis 11 décembre 2013 TT On aime beaucoup Dans un dispositif dépouillé, Antoine Caubet met en scène la tragédie de Sophocle comme un conte qui exalte la parole et les émotions. Avec un usage parcimonieux de la lumière, la création de clairs-obscurs, la proximité des comédiens, eux-mêmes installés sur des gradins de bois, l’histoire du héros plein d’hybris qui enrage de découvrir la «souillure» (la souillure, c’est lui) devient la nôtre. La parfaite mécanique de la pièce de Sophocle, qui s’apparente à une enquête, devient une histoire intime où le spectateur s’enfonce dans l’obscurité jusqu’à ce qu’Œdipe se crève les yeux. Les deux comédiennes (Cécile Cholet et Delphine Zucker) qui forment le Chœur utilisent un parlé-chanté très élaboré, aérant ainsi le spectacle. Pierre Baux fait un Œdipe simple et émouvant, Antoine Caubet campe un Créon puissant et plein de sagesse. Sylviane Bernard-Gresh 20 novembre 2013 Le drame d’Œdipe Puisque l’on est chez les classiques, franchissons les quelques kilomètres qui séparent Ménilmontant du bois de Vincennes pour évoquer Œdipe Roi de Sophocle, mis en scène par Antoine Caubet, au Théâtre de l’Aquarium. Cette fois, on est à Thèbes frappée par la peste. La population fait appel à son roi, Œdipe, en lui confiant une mission très précise : retrouver le meurtrier du père d’Oedipe, l’ancien roi Laïos. Selon les oracles, en effet, c’est la condition sine qua non pour échapper au fléau de la maladie. Voilà donc Œpide (Pierre Baux) qui lance l’enquête, tel un Maigret des temps jadis. Il cherche, il interroge, il tâtonne, il hésite. On lui parle d’un attentat à l’intersection de deux routes. Puis, au fil de ses recherches, Oedipe doit affronter la vérité, aussi insupportable soit-elle. Le meurtrier de Laïos n’est autre que lui, Œdipe, père d’un complexe éternel qui l’a conduit dans le lit de sa mère et qui fera la gloire de Freud. Le fils maudit ne s’en remettra jamais. Il finira aveuglé (au sens littéral du terme) par une réalité impossible à admettre. Terrible pièce où un homme se découvre en même temps qu’il élucide un mystère. Œdipe est une énigme pour Œdipe. Il n’est pas celui qu’il croyait être et il ne peut être celui qu’il est vraiment. Par cette version réussie et imaginative (notamment avec les chœur), Antoine Caubet confirme un talent qui saute aux yeux. Jack Dion 18 novembre 2013 Antoine Caubet, qui monte Œdipe roi, de Sophocle, dans le texte français dont il est l’auteur, entend prendre la mesure de la distance qui nous sépare de cette œuvre mythique d’il y a si longtemps (2). Pour ce faire, les costumes sont de maintenant, sobres, comme le jeu, à nerfs tendus, certes, mais sans grandiloquence intempestive. L’écorché tragique apparaît néanmoins, en des corps actuels (Pierre Baux-Œdipe, Caubet-Créon, Eric Feldman-Tirésias entre autres, Clotilde Ramondou-Jocaste, Jean Opfermann-le Berger) tandis que le chœur (Cécile Cholet, Delphine Zucker) swingue sa partition au micro. Ce sont des corps auxquels on ne la fait pas, puisqu’ils sont très loin du temps et de l’espace où s’inventa la fable définitive. Reste que l’expérience s’avère concluante, justement parce que n’est pas quêtée la singene de l’antique mais qu’on se situe loyalement dans un large entre-deux de civilisation. Quand Jocaste dit à son fils-époux que « tout homme a un jour rêvé de partager la couche de sa mère » (cela a été plus ou moins le dispositif générateur de l’œuvre de Freud), un frisson parcours encore le public. Jean-Pierre Leonardini 9 décembre 2013 La seule représentation d’ŒDIPE ROI qui ait eu lieu du temps de SOPHOCLE est impossible à imaginer. Il ne reste que le texte de la tragédie. Pourtant nous savons qu’avant SOPHOCLE, de nombreux dramaturges avaient abordé le mythe d’ŒDIPE. Dans l’antiquité, les représentations théâtrales ouvertes à un large public avaient lieu lors de grandes fêtes dionysiaques. Nous savons aussi que SOPHOCLE était un homme politique. Comment ne pas être renversés par la liberté avec laquelle il aborde des sujets aussi délicats que celui de l’inceste, Tous les maux de l’humanité se trouvent concentrés à travers la figure d’un seul homme devenu parricide, incestueux, malgré lui. Œdipe roi, c’est le procès d’un homme, érigé en héros, au sommet de la hiérarchie de la société, qui tombe au plus bas pour des sordides affaires de mœurs. C’est sans doute le procès d’une humanité qui doit faire face à de multiples calamités, la guerre, la maladie, et la folie qui guette chaque citoyen dès lors qu’il s’affranchit des lois créées par la société pour garantir un ordre souverain, celui de l’état, celui du peuple, la démocratie puisque ne l’oublions pas Sophocle était démocrate. Avec nos lanternes modernes, comment s’empêcher de penser qu’ŒDIPE après tout n’est pas coupable d’avoir tué son père et d’avoir couché avec sa mère. Il ne savait pas. Là où le bât blesse c’est qu’il ait cherché à savoir et que du coup, il ait découvert la terrifiante vérité. Face à Créon qui représente l’ordre et le chœur, la vox populi qui réclame la tranquillité, Œdipe représente l’excès qu’il faut bannir. Faut-il conclure que Sophocle prêche pour le savoir en dépit des catastrophes que peuvent entrainer les déclarations de vérité. Pour un crime révélé au public, combien d’autres passés sous silence parce qu’il ne faut pas troubler l’ordre public dont la responsabilité incombe aux politiques, aux gouvernants. Sophocle confronte deux consciences, la politique et l’individuelle comme si l’homme se trouvait toujours au bord du précipice et qu’il ne contrôlait pas sa condition d’homme mortel, vulnérable, inconscient, qu’il était capable du meilleur et du pire. Il y a même une scène de western dans la tragédie d’ŒDIPE ROI, celle où l’on imagine Œdipe aveuglé par la colère et le sentiment de sa force, en train de tuer le faible vieillard Laïos. Pour Œdipe, Laïos n’était qu’un misérable, un obstacle sur son chemin et ne prend une valeur humaine que lorsqu’il revêt la figure du père. Somme toute, Œdipe est un monstre, un criminel de guerre, et tout héros qu’il soit, également un pauvre type. Freud disait qu’il y avait de l’Œdipe chez tout homme. A la recherche de son identité, ŒDIPE part à la conquête de lui-même c’est-à-dire d’une conscience qui refuse de refouler l’horreur qu’il éprouve pour lui-même et ne trouve aucune excuse. Œdipe ne se suicide pas, il entend vivre avec la conscience de ses crimes. A vrai dire, depuis la nuit des temps, ŒDIPE vient hanter nos cauchemars. La mise en scène d’Antoine CAUBET se distingue pas sa sobriété. Il semblerait qu’il ait laissé toute liberté aux interprètes d’arriver sur scène avec leurs propres habits qui sont aussi ceux des spectateurs. Mais il y a des spectateurs qui n’ont pas envie de s’identifier à l’ordinaire, au banal, parce qu’ils en soupent assez au métro, tous les jours, et qu’ils ont envie de rêver et de se défouler au théâtre. D’autres seront ravis de pouvoir raccorder leur présent à une histoire mythique qui fait déborder des vases qui ne désemplissent pas. En tant que comédien Antoine CAUBET incarne superbement Créon sur scène, de sorte qu’il fait un peu de l’ombre aux autres interprètes plus modestes. Pierre BAUX est un Œdipe ténébreux, rigide, qui devient véritablement sympathique qu’à la fin lorsqu’il tombe, broyé par la fatalité. Au demeurant, la mise en scène respectueuse du texte, laisse suinter l’humanité de SOPHOCLE comme à travers un suaire vivant et brillant qui brûle sur l’instant mais ne disparait pas. Evelyne Trân 16 novembre 2013 Au choeur d’Œdipe roi Antoine Caubet interroge la plus célèbre des tragédies grecques en adoptant des partis pris radicaux. Le dispositif scénographique, les choix faits sur le chœur comme sur la lumière déconcertent de fait le spectateur plonge au cœur d’Œdipe roi. Une expérience. Qui ne connaît Œdipe roi? Le cinéma, la psychanalyse, l’histoire, la philosophie, la peinture se sont emparé du personnage et de son histoire, nous les rendant ainsi familiers. On pourrait ainsi dire qu’inspirée par le mythe, la pièce en est devenue un : un monument. Mais elle est aussi un monument au sens étymologique : un vestige fragile sauvé des désastres et qui fait signe vers un monde aboli. C’est pourquoi, comme la statue de Glaucus dont parle Platon dans la République et que les années ont recouverte de sédiments, elle nous échappe et nous interroge encore. En montant à son tour la pièce, Antoine Caubet nous confronte à ce mystère. Comment peut-on monter Œdipe roi? Comment Sophocle avait-il choisi de le faire? Comment les spectateurs réagissaientils et interprétaient-ils la fable? C’est sur ces questions en effet que s’ouvre la pièce dans un prologue aux allures de note d’intention. Et toutes les voies qui seront explorées ensuite, nous les entendons ainsi comme des réponses possibles à ces questions ouvertes et indécidables sur la représentation. Le texte comme partition Cela n’empêche pas qu’elles soient réponses profondément assumées, assez radicales même. Pour mettre en scène le chœur, Antoine Caubet choisit par exemple la polyphonie : deux comédiennes se partagent le texte mêlant le chant et la parole dite, et parfois un troisième comparse étoffe encore la partition. Le metteur en scène tranche ainsi la question du chœur parlé ou chanté. Il exprime par ailleurs la différence entre les dialogues et parties chorales. Peu habitué aux variations musicales de la langue, on peut se trouver déconcerté. On peut aussi s’interroger sur certains partis pris comiques. On peut enfin se demander si le soulignement de certains mots, comme hybris, n’est pas trop didactique, mais l’exercice ne manque pas d’intérêt. De même, le travail sur la lumière est extrêmement cohérent. Grâce à celui-ci, Antoine Caubet nous fait partager l’expérience du roi. Comme Œdipe, nous sommes de fait plongés peu à peu dans l’obscurité. Seuls des pans du plateau apparaissent : des pièces isolées d’un puzzle. Il faut être aux aguets, enquêter comme le roi de Thèbes. Dans la pénombre attendent des personnages qui vont faire éclater la vérité : tout est là, déjà. Le parti pris est fort mais ardu pour le spectateur. Fort heureusement, les comédiens ont de l’énergie à revendre. Occupant l’ensemble du plateau, ils jouent de ses ressources pour l’animer. On perçoit bien le travail sur les positionnements symboliques des personnages : tantôt en hauteur quand ils haranguent, ou tentent de s’imposer, tantôt à notre niveau quand approche la déchéance. Ce serait même un peu trop clair. Quoi qu’il en soit, Antoine Caubet campe un Créon fort convaincant. Et si Jocaste (Clotilde Ramondou) manque de voix, si Éric Feldman est meilleur comme Tirésias que comme messager, Pierre Baux rend le personnage d’Œdipe humain, et proche de nous. À cet égard, ce qui marque peut-être le plus dans la mise en scène, c’est un sentiment étrange de proximité. Au cours du prologue historique, nous étions déjà conviés en quelque sorte à une séance de travail en compagnie des comédiens. Puis nous faisons même partie de la fable. D’abord, les gradins semblent disposés en bifrontal avec ceux, presque effondrés, qui se trouvent sur scène. Ensuite, l’adresse nous invite sans cesse à nous identifier aux citoyens de Thèbes, à statuer sur le sort d’Œdipe. Nous sommes le chœur aussi, nous sommes au cœur d’Œdipe. Intéressant. ¶ Laura Plas 20 novembre 2013 Antoine Caubet donne une version actuelle de la tragédie de Sophocle qui touche par la force du texte. « Monstre incompréhensible et déroutant, à la fois agent et agi, coupable et innocent, lucide et aveugle, maîtrisant toute la nature par son esprit industrieux et incapable de se gouverner lui-même ». D’un trait sûr, l’éminent historien Jean-Pierre Vernant esquissait ainsi la figure d’Œdipe, burinée tout en oxymores… Pour juguler l’épidémie de peste qui ravage les terres et vide les maisons de Cadmos, le roi écoute en effet la pythie et cherche le coupable qui, par son ignominie noircie au sang, ruine l’avenir de Thèbes. Sûr que les dieux l’inspirent, celui qui vainquit hier la perfide Sphinge en déchiffrant l’énigme, mène l’enquête avec force et ardeur. Et peu à peu se découvre au revers exact de celui qu’il se croyait : non le justicier, mais le criminel parricide et incestueux, non le sauveur de sa cité, mais l’odieuse souillure dont elle périt. Et plus il fouille le passé en quête de son histoire et croit échapper à la terrible prédiction, mieux il l’accomplit malgré lui… L’implacable mécanique tragique le broie et le jette hors de l’identité qui le tenait au monde. Le voici devenu étranger à lui-même. Sans doute est-ce l’énigme creusée au cœur même de l’être, ce besoin viscéral de connaître la vérité de ses origines, contre toute sagesse, qui fascinent et vibrent en chacun, posant le héros « aux pieds enflés » en effigie de la destinée humaine qui avance en aveugle sur les chemins de la vie. La soif de savoir Antoine Caubet, metteur en scène, comédien et ici auteur également du texte français, entend jouer au présent cette tragédie composée par Sophocle voici quelque 2500 ans. Il revendique « un théâtre qui s’invente en direct, qui interroge notre humanité dans l’immédiateté du face-à-face entre la salle et la scène : une expérience partagée pour une quête commune. » Belle ambition. Qu’il ne suffit cependant pas d’illustrer. Ainsi de la scénographie, qui montre un plateau en cours de montage et un gradin bi-frontal peuplé par des ombres d’imaginaire, ou de l’adresse au public comme à la communauté des Thébains ou encore de la lumière qui peu à peu meurt dans l’obscurité suivant les yeux crevés d’Œdipe. La mise en scène semble laborieuse et accorde encore difficilement l’ensemble, lesté par un jeu inégal des acteurs. En revanche la traduction, vive et franche, le chœur porté au micro par Cécile Cholet et Delphine, et l’interprétation de Pierre Baux, Œdipe généreux et colérique, aimanté vers son fatal destin par le désir irrépressible de savoir, font résonner à plein la déflagration de la tragédie. « Dans sa simplicité apparente, le mythe noue et solidarise des forces psychiques multiples. Tout mythe est un drame humain condensé. ». La phrase de Bachelard passe alors en trottinant dans les esprits… Gwénola David 26 novembre 2013 Une adresse au public, en prologue, rappelle le contexte : une épidémie de peste qui ravage Athènes, en 430 avant J.C. Les spectateurs dans la salle éclairée, écoutent, comme des citoyens de Thèbes, la description de la maladie, un signal fort d’entrée dans la tragédie. Le chœur, ce personnage collectif de la tragédie classique, est chargé de réagir à l’action, et d’en faire, en tant que porte parole du peuple, le commentaire. Il est ici porté par deux comédiennes choryphées (Cécile Cholet et, Delphine Zucker), qui, de l’avant-scène-centre du plateau, parlent, psalmodient et interviennent musicalement, micros à la main, avec inventivité, Qui est coupable de cette malédiction ? La dans la tradition lyrique des poètes grecs et pièce, vieille histoire mythique, désigne Œdipe apportent une belle énergie à la lecture d’Œdipe et confirme la prédiction du devin Tirésias (Éric roi que fait le metteur en scène. Feldman), soupçonné de comploter avec Créon (Antoine Caubet). Le jeune roi mène l’enquête Antoine Caubet, artiste associé au Théâtre de jusqu’à faire face à la réalité, qui lui livre le l’Aquarium, livre une mise en scène sobre et secret de ses origines et le désigne coupable de dépouillée où, malgré quelques irrégularités parricide et d’inceste, alors même qu’il ignorait dans le jeu des acteurs, on retrouve Sophocle, n’être que le fils adoptif de Polybe roi de Corinthe, avec plaisir : « D’un côté, le chœur, personnage collectif et anonyme incarné par un collège et de Mérope. officiel de citoyens et dont le rôle est d’exprimer Nous sommes face aux gradins d’un théâtre dans ses craintes et dans ses espoirs, ses grec éclaté, scénographie faite de gradins de interrogations et ses jugements, les sentiments bois déstructurés qui servent aux acteurs, de des spectateurs qui composent la communauté praticables (Isabelle Rousseau, qui signe aussi civique; de l’autre, joué par un acteur les costumes) attentifs au cours de l’histoire et à professionnel, le personnage individualisé dont l’action forme le centre du drame et qui a figure l’énoncé du terrible destin. de héros d’un autre âge toujours plus ou moins Prédestination, dérèglement, châtiment et étranger à la condition ordinaire du citoyen », exil, forment les fils de cette tragédie cousue selon Jean-Pierre Vernant, spécialiste de la mains où Œdipe (Pierre Baux), l’étranger, porte Grèce antique, qui a éclairé les mythes grecs de à un moment la langue grecque, puis conte sa réflexion partagée. à son épouse, Jocaste (Clotilde Ramondou), son enfance et le meurtre d’un vieil homme au Brigitte Rémer croisement de deux routes, après une banale 30 novembre 2013 altercation. Un berger (Jean Opferman) confirme avoir reçu un nourrisson des mains de Jocaste afin de le tuer, l’avoir remis à un serviteur, qui, à son tour, l’avait confié à Polybe et Mérope. La boucle est ainsi bouclée, et Œdipe prend la mesure de son acte : L’homme du carrefour était bien Laïos, son père qu’il ne connaissait pas et Jocaste, est aussi sa mère. Face à la puissance du destin, Jocaste se pend dans le palais et Œdipe s’inflige son propre châtiment, se crevant les yeux pour ne plus voir la lumière, et implore Créon de le bannir. Il y a quelque chose de pourri au royaume de Thèbes Rompu à mettre en scène des œuvres monuments (Partage de midi, Finnegan’s wake, Le Roi Lear) Antoine Caubet s’attaque pour sa nouvelle création à la pièce de Sophocle, Œdipe Roi. Sa lecture fine de l’œuvre, accompagnée d’une nouvelle traduction résolument moderne, en font un spectacle captivant où, paradoxalement, alors que l’intrigue est d’une limpidité totale, le suspens va grandissant. être didactique, ces enjeux de pensée. Et c’est là du grand art. Ni la scénographie, ni la musique, ni les lumières n’expliquent quoi que ce soit. Tout interroge, éprouve, se contredit, est circonvolution, nuances, comme la pensée en marche. Et c’est vraiment formidable ! Pourquoi mettre les spectateurs face à un gradin vide comme face à un miroir mais qui ne reflète rien ou personne ? Etrange choix quand on sait que le héros de la pièce, en quête d’une vérité susceptible de lui donner son identité, ne peut survivre à celle-ci qu’en se mutilant, se privant de la vue, de son propre regard, « de ce qui ne s’abandonne pas, ne se livre pas, mais qui nous vise ? » ; de ce qui constitue le visage, « mode irréductible selon lequel l’être peut se présenter dans son identité » comme l’écrit Emmanuel Lévinas. L’autre dans lequel je me réfléchis et grâce à qui je me définis, n’est-il pas finalement en nous-même ? Ou bien l’aveuglement n’estil que le voile, l’arrangement avec la vérité, ce soupçon d’artifice qui nous permette de continuer à vivre ? Nous sommes en 425 avant JC. Comment à cette époque la tragédie grecque était-elle donnée ? Nous n’en savons rien. Ainsi commence le spectacle : une harangue du chœur à la foule de spectateurs venus assister à la représentation. Sous le feu des lumières, ces derniers peuvent entendre les premiers mots d’Œdipe, en grec. La ville de Thèbes est frappée par la peste. Les habitants, demandent à leur valeureux roi de les sauver de cette calamité. Le héros, triomphateur de la Sphinge, en appelle alors aux oracles. Ceux-ci lui annonce que la ville ne sera délivrée de son fléau que lorsque le meurtrier de Laïos, ancien roi de Thèbes, sera reconnu et puni. Petit hic : celui-ci n’est autre qu’Œdipe. Question qui en appelle une autre : le théâtre, l’art en général, n’est-il pas alors une nécessité Un spectacle où la pensée est source de plaisir absolue dans la Cité ? Un endroit qui rende une vision du monde plus fine et plus humaine, notre Plus on avance dans le récit et plus le puzzle se condition plus supportable parce que travestie met en place : la vérité devient de plus en plus ? Ces hypothèses se succèdent tout au long du claire et plus elle l’est, plus Œdipe se voile la spectacle à la manière des poupées gigognes et face. Celui à qui on avait prédit qu’il tuerait son le transforme en une sorte de matériau propice père et épouserait sa mère, qui a quitté son pays à une en-quête intime. Ça touche et ça remue. pour échapper à ce destin, se retrouve pris au Ça ne laisse pas indemne. Quelle belle sensation piège de celui-ci, inextricablement. La nouvelle que de sortir d’un spectacle qui fait crépiter traduction d’Antoine Caubet est en tout point les sens et le cerveau. Beauté et intelligence remarquable : le texte nous parvient parfaitement sont résolument synonyme de plaisir ! Merci et nous fait (re)découvrir l’incroyable richesse Monsieur Caubet ! de cette pièce, sa modernité indéniable, son Julia Blanchi, universalité et les questions philosophiques qui 25 novembre 2013 s’en dégage avec en nœud central, une réflexion sur la vérité, l’identité, la croyance ou la foi qui va de paire avec le déterminisme. La mise en scène soutenue par des comédiens excellents prenant à bras-le-corps l’entièreté du drame, souligne subtilement, sans jamais Antoine Caubet fait le pari audacieux d’adapter dont il est l’objet. Œdipe roi, sur la grande scène du théâtre de Des voix au service de la recherche de la vérité l’Aquarium à la Cartoucherie. Une réussite qui Œdipe qui, dans un geste désespéré, se crève se distingue par sa justesse et sa sobriété. les yeux, donnant vie à la métaphore filée de Il y a toujours une espèce de courage à adapter des l’aveuglement. Le comédien Eric Feldman grands classiques du théâtre. Ils ont tellement excelle à mimer Œdipe dans son geste de folie : été lus, tellement été joués, ils sont tellement son corps se meut par à-coups, pris de violents ancrés dans notre inconscient collectif que s’y spasmes, son regard est fou, révolté, perdu, frotter n’est pas simple. Comment adapter une aveugle, sa voix pleure, il tombe sous le poids du pièce qui a été interprétée des milliers de fois, malheur. C’est ce même comédien qui incarne l’oracle, parfait dans cette immobilité d’où naît des milliers de façons ? une voix profonde, venant tout droit des ténèbres. Antoine Caubet, metteur en scène et comédien qui avait déjà signé une adaptation libre du Roi La voix, dans la mise en scène d’Antoine Caubet, Lear, livre ici une interprétation réussie de la plus fouille avec acharnement la vérité. Celle d’Œdipe grande des tragédies grecques, avec Antigone est haletante, fragile. Celle de Créon - interprétée et Phèdre : Œdipe roi. On connait tous plus ou par Antoine Caubet lui même - résonne par la moins l’histoire de cet homme à qui tout souriait beauté de ses graves, dégageant une autorité - roi aimé de Thèbes, mari comblé, père de 4 naturelle désarmante. Celle de Jocaste - la voix enfants adorables - et qui assiste, impuissant, à du mensonge - est trop appuyée, trop rassurante sa chute quand la vérité vient s’immiscer dans pour être crue. Et celles des Chœurs, ces deux femmes qui apparaissent dans les moments clés sa vie. de la pièce pour nous dire tous les tourments Nous, spectateurs, sommes placés dans une d’Œdipe, dans une analyse froide, presque position de voyeurs d’un malheur inéluctable. sévère, dans une lumière qui se tamise, avec des Dès le départ, la gravité du coryphée nous micros qui rendent leurs voix entêtantes, leurs plonge dans une atmosphère faite de tension et susurrements ironiques, leurs rires diaboliques. de mystère. Cette femme grande, fine, au visage diaphane et à la robe longue et ample nous conte, L’avalanche de mots - maîtrisés de bout en yeux dans les yeux, la peste qui s’est abattue sur bout par les comédiens, la netteté du récit Thèbes, à travers une voix lourde, pleine de sens, pas un mot écorché, et la gravité de l’histoire racontée dans les yeux des spectateurs, résonne comme dictée par la fatalité. dans le grand théâtre de l’Aquarium. Sur cette Puis, apparaît un Œdipe malingre dont les scène qui se met en abime avec des gradins premiers mots sont prononcés en grec, pour en bois où déambulent les personnages, tantôt se cacher des doutes qui l’assaillent déjà. Et ce lentement, tantôt avec précipitation. C’est ici le tourbillon ensuite, de mots, d’échanges. Entre lieu de leur tourmente, ces escaliers d’où on Oedipe et son peuple - nous. Nous qu’il invoque ne ressort pas indemne. La scénographie a la pour dire ô combien il punira le traître qui a liberté de celui qui a parfaitement compris les conduit Thèbes à sa perte. Puis cet échange avec profondeurs du texte de Sophocle. Elle est sobre Créon qui lève le voile sur la raison de ce chaos et complexe, puissante et discrète. Sans rituel. : le meurtrier de Laïos, l’ancien roi de Thèbes. Sans exagération. Œdipe roi est là, parmi nous. Et ce vieillard, l’oracle Tirésias, qui accuse Cécile Strouk l’aveuglement d’Oedipe alors même qu’il a des 29 novembre 2013 yeux pour voir. L’emportement d’Oedipe, son impossibilité d’entendre le parricide et l’inceste Une tragédie au présent Que savons-nous de la tragédie plus de deux mille ans après ? Pas grand chose qui soit certain, à part bien sûr le culte lié à Dionysos ; où, lors d’une épreuve organisée tous les ans, à Athènes, pour les fêtes de ce dieu, s’affrontaient trois poètes tragiques dans un concours de théâtre. De ces fêtes et de ces concours, reste sept pièces de Sophocle (496 à 406 av. J.C) dont celle d’Œdipe Roi, à jamais éternelle. Voici le résumé que nous en fait le metteur en scène Antoine Caubet : « Frappés par la peste, les habitants de Thèbes appellent à l’aide leur roi tant aimé, lui qui les a jadis sauvés des griffes de l’horrible Sphinx. Les oracles sont interrogés : la malédiction divine pèsera sur la ville tant que le meurtrier de l’ancien roi, Laïos, n’aura pas été découvert ! Alors Œdipe se mue en enquêteur et, avec une soif de savoir frénétique, convoque publiquement tous les témoins de cette affaire vieille de vingt ans – alors que lui-même vivait loin d’ici… » Un chantier tragique Antoine Caubet dans sa mise en scène, nous convie à vivre cette tragédie au « présent » de la représentation pour nous mettre à son épreuve. Dès lors que nous entrons dans « l’agora à jamais perdue », nous sommes dans l’énigme du chef-d’œuvre. Le chœur nous avertit qu’il ne sait rien ou presque rien de ce qu’était la tragédie, lors de ces grandes fêtes dionysiaques. Même la scénographie semble nous dire : je ne sais plus quoi faire de ces planches sur le chariot, où les positionner ? Que faire de cette estrade ? Tout est arrêté pour nier ce qui serait un mensonge ou une fausse interprétation. Alors, les comédiens, mettent à leur épreuve le temps, le lieu et l’action ; jusqu’à se rendre à l’insoutenable vérité. C’est un chantier tragique. Tout se construit, pas à pas, avec nous spectateurs « Thébains » dans l’écoute théâtrale la plus proche et la plus directe. Alors revit l’œuvre dans le dénuement du plateau et la richesse de la rencontre. Merci au « petit chœur » (Delphine Zucker et Cécile Cholet) qui nous ravit de sa vérité et de son invention. Merci à Œdipe (Pierre Baux) convainquant dans l’horreur de se connaître lui-même. Merci à Créon (Antoine Caubet) déjouant le pathos dans la juste distance. Merci à Tirésias (Éric Felman) messager à l’aura tragique. Merci à Jocaste (Clotilde Ramondou) à la résonance incarnée. Merci au Berger du feu et de la scène (Jean Opfermann) au jeu sobre et limpide. Et merci enfin au théâtre de l’Aquarium d’avoir invité cette précieuse compagnie. Dashiell Donello 16 novembre 2013 Aujourd’hui encore, Œdipe roi de Sophocle demeure le paradigme de la tragédie grecque Œdipe roi est une tragédie intemporelle. Par delà les vingt-cinq siècles qui nous séparent de Sophocle, on aime encore écouter cette histoire douloureusement belle racontant le sombre destin d’un souverain incestueux et parricide. Même si l’univers des Dieux grecs est bien loin de nous, même si les héros épiques ne frôlent plus notre monde, ce récit continue de nous émouvoir et de nous transcender. Afin de retourner en 425 avant Jésus-Christ - date de la seule et unique représentation publique d’Œdipe roi du vivant de Sophocle – Antoine Caubet n’a usé d’aucun artifice scénique. Il a axé sa mise en scène essentiellement sur les vers du grand poète : nulle trace de toge ou d’un quelconque costume antique. Nul décor à colonnades ou de pseudotemple dionysien. Seul domine le texte et le chant que l’on savoure parfois en grec ancien comme une incantation divine. L’intrigue est connue de tous : afin d’éradiquer l’épidémie de peste qui ravage sa ville, Œdipe, roi de Thèbes doit trouver la cause de cette malédiction. Avec l’assurance qui lui est propre, il se lance dans une longue quête qui va, pas à pas, le conduire vers un seul coupable : lui-même ! Doublement maudit par les Dieux de l’Olympe, Œdipe a, sans le savoir, tué son propre père et épousé sa mère! Réfutant cette évidence à chaque preuve qu’on lui présente, il finira par se crever les yeux qu’il a trop longtemps gardés fermés devant la terrible vérité. Sa mèreépouse se donnera la mort et laissera ce roi déchu errer sur les routes comme l’avait prédit l’oracle. Avec ce texte de Sophocle, la tragédie grecque atteint remarquablement son apogée : puissance insondable des dieux, malédiction du héros, omniprésence de la mort, catharsis… tous les éléments sont là pour offrir au public une grêle de sang et un cataclysme d’émotions fortes. La pièce ne nous laisse d’ailleurs pas le temps de souffler car chaque épisode et intermède sont porteurs d’actions et d’indices que le spectateur recueille en même temps que l’infortuné Œdipe. Selon le parti-pris du metteur en scène, la primauté est donnée au verbe et à l’interprétation. Pour cela, Antoine Caudet a choisi une troupe dynamique qui s’est investie pleinement dans sa création : Pierre Baux incarne un Œdipe à la voix porteuse et percutante. Malgré un phrasé trop sec en début de pièce (certainement pour souligner le hiératisme de sa fonction royale), il évolue magnifiquement vers un homme torturé par le doute et le malheur qui l’accablent. A ses côtés, la noble Clotilde Ramondou nous offre une Jocaste un brin trop réservée : le tourment d’une mère ayant épousé son propre fils devrait, effectivement, être plus vif pour sembler véridique. Parmi les autres comédiens, saluons la très belle prestation d’Eric Feldman qui interprète, à tour de rôles, le prêtre, Tirésias et le messager. Passant aisément du paysan béta au grand devin, il propose un jeu d’une finesse et d’une sensibilité à fleur de peau. Vient enfin le chœur, élément indispensable de toute tragédie grecque classique. A défaut de voir défiler sur la scène une longue procession de chanteuses et danseuses, comme cela devait certainement être le cas du temps de Sophocle, Antoine Caubet nous propose un coryphée à deux voix des plus psychédéliques: faisant face aux spectateurscitoyens que nous sommes, Cécile Cholet et Delphine Zucker apparaissent à chaque fin de stasimon pour porter la rumeur ou en appeler à la justice. Evoluant dans un forum imaginaire, ces deux prophétesses psalmodient en alternance, l’œil hagard et la voix énigmatique. Accompagnées de façon incisive par les coups d’archers d’un violoncelle invisible, elles geignent, se lamentent, déplorent le sort du pauvre Œdipe et closent la pièce en affirmant la toute puissance du destin. Que dire de plus ? A quand la mise en scène d’Antigone ? Florence Gopikian Yérémian 17 novembre 2013 Œdipe roi est sans doute une des pièces les plus connues, notamment grâce à Freud et à son « complexe d’ Œdipe ». Mais la limite à cela revient à réduire injustement l’œuvre de Sophocle. Elle touche aux notions de justice, sincérité, destin, sacré, respect de la parole donnée, sens de la vie… On est même frappé par le parallèle possible entre Œdipe et Judas : alors qu’un messager vient lui demander de monter sur le trône de son père adoptif, ce qui lui permettrait de quitter Thèbes pour le bien de la ville et le sien, il préfère – comme l’apôtre – se faire (in)justice à lui même au lieu de saisir la rémission qui lui est offerte. une image, une apparence qui s’en va », « la vie est une illusion », « arrête de toujours tout vouloir »… Peu importe que la pièce, loin de se jouer en cothurne, soit actualisée. Si on oublie le surjeu de deux personnages très mineurs qui ne totalisent à eux deux que trois minutes de parole et l’absence de signification évidente des éclairs d’un poste à soudure, on est là face à une très bonne pièce, homogène, aux personnages crédibles jusque dans leurs excès et dont la progression dramatique est parfaitement maîtrisée. Mais au juste, Œdipe, n’est ce pas aussi chacun de nous face à nos secrets La mise en scène d’Antoine Caubet met en de famille ? valeur tous ces aspects et rend parfaitement Pierre François compte des émotions qui traversent les 26 novembre 2013 différents acteurs du drame. On note même une progression dans les moyens mis au service de notre compréhension d’une œuvre vieille de vingt-quatre siècles : une introduction explique ce qui reste de la pièce, ce qu’on sait du rôle du choryphée, le contexte légendaire. Puis le verbe est mis en valeur, y compris dans sa langue originelle. Enfin le jeu intervient, le rythme s’accélère, le mystère s’épaissit aux yeux d’ Œdipe tandis qu’il s’éclaircit pour nous, les questions s’accumulent ainsi que les réponses lapidaires de l’homme face au malheur, qu’un Job ou un Qohelet n’auraient pas reniés : « votre bonheur est L’actualité du théâtre et de la danse à Paris et en Île-de-France S’emparer aujourd’hui d’un texte de Sophocle n’est pas chose facile, celui d’Œdipe Roi encore moins. Antoine Caubet s’attaque donc à une histoire connue de tous : frappée par la peste, la ville de Thèbes implore à son nouveau roi que celui-ci fasse cesser la malédiction d’Apollon. Œdipe va alors remuer le passé afin de découvrir le meurtrier de son prédécesseur. Les protagonistes évoluent dans un décor simple, des gradins et des panneaux de bois aggloméré attendent sur les cotés. La scénographie est quelque peu déceptive car nous imaginons qu’elle va être évolutive, que les acteurs vont manipuler les planches de bois et construire un décor au fur à mesure de l’intrigue, mais le spectacle s’appuie uniquement sur le jeu des interprètes. Pas de toge ni de procréation poétique, les comédiens jouent au plus près des mots de l’auteur dans une version modernisée, au présent. Antoine Caubet ne prend pas beaucoup de risques, la mise en scène est classique et le jeu des acteurs, même s’il est parfait, reste très académique. La dernière partie du spectacle est quant à elle très intéressante : lorsque la vérité éclate enfin aux yeux d’Œdipe et des autres, la lumière, qui joue un rôle important dans cette création, éclate elle aussi. Tout s’éclaire enfin, mais l’obscurité prend place, après le suicide de sa mère amante, le jeune roi préfère se crever les yeux que de voir la vérité en face. Wilson Le Personnic 13 novembre 2013 MÉCANIQUE TRAGIQUE Montant ce « classique des classiques », cette œuvre originelle qu’est l’Œdipe roi de Sophocle, Antoine Caubet joue cartes sur tables. Ces cartes, le dispositif scénographique signé Isabelle Rousseau nous les donne d’emblée, avant même que ne débute le spectacle, à moins que le spectacle n’ait déjà commencé dès les premiers pas des spectateurs dans la salle : des gradins en bois nous font face, juste derrière ce qui doit être l’aire de jeu. L’une des comédiennes, Delphine Zucker, qui aura la charge d’interpréter la partition du chœur en compagnie de Cécile Cholet, vient nous faire un petit discours introductif. Quand commence le spectacle ? Pour l’heure nous avons une subtile mise en abîme chargée de nous interpeller, de nous mettre dans le bain, pour le dire plus crûment. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : nous mettre dans la situation qu’avait sans doute à l’époque du poète l’assemblée de spectateurs. C’est bien l’axe autour duquel gravite la mise en scène d’Antoine Caubet : réinterroger la place du spectateur pour une affaire de la cité qui le concerne. On comprend dès lors les costumes d’un contemporain neutre également signés Delphine Zucker. On comprend surtout le jeu des comédiens, Pierre Baux en Œdipe si proche, si « quotidien », avec Clotilde Ramondou (Jocaste) et Antoine Caubet lui-même dans le rôle de Créon, Eric Feldman interprétant les autres personnages (le Prêtre, Tirésias, le messager de Corinthe, le messager du Palais), pas forcément par souci d’économie de production, mais aussi parce que tous ces personnages appartiennent à la même sphère, loin de celle, tragique, d’Œdipe. Alors peut commencer ce jeu de reconstitution du puzzle : dans la feuille de salle distribuée aux spectateurs apparaît en première page un énorme Rubicube. Une fois toutes les combinaisons essayées, apparaîtra le dessin final, le destin final. L’agencement et les combinaisons proposés par Antoine Caubet et ses comédiens est tout à fait probant, d’une intelligence serrée. Ils ne lâchent rien et nous incluent définitivement dans leur parcours. Nous sommes saisis au collet, sommé de participer à la démonstration tragique. Jean-Pierre Han 4 décembre 2013 Le mythe d’Œdipe, meurtrier de son père avant d’épouser sa mère, est l’un des thèmes fondateurs de la tragédie grecque, à l’origine d’innombrables œuvres artistiques et littéraires. Parmi celles-ci, la tragédie de Sophocle, Œdipe roi, vieille d’environ 2500 ans, est la seule pièce qui nous soit parvenue dans son intégralité. Et dans une version épurée dont Antoine Caubet sait tirer le plus grand parti : la ville de Thèbes est frappée par la peste et ses habitants somment leur roi tant aimé, Œdipe, d’affronter le fléau, lequel, selon les oracles, durera tant que le meurtrier de l’ancien roi Laios ne sera pas découvert. Œdipe, connu pour son talent à résoudre les énigmes – il a jadis triomphé du Sphinx – se retrouve alors meneur d’une enquête dont il est le principal intéressé, c’est-à-dire le coupable, parricide et incestueux. semble rester volontairement en retrait, renforçant ainsi judicieusement la solitude du protagoniste. Quant à Eric Feldman qui interprète plusieurs rôles, nous ne pouvons que saluer sa fougue et son énergie, surtout dans le rôle du messager. Mention spéciale au travail original mené avec le Chœur qui, tout comme dans la tragédie grecque, intervient en alternance avec les comédiens. Ce chœur, évidemment porte-parole de la Cité et dont les représentantes sont Cécile Cholet et Delphine Zucker, met toute son énergie au service de l’intrigue d’Œdipe. Comme possédées, tantôt chantant, chuchotant, mimant et bruitant, elles transmettent aux spectateurs l’angoisse planant sur Thèbes, accompagnées par le jeu de lumière, nous plongeant finalement tous dans l’obscurité totale. Ombres et lumières, une belle façon Le spectacle que propose Antoine Caubet de redécouvrir ce texte mythique… commence en pleine lumière avec une introduction qui resitue la pièce dans son Ivanne Galant contexte et relate son voyage jusqu’à nous, spectateurs contemporains ; quelques mots 15 novembre 2013 de grec fort agréables à écouter rappellent aussi que le réalisateur signe également la traduction de l’œuvre. Puis, Antoine Caubet s’attache à reconstituer le puzzle en mettant toujours l’accent sur l’ironie tragique omniprésente du texte original. Avec une mise en scène sobre – des estrades de bois brut –, pas de costumes d’époque, le metteur en scène a sans doute voulu laisser la vedette au texte, fermement porté par l’interprétation des acteurs. Pierre Baux joue avec brio le chemin vers la perdition d’Œdipe, au début animé par un combat noble, pour le bien du peuple, jusqu’à son auto-mutilation, et la souffrance la plus totale. Jocaste, Clotilde Ramondou, Œdipe, un roi non sans complexe Antoine Caubet a mis en scène Œdipe roi, de Sophocle (495-406 avant J.-C.). Vingt ans après avoir tué son père de ses mains, Œdipe, qui règne sur Thèbes frappé ar la peste, mène l’enquête pour savoir les causes du malheur qui assaille ainsi la cité. À la fois juge et coupable, meurtrier de son géniteur, époux de sa mère et frère de ses enfants, le souverain maudit va devoir endurer l’épreuve de l’aveuglante vérité qui lui saute aux yeux... De cette plus que parfaite tragédie qui inspira Freud, Antoine Caubet estime que, se pencher sur elle, «C’est dire à la fois la distance qui nous en sépare et dans le même temps cette trace parlante qu’est le texte». Il convie don les spectateurs «à cette tragédie «au présent» de la représentation et non comme un texte littéraire lointain et fermé sur lui-même». 10 novembre 2013 Antoine Caubet nous invite à partager son amour de la Grèce Antique et des beaux textes. Pour cela il monte Œdipe roi écrit par Sophocle vingtcinq siècles auparavant. A travers cette mise en scène à la forme simple, la volonté du metteur en scène est d’interroger la distance qui nous sépare du siècle d’or du théâtre athénien. Nous sommes devant un spectacle qui n’est ni d’hier, ni complètement d’aujourd’hui, les oreilles grandes ouvertes. Nous entrons dans la salle sous le regard bienveillant des comédiens installés sur le plateau. La scénographie utilise des gradins en chantier pour jouer sur des volumes et des hauteurs qui morcellent l’espace scénique. Évidemment ces gradins nous renvoient à notre propre condition de spectateurs installés en miroir. Leur disposition en demi-cercle évoque aussi le théâtre antique, avec un renversement perturbant qui nous place nous spectateur dans la droiture du mur de scène antique. Métal et bois dominent et revendiquent un temps du théâtre beaucoup plus proche de notre présent mais non moins important que le théâtre antique: le théâtre de tréteaux. Après un petit replacement historique, la tragédie d’Œdipe Roi commence, et quoi de plus beau que de l’entamer avec la belle langue du grec ancien, petit moment magique. Ne vous inquiétez pas, cela ne dure pas longtemps, et vous pourrez à nouveau comprendre ce qu’il se passe et se dit ! Pas de toge, pas de costume contemporain non plus et pas de nudité non plus encore. Les personnages sont des figures et ne semblent appartenir à aucun monde géographique ou temporel. Le tragique n’entraine pas le pathos dans le jeu des comédiens, chacun suit sa ligne de conduite. On entend à travers la mise en scène les mots d’Anouilh. “Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul.” Œdipe creuse la vérité jusqu’au fond de l’horreur. Il cherche la lumière éblouissante du vrai qui le perdra lui-même. La lumière du théâtre soutient la lumière abstraite en arrivant de manière transversale sur le plateau. Œdipe sombre dans son excès de désir d’absolu, de vérité. Malgré le prédictions de Tirésias, lui et Jocaste font preuve d’hybris en voulant s’élever au dessus des dieux et au dessus de leur destin. La mise en scène d’Antoine Caubet ne recherche par la transcendance, le destin arrive d’en bas, de l’horizontal. Il prend la forme humaine des personnages interprétés par Eric Feldam qui semble secoué des spasmes de la folie. Le destin prend le sourire ambigüe de l’hystérie. Il est un porteur de message qui semble fondre sur sa proie presque par hasard, de manière totalement arbitraire pour apporter la nouvelle funeste de la mort, de l’origine, puis du crime et de l’inceste. Nous pensons à Jack l’éventreur dans le Lulu de Robert Wilson, au personnage armé dans le R & J de Jean-Michel Rabeux, à finalement ce qui relève aussi de la tragédie théâtrale contemporaine: le malheur qui frappe cruellement au hasard. La mise en scène joue avec le chœur antique qui chantait et dansait, non pas pour le recréer mais pour en donner une interprétation: polyphonique, faite de voix, de sons, de mots en canons, divergeant et se superposant à un accompagnement musical de cordes. Cette interprétation musicale, bien qu’ayant un goût de déjà entendu, donne les monologues à entendre de manière paradoxalement plus claire. La logique du texte s’efface derrière la musicalité, la poésie et quelques mots-clés pour donner la parole au corps du peuple, figure de la sagesse démocratique. Le désir de transmettre est peut-être un peu trop démonstratif ce qui produit quelques petits agacements et empêche une adhésion totale, cependant nous sortons heureux d’avoir vu Œdipe dans cette forme fidèle et épurée. Il nous reste à la sortie des images fortes comme mémoire de ce spectacle. Julie Montpellier Aujourd’hui, une émission sur une malédiction divine, une destinée tragique. Un Mythe, celui d’Œdipe. Si ancien et ancré dans notre inconscient collectif qu’il continue à fasciner le monde entier. Œdipe roi de Sophocle est mis en scène par Antoine Caubet avec entre autres Pierre Baux et Eric Feldman. A voir jusqu’au 15 décembre 2013 au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes. William Marx, lui, publie « Le tombeau d’Œdipe » aux éditions de Minuit. Il traite du mythe d’Œdipe et plus globalement de la tragédie grecque du temps de Sophocle et de nos jours, selon quatre ingrédients essentiels : le lieu, l’idée, le corps et le dieu… Jean-François Cadet lundi 2 décembre 2013 http://www.rfi.fr/emission/20131202-1-oedipe-roi-antoine-caubet-william-marx