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ŒDIPE ROI de SOPHOCLE
texte français et mise en scène Antoine Caubet
(Théâtre Cazaril – Paris), artiste associé au Théâtre de l’Aquarium
avec Pierre Baux, Antoine Caubet, Cécile Cholet, Éric Feldman, Jean
Opfermann, Clotilde Ramondou et Delphine Zucker
assistante à la mise en scène Aurélie Van Den Daele, scénographie
et costumes Isabelle Rousseau, lumière Jean Opfermann et Antoine
Caubet, son Valérie Bajcsa, régie générale Jean Opfermann
production > Théâtre Cazaril (compagnie conventionnée DRAC Îlede-France), L’apostrophe (Scène Nationae de Cergy-Pontoise et du Val
d’Oise), Théâtre de l’Aquarium.
Avec l’aide au compagnonnage du Ministère de la Culture – DGCA
Théâtre de l’Aquarium
13 novembre > 15 décembre 2012
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
L’“Œdipe roi“ de Sophocle décrypté à l’Aquarium
Au Théâtre de l’Aquarium, son port d’attache, le
metteur en scène Antoine Caubet ne tourne pas
en rond. Après une adaptation particulièrement
pertinente du Finnegans’ Wake de Joyce, en
2012, il présente jusqu’à dimanche un Œdipe roi
de Sophocle d’une grande clarté, sur un ton plus
proche du conte noir que de la tragédie, avec en
fil rouge une double énigme - celle posée à Œdipe
par sa propre histoire, mais aussi celle posée au
théâtre contemporain par ce théâtre grec dont on
ne sait rien en dehors du texte. Une enquête bien
menée par Pierre Baux (Œdipe) et tous les autres,
Cécile Cholet, Delphine Zucker, Éric Feldman,
Clotilde Ramondou et Jean Opfermann.
René Solis
11 décembre 2013
TT On aime beaucoup
Dans un dispositif dépouillé, Antoine Caubet
met en scène la tragédie de Sophocle
comme un conte qui exalte la parole et les
émotions. Avec un usage parcimonieux de
la lumière, la création de clairs-obscurs,
la proximité des comédiens, eux-mêmes
installés sur des gradins de bois, l’histoire
du héros plein d’hybris qui enrage de
découvrir la «souillure» (la souillure, c’est
lui) devient la nôtre. La parfaite mécanique
de la pièce de Sophocle, qui s’apparente à
une enquête, devient une histoire intime
où le spectateur s’enfonce dans l’obscurité
jusqu’à ce qu’Œdipe se crève les yeux. Les
deux comédiennes (Cécile Cholet et Delphine
Zucker) qui forment le Chœur utilisent un
parlé-chanté très élaboré, aérant ainsi le
spectacle. Pierre Baux fait un Œdipe simple
et émouvant, Antoine Caubet campe un
Créon puissant et plein de sagesse.
Sylviane Bernard-Gresh
20 novembre 2013
Le drame d’Œdipe
Puisque l’on est chez les classiques, franchissons les
quelques kilomètres qui séparent Ménilmontant du bois
de Vincennes pour évoquer Œdipe Roi de Sophocle, mis en
scène par Antoine Caubet, au Théâtre de l’Aquarium. Cette
fois, on est à Thèbes frappée par la peste. La population
fait appel à son roi, Œdipe, en lui confiant une mission très
précise : retrouver le meurtrier du père d’Oedipe, l’ancien
roi Laïos. Selon les oracles, en effet, c’est la condition sine
qua non pour échapper au fléau de la maladie.
Voilà donc Œpide (Pierre Baux) qui lance l’enquête, tel
un Maigret des temps jadis. Il cherche, il interroge, il
tâtonne, il hésite. On lui parle d’un attentat à l’intersection
de deux routes. Puis, au fil de ses recherches, Oedipe
doit affronter la vérité, aussi insupportable soit-elle. Le
meurtrier de Laïos n’est autre que lui, Œdipe, père d’un
complexe éternel qui l’a conduit dans le lit de sa mère et
qui fera la gloire de Freud. Le fils maudit ne s’en remettra
jamais. Il finira aveuglé (au sens littéral du terme) par
une réalité impossible à admettre.
Terrible pièce où un homme se découvre en même temps
qu’il élucide un mystère. Œdipe est une énigme pour
Œdipe. Il n’est pas celui qu’il croyait être et il ne peut
être celui qu’il est vraiment. Par cette version réussie et
imaginative (notamment avec les chœur), Antoine Caubet
confirme un talent qui saute aux yeux.
Jack Dion
18 novembre 2013
Antoine Caubet, qui monte Œdipe roi, de Sophocle,
dans le texte français dont il est l’auteur, entend
prendre la mesure de la distance qui nous sépare de
cette œuvre mythique d’il y a si longtemps (2). Pour
ce faire, les costumes sont de maintenant, sobres,
comme le jeu, à nerfs tendus, certes, mais sans
grandiloquence intempestive. L’écorché tragique
apparaît néanmoins, en des corps actuels (Pierre
Baux-Œdipe, Caubet-Créon, Eric Feldman-Tirésias
entre autres, Clotilde Ramondou-Jocaste, Jean
Opfermann-le Berger) tandis que le chœur (Cécile
Cholet, Delphine Zucker) swingue sa partition au
micro. Ce sont des corps auxquels on ne la fait pas,
puisqu’ils sont très loin du temps et de l’espace où
s’inventa la fable définitive. Reste que l’expérience
s’avère concluante, justement parce que n’est pas
quêtée la singene de l’antique mais qu’on se situe
loyalement dans un large entre-deux de civilisation.
Quand Jocaste dit à son fils-époux que « tout homme
a un jour rêvé de partager la couche de sa mère »
(cela a été plus ou moins le dispositif générateur
de l’œuvre de Freud), un frisson parcours encore le
public.
Jean-Pierre Leonardini
9 décembre 2013
La seule représentation d’ŒDIPE ROI qui ait eu lieu
du temps de SOPHOCLE est impossible à imaginer.
Il ne reste que le texte de la tragédie. Pourtant nous
savons qu’avant SOPHOCLE, de nombreux dramaturges
avaient abordé le mythe d’ŒDIPE. Dans l’antiquité, les
représentations théâtrales ouvertes à un large public
avaient lieu lors de grandes fêtes dionysiaques. Nous
savons aussi que SOPHOCLE était un homme politique.
Comment ne pas être renversés par la liberté avec
laquelle il aborde des sujets aussi délicats que celui
de l’inceste, Tous les maux de l’humanité se trouvent
concentrés à travers la figure d’un seul homme devenu
parricide, incestueux, malgré lui.
Œdipe roi, c’est le procès d’un homme, érigé en héros,
au sommet de la hiérarchie de la société, qui tombe
au plus bas pour des sordides affaires de mœurs. C’est
sans doute le procès d’une humanité qui doit faire face
à de multiples calamités, la guerre, la maladie, et la
folie qui guette chaque citoyen dès lors qu’il s’affranchit
des lois créées par la société pour garantir un ordre
souverain, celui de l’état, celui du peuple, la démocratie
puisque ne l’oublions pas Sophocle était démocrate.
Avec nos lanternes modernes, comment s’empêcher de
penser qu’ŒDIPE après tout n’est pas coupable d’avoir
tué son père et d’avoir couché avec sa mère. Il ne savait
pas. Là où le bât blesse c’est qu’il ait cherché à savoir
et que du coup, il ait découvert la terrifiante vérité. Face
à Créon qui représente l’ordre et le chœur, la vox populi
qui réclame la tranquillité, Œdipe représente l’excès
qu’il faut bannir. Faut-il conclure que Sophocle prêche
pour le savoir en dépit des catastrophes que peuvent
entrainer les déclarations de vérité. Pour un crime
révélé au public, combien d’autres passés sous silence
parce qu’il ne faut pas troubler l’ordre public dont la
responsabilité incombe aux politiques, aux gouvernants.
Sophocle confronte deux consciences, la politique et
l’individuelle comme si l’homme se trouvait toujours au
bord du précipice et qu’il ne contrôlait pas sa condition
d’homme mortel, vulnérable, inconscient, qu’il était
capable du meilleur et du pire.
Il y a même une scène de western dans la tragédie
d’ŒDIPE ROI, celle où l’on imagine Œdipe aveuglé par
la colère et le sentiment de sa force, en train de tuer
le faible vieillard Laïos. Pour Œdipe, Laïos n’était qu’un
misérable, un obstacle sur son chemin et ne prend une
valeur humaine que lorsqu’il revêt la figure du père.
Somme toute, Œdipe est un monstre, un criminel de
guerre, et tout héros qu’il soit, également un pauvre
type. Freud disait qu’il y avait de l’Œdipe chez tout
homme.
A la recherche de son identité, ŒDIPE part à la conquête
de lui-même c’est-à-dire d’une conscience qui refuse
de refouler l’horreur qu’il éprouve pour lui-même et
ne trouve aucune excuse. Œdipe ne se suicide pas, il
entend vivre avec la conscience de ses crimes.
A vrai dire, depuis la nuit des temps, ŒDIPE vient
hanter nos cauchemars. La mise en scène d’Antoine
CAUBET se distingue pas sa sobriété. Il semblerait
qu’il ait laissé toute liberté aux interprètes d’arriver sur
scène avec leurs propres habits qui sont aussi ceux des
spectateurs. Mais il y a des spectateurs qui n’ont pas
envie de s’identifier à l’ordinaire, au banal, parce qu’ils
en soupent assez au métro, tous les jours, et qu’ils ont
envie de rêver et de se défouler au théâtre.
D’autres seront ravis de pouvoir raccorder leur présent
à une histoire mythique qui fait déborder des vases qui
ne désemplissent pas. En tant que comédien Antoine
CAUBET
incarne superbement Créon sur scène, de sorte qu’il fait
un peu de l’ombre aux autres interprètes plus modestes.
Pierre BAUX est un Œdipe ténébreux, rigide, qui devient
véritablement sympathique qu’à la fin lorsqu’il tombe,
broyé par la fatalité.
Au demeurant, la mise en scène respectueuse du texte,
laisse suinter l’humanité de SOPHOCLE comme à
travers un suaire vivant et brillant qui brûle sur l’instant
mais ne disparait pas.
Evelyne Trân
16 novembre 2013
Au choeur d’Œdipe roi
Antoine Caubet interroge la plus célèbre des
tragédies grecques en adoptant des partis
pris radicaux. Le dispositif scénographique,
les choix faits sur le chœur comme sur la
lumière déconcertent de fait le spectateur
plonge au cœur d’Œdipe roi. Une expérience.
Qui ne connaît Œdipe roi? Le cinéma, la
psychanalyse, l’histoire, la philosophie, la
peinture se sont emparé du personnage et de
son histoire, nous les rendant ainsi familiers.
On pourrait ainsi dire qu’inspirée par le mythe,
la pièce en est devenue un : un monument.
Mais elle est aussi un monument au sens
étymologique : un vestige fragile sauvé des
désastres et qui fait signe vers un monde aboli.
C’est pourquoi, comme la statue de Glaucus
dont parle Platon dans la République et que les
années ont recouverte de sédiments, elle nous
échappe et nous interroge encore. En montant à
son tour la pièce, Antoine Caubet nous confronte
à ce mystère. Comment peut-on monter Œdipe
roi? Comment Sophocle avait-il choisi de le
faire? Comment les spectateurs réagissaientils et interprétaient-ils la fable? C’est sur ces
questions en effet que s’ouvre la pièce dans un
prologue aux allures de note d’intention. Et toutes
les voies qui seront explorées ensuite, nous les
entendons ainsi comme des réponses possibles
à ces questions ouvertes et indécidables sur la
représentation.
Le texte comme partition
Cela n’empêche pas qu’elles soient réponses
profondément assumées, assez radicales
même. Pour mettre en scène le chœur, Antoine
Caubet choisit par exemple la polyphonie : deux
comédiennes se partagent le texte mêlant le
chant et la parole dite, et parfois un troisième
comparse étoffe encore la partition. Le metteur
en scène tranche ainsi la question du chœur parlé
ou chanté. Il exprime par ailleurs la différence
entre les dialogues et parties chorales. Peu
habitué aux variations musicales de la langue,
on peut se trouver déconcerté. On peut aussi
s’interroger sur certains partis pris comiques.
On peut enfin se demander si le soulignement
de certains mots, comme hybris, n’est pas
trop didactique, mais l’exercice ne manque pas
d’intérêt. De même, le travail sur la lumière est
extrêmement cohérent.
Grâce à celui-ci, Antoine Caubet nous fait
partager l’expérience du roi. Comme Œdipe,
nous sommes de fait plongés peu à peu
dans l’obscurité. Seuls des pans du plateau
apparaissent : des pièces isolées d’un puzzle.
Il faut être aux aguets, enquêter comme le roi
de Thèbes. Dans la pénombre attendent des
personnages qui vont faire éclater la vérité
: tout est là, déjà. Le parti pris est fort mais
ardu pour le spectateur. Fort heureusement,
les comédiens ont de l’énergie à revendre.
Occupant l’ensemble du plateau, ils jouent de
ses ressources pour l’animer. On perçoit bien
le travail sur les positionnements symboliques
des personnages : tantôt en hauteur quand ils
haranguent, ou tentent de s’imposer, tantôt à
notre niveau quand approche la déchéance. Ce
serait même un peu trop clair. Quoi qu’il en soit,
Antoine Caubet campe un Créon fort convaincant.
Et si Jocaste (Clotilde Ramondou) manque
de voix, si Éric Feldman est meilleur comme
Tirésias que comme messager, Pierre Baux
rend le personnage d’Œdipe humain, et proche
de nous. À cet égard, ce qui marque peut-être le
plus dans la mise en scène, c’est un sentiment
étrange de proximité. Au cours du prologue
historique, nous étions déjà conviés en quelque
sorte à une séance de travail en compagnie des
comédiens. Puis nous faisons même partie de
la fable. D’abord, les gradins semblent disposés
en bifrontal avec ceux, presque effondrés, qui
se trouvent sur scène. Ensuite, l’adresse nous
invite sans cesse à nous identifier aux citoyens
de Thèbes, à statuer sur le sort d’Œdipe.
Nous sommes le chœur aussi, nous sommes au
cœur d’Œdipe. Intéressant. ¶
Laura Plas
20 novembre 2013
Antoine Caubet donne une version actuelle de la tragédie de Sophocle
qui touche par la force du texte.
« Monstre incompréhensible et déroutant, à la fois agent et agi, coupable et innocent,
lucide et aveugle, maîtrisant toute la nature par son esprit industrieux et incapable
de se gouverner lui-même ». D’un trait sûr, l’éminent historien Jean-Pierre Vernant
esquissait ainsi la figure d’Œdipe, burinée tout en oxymores… Pour juguler l’épidémie
de peste qui ravage les terres et vide les maisons de Cadmos, le roi écoute en effet
la pythie et cherche le coupable qui, par son ignominie noircie au sang, ruine l’avenir
de Thèbes. Sûr que les dieux l’inspirent, celui qui vainquit hier la perfide Sphinge en
déchiffrant l’énigme, mène l’enquête avec force et ardeur. Et peu à peu se découvre
au revers exact de celui qu’il se croyait : non le justicier, mais le criminel parricide
et incestueux, non le sauveur de sa cité, mais l’odieuse souillure dont elle périt. Et
plus il fouille le passé en quête de son histoire et croit échapper à la terrible prédiction, mieux il l’accomplit malgré lui… L’implacable mécanique tragique le broie et le
jette hors de l’identité qui le tenait au monde. Le voici devenu étranger à lui-même.
Sans doute est-ce l’énigme creusée au cœur même de l’être, ce besoin viscéral de
connaître la vérité de ses origines, contre toute sagesse, qui fascinent et vibrent en
chacun, posant le héros « aux pieds enflés » en effigie de la destinée humaine qui
avance en aveugle sur les chemins de la vie.
La soif de savoir
Antoine Caubet, metteur en scène, comédien et ici auteur également du texte français, entend jouer au présent cette tragédie composée par Sophocle voici quelque
2500 ans. Il revendique « un théâtre qui s’invente en direct, qui interroge notre humanité dans l’immédiateté du face-à-face entre la salle et la scène : une expérience
partagée pour une quête commune. » Belle ambition. Qu’il ne suffit cependant pas
d’illustrer. Ainsi de la scénographie, qui montre un plateau en cours de montage et
un gradin bi-frontal peuplé par des ombres d’imaginaire, ou de l’adresse au public
comme à la communauté des Thébains ou encore de la lumière qui peu à peu meurt
dans l’obscurité suivant les yeux crevés d’Œdipe. La mise en scène semble laborieuse
et accorde encore difficilement l’ensemble, lesté par un jeu inégal des acteurs. En
revanche la traduction, vive et franche, le chœur porté au micro par Cécile Cholet et
Delphine, et l’interprétation de Pierre Baux, Œdipe généreux et colérique, aimanté
vers son fatal destin par le désir irrépressible de savoir, font résonner à plein la déflagration de la tragédie. « Dans sa simplicité apparente, le mythe noue et solidarise des
forces psychiques multiples. Tout mythe est un drame humain condensé. ». La phrase
de Bachelard passe alors en trottinant dans les esprits…
Gwénola David
26 novembre 2013
Une adresse au public, en prologue,
rappelle le contexte : une épidémie
de peste qui ravage Athènes, en 430
avant J.C. Les spectateurs dans la salle
éclairée, écoutent, comme des citoyens
de Thèbes, la description de la maladie,
un signal fort d’entrée dans la tragédie.
Le chœur, ce personnage collectif de la tragédie
classique, est chargé de réagir à l’action, et
d’en faire, en tant que porte parole du peuple,
le commentaire. Il est ici porté par deux
comédiennes choryphées (Cécile Cholet et,
Delphine Zucker), qui, de l’avant-scène-centre
du plateau, parlent, psalmodient et interviennent
musicalement, micros à la main, avec inventivité,
Qui est coupable de cette malédiction ? La dans la tradition lyrique des poètes grecs et
pièce, vieille histoire mythique, désigne Œdipe apportent une belle énergie à la lecture d’Œdipe
et confirme la prédiction du devin Tirésias (Éric roi que fait le metteur en scène.
Feldman), soupçonné de comploter avec Créon
(Antoine Caubet). Le jeune roi mène l’enquête Antoine Caubet, artiste associé au Théâtre de
jusqu’à faire face à la réalité, qui lui livre le l’Aquarium, livre une mise en scène sobre et
secret de ses origines et le désigne coupable de dépouillée où, malgré quelques irrégularités
parricide et d’inceste, alors même qu’il ignorait dans le jeu des acteurs, on retrouve Sophocle,
n’être que le fils adoptif de Polybe roi de Corinthe, avec plaisir : « D’un côté, le chœur, personnage
collectif et anonyme incarné par un collège
et de Mérope.
officiel de citoyens et dont le rôle est d’exprimer
Nous sommes face aux gradins d’un théâtre dans ses craintes et dans ses espoirs, ses
grec éclaté, scénographie faite de gradins de interrogations et ses jugements, les sentiments
bois déstructurés qui servent aux acteurs, de des spectateurs qui composent la communauté
praticables (Isabelle Rousseau, qui signe aussi civique; de l’autre, joué par un acteur
les costumes) attentifs au cours de l’histoire et à professionnel, le personnage individualisé dont
l’action forme le centre du drame et qui a figure
l’énoncé du terrible destin.
de héros d’un autre âge toujours plus ou moins
Prédestination, dérèglement, châtiment et étranger à la condition ordinaire du citoyen »,
exil, forment les fils de cette tragédie cousue selon Jean-Pierre Vernant, spécialiste de la
mains où Œdipe (Pierre Baux), l’étranger, porte Grèce antique, qui a éclairé les mythes grecs de
à un moment la langue grecque, puis conte sa réflexion partagée.
à son épouse, Jocaste (Clotilde Ramondou),
son enfance et le meurtre d’un vieil homme au
Brigitte Rémer
croisement de deux routes, après une banale
30 novembre 2013
altercation.
Un berger (Jean Opferman) confirme avoir reçu
un nourrisson des mains de Jocaste afin de le
tuer, l’avoir remis à un serviteur, qui, à son tour,
l’avait confié à Polybe et Mérope.
La boucle est ainsi bouclée, et Œdipe prend la
mesure de son acte : L’homme du carrefour était
bien Laïos, son père qu’il ne connaissait pas et
Jocaste, est aussi sa mère. Face à la puissance
du destin, Jocaste se pend dans le palais et
Œdipe s’inflige son propre châtiment, se crevant
les yeux pour ne plus voir la lumière, et implore
Créon de le bannir.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de Thèbes
Rompu à mettre en scène des œuvres monuments
(Partage de midi, Finnegan’s wake, Le Roi Lear)
Antoine Caubet s’attaque pour sa nouvelle
création à la pièce de Sophocle, Œdipe Roi. Sa
lecture fine de l’œuvre, accompagnée d’une
nouvelle traduction résolument moderne, en
font un spectacle captivant où, paradoxalement,
alors que l’intrigue est d’une limpidité totale, le
suspens va grandissant.
être didactique, ces enjeux de pensée. Et
c’est là du grand art. Ni la scénographie, ni la
musique, ni les lumières n’expliquent quoi que
ce soit. Tout interroge, éprouve, se contredit, est
circonvolution, nuances, comme la pensée en
marche. Et c’est vraiment formidable ! Pourquoi
mettre les spectateurs face à un gradin vide
comme face à un miroir mais qui ne reflète
rien ou personne ? Etrange choix quand on sait
que le héros de la pièce, en quête d’une vérité
susceptible de lui donner son identité, ne peut
survivre à celle-ci qu’en se mutilant, se privant
de la vue, de son propre regard, « de ce qui ne
s’abandonne pas, ne se livre pas, mais qui nous
vise ? » ; de ce qui constitue le visage, « mode
irréductible selon lequel l’être peut se présenter
dans son identité » comme l’écrit Emmanuel
Lévinas. L’autre dans lequel je me réfléchis et
grâce à qui je me définis, n’est-il pas finalement
en nous-même ? Ou bien l’aveuglement n’estil que le voile, l’arrangement avec la vérité,
ce soupçon d’artifice qui nous permette de
continuer à vivre ?
Nous sommes en 425 avant JC. Comment à cette
époque la tragédie grecque était-elle donnée
? Nous n’en savons rien. Ainsi commence le
spectacle : une harangue du chœur à la foule de
spectateurs venus assister à la représentation.
Sous le feu des lumières, ces derniers peuvent
entendre les premiers mots d’Œdipe, en grec.
La ville de Thèbes est frappée par la peste. Les
habitants, demandent à leur valeureux roi de les
sauver de cette calamité. Le héros, triomphateur
de la Sphinge, en appelle alors aux oracles.
Ceux-ci lui annonce que la ville ne sera délivrée
de son fléau que lorsque le meurtrier de Laïos,
ancien roi de Thèbes, sera reconnu et puni. Petit
hic : celui-ci n’est autre qu’Œdipe.
Question qui en appelle une autre : le théâtre,
l’art en général, n’est-il pas alors une nécessité
Un spectacle où la pensée est source de plaisir absolue dans la Cité ? Un endroit qui rende une
vision du monde plus fine et plus humaine, notre
Plus on avance dans le récit et plus le puzzle se condition plus supportable parce que travestie
met en place : la vérité devient de plus en plus ? Ces hypothèses se succèdent tout au long du
claire et plus elle l’est, plus Œdipe se voile la spectacle à la manière des poupées gigognes et
face. Celui à qui on avait prédit qu’il tuerait son le transforme en une sorte de matériau propice
père et épouserait sa mère, qui a quitté son pays à une en-quête intime. Ça touche et ça remue.
pour échapper à ce destin, se retrouve pris au Ça ne laisse pas indemne. Quelle belle sensation
piège de celui-ci, inextricablement. La nouvelle que de sortir d’un spectacle qui fait crépiter
traduction d’Antoine Caubet est en tout point les sens et le cerveau. Beauté et intelligence
remarquable : le texte nous parvient parfaitement sont résolument synonyme de plaisir ! Merci
et nous fait (re)découvrir l’incroyable richesse Monsieur Caubet !
de cette pièce, sa modernité indéniable, son
Julia Blanchi,
universalité et les questions philosophiques qui
25 novembre 2013
s’en dégage avec en nœud central, une réflexion
sur la vérité, l’identité, la croyance ou la foi qui va
de paire avec le déterminisme.
La mise en scène soutenue par des comédiens
excellents prenant à bras-le-corps l’entièreté
du drame, souligne subtilement, sans jamais
Antoine Caubet fait le pari audacieux d’adapter dont il est l’objet.
Œdipe roi, sur la grande scène du théâtre de Des voix au service de la recherche de la vérité
l’Aquarium à la Cartoucherie. Une réussite qui
Œdipe qui, dans un geste désespéré, se crève
se distingue par sa justesse et sa sobriété.
les yeux, donnant vie à la métaphore filée de
Il y a toujours une espèce de courage à adapter des l’aveuglement. Le comédien Eric Feldman
grands classiques du théâtre. Ils ont tellement excelle à mimer Œdipe dans son geste de folie :
été lus, tellement été joués, ils sont tellement son corps se meut par à-coups, pris de violents
ancrés dans notre inconscient collectif que s’y spasmes, son regard est fou, révolté, perdu,
frotter n’est pas simple. Comment adapter une aveugle, sa voix pleure, il tombe sous le poids du
pièce qui a été interprétée des milliers de fois, malheur. C’est ce même comédien qui incarne
l’oracle, parfait dans cette immobilité d’où naît
des milliers de façons ?
une voix profonde, venant tout droit des ténèbres.
Antoine Caubet, metteur en scène et comédien
qui avait déjà signé une adaptation libre du Roi La voix, dans la mise en scène d’Antoine Caubet,
Lear, livre ici une interprétation réussie de la plus fouille avec acharnement la vérité. Celle d’Œdipe
grande des tragédies grecques, avec Antigone est haletante, fragile. Celle de Créon - interprétée
et Phèdre : Œdipe roi. On connait tous plus ou par Antoine Caubet lui même - résonne par la
moins l’histoire de cet homme à qui tout souriait beauté de ses graves, dégageant une autorité
- roi aimé de Thèbes, mari comblé, père de 4 naturelle désarmante. Celle de Jocaste - la voix
enfants adorables - et qui assiste, impuissant, à du mensonge - est trop appuyée, trop rassurante
sa chute quand la vérité vient s’immiscer dans pour être crue. Et celles des Chœurs, ces deux
femmes qui apparaissent dans les moments clés
sa vie.
de la pièce pour nous dire tous les tourments
Nous, spectateurs, sommes placés dans une d’Œdipe, dans une analyse froide, presque
position de voyeurs d’un malheur inéluctable. sévère, dans une lumière qui se tamise, avec des
Dès le départ, la gravité du coryphée nous micros qui rendent leurs voix entêtantes, leurs
plonge dans une atmosphère faite de tension et susurrements ironiques, leurs rires diaboliques.
de mystère. Cette femme grande, fine, au visage
diaphane et à la robe longue et ample nous conte, L’avalanche de mots - maîtrisés de bout en
yeux dans les yeux, la peste qui s’est abattue sur bout par les comédiens, la netteté du récit Thèbes, à travers une voix lourde, pleine de sens, pas un mot écorché, et la gravité de l’histoire racontée dans les yeux des spectateurs, résonne
comme dictée par la fatalité.
dans le grand théâtre de l’Aquarium. Sur cette
Puis, apparaît un Œdipe malingre dont les scène qui se met en abime avec des gradins
premiers mots sont prononcés en grec, pour en bois où déambulent les personnages, tantôt
se cacher des doutes qui l’assaillent déjà. Et ce lentement, tantôt avec précipitation. C’est ici le
tourbillon ensuite, de mots, d’échanges. Entre lieu de leur tourmente, ces escaliers d’où on
Oedipe et son peuple - nous. Nous qu’il invoque ne ressort pas indemne. La scénographie a la
pour dire ô combien il punira le traître qui a liberté de celui qui a parfaitement compris les
conduit Thèbes à sa perte. Puis cet échange avec profondeurs du texte de Sophocle. Elle est sobre
Créon qui lève le voile sur la raison de ce chaos et complexe, puissante et discrète. Sans rituel.
: le meurtrier de Laïos, l’ancien roi de Thèbes. Sans exagération. Œdipe roi est là, parmi nous.
Et ce vieillard, l’oracle Tirésias, qui accuse
Cécile Strouk
l’aveuglement d’Oedipe alors même qu’il a des
29 novembre 2013
yeux pour voir. L’emportement d’Oedipe, son
impossibilité d’entendre le parricide et l’inceste
Une tragédie au présent
Que savons-nous de la tragédie plus de deux mille ans après ? Pas grand chose qui
soit certain, à part bien sûr le culte lié à Dionysos ; où, lors d’une épreuve organisée
tous les ans, à Athènes, pour les fêtes de ce dieu, s’affrontaient trois poètes tragiques
dans un concours de théâtre. De ces fêtes et de ces concours, reste sept pièces de
Sophocle (496 à 406 av. J.C) dont celle d’Œdipe Roi, à jamais éternelle.
Voici le résumé que nous en fait le metteur en scène Antoine Caubet : « Frappés
par la peste, les habitants de Thèbes appellent à l’aide leur roi tant aimé, lui qui
les a jadis sauvés des griffes de l’horrible Sphinx. Les oracles sont interrogés : la
malédiction divine pèsera sur la ville tant que le meurtrier de l’ancien roi, Laïos,
n’aura pas été découvert ! Alors Œdipe se mue en enquêteur et, avec une soif de
savoir frénétique, convoque publiquement tous les témoins de cette affaire vieille de
vingt ans – alors que lui-même vivait loin d’ici… »
Un chantier tragique
Antoine Caubet dans sa mise en scène, nous convie à vivre cette tragédie au « présent
» de la représentation pour nous mettre à son épreuve. Dès lors que nous entrons
dans « l’agora à jamais perdue », nous sommes dans l’énigme du chef-d’œuvre.
Le chœur nous avertit qu’il ne sait rien ou presque rien de ce qu’était la tragédie,
lors de ces grandes fêtes dionysiaques. Même la scénographie semble nous dire
: je ne sais plus quoi faire de ces planches sur le chariot, où les positionner ? Que
faire de cette estrade ? Tout est arrêté pour nier ce qui serait un mensonge ou une
fausse interprétation. Alors, les comédiens, mettent à leur épreuve le temps, le lieu
et l’action ; jusqu’à se rendre à l’insoutenable vérité. C’est un chantier tragique. Tout
se construit, pas à pas, avec nous spectateurs « Thébains » dans l’écoute théâtrale
la plus proche et la plus directe. Alors revit l’œuvre dans le dénuement du plateau et
la richesse de la rencontre.
Merci au « petit chœur » (Delphine Zucker et Cécile Cholet) qui nous ravit de sa
vérité et de son invention. Merci à Œdipe (Pierre Baux) convainquant dans l’horreur
de se connaître lui-même. Merci à Créon (Antoine Caubet) déjouant le pathos dans
la juste distance. Merci à Tirésias (Éric Felman) messager à l’aura tragique. Merci
à Jocaste (Clotilde Ramondou) à la résonance incarnée. Merci au Berger du feu et
de la scène (Jean Opfermann) au jeu sobre et limpide. Et merci enfin au théâtre de
l’Aquarium d’avoir invité cette précieuse compagnie.
Dashiell Donello
16 novembre 2013
Aujourd’hui encore, Œdipe roi de Sophocle demeure
le paradigme de la tragédie grecque
Œdipe roi est une tragédie intemporelle. Par delà les
vingt-cinq siècles qui nous séparent de Sophocle, on
aime encore écouter cette histoire douloureusement
belle racontant le sombre destin d’un souverain
incestueux et parricide. Même si l’univers des
Dieux grecs est bien loin de nous, même si les
héros épiques ne frôlent plus notre monde, ce récit
continue de nous émouvoir et de nous transcender.
Afin de retourner en 425 avant Jésus-Christ - date
de la seule et unique représentation publique
d’Œdipe roi du vivant de Sophocle – Antoine Caubet
n’a usé d’aucun artifice scénique. Il a axé sa mise en
scène essentiellement sur les vers du grand poète
: nulle trace de toge ou d’un quelconque costume
antique. Nul décor à colonnades ou de pseudotemple dionysien. Seul domine le texte et le chant
que l’on savoure parfois en grec ancien comme une
incantation divine.
L’intrigue est connue de tous : afin d’éradiquer
l’épidémie de peste qui ravage sa ville, Œdipe, roi de
Thèbes doit trouver la cause de cette malédiction.
Avec l’assurance qui lui est propre, il se lance dans
une longue quête qui va, pas à pas, le conduire vers
un seul coupable : lui-même ! Doublement maudit
par les Dieux de l’Olympe, Œdipe a, sans le savoir,
tué son propre père et épousé sa mère! Réfutant
cette évidence à chaque preuve qu’on lui présente,
il finira par se crever les yeux qu’il a trop longtemps
gardés fermés devant la terrible vérité. Sa mèreépouse se donnera la mort et laissera ce roi déchu
errer sur les routes comme l’avait prédit l’oracle.
Avec ce texte de Sophocle, la tragédie grecque
atteint remarquablement son apogée : puissance
insondable des dieux, malédiction du héros,
omniprésence de la mort, catharsis… tous les
éléments sont là pour offrir au public une grêle de
sang et un cataclysme d’émotions fortes. La pièce
ne nous laisse d’ailleurs pas le temps de souffler
car chaque épisode et intermède sont porteurs
d’actions et d’indices que le spectateur recueille en
même temps que l’infortuné Œdipe.
Selon le parti-pris du metteur en scène, la primauté
est donnée au verbe et à l’interprétation. Pour cela,
Antoine Caudet a choisi une troupe dynamique
qui s’est investie pleinement dans sa création :
Pierre Baux incarne un Œdipe à la voix porteuse et
percutante. Malgré un phrasé trop sec en début de
pièce (certainement pour souligner le hiératisme de
sa fonction royale), il évolue magnifiquement vers
un homme torturé par le doute et le malheur qui
l’accablent. A ses côtés, la noble Clotilde Ramondou
nous offre une Jocaste un brin trop réservée : le
tourment d’une mère ayant épousé son propre fils
devrait, effectivement, être plus vif pour sembler
véridique. Parmi les autres comédiens, saluons la
très belle prestation d’Eric Feldman qui interprète,
à tour de rôles, le prêtre, Tirésias et le messager.
Passant aisément du paysan béta au grand devin, il
propose un jeu d’une finesse et d’une sensibilité à
fleur de peau.
Vient enfin le chœur, élément indispensable de toute
tragédie grecque classique. A défaut de voir défiler
sur la scène une longue procession de chanteuses
et danseuses, comme cela devait certainement
être le cas du temps de Sophocle, Antoine Caubet
nous propose un coryphée à deux voix des plus
psychédéliques: faisant face aux spectateurscitoyens que nous sommes, Cécile Cholet et Delphine
Zucker apparaissent à chaque fin de stasimon pour
porter la rumeur ou en appeler à la justice. Evoluant
dans un forum imaginaire, ces deux prophétesses
psalmodient en alternance, l’œil hagard et la voix
énigmatique. Accompagnées de façon incisive par
les coups d’archers d’un violoncelle invisible, elles
geignent, se lamentent, déplorent le sort du pauvre
Œdipe et closent la pièce en affirmant la toute
puissance du destin. Que dire de plus ? A quand la
mise en scène d’Antigone ?
Florence Gopikian Yérémian
17 novembre 2013
Œdipe roi est sans doute une des pièces les
plus connues, notamment grâce à Freud et
à son « complexe d’ Œdipe ». Mais la limite
à cela revient à réduire injustement l’œuvre
de Sophocle. Elle touche aux notions de
justice, sincérité, destin, sacré, respect de
la parole donnée, sens de la vie… On est
même frappé par le parallèle possible entre
Œdipe et Judas : alors qu’un messager
vient lui demander de monter sur le trône
de son père adoptif, ce qui lui permettrait
de quitter Thèbes pour le bien de la ville
et le sien, il préfère – comme l’apôtre – se
faire (in)justice à lui même au lieu de saisir
la rémission qui lui est offerte.
une image, une apparence qui s’en va », «
la vie est une illusion », « arrête de toujours
tout vouloir »…
Peu importe que la pièce, loin de se
jouer en cothurne, soit actualisée. Si on
oublie le surjeu de deux personnages
très mineurs qui ne totalisent à eux deux
que trois minutes de parole et l’absence
de signification évidente des éclairs d’un
poste à soudure, on est là face à une très
bonne pièce, homogène, aux personnages
crédibles jusque dans leurs excès et dont la
progression dramatique est parfaitement
maîtrisée. Mais au juste, Œdipe, n’est ce
pas aussi chacun de nous face à nos secrets
La mise en scène d’Antoine Caubet met en de famille ?
valeur tous ces aspects et rend parfaitement
Pierre François
compte des émotions qui traversent les
26 novembre 2013
différents acteurs du drame. On note
même une progression dans les moyens
mis au service de notre compréhension
d’une œuvre vieille de vingt-quatre siècles
: une introduction explique ce qui reste de
la pièce, ce qu’on sait du rôle du choryphée,
le contexte légendaire. Puis le verbe est
mis en valeur, y compris dans sa langue
originelle. Enfin le jeu intervient, le rythme
s’accélère, le mystère s’épaissit aux
yeux d’ Œdipe tandis qu’il s’éclaircit pour
nous, les questions s’accumulent ainsi
que les réponses lapidaires de l’homme
face au malheur, qu’un Job ou un Qohelet
n’auraient pas reniés : « votre bonheur est
L’actualité du théâtre et de la danse à Paris et en Île-de-France
S’emparer aujourd’hui d’un texte de Sophocle n’est pas
chose facile, celui d’Œdipe Roi encore moins. Antoine
Caubet s’attaque donc à une histoire connue de tous :
frappée par la peste, la ville de Thèbes implore à son
nouveau roi que celui-ci fasse cesser la malédiction
d’Apollon. Œdipe va alors remuer le passé afin de
découvrir le meurtrier de son prédécesseur. Les
protagonistes évoluent dans un décor simple, des gradins
et des panneaux de bois aggloméré attendent sur les
cotés. La scénographie est quelque peu déceptive car
nous imaginons qu’elle va être évolutive, que les acteurs
vont manipuler les planches de bois et construire un
décor au fur à mesure de l’intrigue, mais le spectacle
s’appuie uniquement sur le jeu des interprètes. Pas de
toge ni de procréation poétique, les comédiens jouent
au plus près des mots de l’auteur dans une version
modernisée, au présent. Antoine Caubet ne prend pas
beaucoup de risques, la mise en scène est classique
et le jeu des acteurs, même s’il est parfait, reste très
académique. La dernière partie du spectacle est quant
à elle très intéressante : lorsque la vérité éclate enfin
aux yeux d’Œdipe et des autres, la lumière, qui joue un
rôle important dans cette création, éclate elle aussi.
Tout s’éclaire enfin, mais l’obscurité prend place, après
le suicide de sa mère amante, le jeune roi préfère se
crever les yeux que de voir la vérité en face.
Wilson Le Personnic
13 novembre 2013
MÉCANIQUE TRAGIQUE
Montant ce « classique des classiques », cette œuvre originelle qu’est l’Œdipe
roi de Sophocle, Antoine Caubet joue cartes sur tables. Ces cartes, le dispositif
scénographique signé Isabelle Rousseau nous les donne d’emblée, avant même
que ne débute le spectacle, à moins que le spectacle n’ait déjà commencé dès
les premiers pas des spectateurs dans la salle : des gradins en bois nous font
face, juste derrière ce qui doit être l’aire de jeu. L’une des comédiennes, Delphine
Zucker, qui aura la charge d’interpréter la partition du chœur en compagnie de
Cécile Cholet, vient nous faire un petit discours introductif. Quand commence
le spectacle ? Pour l’heure nous avons une subtile mise en abîme chargée
de nous interpeller, de nous mettre dans le bain, pour le dire plus crûment.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : nous mettre dans la situation qu’avait sans
doute à l’époque du poète l’assemblée de spectateurs. C’est bien l’axe autour
duquel gravite la mise en scène d’Antoine Caubet : réinterroger la place du
spectateur pour une affaire de la cité qui le concerne. On comprend dès lors
les costumes d’un contemporain neutre également signés Delphine Zucker. On
comprend surtout le jeu des comédiens, Pierre Baux en Œdipe si proche, si
« quotidien », avec Clotilde Ramondou (Jocaste) et Antoine Caubet lui-même
dans le rôle de Créon, Eric Feldman interprétant les autres personnages
(le Prêtre, Tirésias, le messager de Corinthe, le messager du Palais), pas
forcément par souci d’économie de production, mais aussi parce que tous ces
personnages appartiennent à la même sphère, loin de celle, tragique, d’Œdipe.
Alors peut commencer ce jeu de reconstitution du puzzle : dans la feuille de salle
distribuée aux spectateurs apparaît en première page un énorme Rubicube.
Une fois toutes les combinaisons essayées, apparaîtra le dessin final, le destin
final. L’agencement et les combinaisons proposés par Antoine Caubet et ses
comédiens est tout à fait probant, d’une intelligence serrée. Ils ne lâchent rien
et nous incluent définitivement dans leur parcours. Nous sommes saisis au
collet, sommé de participer à la démonstration tragique.
Jean-Pierre Han
4 décembre 2013
Le mythe d’Œdipe, meurtrier de son père
avant d’épouser sa mère, est l’un des
thèmes fondateurs de la tragédie grecque, à
l’origine d’innombrables œuvres artistiques
et littéraires. Parmi celles-ci, la tragédie de
Sophocle, Œdipe roi, vieille d’environ 2500
ans, est la seule pièce qui nous soit parvenue
dans son intégralité. Et dans une version
épurée dont Antoine Caubet sait tirer le plus
grand parti : la ville de Thèbes est frappée
par la peste et ses habitants somment leur
roi tant aimé, Œdipe, d’affronter le fléau,
lequel, selon les oracles, durera tant que le
meurtrier de l’ancien roi Laios ne sera pas
découvert. Œdipe, connu pour son talent à
résoudre les énigmes – il a jadis triomphé
du Sphinx – se retrouve alors meneur d’une
enquête dont il est le principal intéressé,
c’est-à-dire le coupable, parricide et
incestueux.
semble rester volontairement en retrait,
renforçant ainsi judicieusement la solitude
du protagoniste. Quant à Eric Feldman qui
interprète plusieurs rôles, nous ne pouvons
que saluer sa fougue et son énergie, surtout
dans le rôle du messager.
Mention spéciale au travail original
mené avec le Chœur qui, tout comme
dans la tragédie grecque, intervient en
alternance avec les comédiens. Ce chœur,
évidemment porte-parole de la Cité et dont
les représentantes sont Cécile Cholet et
Delphine Zucker, met toute son énergie
au service de l’intrigue d’Œdipe. Comme
possédées, tantôt chantant, chuchotant,
mimant et bruitant, elles transmettent aux
spectateurs l’angoisse planant sur Thèbes,
accompagnées par le jeu de lumière, nous
plongeant finalement tous dans l’obscurité
totale. Ombres et lumières, une belle façon
Le spectacle que propose Antoine Caubet de redécouvrir ce texte mythique…
commence en pleine lumière avec une
introduction qui resitue la pièce dans son
Ivanne Galant
contexte et relate son voyage jusqu’à nous,
spectateurs contemporains ; quelques mots
15 novembre 2013
de grec fort agréables à écouter rappellent
aussi que le réalisateur signe également la
traduction de l’œuvre. Puis, Antoine Caubet
s’attache à reconstituer le puzzle en mettant
toujours l’accent sur l’ironie tragique
omniprésente du texte original. Avec une
mise en scène sobre – des estrades de
bois brut –, pas de costumes d’époque, le
metteur en scène a sans doute voulu laisser
la vedette au texte, fermement porté par
l’interprétation des acteurs.
Pierre Baux joue avec brio le chemin vers
la perdition d’Œdipe, au début animé par
un combat noble, pour le bien du peuple,
jusqu’à son auto-mutilation, et la souffrance
la plus totale. Jocaste, Clotilde Ramondou,
Œdipe, un roi non sans complexe
Antoine Caubet a mis en scène Œdipe roi, de
Sophocle (495-406 avant J.-C.). Vingt ans après
avoir tué son père de ses mains, Œdipe, qui
règne sur Thèbes frappé ar la peste, mène
l’enquête pour savoir les causes du malheur qui
assaille ainsi la cité. À la fois juge et coupable,
meurtrier de son géniteur, époux de sa mère
et frère de ses enfants, le souverain maudit
va devoir endurer l’épreuve de l’aveuglante
vérité qui lui saute aux yeux... De cette plus
que parfaite tragédie qui inspira Freud, Antoine
Caubet estime que, se pencher sur elle, «C’est
dire à la fois la distance qui nous en sépare et
dans le même temps cette trace parlante qu’est
le texte». Il convie don les spectateurs «à cette
tragédie «au présent» de la représentation et
non comme un texte littéraire lointain et fermé
sur lui-même».
10 novembre 2013
Antoine Caubet nous invite à partager son amour
de la Grèce Antique et des beaux textes. Pour
cela il monte Œdipe roi écrit par Sophocle vingtcinq siècles auparavant. A travers cette mise en
scène à la forme simple, la volonté du metteur
en scène est d’interroger la distance qui nous
sépare du siècle d’or du théâtre athénien. Nous
sommes devant un spectacle qui n’est ni d’hier,
ni complètement d’aujourd’hui, les oreilles
grandes ouvertes.
Nous entrons dans la salle sous le regard
bienveillant des comédiens installés sur le
plateau. La scénographie utilise des gradins
en chantier pour jouer sur des volumes et des
hauteurs qui morcellent l’espace scénique.
Évidemment ces gradins nous renvoient à notre
propre condition de spectateurs installés en
miroir. Leur disposition en demi-cercle évoque
aussi le théâtre antique, avec un renversement
perturbant qui nous place nous spectateur dans
la droiture du mur de scène antique. Métal et bois
dominent et revendiquent un temps du théâtre
beaucoup plus proche de notre présent mais
non moins important que le théâtre antique: le
théâtre de tréteaux.
Après un petit replacement historique, la tragédie
d’Œdipe Roi commence, et quoi de plus beau que
de l’entamer avec la belle langue du grec ancien,
petit moment magique. Ne vous inquiétez pas,
cela ne dure pas longtemps, et vous pourrez à
nouveau comprendre ce qu’il se passe et se dit
! Pas de toge, pas de costume contemporain
non plus et pas de nudité non plus encore. Les
personnages sont des figures et ne semblent
appartenir à aucun monde géographique ou
temporel. Le tragique n’entraine pas le pathos
dans le jeu des comédiens, chacun suit sa ligne
de conduite. On entend à travers la mise en scène
les mots d’Anouilh.
“Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela
n’a plus qu’à se dérouler tout seul.”
Œdipe creuse la vérité jusqu’au fond de l’horreur.
Il cherche la lumière éblouissante du vrai qui le
perdra lui-même. La lumière du théâtre soutient
la lumière abstraite en arrivant de manière
transversale sur le plateau. Œdipe sombre dans
son excès de désir d’absolu, de vérité. Malgré
le prédictions de Tirésias, lui et Jocaste font
preuve d’hybris en voulant s’élever au dessus
des dieux et au dessus de leur destin. La mise
en scène d’Antoine Caubet ne recherche par
la transcendance, le destin arrive d’en bas,
de l’horizontal. Il prend la forme humaine des
personnages interprétés par Eric Feldam qui
semble secoué des spasmes de la folie. Le destin
prend le sourire ambigüe de l’hystérie. Il est un
porteur de message qui semble fondre sur sa
proie presque par hasard, de manière totalement
arbitraire pour apporter la nouvelle funeste de la
mort, de l’origine, puis du crime et de l’inceste.
Nous pensons à Jack l’éventreur dans le Lulu de
Robert Wilson, au personnage armé dans le R & J
de Jean-Michel Rabeux, à finalement ce qui relève
aussi de la tragédie théâtrale contemporaine: le
malheur qui frappe cruellement au hasard.
La mise en scène joue avec le chœur antique
qui chantait et dansait, non pas pour le recréer
mais pour en donner une interprétation:
polyphonique, faite de voix, de sons, de mots
en canons, divergeant et se superposant à un
accompagnement musical de cordes. Cette
interprétation musicale, bien qu’ayant un goût de
déjà entendu, donne les monologues à entendre
de manière paradoxalement plus claire. La
logique du texte s’efface derrière la musicalité,
la poésie et quelques mots-clés pour donner la
parole au corps du peuple, figure de la sagesse
démocratique.
Le désir de transmettre est peut-être un peu
trop démonstratif ce qui produit quelques petits
agacements et empêche une adhésion totale,
cependant nous sortons heureux d’avoir vu Œdipe
dans cette forme fidèle et épurée. Il nous reste à
la sortie des images fortes comme mémoire de
ce spectacle.
Julie Montpellier
Aujourd’hui, une émission sur une
malédiction divine, une destinée tragique.
Un Mythe, celui d’Œdipe. Si ancien et
ancré dans notre inconscient collectif qu’il
continue à fasciner le monde entier. Œdipe
roi de Sophocle est mis en scène par Antoine
Caubet avec entre autres Pierre Baux et Eric
Feldman. A voir jusqu’au 15 décembre 2013
au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie
de Vincennes. William Marx, lui, publie « Le
tombeau d’Œdipe » aux éditions de Minuit. Il
traite du mythe d’Œdipe et plus globalement
de la tragédie grecque du temps de Sophocle
et de nos jours, selon quatre ingrédients
essentiels : le lieu, l’idée, le corps et le dieu…
Jean-François Cadet
lundi 2 décembre 2013
http://www.rfi.fr/emission/20131202-1-oedipe-roi-antoine-caubet-william-marx
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