Un enjeu
«immense»
pour les
autres projets
GAZ
SUITE DE LA PAGE A 1
Il doit achever sa course à Kitimat, où
une usine de liquéfaction et un terminal
d’exportation maritime (le complexe
LNG Canada) doivent être construits.
Si ce plan de match venait à échouer
après l’étape des évaluations environ-
nementales en raison de la mobilisa-
tion autochtone, il y a peu de chance
qu’un autre projet d’exportation depuis
la côte ouest voie le jour, selon Allan
Fogwill, le président et p.-d.g. du Cana-
dian Energy Research Institute (CERI),
un organisme de recherche inancé par
les gouvernements et l’industrie pétro-
lière et gazière.
«Si l’industrie entrevoit un projet
rentable au Canada, mais qu’elle n’a
aucune certitude de pouvoir aller de
l’avant, c’est très improbable qu’elle in-
vestisse les sommes nécessaires pour
effectuer les consultations, développer
l’ingénierie, passer à travers les proces-
sus d’approbation, obtenir les permis,
avant de inalement voir son investis-
sement réduit à néant», explique-t-il.
Et puis, les entreprises d’exploita-
tion et de transport peuvent bien déci-
der de s’installer ailleurs, soutient
M. Fogwill. D’ailleurs, le complexe
LNG Canada est l’initiative d’un
groupe d’investisseurs très cosmopo-
lite : Shell (40 %), Petronas (25 %), Pe-
troChina (15 %), Mitsubishi Corpora-
tion (15 %) et Korea Gas Corporation
(5%). «Ils peuvent diriger leur inves-
tissement n’importe où dans le
monde», souligne M. Fogwill.
«Si Coastal GasLink est bloqué, ça
crée un enjeu immense, observe,
quant à lui, le sociologue et écono-
miste Éric Pineault, spécialiste de
l’énergie. Le gaz naturel serait enclavé.
Les circuits nord-américains vers le
sud sont déjà saturés. Le gaz inirait
par se rendre quelque part, aux termi-
naux d’exportation du golfe du
Mexique par exemple, mais devrait
être vendu à fort rabais.»
Historiquement, le Canada exporte
le gaz naturel extrait de son sous-sol
vers les États-Unis. Toutefois, depuis
une dizaine d’années, la production de
gaz de schiste a explosé au sud du
49eparallèle. L’abondance de l’offre a
poussé les prix à la baisse, et, depuis
2017, les États-Unis exportent plus de
gaz naturel qu’ils en importent.
Ainsi, les promoteurs désirant inves-
tir au Canada ont besoin de nouveaux
débouchés avant d’accélérer l’exploita-
tion de la riche formation Montney, qui
contient 145 fois la quantité de gaz na-
turel consommée au pays en 2012. À
l’heure actuelle, l’Asie représente le
marché le plus prometteur, selon M. Pi-
neault, qui est professeur à l’Université
du Québec à Montréal. Un terminal sur
la côte ouest tombe donc sous le sens.
«Cependant, même le marché asia-
tique est fragile, croit-il. En Chine, on
ne remplace plus les centrales au char-
bon par des centrales au gaz. […] Le gaz
naturel et les énergies renouvelables
sont kif-kif pour ce qui est du prix. Le
gaz naturel comme énergie de transi-
tion, c’est ini. C’était vrai il y a 10 ans,
mais maintenant la donne a changé.»
En outre, avant de s’enrichir avec le
gaz naturel du Canada, les industriels
doivent procéder à des investisse-
ments majeurs, comme on le voit avec
Coastal GasLink et LNG Canada, éva-
lués à environ 40 milliards de dollars.
Or, M. Pineault estime que si un tel
projet d’exportation devait tomber, il
est possible que les économies
d’échelle permises par un projet d’ex-
ploitation d’envergure s’évaporent. « Si
on bloque la sortie de la ressource, on
peut ralentir la mise en œuvre de l’ex-
ploitation à un niveau situé sous le seuil
de rentabilité», dit-il.
Pour l’instant, la construction du ga-
zoduc de Coastal GasLink suit son
cours. Le dimanche 1er mars, une en-
tente de principe est survenue entre les
chefs héréditaires wet’suwet’en et les
gouvernements d’Ottawa et de Victo-
ria. Elle concerne les droits territoriaux
de ce peuple autochtone, mais ne traite
pas directement du gazoduc litigieux.
Les Wet’suwet’en procèdent actuelle-
ment à l’examen de cette entente, mais
maintiennent leur opposition au pas-
sage du tuyau de 1219 mm de diamètre
sur leur territoire.
Après que la population wet’su-
wet’en se soit prononcé sur l’entente
de principe (au plus tard le 13 mars,
exige le gouvernement Trudeau), il est
possible que l’opposition au gazoduc
se ravive. Or, le premier ministre de la
Colombie-Britannique tient mordicus
à ce que le projet aille de l’avant. «Il y
a des divergences d’opinions au sujet
du projet de Coastal GasLink, mais les
permis sont accordés, c’est approuvé,
le projet est en cours», a-t-il déclaré le
2 mars.
Un rapport publié la semaine der-
nière par le Centre canadien de poli-
tiques alternatives avertit toutefois que
de miser sur le gaz naturel est un mau-
vais choix si la province souhaite dé-
carboniser son économie d’ici 2050.
«En approuvant LNG Canada et
d’autres projets de gaz naturel liquéié,
le gouvernement [de la Colombie-Bri-
tannique] exige de tous les autres sec-
teurs de l’économie qu’ils réduisent
leurs émissions encore davantage ain
que la province atteigne sa cible
d’émission pour 2030 », écrivent les
auteurs Marc Lee et Seth Klein.
Coastal GasLink doit initialement
disposer d’une capacité de transport de
1,7 milliard de pieds cubes de gaz natu-
rel par jour. La combustion d’un tel vo-
lume de gaz naturel entraîne des émis-
sions équivalant à celles de 8 millions
de voitures. À terme, le gazoduc pour-
rait transporter quotidiennement
5 milliards de pieds cubes grâce à des
compresseurs supplémentaires.
Les autorités
californiennes
ont indiqué que
les passagers
du navire de
croisière Grand
Princess seraient
placés en
quarantaine ou
admis dans des
hôpitaux après
leur débar-
quement lundi à
Oakland.Le
bateau transporte
3500 passagers,
dont 237 Ca-
nadiens, qui
seront rapatriés.
NOAH BERGER
ASSOCIATED PRESS
Trump critiqué
pour sa gestion
de l’épidémie
CORONAVIRUS
SUITE DE LA PAGE A 1
Dre Caroline Quach-Thanh, pédiatre et
microbiologiste-infectiologue à l’Hô-
pital Sainte-Justine à Montréal. Elle
s’inquiète toutefois du retour de
voyage des Québécois qui ont proité
de la semaine de relâche pour prendre
le large et visiter d’autres pays, notam-
ment les États-Unis.
La progression de l’épidémie s’est en
effet accélérée ces derniers jours chez
nos voisins du sud. En tout, près de 500
personnes y ont contracté la COVID-
19 et 21 personnes ont perdu la vie,
dont 17 dans une maison de retraite de
l’État de Washington.
Mais, pour le moment, seuls les voya-
geurs en provenance d’Hubei, en
Chine, et de l’Iran sont invités à s’isoler
volontairement à leur retour au Ca-
nada. On demande aux personnes
ayant séjourné ailleurs en Chine conti-
nentale, en Corée du Sud, à Hong-
Kong, en Italie, au Japon ou à Singa-
pour, d’être attentifs à leurs symp-
tômes durant 14 jours et d’éviter les en-
droits publics.
Contactée par Le Devoir, l’Agence de
la santé publique du Canada n’a pas in-
diqué si des mesures plus strictes pour-
raient prochainement être appliquées
aux voyageurs revenant d’un séjour
aux États-Unis.
Trump montré du doigt
Aux États-Unis, 30 États, ainsi que la
capitale fédérale, Washington, sont
désormais touchés. L’État de New
York, la Californie et l’Oregon ont dé-
crété «l’état d’urgence».
Devant l’accélération du nombre de
malades, le président américain, Do-
nald Trump, s’est retrouvé sous le feu
des critiques, accusé d’avoir sous-es-
timé l’épidémie et mal géré la lutte
contre le virus.
Le milliardaire républicain a en effet
minimisé la dangerosité du coronavirus
à plusieurs reprises, assurant qu’il allait
disparaître en avril grâce à la hausse des
températures. Il a encouragé les per-
sonnes infectées à ne pas s’isoler, ce qui
entre en totale contradiction avec les
consignes oficielles de mise en quaran-
taine volontaire des autres pays.
M. Trump a aussi émis des doutes sur les
statistiques de l’OMS concernant le taux
de mortalité du virus.
Et c’est sans compter les ratés dans le
dépistage de la COVID-19. «Les cri-
tères pour faire un test de détection
étaient super restrictifs. Pas moyen
d’en faire à moins de venir de la région
à haut risque », explique la Dre Quach-
Thanh, qui suit de près l’évolution de
l’épidémie. Des contaminations com-
munautaires, c’est-à-dire d’une per-
sonne n’ayant ni voyagé dans les zones
à risques ni été en contact avec un au-
tre malade conirmé, sont ainsi pas-
sées sous le radar des autorités.
Pour le gouverneur démocrate de
l’État de New York, Andrew Cuomo, le
gouvernement Trump s’est retrouvé
«pris au dépourvu» et a «menotté» la
capacité d’action des États, en réservant
notamment au Centre de contrôle des
maladies (CDC) d’Atlanta l’habilitation
à analyser les kits de dépistage au début
de l’épidémie.
Mais Donald Trump se défend:
«Nous avons un plan parfaitement
coordonné et bien préparé à la Maison-
Blanche», a-t-il écrit dimanche sur
Twitter.
Ainsi, plus de 4 millions de kits de-
vraient être disponibles d’ici la in de
semaine prochaine, en prévision d’une
augmentation des personnes infec-
tées. Et l’un des responsables de la cel-
lule antivirus à la Maison-Blanche, An-
thony Fauci, n’a pas exclu d’éven-
tuelles mises sous quarantaine de
grandes zones peuplées ou de villes en-
tières, comme en Italie.
Les autorités californiennes ont égale-
ment indiqué dimanche que les passa-
gers du navire de croisière Grand Prin-
cess, où 21 cas de coronavirus ont été dé-
tectés, seraient placés en quarantaine ou
admis dans des hôpitaux après leur dé-
barquement lundi à Oakland.
Le bateau transporte 3500 passagers,
dont des centaines de touristes étran-
gers qui devront être rapatriés. Parmi
eux, 237 Canadiens prendront l’avion
jusqu’à la base aérienne de Trenton, en
Ontario, où ils seront évalués avant
d’être placés en quarantaine pendant
14 jours. «Les passagers feront l’objet
d’un dépistage des symptômes avant de
monter à bord de l’avion. S’ils présen-
tent des symptômes, ils ne seront pas
autorisés à monter à bord et feront plu-
tôt l’objet d’une évaluation plus appro-
fondie pour déterminer les prochaines
étapes », ont indiqué les autorités cana-
diennes dimanche.
Le même jour, l’Alberta a annoncé son
premier cas de coronavirus, à Edmon-
ton. L’homme dans la quarantaine reve-
nait d’un séjour dans plusieurs États
américains et aurait été contaminé par
un compagnon de voyage sur le bateau
de croisière Grand Princess, croient les
autorités. Ce compagnon est un des cas
conirmés en Colombie-Britannique.
Trois autres cas probables attendent
aussi une conirmation en Alberta.
En Ontario, on compte trois nouveaux
cas positifs, ce qui fait grimper le bilan à
31 malades dans la province. Il s’agit
d’une femme revenue du Colorado.
Dans le monde
Ailleurs dans le monde, le nombre de
cas d’infections augmente rapidement.
On compte désormais 109 000 per-
sonnes contaminées à travers 99 na-
tions. Le nombre de morts s’élève quant
à lui à près de 3800.
L’Italie se classe maintenant
deuxième pays le plus touché après la
Chine. Dans les dernières 24 heures,
133 décès ont été enregistrés, ce qui
porte le bilan à 366 morts et 7375 cas.
Rome a décidé de mettre en quaran-
taine un quart de sa population
jusqu’au 3 avril, principalement au
nord du pays. Plus de 15 millions d’Ita-
liens voient leurs déplacements stricte-
ment limités. Les frontières restent
toutefois ouvertes avec les pays voisins.
Ces derniers ont aussi vu une aug-
mentation du nombre de malades ces
derniers jours. L’Allemagne compte
847 contaminations, soit 10 fois plus
qu’une semaine auparavant. En France,
le bilan est de 16 morts et de 949 ma-
lades. Le ministre de la Santé français a
annoncé dimanche soir que les rassem-
blements de plus de mille personnes
seront dès lors interdits.
En Afrique, un premier décès lié au co-
ronavirus a été annoncé dimanche, en
Égypte. Il s’agit d’un Allemand de
60 ans.
L’Arabie saoudite a annoncé le bou-
clage «temporaire» de la région de
Qatif dans l’est, où ont été enregistrés
11 nouveaux cas de coronavirus.
L’Iran a annoncé 49 nouveaux décès,
soit la plus forte hausse quotidienne de-
puis les premiers cas au pays, portant à
194 le total des morts sur 6566 cas.
En Chine, 27 nouveaux décès et
44 nouveaux cas ont été enregistrés di-
manche, portant le total des morts à
3097 avec au moins 80 695 personnes
contaminées.
En Corée du Sud, le bilan s’élève à
50 morts pour 7313 cas, dont 272 nou-
veaux dimanche, le plus petit nombre
de nouvelles contaminations en plus
d’une semaine.
Et à Moscou, quiconque ne respecterait
pas les mesures de quarantaine risque
désormais jusqu’à cinq ans de prison.
Avec Marie-Eve Cousineau, l’Agence
France-Presse et La Presse canadienne