La baie de Hann, une nurserie en péril : quelle solution pour la redynamisation ?? Introduction La surexploitation des ressources naturelles et la littoralisation croissante des sociétés ouest africaines compromettent gravement le bon équilibre des écosystèmes littoraux. Depuis quelques dizaines d’années, on assiste au recul du trait de côte, à la détérioration des milieux marins côtiers, à la pollution des nappes phréatiques littorales et à de nombreuses autres nuisances. Lutter contre la vulnérabilité croissante des installations humaines n’est plus une option, mais une priorité qui nécessite la mise en œuvre rapide d’actions adaptées à la sauvegarde, voire à la réhabilitation des ressources et des services écosystémiques indispensables à une restauration des activités agricoles, halieutiques, urbaines ou touristiques. Le Sénégal, à l’instar de la grande majorité des pays du sud, connaît de nos jours une forte agression de son littoral. Cette situation est surtout favorisée par l’installation des industries et des populations à proximité des écosystèmes aquatiques sans une réelle prise en compte de la réglementation mise en place (Sadio, 2013). Le rejet de différentes catégories de déchets dans le milieu naturel est une pratique courante des populations. Malgré l’entrée en vigueur du code de l’environnement, d’énormes quantités d’effluents industriels sont rejetés sur le littoral sénégalais. L’illustration la plus parfaite est la baie de Hann. Cette zone balnéaire qui jadis fut l’une des plus admirables baies au monde, remarquable par ses caractéristiques hydrodynamique et la présence d’upwelling s’identifie aujourd’hui par son état de dégradation avancée. Bien qu’il existe un projet de dépollution de cette zone, il urge de prendre des mesures pour la revalorisation du potentiel halieutique de la baie. La question centrale de cet article est : quelles sont les actions à entreprendre pour la résilience de la baie et des ressources ? Présentation de la zone Milieu biophysique La presqu'île du Cap-Vert est d'une importance océanographique et biogéographique insoupçonnée (Seck, 1996). Elle est soumise au climat soudanien et bénéficie de conditions particulièrement adoucies que l'on pourrait qualifier de climat littoral. Les courants portent souvent vers la côte et mettent en évidence le développement de mouvements tourbillonnaires à l'intérieur de la baie, notamment dans sa partie nord-ouest, entraînant des phénomènes de confinement sérieux vers Hann-pêcheurs et l'hydrobase de la pointe de Bel-Air (BRGM, 1994). Figure 1: Alternance des régimes climatiques Les caractéristiques courantologiques et dispersives sont peu propice à une bonne maitrise de la dispersion ; elles confirment l'existence d'un effet d'abri au niveau de la baie de Hann. Le milieu humain Les habitats de type irrégulier sont fréquents, le niveau des équipements sanitaires est très faible avec plus de 80% des maisons qui ne disposent pas d’eau courante et près de 54% qui n’ont pas de WC (Hpr-Ankh, 2015). Les eaux usées domestiques sont en général directement rejetées dans la baie. La position stratégique de la baie de Hann par rapport au port de Dakar ainsi que la richesse biologique du milieu ont encouragé les installations industrielles et la forte concentration humaine notée dans les localités environnantes. Les différentes activités économiques menées dans la zone sont entre autres l’industrie, le commerce, la pêche, l’agriculture, le tourisme et les loisirs. La pêche La pêche est l'une des activités économiques les plus importantes autour de la baie de Hann. Elle génère des emplois directs, du commerce, de la petite et moyenne industrie, de l'artisanat et de la distribution. En 1994 on enregistrait 1200 pêcheurs avec 120 pirogues et la tendance est régulièrement à la hausse (Anonyme). Elle est favorisée par la forte richesse biologique et constitue la principale source de revenus des habitants des quartiers traditionnels de la baie. L’importance de cette activité dans la zone justifie la présence de deux quais de pêche d’une importance capitale basés respectivement à Hann Bel Air et à Thiaroye sur mer. Selon les agents du quai de pêche de Hann Bel Air, ce dernier serait le premier quai de pêche de débarquement de poissons. De nos jours, les activités liées à la pêche sont de moins en moins pratiquées du fait de la forte pollution. En termes de qualité, les produits consommés au niveau local sont de mauvaise qualité. Ils sont contaminés pendant les opérations de débarquements en contact avec le sol ou les eaux côtières. Paradoxalement, ceux destinés aux exportations sont directement acheminés pour éviter tout contact avec le sol ou les eaux de la côte Réparation des industries le long de la baie 40% 23% 15% 8% 5% 3% 3% 3% Figure 2: Concentration des industries dans les différentes localités Etat des lieux des eaux de la baie de Hann La charge de pollution Les effluents industriels génèrent entre 97% et 99% des charges polluantes produites par les entreprises de la zone. Cette charge est estimée à 4265 tonnes de DCO, 1360 tonnes de DBO5, 1065 tonnes de MES, 440 tonnes d’azote et 48 tonnes de phosphates pour un débit annuel estimé à 1362772m3. Qualité des eaux Turbidité La turbidité des eaux de la baie de Hann varie au cours de l’année. Elle est plus élevée dans les stations côtières qu’au large. Figure 3: Variation des teneurs en sels nutritifs au large de la baie de Hann (Bouvy& Le Meur, 2004) Eléments nutritifs Les éléments nutritifs mesurés présentent une variation plus ou moins notable suivant la période de l’année. Cependant, les stations du large présentent des teneurs en nitrates nettement plus élevées entre mars et avril avec une valeur maximale de 15µM/l. Les teneurs en phosphate sont plus faibles et peu variables au large avec des valeurs inférieures à 5µM/l durant toute la période de l’étude. Figure 4: Figure 8 : Variation des teneurs en sels nutritifs au large de la baie de Hann (Bouvy& Le Meur, 2004) Sur la côte, la plus grande concentration en nitrates est observée en début avril avec plus de 15 µm/l. L’ammoniaque et les phosphates présentent les mêmes variations et la valeur maximale (10µM/l) est observée en mars Figure 5 : Variation des teneurs en sels nutritifs sur les stations côtières de la baie de Hann (Bouvy& Le Meur, 2004) Teneurs en germes pathogènes Les concentrations en streptocoques et coliformes restent plus élevées sur les stations côtières. Les teneurs varient de 2500 à 20000ufc/100 ml pour les coliformes et de 1000 à 20000ufc/100 ml pour les streptocoques. Pour les stations du large, les valeurs sont inférieures à 1000ufc/100ml. Les concentrations les plus fortes apparaissent sur les points P3 et P6 pour les coliformes et P1, P2, P3 et P6 pour les streptocoques. Figure 6: Concentration en germes pathogènes En ce qui concerne les bactéries, les teneurs varient entre 70000 et 800000ufc par ml sur les stations côtières et sont inférieures à 70000ufc/ml au large (fig.16). Les valeurs les plus remarquables sont observées sur les points P1, P2, P6 et P7 Figure 7: Concentration en bactéries viables Qualité des peuplements benthiques A l’issue de ces études, 1953 individus ont été identifiés, dont 34 espèces de polychètes et de mollusques, 10 espèces de crustacés, 4 espèces d’échinodermes et 1 espèce de sipunculidés Figure 8 : Proportions des différents embranchements pour chacune des stations Projet de dépollution de la baie de Hann La naissance du projet de dépollution de la baie de Hann est une réponse aux nombreuses préoccupations des acteurs et autres usagers de la baie de Hann. La baisse des captures, la fréquence des maladies, la difficulté d’utilisation de certains filets liés à la présence massive des algues, la rupture des activités touristiques et de loisirs ainsi que les alertes faites à travers certaines études ont rendu plus visibles les menaces sur cet écosystème. Il vise à restaurer le potentiel écologique et les fonctions d’usage de cet écosystème marin à travers l’assainissement de la zone et la mise en place d’un dispositif nécessaire à l’atteinte des objectifs. Il faudrait souligner que cet objectif passe par une amélioration de la qualité des eaux de la baie. Pour s’apercevoir de l’efficacité des mesures prévues par le projet, il est nécessaire de mettre en place un plan de suivi. C’est dans ce sens qu’une étude d’impact environnementale et social (EIES) a été commanditée. Le plan de gestion environnemental et social (PGES) de l’EIES indique que les modalités d’application de la surveillance et du suivi de l’effectivité des mesures prévus par le projet devront être bâties autour d’une approche participative qui implique plusieurs acteurs dont : l’unité de coordination du projet ; les services techniques de l’Etat ; les collectivités territoriales ; les organisations non gouvernementales. Le plan de suivi environnemental identifie en effet l’ensemble des paramètres à prendre en compte pour l’évaluation de l’impact du projet sur le milieu récepteur. Pour le suivi de la qualité du milieu récepteur Il repose à la fois sur le biotope et la biocénose. En ce qui concerne la composante faunistique, le plan de suivi propose un contrôle et un suivi mensuel de la faune. Pour les sédiments L’étude recommande une analyse trimestrielle portant sur la granulométrie, la matière sèche, la teneur en eau, en carbone et en métaux lourds. Pour la ressource en eau Il est prévu un suivi journalier des paramètres physiques (température, Salinité, pH, O2%, Turbidité, MES) et microbiologiques (E. Coli, Streptocoques fécaux). Quant aux paramètres chimiques (azote organique, ammonium, phosphore total) et métaux lourds, un contrôle hebdomadaire est prévu. Pour la composante humaine Le plan recommande un suivi des maladies infectieuses liées à l'eau dans les collectivités locales de la baie de Hann et un contrôle des mesures prises pour une gestion adéquate des déchets (collecte-stockage-évacuation-décharge/traitement) Proposition d’indicateurs de suivi Dans le contexte de la baie de Hann, nous avons un milieu très enrichi présentant un déséquilibre trophique remarquable. En ce sens il serait plus pertinent de se pencher sur des indicateurs qui intègrent dans leur calcul les critères de diversité, d’abondance mais aussi de sensibilité des organismes aux perturbations pour caractériser l’évolution de la baie de Hann avec le projet. Indicateur biologique Le M-AMBI est un Indice marin multi-métrique de la qualité écologique du benthos de substrat meuble. Il est validé et inter-calibré au niveau européen et s’appuie sur les métriques suivantes : - la richesse spécifique (nombre d’espèces) - la diversité spécifique (évaluée par l’indice de Shannon-Weaver) - l’indice AMBI, indiquant l’abondance relative des espèces par classes de polluo-sensibilité. L’indicateur M-AMBI permet l’évaluation de la qualité biologique du milieu conformément au cadre de la DCE (Durasel et al, 2017). C’est un indice qui a été utilisé dans le cadre de l’étude de la qualité de la baie de Hann (Actimar, 2011). Il constitue une version modifiée du coefficient benthique (AMBI). Il classe les milieux selon cinq états suivant leur caractère de polluo-sensibilité (capacité des espèces à supporter des pressions anthropiques) comme indiqué ci-après Conclusion et recommandation Face aux nombreux problèmes d’ordre anthropiques accentué par la configuration et la courantologie de la baie, il est grand temps de trouver une solution définitive et radicale pour reconquérir cet important écosystème qui est considéré par les pécheurs traditionnels comme l'une des nurseries les plus importantes de la sous-région. Une initiative classant la baie et la zone du mole 8 en aire protégée aurait vu le jour vers la fin des années 40, selon les pêcheurs getndariens. En effet, il est temps de mettre à jour cette initiative avec l’exécution du projet de dépollution de la baie. Ceci peut être le socle du plan de suivi prévu dans le PGES pour composante faunistique de l’écosystème. Il est grand temps d’agir !!! Extrait de : Diouf, E.M. (2018) : Synthèse des connaissances scientifiques sur l’état de pollution des eaux de la baie de Hann. MEMOIRE DE FIN D’ETUDES pour l’obtention du DIPLOME DE MASTER EN ECOLOGIE ET GESTION DES ECOSYSTEMES AQUATIQUES. IUPA /UCAD, 41pp. + Annexes