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Assemblée des Jésuites de France – Lourdes 2010
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. A tous les âges,
un corps pour aimer et servir.
---------« A tous les âges, un corps pour aimer et servir » C’est bien ce que nous souhaitons tous
et ce que Saint Ignace demande aux Jésuites dans ses Constitutions ( 6° partie) où il nous
rappelle que nous sommes appelés à glorifier Dieu aussi bien dans notre mort que dans
notre vie. Dans notre mort, mais aussi, et c’est peut-être plus difficile, dans ce
quatrième âge auquel beaucoup d’entre nous sont déjà ou seront bientôt confrontés.
Un corps pour aimer et servir ! Oui, mais c’est sur notre corps que l’âge
imprime sa marque, c’est à travers lui que nous ressentons nos premières diminutions :
souplesse, mobilité, acuité visuelle et auditive. D’années en années, il y a des choses que
nous aimions et que nous ne pouvons plus faire. La vie nous invite à relire et à vivre les
pages admirables que le Père Teilhard de Chardin écrivait dans le « Milieu divin »,
communier en diminuant !
« Mon Dieu…Faites qu’après avoir découvert la joie d’utiliser toute croissance
pour vous faire ou vous laisser grandir en moi, j’accède sans trouble à cette dernière phase
de la communion au cours de laquelle je vous possèderai en diminuant en vous. (…)
« Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit) commencera à marquer
l’usure de l’âge ; quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra en moi, du dedans, le mal qui
amoindrit ou emporte ; à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que
je suis malade ou que je deviens vieux ; à ce moment dernier surtout, où je sentirai que je
m’échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui
m’ont formé ; à toutes ces heures sombres, donner-moi, mon Dieu, de comprendre que
c’est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de
mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en Vous. »
(Le Milieu divin pp.94-95).
Et le Père Teilhard écrivait cela lorsqu’il était dans la force de l’âge, en pleine possession
de toutes ses facultés humaines !
Si le corps est d’abord pour nous le lieu du faire, alors c’est vrai, nous ne pouvons
que ressentir ces diminutions, en souffrir et au mieux nous y résigner. Mais si le corps
c’est aussi et d’abord cette part de nous-même qui entre en relation avec autrui, les
perspectives peuvent changer. Mon corps, c’est moi qui accueille, qui reconnais, qui
tente d’exprimer ma tendresse ou ma compassion. Alors, à quelque âge que ce soit, mon
corps peut ne pas vieillir: un sourire ne vieillit pas, il peut même rajeunir. Mes gestes de
tendresse et de compassion seront différents, ils peuvent prendre une douceur, une
gravité nouvelles.
Le corps du Christ ressuscité ne se plie plus aux nécessités de la vie quotidienne, il
les transcende, mais il reste disponible aux relations, à toutes les relations puisqu’il a été
offert pour tous sur la croix. Il peut alors se rendre présent sans partage à l’amour de
Madeleine, à la détresse des pèlerins d’Emmaüs, à la foi hésitante de Pierre et de
Thomas. C’est à cela qu’il faut nous préparer, édifier déjà en nous l’homme de la
résurrection, le corps spirituel que nous sommes appelés à devenir et qui sera un corps
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relationnel, que nous pouvons préparer même à travers les déchéances de notre corps
de chair.
C’est à une conversion de ce type que l’âge peut nous appeler. Absorbés par des
tâches et des responsabilités importantes, nous avons pu apparaître comme
intouchables, inatteignables. Limités dans notre faire, sachons aujourd’hui nous rendre
disponibles pour être vraiment présents. Présents à nos rencontres, moins nombreuses
peut-être mais fidèles, présents à ceux qui nous aident et qui nous soignent. Une
présence offerte, gratuite comme celle des grands parents ou de vieux prêtres que nous
avons pu connaître qui étaient bienveillants et encourageants, parce que leur vie était
donnée et qu’ils ne demandaient rien. Si nous avons laissé l’âge nous dépouiller de
beaucoup de choses, il nous aura rendu pauvres de cœur et nous pourrons alors offrir
aux autres un cœur disponible, désencombré des soucis mesquins et égoïstes, prêt à
accueillir, écouter, communier aux joies comme aux peines. Cette pauvreté selon
l’Évangile à laquelle nous avons aspiré toute notre vie sans jamais l’atteindre, l’âge et
ses dépouillements successifs nous y conduisent. Sachons le vivre comme une grâce de
grand prix.
Nous nous sommes efforcés d’être actifs dans l’Eglise, engagés dans ses luttes et
ses combats pour le Royaume. Nous ne pouvons plus beaucoup l’accompagner dans ses
projets actuels par nos travaux, nous pouvons du moins le faire par notre prière
silencieuse et fidèle. Et surtout nous pouvons être en elle des témoins de l’espérance.
Nous avons, au cours d’une longue vie, connu bien des crises, nous les avons traversées
et nous sommes encore là, témoins d’une humble et pauvre fidélité. Nous pouvons alors
dans une espérance humble et sereine témoigner que l’Esprit n’abandonne pas son
Eglise. Il nous a soutenus dans les combats d’hier, il accompagne encore l’Eglise
aujourd’hui dans sa fidélité au Christ. C’est un témoignage important face à ceux qui,
le regard fixé sur le seul présent, auraient tendance à enfermer l’Eglise dans la crise
actuelle et ne chercheraient pas à y discerner les appels de l’Esprit ni à y reconnaître les
conversions qui nous sont demandées.
Un corps pour aimer et servir ! Il ne pourra peut-être plus beaucoup servir au
sens où nous l’entendions, mais en acceptant avec humilité et reconnaissance d’être
servi, il peut devenir un appel à la charité. Nous pouvons être ce blessé au bord de la
route qui, par sa seule présence, sollicite l’intervention du Samaritain et donne à celui-ci
l’occasion de servir le Christ, « ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est
à moi que vous l’aurez fait. » Acceptons d’être ce plus petit qui offre à ses frères
l’occasion de rencontrer le Christ. Manière humble et cachée de glorifier Dieu dans
l’impuissance de notre corps. Ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons pas à faire tout
ce qui est en notre pouvoir pour rester en forme le plus longtemps possible et alléger
ainsi le travail de ceux qui auront à nous soigner et à nous accompagner.
Aimer par contre c’est toujours possible, d’un amour pauvre qui sait qu’il n’a
plus rien à offrir. La maladie, les épreuves, la souffrance l’ont dépouillé de tout, il reste
ce cœur pauvre à offrir, comme le Christ en croix, pour que de cette offrande jaillisse
l’Esprit, l’amour dans sa gratuité même. Je pense en écrivant ces lignes aux dernières
années du Père Pedro Arrupe, je l’avais connu lors des mois passés ensemble à
l’occasion de la 31 ° Congrégation Générale qui l’avait élu Préposé général de la
Compagnie de Jésus. Ce corps qui avait été si vivant, si expressif dans la voix, les gestes,
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le chant, réduit à une impuissance de plus en plus grande, mais irradiant par sa seule
présence la joie d’une vie donnée, d’un service accompli par amour.
Un corps pour aimer et servir, c’est aussi le Corps de la Compagnie que nous
formons ensemble. Il a son âge et ses épreuves. En 1964 lors de la 31 ° Congrégation
générale, nous étions encore 36000 jésuites. Depuis nous avons connu bien des crises et
des diminutions, nous ne sommes plus que 18000 et ce corps a vieilli, surtout dans les
pays où il était né. Comme pour chacun de nous, c’est un appel à communier en
diminuant, à voir dans cette épreuve l’occasion d’une renaissance et bien des signes nous
y convient. Avec le Père Arrupe, nous nous sommes renouvelés dans l’esprit de saint
Ignace. La mise en lumière du lien entre promotion de la foi et combat pour la justice a
donné un horizon à notre vie apostolique. Nous sommes aujourd’hui, et c’est notre
espérance, un corps dépouillé des prestiges dans lesquels il se confiait trop, rendu aux
dimensions de cette petite Compagnie que saint Ignace aimait évoquer.
Alors, à tous les âges, dans notre vie personnelle comme dans notre vie
communautaire, un corps pour aimer et servir.
Un corps, une unité diversifiée mais vivante, où les membres se soutiennent les
uns les autres dans leurs faiblesses et communient dans leur joie. A tous les âges de sa
vie, la Compagnie a su donner ce témoignage. Elle a connu, dans les années 1970 par
exemple, des tentations de division, elle en a triomphé dans un retour à l’esprit des
Exercices, comme un corps qui se ressource dans son milieu naturel. Elle l’a fait dans la
confiance que ce qui avait été réalisé dans l’unité ne pouvait porter du fruit que dans
l’unité maintenue et approfondie.
Aimer et servir ! Aimer davantage, être prompt et diligent dans le service, ces
expressions ignatiennes nous sont familières. Elles soulignent la générosité à laquelle les
Exercices et les Constitutions ne cessent de nous appeler, mais ce qui nous marque peutêtre le plus profondément, c’est l’union de ces deux mots : aimer et servir. L’amour
comme fondement du service, le service comme expression d’un amour vrai. Nous avons
pu être tentés de rêver l’amour ou de nous perdre dans le service, mais toujours l’esprit
de saint Ignace nous a rappelé à leur unité, nous invitant à chercher Dieu dans l’action
et à agir pour la gloire plus grande de Dieu. La contemplation des Exercices « Pour
parvenir à l’amour » nous rappelle que la reconnaissance doit être le principe ultime de
notre action et elle nous invite à faire mémoire des dons de Dieu afin que « pleinement
reconnaissants nous puissions en tout aimer et servir sa divine majesté. »
Aimer et servir, ce sont les mots qui nous rassemblent aujourd’hui par delà les
différences d’âge et de situation, sous le patronage de la Vierge Marie et de saint Ignace.
Ils nous unissent en un corps vivant renouvelé par l’Esprit dans l’éternelle jeunesse de
Dieu. L’assemblée que nous allons célébrer ensemble nous donne l’occasion d’en
témoigner et de cela aussi, nous pouvons être reconnaissants.
Michel Rondet, S.J.
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