d'humeurs, mais à des dégradations des articulations. Ces
écoulements sont aussi présents dans les « catarrhes » (grec :
katarrhooi, « écoulements vers le bas »), qui commencent à
passer de mode, mais qu'on trouvait chez les
« cacochymes », vieillards atteints de fluxions sur la poitrine,
puisque le mot est formé du grec kakos, « mauvais », et de
khuma, « chose qui se déverse ». Et les deux principales
humeurs, la bile et le phlegme, se trouvent évidemment dans le
phlegmon (mot où le phlegme doit représenter surtout une
accumulation de pus) et dans le choléra, de sinistre mémoire et
redoutable encore dans certaines régions du monde, mot qui
vient du grec kholê ou kholos, « bile », mais aussi dans la
simple « colère », beaucoup plus courante et en général moins
nocive. Et puisque nous en sommes aux expressions
familières, pourquoi ne pas nous rappeler qu'on peut, suivant
les jours, être de « bonne » ou de « mauvaise humeur »,
« se faire de la bile » ou « tirer sa flemme », mot qui vient
aussi de l'antique et vénérable phlegme, mais par
l'intermédiaire de l'italien flemma, passé au genre féminin à
cause de sa terminaison en -a, alors qu'en grec c'était un mot
neutre ? On retrouve la bile noire dans la mélancolie (en grec
mélankholia, de mélaina kholê, « bile noire ») et cela a donné
naissance à toute une littérature dont nous nous occuperons
dans quelques instants. Mais les principaux amateurs des
antiques humeurs sont bien les Anglais, qui ont trouvé le
moyen d'appeler « humour » le tempérament de tel ou tel
individu, et de préférence de celui qui est doué d'un
« phlegme » imperturbable, ce qui lui permet de regarder le
monde avec une indifférence spirituelle nuancée de mépris,
lorsqu'il n'est pas atteint de « spleen », c'est-à-dire d'une
attaque de la bile noire sur sa rate (en grec : splên, "rate"). Il
n'est pas question d'énumérer ici toutes les expressions du
langage, courant ou savant, qui viennent de la théorie des
humeurs, qu'elles soient empruntées au grec, comme nous
venons de le voir, ou au latin, comme les « fluxions », les
humeurs « peccantes », ou la « pituite », équivalent du
phlegme. Mais pour comprendre à quel point il a été difficile de
se débarrasser de ces notions simples et soi-disant explicatives,
il n'est que d'évoquer l'usage qu'en font encore certains
philosophes, psychologues ou historiens des sciences, comme
Gaston Bachelard dans ses descriptions de l'ancien esprit
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