L’Assommoir – 5
LECTURE ET CORPUS COMPLÉMENTAIRES
Lecture analytique :
« L e grondement matinal de Paris »
u Passage analysé
Extrait du chapitre I (p. 12, l. 38, à p. 13, l. 71, du livre de l’élève) :
« Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s’accouder à la fenêtre, elle reprit son attente
de la nuit, interrogeant les trottoirs, au loin.
L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. C’était une masure de deux
étages, peinte en rouge lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d’une lanterne
aux vitres étoilées, on parvenait à lire entre les deux fenêtres : Hôtel Boncœur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres
jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son
mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers,
devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une
odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant, presque en face
d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction. Lentement, d’un bout à l’autre de
l’horizon, elle suivait le mur de l’octroi, derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d’assassinés ; et elle
fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordure, avec la peur d’y découvrir le corps de
Lantier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette muraille grise et interminable
qui entourait la ville d’une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, pleine déjà du
grondement matinal de Paris. Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le cou tendu,
s’étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de
charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une
foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs
outils sur le dos, leur pain sous le bras ; et la cohue s’engouffrait dans Paris où elle se noyait, continuellement. Lorsque
Gervaise, parmi tout ce monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au risque de tomber ; puis, elle
appuyait plus fortement son mouchoir sur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur. »
u Lecture analytique de l’extrait
Le premier chapitre fait entrer le lecteur directement dans l’histoire, dans un
incipit
« in medias res »
, où Gervaise, le
personnage principal, attend avec angoisse son compagnon Lantier qui a découché, la laissant seule dans une chambre
misérable avec ses deux enfants, Claude et Étienne. Cet extrait fait partie de l’ouverture de
L’Assommoir
et fournit des
informations et des repères nécessaires au lecteur pour comprendre le roman.
Avec l’indication de la construction de l’hôpital Lariboisière, on peut déterminer l’année du début du roman : 1850, un an
avant le coup d’État du prince Napoléon, qui met fin à la IIe République et entraîne la proclamation du Second Empire, période
qui délimitera la série des
Rougon-Macquart
. Zola plante ici un décor précis pour son roman, décrivant par les yeux de
Gervaise le quartier ouvrier de la Goutte-d’Or vu d’en haut.
Selon les règles de l’
incipit
du roman naturaliste, le narrateur s’efface pour donner l’impression que les faits sont livrés en
toute objectivité. Ici, il s’efface au profit du point de vue du personnage principal, Gervaise, qui scrute le quartier par sa
fenêtre. L’attitude de la jeune femme, qui reflète les sentiments qui l’envahissent, donne au lecteur des indications sur sa
personnalité.
Cet
incipit
naturaliste accorde, en outre, une place importante aux éléments symboliques. Car la description zolienne n’est pas
une simple reproduction de la réalité :
« Une œuvre d’art
, écrit-il dans
Mon Salon
(1866),
est un coin de la création vue à
travers un tempérament. »
Zola ne propose pas seulement « une tranche de vie », mais sa narration comporte un vrai travail
d’artiste qui joue avec différents sens, avec les symboles et même avec l’esthétique impressionniste. L’i
ncipit
de
L’Assommoir
,
proposant la confrontation du personnage principal et de l’espace du roman, en annonce les thèmes principaux. Des signes
prémonitoires de l’échec de Gervaise sont déjà présents dans cette première vision sur le quartier. Dans le symbolisme des
lieux apparaît une société où le personnage est déterminé par ses origines et son milieu.
Une description réaliste du cadre de l’action
a D’après les indications qui sont données, précisez les limites du quartier.
z Quels termes soulignent la misère et la saleté du quartier ?
e Relevez les couleurs dans le texte. Quelle signification ont-elles ? Quels autres sens sont aussi sollicités et
comment ?
r Dans quel milieu social se déroule l’action ? Quel champ lexical souligne le nombre d’ouvriers qui rentrent dans
Paris ? Quel effet est ainsi produit ?
Le regard et le portrait de Gervaise
t Quel point de vue narratif (ou focalisation) est à l’œuvre dans cette description ? Justifiez précisément votre
réponse. Quelle est la situation de celle qui regarde ?
y Précisez le temps employé pour décrire les actions de Gervaise et sa valeur.
u Comment est suggérée la souffrance de Gervaise (tenue, attitude, gestes) ? Quel est, selon vous, son sentiment
dominant ?