MatieresAmbiances les formants sensibles de l'expérience 2012

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Mati`eres `a ambiances : les formants sensibles de
l’exp´erience
Gr´egoire Chelkoff
To cite this version:
Gr´egoire Chelkoff. Mati`eres `a ambiances : les formants sensibles de l’exp´erience. Liveneau,
Philippe and Marin, Philippe. Mat´erialit´es contemporaines = Materiality in its contemporary
forms : architecture, perception, fabrication, conception. MC 2012 Symposium, Villefontaine,
novembre 2012, 2012, Isle d Abeau, France. Les Grands Ateliers de l’Isle D’Abeau, Mat´erialit´es
contemporaines = Materiality in its contemporary forms : architecture, perception, fabrication,
conception. MC 2012 Symposium, Villefontaine, novembre 2012, pp.123-131, 2012. <hal-
00993659>
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Matières à ambiances : les formants sensibles de l’expérience.
Grégoire Chelkoff
Architecte, Professeur ENSAG
Directeur du CRESSON,
Directeur adjoint de l’umr CNRS Ambiances architecturales et urbaines
Abstract
Nous proposons dans cet article d’explorer de quelle manière la matérialité est porteuse d’ambiance, en quoi elle
participe à la définition du monde sensible. En envisageant certaines évolutions au cours de l’histoire des
techniques, cette approche invite à montrer comment les facteurs d’ambiances peuvent jouer un rôle dans le
design du monde matériel. Nous nous appuyons sur une investigation d’ordre documentaire et expérimental en
cours sur ces questions dans notre programme de recherche personnel.
Point d’ondes ni de flux qui ne rebondissent sur un solide ou le traversent. La lumière et les
sons s’approprient les surfaces, comme les corps entrent en contact avec elles. On ne peut
donc considérer la matérialité sous le seul angle de sa construction et de la stabilité, de sa
morphologie et de sa structure. De multiples exemples contemporains indiquent que la
matière transformée en matériau est désormais explorée en terme d’agent d’ambiance : les
interactions lumineuses, thermiques, sonores, tactiles, adviennent dans la fabrication et la
pensée contemporaines avec force conjointement aux évolutions technologiques.
En nous interrogeant sur ce qu’il y a de matériel dans l’ambiance architecturale, c’est notre
rapport du corps -sentant et agissant- au monde matériel qui est examiné. On abordera cette
dimension corporelle particulièrement en montrant comment sont mis en tension des jeux de
formants (Chelkoff, 2003) sensibles spécifiques. Ces derniers sont définis comme des modes
caractéristiques d’exploration et d’action dépendant à la fois des modalités sensorielles
impliqués (voir, entendre, toucher, se mouvoir), des dispositifs matériels et des contextes
sociaux d’échange et d’action.
Nous nous appuyons sur les travaux qui ont porté globalement sur la formation et la
perception des ambiances en entreprenant une approche phénoménale et pragmatique des
expériences corporelles et sociales des espaces construits.
Il est nécessaire de rappeler trois considérations de principe essentielles pour définir notre
position théorique concernant les ambiances architecturales et urbaines :
- la plurisensorialité convoque tous les sens simultanément au cours de notre expérience
somatique, en conséquence, la perception ne peut être scindée en une succession d’effets
séparés les uns des autres,
- la sensibilité est éprouvée dans le cours des actions et usages de la vie quotidienne, il faut la
relativiser au contexte temporel et social dans lequel elle se déroule et prend sens. En
conséquence, l’ambiance n’est pas réductible à une composante purement physico-sensible au
sens toute perception en contexte se joue selon les usages et les échanges sociaux qui
instruisent et infléchissent sa constitution,
- l’ambiance est placée sous le signe du temps, le monde réputé stable de la matière est en
effet toujours l'objet de perturbations qui la modifient à des échelles de durées et de rythmes
étendues ou proches-, transformant l'apparence phénoménale, comme aussi parfois son état.
On ne peut manquer à ce propos le caractère temporel et variable qui précisément s'oppose au
caractère permanent du monde matériel construit.
Nous présenterons à présent nos réflexions portant sur les modalités d’expérience sensible du
monde matériel permettant de souligner les relations entre matière et ambiance.
Surfaces, enveloppe et dispositif
Les nouveaux traitements de surface comme le renouvellement de leurs agencements ne
cessent de questionner les « effets » de matière. Ces effets de surface qui ont jalonné toute
l’histoire de l’humanité fabricante s’enrichissent aujourd’hui de procédés toujours plus subtils
reflétant une époque qui semble viser une « dématérialisation » de l’architecture en échappant
au registre de la pesanteur, de l’épaisseur et de la présence pariétale. La vaste question des
relations entre matière et ambiance ressentie n’a donc pas fini de faire couler de l’encre, de
fertiliser l’imagination et de questionner la perception. Pour en venir à notre condition
présente, remontons un peu le temps.
A l’âge de la main et de l’outil, de l’artisan, les opérations de facettage, le polissage et
l’assemblage, conduisent à une esthétique de la trace, de l’objet unique, en ce sens que même
si l’objet se répète il n’est pas exactement le même, des détails distinguent les versions de
chaque objet fabriqué.
L’industrialisation contient les opérations de répétition parfaite, de reproduction, qui font que
l’objet se distingue à l’usage plutôt qu’à l’état initial, c’est l’usure qui marque l’histoire de
l’objet. C’est aussi l’ère des composites et mixages matériels, mettant en cause la croyance
sensible en la matière avec le simili, le simulacre ou avec l’association de différents matériaux
ouvrant des sensorialités variées ou les mettant totalement en question. La singularité de la
matière se décline alors de plus en plus sous un ensemble de multiples matériaux naturels,
artificiels ou composites et mixtes (Bensaude-Vincent,1998) ce qui en complexifie la
perception et l’identification.
L’ère contemporaine semble marquée par la perspective d’une matérialité formante
d’ambiance selon deux tendances au niveau de l’architecture et de l’environnement. L’une qui
s’appuie sur une sorte de dématérialisation désensibilisante et l’autre sur une reconfiguration
morphologique et architectonique, on pourrait dire une rematérialisation sensibilisante.
La première tendance démarre assez tôt, l’architecte André Wogenscky (1972) s’interrogeait
déjà dans les années 70 quant au futur matériel de l’architecture, nous le citons longuement
car cette réflexion montre comment le problème est alors posé dans cette vision d’une crainte
en même temps que d’un espoir : "Il n'est pas impossible que l'architecture se dématérialise
progressivement. Pour organiser la fonction primordiale d'abri et d'enveloppe, l'architecte a
employé jusqu'à nos jours des matériaux solides. Mais le développement des sciences et des
techniques conduira peut être plus rapidement qu'on ne le suppose, à employer des solutions
moins matérielles, notamment certaines formes d'énergie. Il a déjà été expérimenté, paraît-il,
des toitures invisibles qui mettent à l'abri des la pluie sans lui opposer de paroi matérielle
mais un champ de forces. Il n'est pas impossible de penser qu'on pourra un jour se protéger
des intempéries par une sorte d'enveloppe faite, non pas de matière, mais de radiations et qui
remplirait aussi bien, mieux peut être, ses fonctions de protection. Nous ne sommes pas très
éloignés d'une architecture immatérielle qui organisera le milieu physique en créant ou en
modifiant des champs énergétiques. Cette architecture continuera d'agir sur les hommes. Il est
certain que cette action sera modifiée fondamentalement parce que nous ne prendrons plus
perception, donc conscience de l'architecture par la vue et le toucher. Pourtant nous la
percevrons toujours. Elle sera peut être abstraite, invisible, intouchable parce qu'immatérielle.
Elle sera toujours réelle, perçue, reçue dans notre conscience puisqu'agissant sur notre corps.
Reçue dans notre conscience, donc agissant sur notre pensée."
Voici donc une architecture intouchable mais qui agirait sur notre corps.
Cette anticipation n’est pas sans résonnances aujourd’hui. L’apparition de matériaux dits
intelligents se caractériseraient par trois critères : sensibles, adaptatifs et évolutifs (Joël de
Rosnay1. Le mur devient lumineux ou éclairant, la paroi captante de lumière-énergie, elle peut
même émettre des sons ou des signaux… « Ces matériaux possèdent des fonctions qui leur
permettent de se comporter comme des capteurs - détecteurs de signaux ; des actionneurs -
qui peuvent effectuer une action sur leur “ environnement ”, et parfois comme des processeurs
qui peuvent traiter et stocker de l’information. Ils sont donc capables de modifier
spontanément leurs propriétés physiques comme leur forme, leur visco-élasticité ou leur
couleur en réponse à des sollicitations de l’extérieur ou de l’intérieur du matériau. Dans le
domaine de la création de produits industriels ou d’architectures, l’un des enjeux est de
dépasser le stade de la gadgétisation de la matière intelligente pour poser les questions de
fond qui s’imposent et renouveler le vieux dogme qui nous indiquait que la fonction devait
précéder la forme. Cette matière intelligente disparaît dans l’objet sans forme, a priori. Cette
dilution pourrait conduire à penser que tout pourrait être dans tout ; la lumière, le son, peuvent
surgir de n’importe quelle forme ou matière. »2
La seconde tendance, qui n’est pas forcément antinomique, repose sur l’idée que
l’architecture est ambiance dans la mesure elle propose des modalités de perception et
d’action à l’habitant3. Elle n’est pas seulement un filtre ou un émetteur aussi sophistiqué soit-
il. Les dispositifs matériels qui l’agencent nous « mettent en ambiance » en créant des
relations à l’altérité - l’environnement et autrui - en ouvrant des styles d’être dans le monde
par la perception et l’action.
Dans cette reconfiguration de la morphologie matérielle, qui ne serait pas qu’un nouveau
formalisme, l’émergence de la facture numérique dans l’architecture renforce l’ère de la
fragmentation fractale, l’art de la découpe, de l’implémentation, de l’information et de
l’interaction assistée et pourrait ouvrir des horizons d’exploration nouveaux pour la
fabrication de surfaces et de dispositifs ambiants. Faire une ambiance repose alors sur les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 Les matériaux intelligents, Conférence UTLS du 04 Octobre 2000 Université de tous les savoirs (CNAM) http://www.cite-
sciences.fr/derosnay/articles/utls_conf.html. On retrouve ici nos trois critères d’approche des ambiances : plurisensorialité,
contexte d’usage et temporalité énoncés en début de cet article.
2 Daniel Kula, responsable des ateliers Plastique et Maquette de l’Ensci, site web de l’ensci.
Des technologies, parfois bien onéreuses indiquent une tendance à incorporer certaines données d’ambiances pour moduler le
matériau. Ainsi, l’implémentation d’éléments dans la matière formant des sensibilités, n’est pas nouvelle, mais elle se
complexifie avec le couplage à des medias électroniques. Outre les interactions entre les flux lumineux et sonores en tant
qu’agent formant l’apparence sensible et les potentiels d’action offerts, le design tend à vouloir proposer aujourd’hui une
certaine interactivité entre l'utilisateur et les créations. Les créations thermochromatiques sont sensibles à la chaleur. Elles
changent de couleurs et s'habillent de nuances différentes en fonction de la température ambiante ou de la personne qui
les touche. « A une époque où la techno science manipule l’extrêmement petit et gère lénormément complexe, la matière
n’apparaît plus à l’échelle de nos perceptions comme série de matériaux donnés , mais plutôt comme un continuum de
possibilités. » selon Ezio Manzini.
3 L’expérimentation menée en 2003 avec P. Liveneau montre ce type de démarche. (Chelkoff et al., 2003)
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