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CM2 La connaissance du système scolaire français (Version Prof)

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Connaissance du système scolaire français
Introduction : une politique générale pour l'école
Nous sommes les citoyens d'une République démocratique. C'est un fait. Mais cette
République requiert pour se perpétuer une éducation citoyenne. Comme l'indique Marcel Gauchet,
« rien ne garantit que la société démocratique doive automatiquement fabriquer les personnalités
dont la politique démocratique aurait besoin » (M. Gauchet, La démocratie contre elle-même) : la
perpétuation de la démocratie ne va pas de soi, elle suppose une transmission. Ce cours se donne
comme objectif de clarifier quelques éléments de cette transmission en précisant et en interrogeant
1- les grands principes de la République, 2- les objectifs de l'école, et en présentant : 3- le métier de
ces professionnels de l'éducation que sont les enseignants et les CPE, notamment dans leur difficile
collaboration qui s'avère pourtant nécessaire.
Nous commencerons par préciser dans cette introduction que l’école est organiquement liée
à la République et la République à son école. D'un côté, l'idée même de République suppose celle de
liberté citoyenne, tandis que cette liberté, n'étant pas naturelle, suppose instruction et éducation. De
l'autre côté, c'est l'école qui suppose la République puisque cette dernière produit et garantit sa
possibilité et ses conditions – par exemple : la gratuité, l'obligation scolaire, les personnels qu'elle
sélectionne.
Ainsi, a) le statut de l'éducation nationale est-il spécifique puisqu'il s'agit d'une institution
publique et qu'elle peut être considérée comme un bien public. Les grandes orientations de l'école
sont donc décidés par l’État dans l'optique de donner aux principes de la République une certaine
réalité : il s'agit des lois d'orientation (1989, 2005, 2013). b) Cette institution s'ancre dans un idéal
révolutionnaire et républicain.
- Le statut de l'éducation nationale :
il s'agit d'une institution publique ; une institution de la République : elle concerne le peuple
tout entier et appartient à tous. Elle est financée par la collectivité, elle est orientée par les valeurs
que cette collectivité défend et dont elle dépend en tant que collectivité (la liberté, l'égalité et la
fraternité), elle s'appuie sur des principes qui sont liés à ces valeurs (la gratuité, la neutralité, la
laïcité, l’obligation scolaire).
L’État conserve donc en matière d'éducation 2 compétences fondamentales : recrutement et
formation de tous les personnels d'enseignement et d'éducation (sur le mode de concours
nationaux) – l'institution des programmes d'enseignement, des évaluations et des diplômes
nationaux est identique sur tout le territoire et pour tous les élèves (les modalités d'un contrôle
1
continu tel qu'il existe pour les langues vivantes et tel qu'il est mis en place pour d'autres disciplines
à partir de 2021 pouvant faire débat sur une telle question).
- L'école est un bien public : elle appartient à tous, sans appartenir à personne en particulier,
contrairement aux biens privés dont la propriété par l'un exclut la propriété par l'autre. C'est un bien
pour la réalisation duquel tous les membres de la communauté s'engagent consciemment parce
qu'ils pensent qu'en l'occurrence l'éducation de tous est une condition essentielle de l'existence de
leur communauté (il y va d'un choix politique de vie commune). L'éducation est ainsi un bien public
pour deux raisons :
- Parce que l'éducation des enfants est une condition nécessaire de l'existence des sociétés
humaines : sont liés ici de manière évidente éducation et avenir.
- Parce que l'éducation des enfants relève de choix et de projets proprement politiques
d'organisation et d'institution de la société par rapport à des finalités, des principes et des valeurs
choisies : principes de justices, de liberté, d'égalité, de fraternité… l'éducation ayant précisément
comme sens de les faire acquérir aux jeunes générations.
Des lois d’orientation tracent donc pour l'école un horizon organisationnel : ce sont des lois
qui ont pour fonction et pour légitimité de donner une direction – et une signification – à l'action de
l'école dans la République. Il s'agit de former une communauté qui n'est pas seulement organisée par
la satisfaction de besoin ni mue par l'intérêt, mais aussi orientée par des fins d'ordre politique.
L'école est donc non seulement gérée par l’État mais également orientée et engagée par lui vers des
objectifs qui sont repensés et renouvelés régulièrement (1989, 2005, 2013). Ces objectifs sont en
lien avec les valeurs et les fins que la République vise. La loi d'orientation est la loi par laquelle l’État
donne une politique à l'école. La loi exprime la volonté de la communauté de fonder l'école sur des
valeurs et des principes proprement politiques.
- L'idéal révolutionnaire et républicain d'une émancipation de l'homme par l'éducation.
Posons dès à présent ce que c'est qu'un principe, car nous allons avoir besoin de cette notion
à plusieurs reprises dans ce cours : Le principe c'est, dans un raisonnement, ce qui vient en premier,
ce qui ordonne et organise la suite (sans être pour autant visible en lui-même : le principe se pense
tandis que ses conséquences sont constatables). L'étymologie l'indique assez bien qui fait se
rejoindre principe et prince : celui qui commande. Le principe est donc « ce à partir de quoi »
quelque chose prend son sens, s'intègre dans un ordre qui lui donne son sens. On déduit les règles,
les lois des principes, qui eux sont premiers. C'est cette primauté qui confère au principe toute son
importance.
2
Et bien, nous pouvons considérer que l'éducation nationale est un système qui repose sur un
principe : celui de l'éducabilité de l'homme à la liberté, c'est-à-dire de son advenue comme citoyen1.
Et il faut aller plus loin : ce n'est pas seulement l'éducation nationale qui repose sur ce principe, mais
la République elle-même. Ainsi dans l'annexe de la loi de refondation du 8/07/13, on peut lire : « La
refondation de l'école s'appuie sur une conception du citoyen et de la République ». Autrement dit : Il
y a une unité organique entre ces notions : citoyenneté, école et république. Et quelle est cette
conception du citoyen ? Celle d'un citoyen libre, autonome, émancipé : « L'école de la République est
une école de l'exigence et de l'ambition qui doit permettre à chaque élève de trouver et de prendre le
chemin de sa réussite. C'est un lieu d'enseignement laïque, d'émancipation et d’intégration de tous
les enfants. ». Ou encore dans l''annexe du Socle commun de compétence, de connaissance et de
culture : « il [le socle commun] donne aux élèves les moyens de s'engager dans les activités scolaires,
d'agir, d'échanger avec autrui, de conquérir leur autonomie et d'exercer ainsi progressivement leur
liberté et leur statut de citoyen responsable. » ou, plus loin : « Elle [la scolarisation] donne aux élèves
une culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur
permettra de s'épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de réussir la suite de leur
parcours de formation, de s'insérer dans la société où ils vivront et de participer, comme citoyens, à
son évolution » La possibilité de cette participation citoyenne est l'idéal même de l'éducation telle
que nous la concevons.
Et ce principe est attaché à l'idéal révolutionnaire et républicain : L'éducation nationale est
dans son ensemble orientée et fondée par l'idéal républicain d'une société de citoyens libres. Mona
Ozouf écrit, dans le Guide Républicain, pour l'article portant sur l'école et la République : « Les
hommes de la Révolution n'ont inventé ni les salles de classe ni les écoliers, qui existaient bien avant
eux, mais ils ont mis l'école au centre de leur ambition. Pourquoi ? C'est d'abord qu'ils font dépendre
la liberté du peuple de l'instruction, seules capables de former des citoyens éclairés et des hommes
libres. » Dans une république, en effet, le pouvoir trouve en dernière instance sa légitimité dans le
peuple – on dit que le peuple est « souverain » . Cela suppose que le peuple soit constitué de
citoyens libres, émancipé, doué de raison (capable de discerner le vrai du faux et le bien du mal) et
sachant en exercer le pouvoir. Or cette émancipation suppose le travail de l'école qui doit donc avoir
comme objectif celle-ci et qui ne prend son sens qu'à partir de celle-ci. Le projet républicain suppose
donc un principe fondamental (un « ce à partir de quoi »): l'homme (tous les hommes!) peut être
éduqué à la liberté, l'école a comme rôle cette éducation (une éducation pour tous!). On repérera
bien qu'il s'agit là de principe et non pas de fait. Mais c'est un principes qui donne son sens à l'école
républicaine, en même temps qu'à la république qui ne peut se prévaloir d'être républicaine que si
elle part du principe qu'elle est une association de citoyens libres.
1
« Bien que le terme de citoyen soit maintenant utilisé à tout propos, il a un sens précis. Il définit un ensemble de
droits et de devoirs et il caractérise notre régime politique, dans lequel le citoyen est à la source de la légitimité politique. »
Dominique Schnapper, Le Guide Républicain, article « citoyennté » Delagrave 2004.
3
Liée à cet idéal républicain, l'école trouve donc son sens dans la devise même de la
République ainsi que dans un ensemble de principes qui en découlent. C'est cette devise et ces
principes qu'il nous faut commencer par étudier, pour montrer quelles sont les conséquences qui en
résultent pour les personnels de l'éducation nationale.
Première partie : Les fondements républicains de l'école
1) Les fondements politiques de l’institution : les valeurs de la République.
Remarque 1 : il s'agit bien sûr pour le professeur et l'éducateur en général de connaître les valeurs
de la République, de savoir qu'ils sont inscrits dans les textes officiels de la République et de l'école et
être en mesure de les identifier, de s'y référer. Mais, et on pensera ici à la première compétence du
Référentiel de compétence des métiers du professorat et de l'éducation, il faut aussi être en mesure
de savoir les « faire comprendre » (aux élèves comme aux parents) : être capable d'expliquer leur
contenu, leur sens dans le cadre des textes en question, mais également dans le cadre de la politique
générale du système scolaire (ex : que signifie vouloir vivre en République?). C'est seulement à
partir de la clarification possible de ces valeurs que le professeur ou l'éducateur sera en mesure de
comprendre et de faire comprendre son rôle de professeur en tant que fonctionnaire de l’État ( et
non comme agent de tel ou tel gouvernement), en même temps que le sens des valeurs et des fins
de la vie en République et que le sens de l'école et de ses missions.
Remarque 2 : Tout le monde se sent déjà savant quant à ces principes - on les invoque implicitement
lorsque pour justifier ce que l'on fait, on s'exclame : « on est en démocratie ».La démocratie semble
en effet largement intériorisée : qui remet aujourd'hui en cause l'existence de la république
démocratique qui est la notre ? Les militants d'une 6ème république ne souhaitent pas revenir sur le
fonctionnement démocratique mais le rendre plus effectif, et l'on peut d'une façon générale
considérer que le fonctionnement démocratique de la république française est largement passé dans
les mœurs. Au point que l'on parle même d'un « démocratisme » : il est naturellement admis par
tous que rien ne doit venir limiter la liberté pourvu que l'on ne gène pas celle de l'autre. Ce
« démocratisme », version galvaudée de la démocratie, s'est immiscé dans les esprits. Mais lorsqu'on
invoque la démocratie pour justifier un droit issu de la plus simple spontanéité : « je fais ce que je
veux, on est en démocratie! » , c'est dans la plus pure méconnaissance de ce qu'est réellement la
démocratie en France. La démocratie, en effet, ne consiste pas à faire ce que l'on veut pourvu que ça
ne dérange pas les autres. Elle suppose la reconnaissance de principes qui donnent à chacun le
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devoir de les respecter : plutôt qu'un principe à partir duquel on pourrait tout justifier, la démocratie
est bien plutôt un régime politique qui suppose que l'on respecte certains principes pour pouvoir
survivre. En France, ces principes sont ceux de la République. D'où l'importance de pouvoir faire
connaître ces principes, contre l'apparente connaissance que nous pensons en avoir, simplement
parce que le signifiant « démocratie » nous sert de justification ultime. L'école a dans cette tâche une
fonction majeure.
Remarque 2 : Les valeurs de la République sont en même temps des principes : elles fondent et
légitiment l'institution scolaire parce qu'elles garantissent le droit des personnes – ces droits
constituant moins un état de fait que les objectifs (idéaux) d'émancipation, d'égalité et de fraternité
que la République et donc son école entendent viser et réaliser. C'est à partir de ces valeurs que les
lois sont écrites pour servir d'orientation à la République comme à l'école.
a) la liberté
- Des libertés fondamentales et leur garantie
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789) adoptée le 26 août 1789 par
L'Assemblée nationale se veut le fondement d'un nouvel ordre politique reposant sur les Droits de
l'homme. La liberté y est présente dès le premier article : elle est le premier des droits de l'homme ;
elle y est définit comme suit : « Pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » (c'est là l'article 4 de
cette déclaration .) Elle a pour borne le respect des droits des autres individus, et ces bornes « ne
peuvent être déterminées que par la loi ». Elle s'étend à l'expression des opinions.
Viennent s'adjoindre la liberté de la presse par la loi du 29 juillet 1881, toujours en vigueur,
le droit de grève (1884) la liberté d'association (1901), la liberté de culte (la loi de 1905 ne sépare pas
seulement les Églises et l’État, elle proclame que la République « assure la liberté de conscience » et
« garantit le libre exercice des cultes »).
Parmi ces libertés, certaines sont celles de l'individu : droit de propriété, de respect de la vie
privée, de conscience, de religion. Ce sont les libertés civiles. D'autres sont des libertés du citoyens :
droit de vote, de réunion, d'association, d'expression. Ce sont les libertés politiques qui permettent
l'exercice de la citoyenneté. Et, pour finir, les dernières sont les libertés qui concernent le travailleur :
droit au travail, droit de grève, liberté syndicale.
La garantie des libertés est liée au fait que l’État lui-même est soumis au principe de légalité :
la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes qui structure la vie de la société. Il existe
ainsi un Conseil constitutionnel, créé en même temps que la constitution de 1958, qui a pour tâche
de vérifier la conformité des lois à la Constitution.
- liberté et altérité : la liberté n'est pas la licence
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L'une des problématique essentielle de la liberté concerne le rapport à l'autre, qui apparaît
toujours dans un premier temps comme un obstacle à ma liberté : n'y a t-il pas « toujours quelqu'un
pour m'empêcher d'être libre » ? L'enfer n'est-ce pas « les autres » ?
Pour traiter cette question, Michel Delattre (Cf. site Canopé, les valeurs de la République)
invite à faire la distinction entre la licence, l'absence totale de règle, et la liberté : la liberté ne
consiste pas à tout faire indépendamment des autres, comme s'ils n'existaient pas, mais à faire avec
les autres dans la reconnaissance de la liberté mutuelle. La liberté est ainsi une affaire commune, Ce
penseurs prend alors l'exemple de la circulation routière. Pouvoir circuler librement suppose de
prendre en compte précisément les règles de circulation puisqu'elles permettent la dite circulation
de tous les usagers : sans ces règles, la circulation libre serait impossible pour tous. Elle serait sans
cesse empêchée, ralentie inutilement, ou seulement possible pour certains. La liberté n'est donc ni
absence de règle, ni négation d'autrui, mais bien au contraire reconnaissance volontaire de la
nécessité des règles et de l'existence d'autrui comme un être également libre. Où il apparaît que la
liberté et l'égalité semblent se supposer l'une l'autre. La liberté n'existe qu'à la condition de l'égalité.
- liberté, responsabilité et dignité
« Enfin, la liberté a un corollaire : la responsabilité. Chaque fois que je décide seul de mes
choix, j’en suis aussi seul responsable. Individuellement comme collectivement, l’on ne peut exercer sa
liberté sans assumer la responsabilité qui va avec, à l’égard de soi-même et des autres. C’est pourquoi
la liberté, qui donne à la vie sa saveur, lui donne aussi sa dignité. » ( Guy Carcassonne, Extrait du
Guide républicain. Delagrave, 2004. )
La liberté, disposition à choisir qui me consacre comme auteur de mes actes, et qui instaure
ces derniers en tant que tels, est au fondement de ma responsabilité – responsabilité aussi bien
morale que juridique. Mes actes ont une valeur précisément parce qu'ils ne sont pas de simples faits,
mais bien les conséquences d'un engagement de ma volonté ; c'est ce qui distingue la chute de la
pierre et le saut d'Empédocle dans l'Etna, le mouvement de la plume dans le vent et le geste de
charité de Martin. Dans la mesure où mes actes ont une valeur, j'ai donc une dignité : je peux être
considéré comme auteur de mes actes et l'on peut m'en féliciter comme m'en blâmer. D'où il résulte
qu'il me revient de ne pas faire n'importe quoi et que j'ai à apprendre à faire usage de cette liberté
qui m'échoit du fait qu'en moi la volonté peut prétendre à l'autonomie.
En choisissant la liberté comme première valeur principielle, les républicains de 1848 et de
1870 choisissent de mettre la dignité de l'être humain au premier plan. Placée sous l'égide de ce
principe, l'école se voit dotée d'un sens : celui de former l'élève à prendre connaissance de tous ses
droits, pour lui permettre de prendre conscience de toute la puissance de sa liberté et d'assumer la
responsabilité qui en découle.
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b) l'égalité
- égalité, identité, inégalité et différence.
La première précaution à prendre consiste à ne pas confondre égalité et identité : poser
l'égalité entre deux entités, ce n'est pas les reconnaître comme identiques, mais comme de valeur ou
de dignité similaire. Le principe de l'égalité ne nie pas l'existence des différences : il existe des grands,
des petits, des gros, des maigres, des blonds et des bruns... Et cela ne changera jamais et n'a pas à
changer. Par contre, ces différences n'impliquent nullement une inégalité – de droits, de traitement,
de reconnaissance. Au contraire : il s'agit de poser que la différence n'est pas par elle-même l'indice
d'une variété des droits. Poser l'égalité en principe, c'est affirmer que par-delà les différences,
chacun a droit à l'égale reconnaissance de ses droits. Affirmer l'égalité c'est donc déjà affirmer cet
autre principe qu'est le refus des discriminations.
- L'égalité devant la loi et l'égalité sociale
Lorsque le 4 août 1789 l'Assemblée vote l'abolition des droits féodaux et de tous les
privilèges, elle ouvre la voie à ce qui deviendra le premier article de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen proclamée le 26 août : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ». L'égalité est un principe républicain, même s'il ne devient que progressivement une réalité :
le suffrage universel masculin date de 1848 alors que le droit de vote n'est reconnu aux femmes par
le Comité français de libération nationale que le 21 avril 1944.
L'égalité devant la loi ne concerne pas que le droit de vote, mais aussi le domaine du travail :
la loi intervient dans les relations entre employeurs et salariés – le débat contemporain concernant le
code du travail a précisément trait à cette question : s'agit-il de déréguler en cette matière ou bien
de maintenir un ensemble de règle qui garantissent l'égalité de traitement ?
Les processus de redistribution des richesses (l'impôt), la défense des plus démunis (droit de
grève, libertés syndicales, droit à l'instruction et à la formation professionnelle) participe d'une plus
grande égalité. L'inscription de droits sociaux dans la Déclaration universelle des droits de l'homme
adoptée à l'ONU le 10 décembre 1948 renforce encore ces derniers : ce sont les articles 24 à 28 de la
déclaration. Ainsi, par exemple, l'article 24 : « Toute personne a droit au repos et aux loisirs et à une
limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques. »
- égalité et équité : le mérite et la redistribution.
On évoque un égalitarisme républicain. Il se conjugue avec une forme d’élitisme lui-même
républicain. Pour que l’élitisme soit républicain, il faut qu’il remplisse deux conditions :
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1.Qu’il trouve sa justification dans une forme de mérite, comme lorsque Condorcet déclare à
propos de l’instruction publique que c’est un devoir de justice de « donner à tous également
l'instruction qu'il est possible d'étendre sur tous, mais ne refuser à aucune portion des citoyens
l'instruction plus élevée, qu'il est impossible de faire partager à la masse entière des individus »
(Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique, présenté à
l'Assemblée Nationale, les 20 et 21 avril 1792.)
2.Que l’existence d’élites soit justifiée par le fait que, loin de fonder des privilèges d’un nouveau
type, elle serve l’intérêt général. Condorcet ajoute à ce propos : « Établir l'une [instruction] parce
qu'elle est utile à ceux qui la reçoivent ; et l'autre parce qu'elle l'est à ceux même qui ne la
reçoivent pas. » Cela n’interdit évidemment pas d’étendre le plus possible cette instruction qu’il
est possible de faire partager à tous en luttant contre ce qui en borne l’extension – l’histoire de la
scolarisation durant les deux derniers siècles confirme cette possibilité à peu près partout dans le
monde. L’égalité qu’on recherche ici est alors une égalité des chances. Cela se traduit par des
dispositions tendant à corriger des inégalités de départ. Dans l’Éducation nationale, sont ainsi
préconisées des politiques et des pédagogies adaptées aux difficultés concrètes des publics
concernés ; le système de bourses ; les politiques de démocratisation de l’accès aux filières les
plus sélectives constituent d'autres dispositions pour favoriser cette égalité des chances)
L’existence d’inégalités de fait n’est donc pas forcément contraire aux principes de la
République, dès lors que les inégalités ne conduisent pas à produire une nouvelle forme de
despotisme au profit d’une minorité dominante. On peut dans ces conditions admettre des
hiérarchies légitimes, des situations sociales distinctes, sans que cela menace nécessairement
l’égalité républicaine. Il serait même dans certaines conditions question d'équité : qu'il revienne à
chacun selon son mérite, selon son besoin, selon son du. Cela conduit évidemment à tracer une
limite à l’amplitude des inégalités admissibles et l’on sait que c’est là l’objet d’un débat jamais
tranché d’avance. Certaines inégalités préservent une part de liberté : la « passion de l’égalité » que
dénonce Tocqueville2 lorsqu’elle prend une forme excessive, outre qu’elle peut avoir des effets
stérilisants nuisibles à l’ensemble de la société, peut se révéler liberticide (De la démocratie en
Amérique, T.2, partie 2, ch.1. ). Autant dire que nous rencontrons là une nouvelle difficulté : celle de
2
- Alexis de Tocqueville (1805-1859), philosophe lecteur de Rousseau et précurseur de la sociologie, il réalise une
analyse de la démocratie américaine qui présente un tableau des caractéristiques de la démocratie en générale et des
risques qui lui sont inhérents. Ce ui caractérise la démocratie c'est légalité des conditions. Mais au nom de l'égalité, n'en
vient-on pas à briser la liberté, voire à renoncer à celle-ci ? L'égalité, passion démocratique, n'est pas sans danger – et peut
conduire à une nouvelle forme de régime totalement liberticide, un despotisme d'une nouvelle sorte.« Il y a en effet une
passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever
les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les
faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité
dans la liberté. » De la démocratie en Amérique, T. I, première partie, chap. III
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la combinaison de l'égalité et de la liberté. Ces deux valeurs se supposent-elles l'une l'autre comme
nous le disions plus haut (dans la mesure où ma liberté n'a de sens que relativement à la
reconnaissance de la liberté d'autrui) ? Ne sont-elles pas au contraire totalement antinomiques ? N'y
a-t-il pas toujours moins de liberté avec le développement de l'égalité ? Et le progrès de la liberté ne
menace-t-il pas toujours l'égalité ?
- liberté et égalité : deux valeurs inconciliables ou complémentaires ?
- l'école et la problématique de l'égalité
D'abord l'école doit respecter cette valeur. Le professeur doit savoir pourquoi il aide
prioritairement les élèves en difficulté : au nom de l'équité, il pourra considérer que si tous les élèves
ont droit d'être également aidés, les moins bons comme les meilleurs, certains peuvent en avoir
davantage besoin. L'égalité de traitement, pour être applicable, doit aussi composer avec l'équité.
Ensuite l'école a aussi pour devoir et pour sens d'éduquer les élèves dont elle a la
responsabilité au respect du principe de l'égalité, au refus de toute discrimination, au respect de
l'égalité homme-femme – même si dans la société civile, ces principes peuvent se trouver baffoués.
Pour finir, l'école prend ainsi part à l'effort de la communauté pour réaliser une vie commune
plus juste, c'est à dire plus égalitaire et plus équitable. Ce point est par exemple rappelé dans le Code
de l'éducation (art. L111-1) : « Il [le système public de l'éducation] contribue à l'égalité des chaces. »
Contribuer et non seulement respecter ou être conforme à : c'est-à-dire faire en sorte que par
l'école, le principe de l'égalité en général et celui de l'égalité des chances en particulier soit mieux
réalisé dans la société civile. Comment ? En faisant par exemple en sorte que les élèves réussissent
mieux, indépendamment de leurs origines sociales et culturelles, que les élèves issus des classes
populaires aient autant de chances que les autres d'y réussir et de poursuivre des études supérieures
pour parvenir à des positions sociales supérieures à celles de leurs parents.
c) la fraternité (la solidarité et l'esprit de justice)
La fraternité, c'est d'abord le sentiment du lien qui devrait unir tous les membres de la
famille humaine. Ce sentiment se rattache à un idéal commun - en l'occurrence la liberté et l'égalité
comme principes à partir desquels s'organise la communauté républicaine. Cette fraternité se
manifeste dans un pacte implicite qui unit entre eux les membres de la République. La manifestation
sensible de ce pacte réside dans certains événements : la fête de la Fédération en fait partie. Un an
après la prise de la Bastille, une grande fête se tient au Champs de Mars, à Paris. L’initiative est venue
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de tout le paysh. Ces rassemblements culminent à Paris. La Fayette pour les gardes nationaux et
Louis XVI prêtent serment. Malgré la présence du roi, c’est bien une nouvelle conception de la nation
qui s’affirme : le rassemblement volontaire des citoyens, qui est à l’origine du pacte républicain. Ce
rassemblement volontaire se fait sous l'égide d'un idéal proprement républicain qui se formalise
dans le serment que le roi lui-même prête. La fête nationale est ainsi une manifestation de cette
fraternité, l'affirmation d'une communauté de destin.
Mais la fraternité, ce n'est pas seulement ce qui résulte du sentiment d'appartenance à une
unité, c'est aussi l'élan de solidarité qui relie les différents membres de cette communauté entre eux.
La solidarité sociale est ainsi un autre nom de la fraternité. Cette solidarité sociale se manifeste par
exemple par l'impôt (et la mise en place de l'impôt sur le revenu au début du XX° siècle) comme
moyen de la redistribution des richesses, mais aussi par ce que l'on peut appeler la mise en place de
l’État providence : la loi sur les congés payés (1936), les grandes réformes de la libération (la
couverture des principaux risques sociaux : la maladie, la maternité, l'invalidité, la vieillesse,
l'accident du travail, la maladie professionnelle, le décès, le chômage), le RMI (1988) puis le RSA
(2009) pour lutter contre l'exclusion et favoriser les possibilités d'un retour à l'emploi.
L'école contribue à ce sentiment de fraternité par la transmission de connaissances
objectives : ce faisant, elle permet à chacun de s'inscrire dans une communauté de connaissances et
de valeurs et de s'arracher du domaine des préjugés toujours particuliers, du monde privé des
représentations subjectives. En délivrant des connaissances, l'école produit le Monde commun dans
lequel peut s'exercer la solidarité par delà les différences sociales, idéologiques ou culturelles.
Conclusion : trois valeurs irréductibles, une devise qui fait principe.
C'est l'association de ces trois valeurs (auxquelles il faut adjoindre encore l'esprit de justice,
le refus des discriminations et la laïcité) qui fait la force et la pertinence de la devise républicaine : la
liberté sans l'égalité et la fraternité, l'égalité sans la liberté et la fraternité, ou la fraternité sans la
liberté et l'égalité ne constitue pas une république. La liberté sans l'égalité, c'est la domination des
uns sur les autres. L'égalité sans la liberté, c'est la tyrannie des plus faibles ou un univers
concentrationnaire. La fraternité sans la liberté et l'égalité, c'est le règne du groupe tribal au
détriment de l'individu. Ainsi, non seulement ces trois valeurs doivent fonctionner ensemble, mais
elles ne peuvent être mise en œuvre sans les deux autres qui viennent limiter et donner sa
pertinence à la première. Pour assurer l'état de liberté, il est nécessaire que les individus s'engagent
à obéir aux mêmes lois qui leur garantissent à tous les mêmes droits (égalité), dans une communauté
qui prennent en comptes les besoins et les intérêts inégaux de tous pour les rééquilibrer (fraternité) ;
pour que l'état d'égalité soit viable et enviable, il faut que tous consentent à obéir aux mêmes lois de
sorte que nul ne puisse contraindre les autres (liberté) dans une communauté qui solidairement
garantisse les conditions d'une vie sociale et économique digne (fraternité) ; pour que l'état de
fraternité soit un idéal, il faut que tous les membres de cette fraternité soient libres de faire valoir
leurs mérites (liberté) et que tous soient égaux devant la lois (égalité).
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A partir de cette devise qui peut leur servir de socle, les principes de l'éducation émergent
qui font de l'école, l'école de la République. Nous allons voir que la liberté d'enseigner, la gratuité, la
neutralité, la laïcité et l'obligation viennent asseoir l'école républicaine pour lui permettre d'être
toujours plus républicaine.
2) Les principes de l’éducation :
liberté d'enseignement, gratuité, neutralité, laïcité et obligation.
a) l'enseignement est libre
La question de la liberté de l'enseignement est au confluent de deux exigences : l'obligation
de l'instruction d'une part et la liberté d'expression d'autre part. La solution qui a été trouvée pour
concilier ces deux exigences réside dans l'obligation, pour enseigner, de faire les preuves de sa
capacité à enseigner.
Tout Français est ainsi libre d'enseigner, mais tout Français est tenu de prouver, devant les
mêmes juges et de la même manière, qu'il est capable d'enseigner ; tout Français est libre
d'enseigner, mais il n'est pas libre de réclamer pour son enseignement le privilège d'être clandestin,
d'échapper à tous les regards, de produire tels résultats que bon lui semble, et de se refuser à les
laisser constater dans les formes que fixe la loi elle-même ; tout Français est libre d'enseigner, mais à
la condition de ne pas s'être volontairement placé dans une condition qui le frappe d'incapacité
légale. Tel est l'état de choses qu'a établi le législateur français ; il semble répondre à une double
nécessité : nécessité sociale de l'instruction avec des garanties assez sérieuses pour que l'instruction
ne soit pas ou un vain mot ou le rebours même de l'instruction, et nécessité, d'autre part, dans un
pays libre, d'assurer à tous un droit égal a l'enseignement, au nom de la liberté d'expression.
Historiquement, la liberté de l'enseignement a d'abord été liée à l'intention des républicains
de libérer l'enseignement de l'emprise ecclésiastique dans lequel « la raison était insultée avec les
formes de raisonnement »(Jean-Claude François Daunou – 1761-1840) : le but des hommes de la
révolution fut donc d'émanciper la science, de garantir les droits de la libre recherche et de
soustraire la jeunesse à l'éducation que lui donnait l’Église pour assurer à l'universalité des citoyens
l'accès à des connaissances indispensables à l'homme.
C'est encore pour délivrer l'enseignement de l'autorité royale que Condorcet réclame un
enseignement indépendant : « L'indépendance de l'instruction fait en quelque sorte partie des droits
de l'espèce humaine. Puisque l'homme a reçu de la nature une perfectibilité dont les bornes inconnues
s étendent, si même elles existent, bien au delà de ce que nous pouvons concevoir encore, puisque la
connaissance de vérités nouvelles est pour lui le seul moyen de développer cette heureuse faculté,
source de son bonheur et de sa gloire, quelle puissance pourrait avoir le droit de lui dire : Voilà ce qu'il
faut que vous sachiez, voilà le terme où vous devez vous arrêter? » (Condorcet, Rapport et projet de
11
décret relatifs à l'organisation générale de l'instruction publique, Présentation à l'Assemblée
législative : 20 et 21 avril 1792)
La liberté de l'enseignement s'impose comme principe jusqu'à s'inscrire dans la constitution
de 1848 : « L'enseignement est libre. La liberté d’enseignement s'exerce selon les conditions de
capacité et de moralité déterminées par les lois, et sous la surveillance de l’État. Cette surveillance
s'étend à tous les établissements d'éducation et d'enseignement sans aucune exception. »
Mais aujourd'hui, la liberté de l'enseignement signifie surtout que les parents peuvent choisir
librement le mode d'enseignement pour leur enfant, dans le système public ou dans le système
privé ; ils peuvent exiger le respect de leurs convictions ou croyances religieuses et philosophiques
dans cet enseignement (Code de l'éducation, art L-111-2). Depuis la loi Debré du 12 décembre 1959,
l’État contrôle l'enseignement dispensé dans les établissements privés qui sont en contrat avec lui :
contrôle pédagogique (respect des programmes et horaires, liberté de conscience des élèves,
contrôle des compétences des enseignants) et financier. Ainsi ce établissements sont soumis aux
mêmes lois concernant le refus de toute discrimination et le respect de toutes les convictions et
croyances.
Dans le privé, un enseignement religieux est proposé et les personnels ne sont pas tenus
d'être laïques, les programmes sont imposés de manière plus souple et les pratiques pédagogiques
sont libres. Dans le cas de l'enseignement catholique, une orientation religieuse est clairement
affirmée : « L'école catholique est au service de tous en s'inscrivant résolument dans le projet de Dieu
qui, depuis la création du monde, appelle l'humanité entière à l'amour dans la liberté et la vérité, dont
la beauté est le sceau. L’Église poursuit l'œuvre du seigneur par l'annonce de la bonne nouvelle qui est
Jésus-Christ lui-même. C'est dans cette Église que s'inscrit et s comprend l’École catholique : la
préoccupation éducative qu'elle porte, et avec elle le souci de la proposition et de l'annonce de la foi,
est celle de l'ensemble de la communauté ecclésiale, dans laquelle elle trouve force et soutien. » (art.
40 et 41 du Statut de l'enseignement catholique, 2013)
b) l'instruction est gratuite
Comment, en effet, garantir le droit à l'instruction sans en même temps la rendre gratuite ?
L'instruction a longtemps été payante : l'instituteur ne subsistait que grâce à une
« rétribution scolaire » apportée par les familles, en nature ou en espèce. Il a fallu attendre la loi du
16 juin 1881, donc la troisième République, pour que l'enseignement primaire devienne gratuit et
que soit supprimée cette rétribution : « Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles
primaires publiques, ni dans les salles d'asile [=école maternelle] publique. ». Les deux autres piliers,
l'obligation scolaire et la laïcité seront fondés un an plus tard, le 28 mars 1882. ces trois piliers
érigeront l'école en service public, bien que la notion n'apparaisse textuellement qu'au début du XX°
siècle. La suppression de la rétribution entraîne de fait le paiement des instituteurs par l’État (loi du
12
19 juillet 1889). Cette gratuité est entérinée avec le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
(alinéa 13) : « l’organisation d'un service public gratuit est un devoir de l’État »
C'est au début des années 30 que la gratuité s'étend aux lycées, elle gagne ensuite les classe
préparatoires aux grandes écoles et l'enseignement supérieur (ordonnance du 8juillet 1945). Cette
gratuité figure désormais aux articles L132-1 et L132-2 du Code de l’éducation3.
La gratuité de l'enseignement participe de la démocratisation de l'enseignement : c'est un
facteurs d'accès des enfants et des jeunes à 'éducation, un élément propre à assurer l'égalité des
chances, une composante essentielle du « droit à l'éducation ». C'est donc un moteur de progrès, un
enjeu social et politique (Cf. Le rapport sur la gratuité de l'enseignement, passé présent et avenir, par
Bernard Toulemonde, Inspecteur général, MEN 2002)
L'une des conséquences de ce principe réside dans la question de savoir qui va assumer le
coût de l'éducation : qui va payer ?
La France a consacré 147,8 milliards d’euros à son système éducatif en 2015, soit 6,8 % du
PIB. La dépense moyenne pour un élève ou un étudiant est de 8 440 euros. Elle augmente avec le
niveau d’enseignement, allant de 6 190 euros pour un écolier à 11 680 euros pour un étudiant. L’État
est le premier financeur de l’éducation (57 %), devant les collectivités territoriales (24 %). Les
ménages supportent donc presque 10 % de la dépense, même si cette part tend à décroître. Cette
dernière montre que la gratuité demeure un objectifs politiques davantage qu'une réalité effective :
un devoir de l’État, précise la constitution de 1946, davantage qu'un droit des citoyens.
Encore reste-t-il à préciser ce qu'il faut entendre par gratuité : jusqu'où s'étend cette
gratuité ? S'il s'agissait d'abord de mettre un terme à la « rétribution scolaire », il a ensuite été
question de prendre en charge le coût des manuels scolaires, des matériels pédagogiques en général
– même s'il s'agit bien de distinguer le matériel collectif et le matériel individuel On passe
progressivement à une conception plus large de la gratuité à partir de laquelle apparaissent alors des
zones d'ombres concernant cette gratuité, comme le révèle le rapport de Bernard Toulemonde :
voyages scolaires, cahiers d'exercices spécifiques, transport scolaire, stages en entreprise sont
parfois « sources de dissensions » qu'il convient d'éclaircir progressivement « à la lumière de la
déontologie du service public ».
c) la neutralité
3
- article L132-1 : « L’enseignement public dispensé dans les écoles maternelles et les classes enfantines et
pendant la période d’obligation scolaire définie à l’article L131-1 [de 6 à 16 ans] est gratuit »
- article L132-2 : « L’enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent
l’enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement
supérieur des établissements d’enseignement public du second degré ».
13
C'est parce que la loi doit être « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle
punisse » (article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) que le service public doit
être assuré avec neutralité : les opinions politiques, religieuses ou philosophiques des fonctionnaires
ou des usagers ne doivent pas être prises en considération. Autrement dit, les agents ou les autorités
administratives ne doivent agir qu'en vertu de l'intérêt général, sans tenir compte de leurs opinions
ou de leurs intérêts particuliers.
Un principe dont il faut reconnaître qu'il est fort complexe : s'il s'agit de renoncer à ses
convictions, à quoi sert alors la liberté d'opinion laissée par ailleurs aux fonctionnaires ? Ou même,
tout simplement, à quoi sert-il d'enseigner à la pratique du jugement réfléchi et à l’exercice de la
pensée autonome si c'est pour renoncer à le faire soi-même ? Faut-il réduire la neutralité à un
laisser-faire indifférent ? « Le bon sens ne permet pas de concevoir une école qui, par définition, se
proposerait la neutralité absolue, c'est-à-dire s'interdirait de parler. Car le langage le plus familier,
celui que l'enfant doit apprendre pour comprendre tout le monde et en être compris, emploie
constamment et couramment des mots qui supposent, si on les presse, certaines notions
philosophiques et sociologiques. Dans le premier rapport qui ait été fait au Conseil supérieur sur le
nouvel enseignement de la morale, M. Paul Janet réfutait déjà par l'absurde la prétention qu'il osait à
peine prévoir : celle qui « de progrès en progrès et sous prétexte de neutralité, en viendrait à interdire
d'enseigner le devoir, la famille, la propriété, la patrie ». Au point de vue proprement politique, Jules
Ferry disait non moins catégoriquement, en parlant d'une école, d'un maître, d'un livre qui
prétendrait « diffamer la Révolution française ou dénigrer la République » : « Jamais nous ne nous
sommes engagés à les tolérer ». » (Source : ifé, article « Neutralité scolaire »)
En conséquence, une bonne interprétation de ce principe de neutralité ne peut réduire celuici à une forme de conformisme mou et éteint. Il faut plutôt l'interpréter comme le principe selon
lequel il s'agit, pour le personnel et dans la considération de ceux qu’il prend en charge, de ne faire
aucune distinction de traitement selon les opinions, la race ou le sexe. Il s'agit de ne favoriser aucune
confession religieuse, ni aucune opinion philosophique ou politique dans les établissements publics.
Ce même principe signifie dans le même temps pour l’autorité scolaire qu’elle n’a pas à s’enquérir de
la religion du postulant ou des pratiques cultuelles du titulaire puisque ce ne sont pas celles-ci qui
doivent guider ce dernier dans l’exercice de son métier. On peut encore ajouter une dimension : la
neutralité de l’enseignement. Pour l’État, l’enseignement est neutre s’il s’abstient de toute incursion
dans le domaine des croyances religieuses, s’il se garde de plaider pour ou contre aucune d’elles, s’il
évite toute allure de propagande agressive ou de prosélytisme soit confessionnel, soit
anticonfessionnel. Il doit ainsi affirmer les vérité scientifiques sans se mettre en peine de savoir si
l’Église les a condamnées, les vérités historiques sans se préoccuper de les faire tourner
invariablement à l’honneur du Vatican, les vérités politiques et sociales sans se soucier de les mettre
d’accord avec la politique passée ou présente du parti catholique.
C’est donc aussi un impératif de scientificité qui transparaît derrière cette neutralité : il s’agit
bien pour l’éducateur de chercher à asseoir sa position et son propos sur une certaine objectivité,
une exigence de rigueur et de rationalité : son propos doit en droit être partageable par tout esprit
pensant. Dans cette optique la neutralité s’apparente à une impartialité : il ne s’agit pas de renoncer
à juger, mais plutôt de juger de la manière dont jugerait un spectateur impartial avide de justification
14
et de preuve. Encore convient-il de préciser qu’il s’agit là d’un « comme si » : il s’agit de juger comme
si l’on pouvait atteindre à cette impartialité — mais prétendre l’avoir atteinte, ce serait assurément
tromper. On conservera comme repère que ce qu’il s’agit de transmettre, c’est, dans l’éducation
intellectuelle : « l’amour de la vérité, la réflexion personnelle, les habitudes de libre examen en
même temps que l’esprit de tolérance », et, dans l’éducation morale, « le sentiment du droit et de la
dignité de la personne humaine, la conscience de la responsabilité individuelle en même temps que
le sentiment de la justice et de la solidarité sociales. » (Extrait du Congrès de Biarritz, source Ifé)
Il faut encore adjoindre à ce principe de neutralité l’interdiction des pratiques commerciales :
la publicité est interdite dans l’enceinte de l’école et il est proscrit de proposer aux élèves des
produits commerciaux, des produits dont la finalité est publicitaire, de recommander plutôt telle
marque de fourniture, ou d’indiquer une assurance plutôt qu’une autre. Quant à l’intervention des
entreprises en milieu scolaire, elle fait l’objet d’un « code de bonne conduite » explicité dans la
Circulaire du 28 mars 2001 (BOEN n°14 du 15/04/2001)
d) l'instruction est laïque
La laïcité s'impose progressivement jusqu'à s'affirmer comme une valeur fondamentale de la
République, avec la liberté, l 'égalité et la fraternité : Ce sont d'abord les lois Ferry de 1881 et 1882
qui viennent fonder la laïcité scolaire. L'école primaire publique est gratuite (16 juin 1881),
l’enseignement est affirmé comme laïque et la scolarisation obligatoire (28 mars 1882). Vient ensuite
la loi de 1905 (« art. 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice
des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »). La
constitution de 1946 définit la France comme « une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale ». Tandis que dans l’article 1er de la Constitution de 1958, la laïcité est encore réaffirmée : « La
France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la
loi de tous les citoyens sas distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances. ». A partir de 1989, un débat surgit sur le port du foulard en classe, qui sera finalement
tranché par la loi du 15 mars 2004 visant à affirmer la neutralité religieuse de l’espace scolaire : « art.
L. 141-5-1. - Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels
les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.
Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un
dialogue avec l'élève ». Aujourd'hui, il est question de faire entrer la laïcité dans la devise de la
République.
Qu’est-ce qui distingue la laïcité de la neutralité ? Quel est le sens de ce principe ?
15
La laïcité est bien plus que de la neutralité : c’est l’obligation de respecter le droit pour
chacun d’avoir les convictions qui sont les siennes. Si on entend par neutralité le fait de ne pas
déconsidérer quiconque relativement à sa culture, son origine, sa position sociale, on voit que la
laïcité est une valeur plus forte, un véritable engagement : il s'agit de reconnaître la possibilité pour
chacun d'avoir les convictions et les croyances qui sont les siennes. C’est une valeur républicaine qui
affirme des droits qui sont des conditions d’existence en commun, contrairement à ce qui se faisait
dans le passé (et qui existe encore dans certains pays) où s’imposait une seule religion et où l’on
réprimait, parfois de façon très violente, ceux qui ne la partageaient pas. Catherine Kintzler montre
ainsi dans son ouvrage, Penser la laïcité (2014), comment l'idée de laïcité permet d'instituer un vivre
ensemble qui n'est plus fondé sur une quelconque croyance mais sur l'abstention active de toute
considération en cette matière : avec la laïcité, tout ce qui relève de la croyance appartient à la
sphère de la liberté individuelle.
Si la laïcité impose cette reconnaissance, elle n'est donc pas un refus des religions. Le
contexte historique dans lequel a été mise en place cette obligation de respecter le droit pour chacun
d'avoir les convictions qui sont les siennes est utile pour en comprendre les enjeux initiaux. Les
républicains se battent au XIXe siècle en faveur de la laïcité de l’État pour neutraliser la volonté de
certains catholiques de contrôler la vie publique, voire pour les plus engagés de restaurer, ou
maintenir, un régime de nature monarchique. Ce combat pour la laïcité n’est ni antireligieux, ni
anticatholique, mais anticlérical. Il refuse que des autorités de nature religieuse s’immiscent dans les
affaires publiques. Le contexte conflictuel dans lequel la volonté de laïciser l’État s’est affirmée a
évidemment donné naissance, chez certains, à des projets hostiles à la religion en général, mais ce
n’est pas ce courant qui a dominé, ni qui l’a emporté. Jules Ferry s’exprimait très clairement sur ce
point dès 1881 devant le Sénat : « Nous sommes institués pour défendre les droits de l’État contre un
certain catholicisme, bien différent du catholicisme religieux, et que j’appellerai le catholicisme
politique. Quant au catholicisme religieux, qui est une manifestation de la conscience d’une si grande
partie de la population française, il a droit à notre protection […] Oui nous avons voulu la lutte
anticléricale, mais la lutte antireligieuse, jamais, jamais. »
Le premier article de la loi de 1905 résume l’esprit de la séparation des églises et de l’État qui
affirme que « La République assure la liberté de conscience. » Au nom de la laïcité donc, si par
exemple un individu ou une assemblée était empêché de pratiquer leur religion, l’État et ses
représentants auraient l’obligation de leur garantir cette liberté. Non pas pour décider à sa place, ni
pour prendre parti en faveur de cette religion, encore moins pour trancher des querelles religieuses,
mais pour assurer la liberté de conscience, de croyance et d’expression. La loi de 1905, qui instaure la
laïcité, est souvent appelée « loi sur la liberté des cultes ». Par cette loi, l’État s’interdit de se
prononcer en matière religieuse et de favoriser une religion par rapport à une autre, mais il garantit à
chacun le respect de sa liberté de croire comme il l’entend – ou de ne pas croire !
La laïcité est donc bien dès le départ plus que de la simple neutralité. Si elle gère de la façon
la plus neutre la présence d’une pluralité de cultes sur le territoire, elle le fait en s’engageant à faire
respecter des droits et en imposant des obligations. Le respect de la liberté de conscience passe par
l’interdiction de tout ce qui pourrait menacer cette liberté, à commencer par toute revendication
16
religieuse qui aurait pour effet de troubler la coexistence pacifique des convictions diverses ou
d’imposer une tutelle spirituelle ou politique, contre leur volonté, aux individus. Elle est d’abord une
loi de libertés qui vise à permettre cette coexistence pacifique des convictions diverses.
Dans la rue et à l'école ?
L'espace scolaire n'est pas un espace comme tous les autres. Comme dans l'espace public
civil, il s'y réunit des personnes qui ont des appartenances différentes, des enfants et des adultes :
comme dans cet espace le port de signe religieux n'est pas interdit pour les enfants, mais,
contrairement à l'espace public civil, ce port de signe religieux est toutefois limité, et ce depuis la loi
de 2004 : il ne doit pas être ostensible. Pourquoi ?
Pour la raison que les élèves sont mineurs civilement et intellectuellement et qu'il est donc
nécessaire de les protéger pendant leur formation des pressions d'ordre religieux ou idéologique. De
là l'interdiction de comportements qui sont pourtant autorisés dans la société au nom même de la
laïcité, comme le port du voile islamique. Concernant ce dernier, la circulaire d’application du 22 mai
2004 précise encore que : « L'école a pour mission de transmettre les valeurs de la République parmi
lesquelles l'égale dignité de tous les êtres humains, l'égalité entre les hommes et les femmes et la
liberté de chacun y compris dans le choix de son mode de vie. II appartient à l'école de faire vivre ces
valeurs, de développer et de conforter le libre arbitre de chacun, de garantir l'égalité entre les élèves
et de promouvoir une fraternité ouverte à tous. En protégeant l'école des revendications
communautaires, la loi conforte son rôle en faveur d'un vouloir vivre-ensemble. Elle doit le faire de
manière d'autant plus exigeante qu'y sont accueillis principalement des enfants. » Mais la loi ne vise
pas seulement le voile islamique ; elle précise de façon très concrète quels sont les signes à interdire
et la circulaire le rappelle : « La loi interdit les signes et les tenues qui manifestent ostensiblement une
appartenance religieuse. Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se
faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que
soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. La loi est
rédigée de manière à pouvoir s'appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l'apparition
de nouveaux signes, voire à d'éventuelles tentatives de contournement de la loi.
La loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets.
Elle n'interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves . »
Cette distinction entre la rue et l'école impose donc un effort pédagogique d'autant plus
important et qui demeure la première tâche du professeur ou du CPE (Cf. la compétence n°1 du
Référentiel de compétence des métiers du professorat et de l'éducation : « faire partager les valeurs
de la République »). A cette fin, la publication de la Charte de la laïcité peut s'avérer être un outil
pour instaurer une forme de dialogue. Cette Charte est constituée de 15 articles.
Présentation de la Charte de la laïcité
17
cache.media.eduscol.education.fr/file/Actu_2013/06/2/charte_de_la_laicite_commentee_270062.p
df
e) l'instruction est obligatoire de 6 à 16 ans
Mona Ozouf4 fait remarquer, dans l'abécédaire du Guide Républicain à l'article « l'école et la
république », que cette obligation n'est qu'une façon de protéger le droit à l'instruction : sans cette
obligation, ce droit serait-il respecté ? Il n'a pas d'abord été question de cette obligation dans l'esprit
des théoriciens de l'école républicaine. Pour Condorcet, par exemple, il ne s'agissait que de rendre
l'école accessible à tous. Ce n'est qu'en 1793 que le principe de l'obligation se rencontre dans un
projet : les faits montrent que trop de parents s'attachent à éviter l'école pour leurs enfants qu'ils
préfèrent employer qu'instruire. C'est donc pour garantir le droit à l'instruction de chacun que sera
institué l'instruction obligatoire. L'obligation de l'instruction s'articule à un problème qu'il n'est pas
facile de résoudre : à qui appartiennent les enfants ? Danton soutient à ce moment « que les enfants
appartiennent à la République avant d'appartenir à leurs parents » même s'il ne s'agit pas de les
arracher à leur famille, il convient de ne pas les soustraire à « l’influence nationale ». Peut-être
faudrait-il simplement faire remarquer que les enfants doivent pouvoir s'appartenir à eux-mêmes
pour devenir des citoyens dignes de ce nom, et que pour ce faire, ils doivent en passer par une
instruction à laquelle ils ont droit.
L'instruction est donc obligatoire de 6 à 16 ans comme le stipule l'article L131-1 du Code de
l'éducation : « L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers,
entre six ans et seize ans. » L' instruction et non l'école : les parents peuvent choisir d'autres moyens
que l’école pour instruire leurs enfants – en demandant une dérogation pour ne pas les scolariser)
mais dans ce cas l’État exerce son droit de contrôler la réalité de l'instruction des enfants non
scolarisés.
De là l'obligation d'assiduité, premier devoir des élèves et de leurs parents, réciproque du
droit à l'éducation : « les obligations des élèves consistent dans l'accomplissement des tâches
inhérentes à leurs études ; elles incluent l'assiduité et le respecte des règles de fonctionnement et de
la vie collective des établissements. » (art. L511-1)
Pour ce qui concerne la scolarisation des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs, on
peut se rapporter à la circulaire du 2/10/2012 : « La présente circulaire concerne les élèves issus de
familles itinérantes et de familles sédentarisées depuis peu, ayant un mode de relation discontinu à
l'école. Les déplacements ne favorisent pas la continuité scolaire et les apprentissages. Or ils ne
doivent pas faire obstacle, ni aux projets de scolarité des élèves et de leurs parents, ni à la poursuite
des objectifs d'apprentissage définis par le socle communes de connaissances et de compétences.
Conformément aux articles L. 111-1 , L 122-1, L 131-1 du code de l'éducation et aux engagements
4
Mona Ozouf est née en 1931, c'est une chercheure philosophe de formation qui s'est spécialisée dans la
Révolution française. Elle a également écrit sur le féminisme (Les mots des femmes, Fayard 1995)
18
internationaux de la France, ils sont, comme tous les autres enfants des deux sexes âgés de 6 à 16 ans
présents sur le territoire national, soumis au respect de l'obligation d'instruction et d'assiduité
scolaire quelle que soit leur nationalité ; le droit commun s'applique en tous points à ces élèves : ils
ont droit à la scolarisation et à une scolarité dans les mêmes conditions que les autres, quelles que
soient la durée et les modalités du stationnement et de l'habitat, et dans le respect des mêmes
règles. »
3) Responsabilités de l’enseignant et du CPE
Parce que l'école obéit à certains principes, les acteurs de l'école doivent suivre certaines
règles : ils ont des devoirs. Mais ils ont également des droits. Le professeur et le CPE ont des droits et
des obligations d'un double point de vue : en tant qu'ils sont des fonctionnaires d’État, en tant qu'ils
exercent leur fonction dans l'enseignement public et laïque.
a) En tant que fonctionnaires :
Les responsabilités du professeur et du CPE sont celles de tout fonctionnaire de la Fonction
publique française. Le fonctionnaire est recruté par concours – sauf dérogation prévue par la loi. Son
emploi ne relève donc pas d'un contrat réglé par le Code du travail mais d'un statut réglé par le
statut général de la Fonction publique – qui comprend la Fonction publique d’État (dont fait partie
l’éducation nationale), la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Ce statut
dépend de 4 lois formant chacune l'un des titres de ce statut. Le titre I définissant les principes
communs à toute la fonction publique est constitué de la loi n) 83-634 du 13 juillet 1983 (loi dite
« loi le Pors ») qui définit les droits et les obligations du fonctionnaire.
Cette loi garantit aux fonctionnaires un certain nombre de droits :
- La liberté d'opinion (article 6 de la loi du 13 juillet 1983) qui implique le principe de non
discrimination directe ou indirecte fondée sur les opinions politiques, syndicales , philosophiques…,
l'origine, le sexe, la religion, l'orientation sexuelle, l'état de santé, l'apparence physique.
- Le droit syndical (art. 8)
- Le droit d'être représenté dans certaines instances décisionnelles du service public ou d'y
participer directement (art.9)
- Le droit de grève (art. 10)
19
- Le droit d'être protégé par la collectivité en cas de responsabilité civile ou contre les actes
de violence, injures, etc. dans l'exercice de ses fonctions (art. 11)5
- Le droit à une rémunération après service fait, le doit à congés, le droit à la formation permanente
et le droit à la sécurité et à l'hygiène dans le travail (art. 20, 21, 22 et 23)
Tandis qu'elle définit aussi un certain nombre d'obligations :
- L'obligation de ne pas avoir d'autre emploi rémunéré (un cumul d'activité est toutefois
possible, sous certaines conditions fixées par la loi du 13 juillet 1983 modifiée par la loi du 2 février
2007, le décret du 2 mai 2007 et la circulaire du 11 mars 2008.
- L'obligation de responsabilité et d’obéissance dans l'exercice de sa fonction : « Tout
fonctionnaire quel que soit son rang dans la hiérarchie est responsable de l'exécution des tâches qui
lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions d son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas
où l'ordre donné es t manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt
public . Il n'est dégagé d'aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de
ses subordonnés » (article n° 28 de la loi du 13 juillet 1983).
- Le devoir de continuité du service public : ce devoir n'existe pas en tant que tel dans la loi. Il
découle en fait des articles 25 (sur l'exclusivité des activités professionnelles) et 28 (responsabilité
des tâches, exécution des instructions). Lors de plusieurs arrêts, le Conseil d’État les a traduits par
l'obligation d’assiduité, voire d'interruption de congé dans l'intérêt du service. Mais surtout, le
principe de continuité du service public procède du principe de continuité de l’État et a été qualifié
de principe constitutionnel par le Conseil constitutionnel en 1979. Du point de vue de cette
obligation de continuité, le cahier de textes que le professeur doit tenir est un outil essentiel qui fait
le lien entre les professeurs de l'école, les remplaçants, l'inspecteur.
- Le devoir de neutralité à l'égard des usagers du service public : le fonctionnaire doit faire
abstraction pendant le service de ses opinions d'ordre politique, religieux, philosophique. Cette
obligation est fondée sur le principe d’égalité ds usagers et sur celui de laïcité : pour traiter de
manière égalitaire chaque usager du service public, le fonctionnaire doit ne pas prendre en compte
les opinions des usagers et ne pas leur imposer les siennes dans l'exercice de ses fonctions (car dans
ce cas il pourrait créer une inégalité de traitement entre ceux qui partagent ses croyances et les
autres.)
5
« Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité
publique dont ils dépendent conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. Lorsqu'un fonctionnaire a
été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit,
dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le
couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui. La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires des
menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs
fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. »
20
- Le devoir de réserve : il n'est pas inscrit dans la loi, il est une construction jurisprudentielle
qui doit être apprécié par le supérieur hiérarchique selon la nature des fonctions du fonctionnaire,
son rang, les circonstances de son action. Il porte sur les opinion dont le fonctionnaire peut faire état
en dehors de l'exercice de ses fonctions. La loi du 13 juillet 1983 précise bien en effet que la « liberté
d'expression est garantie au fonctionnaire » (art. 6) Le fonctionnaire a le droit de s'exprimer
publiquement en dehors de l'exercice de ses fonctions sur tel ou tel fait d''ordre général ayant un
rapport direct avec l'exercice de son métier mais il doit le faire en tant que citoyen, non en tant que
fonctionnaire, c'est à dire sans mettre en cause le service public auquel il appartient.
- L'obligation du secret professionnel : ce qui est secret ne doit pas être divulgué – sauf si le
fonctionnaire détient des informations portant sur un crime ou un délit et, plus particulièrement, sur
les sévices subits par un mineur – et elle de discrétion professionnelle : le fonctionnaire ne doit pas
communiquer et faire un usage public ds documents ou des faits concernant un usager à titre
personnel (vie privée, dossiers médicaux, etc.) L'article 26 de la loi du 13/07/1983 est à ce titre
éclairant : « Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le de cadre des règles
instituées dans le code pénal. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle
pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à
l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la
réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs,
les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par
décision expresse de l'autorité dont ils dépendent. » On pourra donner comme exemple les résultats
scolaires ou le dossier médical d'un élève : on ne peut en parler à des tiers non concernés.
- Le devoir d'information des particuliers dans les limites du devoir de neutralité et de devoir
de réserve (article 26 et 27)/ Ce devoir renvoie à celui de rendre compte aux administrés, instauré
par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (article 15 : « La Société a le droit de
demander des compte à tout Agent public de son administration. » De là une nouvelle fois
l’importance du cahier journal, et celle du suive et de l'évaluation des acquis des élèves. Ajoutons
pour finir l'obligation de signalement des crimes ou délits connus dans le cadre du service (art. 40 du
Code de procédure pénale.)
b) En tant que professeur/CPE exerçant ses fonctions dans l’enseignement public :
Les responsabilités du professeur et du CPE sont définies dans leurs grandes lignes par le Code de
l’éducation (voir la réflexion déjà conduite sur les fins et les valeurs de l’école, l’instruction et
l’éducation : transmettre des connaissances et partager/mettre en œuvre des valeurs) et dans le
détail par différents textes officiels dont l’arrêté du 1er juillet 2013 : « Référentiel des compétences
professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation ». Quelles sont ces responsabilités qui
tout à la fois engagent le professeur/CPE comme professeur/CPE de l’Éducation nationale et
l’identifient comme tel (dans sa relation pédagogique mais aussi institutionnelle et humaine avec les
élèves et leurs familles) ?
21
o
des responsabilités d’ordre institutionnel ou administratif (avec celles des
fonctionnaires en général définies plus haut). Voir les décrets du 25 mai 1950,
modifiés par le décret du 12 février 2007) : obligation de rejoindre son poste,
obligation d’assurer son service et ses missions (contrôle de l’encadrement des
activités des élèves, de leur assiduité, de leur sécurité, leur surveillance durant
le temps où ils sont placés sous la responsabilité de l’école (y compris donc les
récréations, les sorties hors de l’école, leur notation des élèves (cf. art. L912-1
du Code de l’éducation), la communication de leurs notes, la participation aux
différentes conseils, etc.), obligation de consacrer l’intégralité de son activité
aux tâches qui lui sont confiées, interdiction de cumul de rémunérations (sauf
dérogation prévue par la loi). De ce point de vue, en cas d’infraction au
règlement, le professeur peut faire l’objet de sanctions disciplinaires telles que :
avertissement, blâme, radiation du tableau d’avancement, exclusion
temporaire… ;
o
des responsabilités d’ordre professionnel fondées sur la maîtrise des
compétences nécessaires à l’exercice des fonctions du professeur (voir le
référentiel de compétence des professeurs et des personnels d'éducation) :
o

la maîtrise de la langue française,

la capacité d’enseigner les connaissances, les méthodes, les notions
prévues dans chaque discipline par les instructions officielles,

la capacité de concevoir des situations d’apprentissage adaptées et
efficaces (objectifs et compétences visés, description de l’activité de
l’élève, progression, évaluation, consolidation des acquis…),

la capacité de les mettre en œuvre (organisation du temps, de l’espace,
des outils, des formes d’intervention…) et de les analyser pour améliorer
ses résultats,

la capacité de maîtriser la conduite de la classe et de la diversité des
élèves (autorité, relation pédagogique, suivi des consignes, aide
individualisée…), etc.
des responsabilités d’ordre éducatif au sens général : celle de la mise en œuvre
des principes et des valeurs essentiels du système éducatif français, de la
connaissance des missions de l’école et des normes qui structurent et orientent
22
son organisation (par exemple celles qui organisent les relations
professeurs/parents d’élèves, les relations de l’école avec ses partenaires
locaux, etc.), du respect des droits de l’enfant (que définit la Convention des
droits de l’enfant de 1989). Insistons pour finir sur le devoir d’évaluation des
acquis des élèves : cf. art. L912-1 du Code de l’éducation et préambule des
programmes 2008.
o
des responsabilités d’ordre juridique lorsque le professeur, par son action ou
son inaction, a causé des dommages à autrui. Dans ce cas-là, en effet, les
parents peuvent poursuivre le professeur en justice et lui demander de rendre
des comptes de son action. On distingue la responsabilité civile et la
responsabilité pénale.
La responsabilité « civile »6 qui définit la responsabilité d’une personne qui a fait subir un
tort à une autre personne et qui doit « réparer » le dommage subi (sous la forme d’une
« indemnisation », matérielle ou pécuniaire). Dans le cadre des services publics en général, il s’agit
d’une faute personnelle, imputable à une personne particulière, à sa volonté, à son caprice, à sa
négligence, faute distinguable de sa fonction (qui diffère donc d’une faute de service ou de fonction
que n’importe quel fonctionnaire aurait pu commettre et qui engage la responsabilité
« administrative » de l’Etat, exemple du poteau de basquet placé dans l’école qui tombe sur un élève
et dont l’administration n’a pas vérifié la solidité ; cf. sur le fond l’article 1384 du Code civil) et qui
implique que l’auteur de la faute répare sa faute en indemnisant la victime. En réalité, dans l’école,
en vertu de la loi du 5 avril 1937 (= art. 911-4 du Code de l’éducation), la responsabilité civile du
professeur est prise en charge par l’Etat qui se substitue au fonctionnaire et assume l’indemnisation
de la victime : dans l’exemple d’un accident que subit un élève pendant la récréation, le professeur
fait une déclaration d’accident et l’affaire suit son cours par la voie hiérarchique.
Références :
Article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »
Article 1383 : « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais
encore par sa négligence ou par son imprudence. »
Article 1384 : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait,
mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que
l'on a sous sa garde.(…) Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont
solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. (…) Les
6
Sur ces questions, voir le dossier en ligne sur le site de la Maif (www.maif.fr)
23
instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils
sont sous leur surveillance. (…) En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou
négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées,
conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »
Principes : Le professeur est civilement responsable des élèves dont il a la surveillance, en classe mais
aussi lors de la sortie des salles de classe ; que le dommage soit causé à un élève par un tiers, par un
autre élève ou par l’élève lui-même ou par l’élève à un tiers ; dommages corporels (chutes, blessures)
ou matériels (détérioration de vêtements…) ; la faute doit être prouvée c’est-à-dire un lien de cause
à effet doit être établi par les juges entre l’action (ou l’inaction) du professeur et le préjudice subi par
la victime ; faute directe (frapper un élève) ou indirecte (maladresse, négligence dans la
surveillance) ; l’assignation est celle du préfet (représentant légal de l’État, jamais directement
l’enseignant) et elle est portée devant le tribunal de grande instance ou le tribunal d’instance (selon
le montant du dommage demandé) ; la réparation est assurée par l’État qui peut (très rarement) se
retourner contre le professeur (action récursoire).
Exemples de situations dans lesquelles la responsabilité civile peut être engagée7 : l’enseignant
s’absente de la salle de classe sans raison ; l’enseignant ne réussit pas à maîtriser un chahut ;
l’enseignant ne s’assure pas de la continuité de la prise en charge des élèves après le cours…
Exemples de situations dans lesquelles la responsabilité civile n’est pas engagée : des accidents en
EPS par exemple alors que toutes les précautions avaient été prises par l’enseignant…
La responsabilité pénale : dans ce cas, la personne a commis une infraction au code pénal,
soit une contravention, soit un délit, soit un crime selon la gravité des faits (ce n’est plus une
« faute » de service ou personnelle). Depuis la loi du 19 septembre 1870, l’État ne peut se substituer
au fonctionnaire en cas de faute car la responsabilité pénale est individuelle et les fonctionnaires
sont soumis aux mêmes règles du droit pénal que tous les autres citoyens. Responsabilité pénale qui
concerne les actes intentionnels (cela va de soi ! atteinte à l’intégrité physique d’une personne, en
l’occurrence d’un élève, par exemple) mais aussi, sous certaines conditions que la loi du 10 juillet
2000 a précisées dans le cas des enseignants, des actes non intentionnels qui ont créé ou contribué à
créer la situation qui a causé le dommage. Quelles sont ces conditions ? Le viol délibéré d’une règle
de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ; le fait d’avoir commis une « faute
caractérisée » en exposant autrui à un danger qu’elle ne pouvait ignorer, sans prendre les
précautions nécessaires. Cela signifie que l’enseignant n’est pas nécessairement condamnable
7
Voir le site de la MAIF : www.maif.fr
24
même si son acte a causé indirectement, par négligence ou imprudence, le dommage. Pour qu’il le
soit, sa faute doit être « caractérisée » et elle l’est s’il a violé une règle de prudence ou de sécurité
établie dans le règlement ou s’il a commis une faute qui exposait la victime à des dommages qu’il ne
pouvait ignorer.
Référence :
Art. 121-3 du Code pénal : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne
d'autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence
ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il
est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant,
de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des
moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui
n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a
permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont
responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une
obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une
faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient
ignorer. Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
Principes : l’enseignant est pénalement poursuivi s’il a commis durant l’exercice de ses fonctions une
infraction pénale (article 121-3), à titre direct ou indirect (sous les conditions vues plus haut).
Références complémentaires :
Philippe RAIMBAULT, « Valeurs du service public, éthique et déontologie des personnels
d’encadrement », en ligne dur le site de l’ESEN :
http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/Modules/Ressources/Conferences/flash/1011/apaenes/raimbault/medias/apaenes_raimbault_p_texte.pdf
Antony TAILLEFAIT, « Déontologie des fonctionnaires et principes du service public de
l’Éducation nationale » en ligne sur le site de l’ESEN :
http://www.esen.education.fr/fileadmin/user_upload/Modules/Ressources/Bibliographies/
ethique/a_taillefait_deontologie_fonct.pdf
25
Seconde partie : fonctions et finalités de l’école.
1- A quoi sert l'école ? L'école comme lieu de formation.
On peut dire de L’école de la République qu'elle est à la fois une institution sociale et une
institution publique. Nous allons commencer par voir en quoi elle est une institution sociale, cela
nous permettra de dégager sa dimension fonctionnelle.
Une institution sociale ...
Elle est une institution sociale au sens où elle est au service de la société : elle vient
répondre à certains des besoins nécessaires à sa conservation. Sa fonction essentielle, en ce sens,
c'est de transmettre aux nouvelles générations la culture, les savoirs, les normes de comportements
et les valeurs nécessaire pour leur permettre de s’intégrer dans la société et pour y agir comme
membres à part entière. De ce point de vue, la famille et l’école répondent à une nécessité d’ordre
factuel : instituer les enfants comme membres de la communauté en les éduquant pour qu’ils soient
en mesure le moment venu d’assumer leurs responsabilités d’adultes et d’exercer les fonctions
nécessaires à sa conservation. Nulle société ne pourrait faire l’impasse sur une telle
transmission sous peine de mettre en danger sa propre survie. La famille et l’école sont ainsi
comprises comme rouages nécessaires de la « machine » sociale qui organise les conditions de la
subsistance et d’existence de tous dans la communauté (l’hôpital, l’armée, la justice sont d’autres
institutions qui répondent à la même logique de satisfaction des besoins sociaux essentiels).
… dont la fonction est éducative et formatrice.
Émile Durkheim décrit cette fonction, (qui est aussi celle de la famille et de la société en
général ): « L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas
encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain
nombre d'états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son
ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. »8 Fonction d’éducation au sens
fort : éduquer ne consiste pas en effet à laisser l’enfant développer ses potentialités dans une
perspective qui serait celle de l’épanouissement de sa personnalité ou de son bien-être mais à
produire chez lui des « «états » qui n’ont rien de naturel, qui ne relèvent pas d’une simple
maturation physiologique ou psychologique, qui sont ceux que la vie sociale exige de lui pour en être
un membre intégré. Des « états » qui ne sont pas seulement d’ordre comportemental (agir
8
Emile Durkheim, Education et sociologie, Chapitre I, §§2,3 (1922), PUF, 1999.
26
conformément aux règles de la vie sociale) mais aussi d’ordre intellectuel ou mental : des manières
de penser et de vouloir, des croyances, des habitudes intellectuelles et perceptives qui sont celles-là
mêmes que la communauté exige de ses membres pour les intégrer et en les intégrant. En ce sens,
éduquer ne consiste pas seulement à « socialiser » la personne mais aussi à former sa volonté voire
son caractère de sorte que non seulement elle se comporte comme il convient dans la société mais
aussi veuille ou même aime se comporter ainsi (donne son assentiment aux lois établies et à l’ordre
social existant).
Cette fonction est une fonction de socialisation et de distribution.
Il est possible d’analyser plus avant cette fonction générale de l’éducation avec François Dubet et
Danilo Martuccelli. Cette fonction se subdivise en fonctions plus particulières : une fonction de
socialisation, une fonction de distribution, une fonction d’éducation. Insistons plus particulièrement
sur les deux premières9 car ce sont elles qui sont au cœur de bien des débats sur le « sens de
l’école » aujourd’hui :
-
la fonction de socialisation : faire en sorte que l’élève intériorise les règles et les
manières de faire propres à la société à laquelle il appartient. Fonction que l’on peut
comprendre dans le prolongement de celle que Durkheim10 nomme la fonction
d’unification de l’éducation des jeunes générations qui consiste à établir l’unité de la
nation en transmettant aux élèves des savoirs et des valeurs communs (au premier rang
desquels la langue nationale) ;
9
Dubet et Martuccelli définissent ainsi la fonction d’éducation : « Alors que la socialisation vise l'intégration dans
un système et une société, la fonction d'éducation est liée au projet de production d'un type de sujet qui n'est pas
totalement adéquat à son « utilité » sociale. » (A l’Ecole. Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, 1996, pp. 23-25). Cette
fonction est à l’articulation de ce que nous appelons « les fonctions de l’Ecole » et « les fins de l’Ecole ». Voir plus loin.
10
L’éducation « a donc pour fonction de susciter chez l'enfant : 1° Un certain nombre d'états physiques et mentaux
que la société à laquelle il appartient considère comme ne devant être absents d'aucun de ses membres ; 2° Certains états
physiques et mentaux que le groupe social particulier (caste, classe, famille, profession) considère également comme
devant se retrouver chez tous ceux qui le forment. Ainsi, c'est la société, dans son ensemble, et chaque milieu social
particulier, qui déterminent cet idéal que l'éducation réalise. La société ne peut vivre que s'il existe entre ses membres une
suffisante homogénéité : l'éducation perpétue et renforce cette homogénéité en fixant d'avance dans l'âme de l'enfant les
similitudes essentielles que réclame la vie collective. Mais, d'un autre côté, sans une certaine diversité, toute coopération
serait impossible : l'éducation assure la persistance de cette diversité nécessaire en se diversifiant elle-même et en se
spécialisant. » (Education et pédagogie, chapitre I)
27
-
la fonction de distribution qui « tient au fait que l’école attribue des qualifications
scolaires possédant une certaine utilité sociale dans la mesure où certains emplois,
positions ou statuts sont réservés aux diplômés. L’école répartit des « biens » ayant une
valeur sur les marchés professionnels et la hiérarchie des positions sociales. »11 Fonction
que l’on peut comprendre dans le prolongement de celle que Durkheim nomme la
fonction différenciatrice de l’éducation des jeunes qui consiste à les préparer à exercer
une activité professionnelle particulière en leur transmettant les savoirs et savoirs faire
particuliers nécessaires à cette activité sociale. Cette fonction de différenciation est un
mécanisme nécessaire de l’éducation sociale des enfants. Mais elle se transforme de fait
en un mécanisme de distribution et même de sélection dans un contexte socioéconomique de raréfaction des emplois disponibles et de concurrence accrue dans
l’accession à l’emploi en général (à cause par exemple d’une augmentation constante des
compétences et des connaissances exigées par les employeurs). Aujourd’hui, l’école ne
prépare pas seulement à exercer des professions différenciées dans les différents
secteurs économiques, elle distribue des formations et des diplômes qui ont une valeur
inégale dans l’accès aux fonctions inégales en termes de revenus et de conditions de
travail disponibles dans la société. Elle devient alors un lieu de compétition entre élèves
et familles dans l’obtention du diplôme présentant la plus grande valeur sur le marché du
travail : elle est aujourd’hui « soumise à une finalité d’adaptation à l’économie et aux
emplois ».12
L'évaluation de l'école à travers sa dimension fonctionnelle.
En tant qu’institution sociale, l’école a donc pour charge d’assurer la fonction générale
d’éducation et de formation des nouvelles générations que la société lui attribue (avec la famille). De
ce point de vue, sa « valeur » sera jugée en termes d’efficacité.
L’école, en effet, est une institution qui rend un service à la société (elle est un « service
public » au sens littéral). A cet effet, elle est organisée et financée par celle-ci. Ce service est dans
une certaine mesure quantifiable en termes de résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés. Il est
donc possible de calculer le rapport chiffré entre le coût des moyens mis en œuvre par l’école et les
résultats qu’elle obtient en assurant les fonctions sociales qui sont les siennes. Ce rapport définira
l’« efficacité »13 de l’école en tant qu’institution sociale. Quelles sont les résultats mesurables qu’elle
produit ? Le nombre d’élèves qui sortent du système avec et sans diplômes, le nombre d’incivilités ou
d’actes violents commis par les jeunes dans et hors de l’école, le chômage des jeunes qui semble
indiquer la plus ou moins bonne adéquation entre la formation délivrées par l’école et les
qualifications demandées par les entreprises sur le marché du travail, mais aussi les évaluations
11
F. Dubet et D. Martuccelli, A l’Ecole. Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, 1996, pp. 23-25.
12
Ibid., p.43.
13
Les économistes parlent plus précisément aujourd’hui d’ « efficience » (rapport coût/efficacité).
28
nationales et internationales des compétences et des connaissances acquises par les élèves à
certains moments de leur scolarité (les plus connues étant celles de PISA), etc. Dans cette
perspective, l’école sera jugée plus ou moins efficace selon qu’elle obtiendra de plus ou moins bons
résultats de ce type relativement au coût qui est le sien pour la société civile.
L’école, avec la famille peuvent donc s'appréhender à partir d'une fonction : elles servent à
éduquer les enfants pour qu’ils puissent s’intégrer dans la vie sociale et économique de leur
communauté. L'école est ainsi plus ou moins efficace dans l’exercice de cette fonction en obtenant
des résultats plus ou moins conformes aux objectifs que la société lui assigne, en répondant plus ou
moins aux besoins de celle-ci. Bien des réformes depuis quelques années ont pour but d’améliorer
l’efficacité de l’école (ne serait-ce par exemple qu’en diminuant ses coûts de fonctionnement).
Cette question du fonctionnement et de l’utilité de l’école se confond-elle pour autant avec
celle du « sens de l’école » ? Peut-on réduire l’école à ses fonctions sociales d’éducation ? à
l’efficacité de son fonctionnement ? À la question de sa productivité ?
2- La finalité de l'école : éducation ou instruction ?
La finalité de l'école n'est pas réductible à sa fonction.
Il est possible de faire une distinction entre les fonctions qui sont celles de l'école et sa fin.
Un argument pourrait suffire pour montrer que la finalité de l'école n'est pas réductible à sa
fonction sociale : l’école n’est pas que l’institution de la société civile, elle est aussi celle de l’État, elle
est l’école de la République, c'est une institution publique.
Or, en tant qu’institution publique, l’école n’a pas les mêmes fonctions qu’en tant
qu’institution de la société civile. Il faut parler de ce point de vue spécifiquement politique des
« finalités » de l’école et non plus de ses fonctions. Et plus exactement encore : des finalités qui sont
celles que la République lui donne ou, mieux : celles que la République se donne à elle-même en
instituant une école publique. Des finalités indissociables du projet républicain lui-même, qui
renvoient donc aux fins mêmes de la République, finalités qui diffèrent en nature de celles de
l’organisation de la vie sociale sous des lois communes (la société civile). Il ne s’agit plus seulement
pour l’individu de s'intégrer dans la société. Il est question dans ce projet de vouloir construire
ensemble un monde meilleur, plus égalitaire et plus solidaire, fondé sur des valeurs qui sont autres
que celles de la société civile et de la logique de l’échange économique.
Réfléchir sur les finalités de l’école revient à se demander si le sens de l’école se réduit aux
fonctions qu’elle joue dans la société civile ou si, au contraire, le sens profond de son institution et de
29
son œuvre dépassent ces fonctions sociales de sélection et de socialisation. De la question des
fonctions à celle des fins s’opère un changement de plan et de perspective : les « fonctions » sociales
de l’école définissent le rapport qui la lie à la société civile (à ses besoins, à ses intérêts) tandis que
les « fins » de l’école renvoient au rapport qu’elle entretient avec la Cité, avec la communauté
politique, avec l’État compris comme système d’organisation commune et publique des relations des
citoyens entre eux. En formant des élèves, l’école ne répond pas seulement aux impératifs de la
reproduction sociale : elle vise l’institution d’un type d’homme dans chacun de ces élèves, d’une
manière d’être humain et de se concevoir tel parmi et avec tous les autres dans une même
communauté c’est-à-dire, au fond, d’un type de citoyenneté, d’une manière d’être citoyen avec les
autres citoyens. Elle vise un horizon ! Elle ne fait pas que sélectionner ou socialiser des élèves pour
qu’ils s’adaptent à la société dans laquelle ils vivent, elle a une dimension politique que nul ne peut
nier.
En d’autres termes, si la fonction de l’école est sociale, la fin de l’école est politique : elle
définit un type de formation du citoyen dans la communauté politique, un type de formation qui
vise à promouvoir chez l’individu une manière d’être citoyen, de juger et d’agir par rapport aux
autres citoyens. Ce qui est alors en question n’est plus seulement l’organisation de la communauté
sociale que forment les individus dans leurs relations privées (économiques, sociales, familiales)
mais l’institution d’une communauté de citoyens dans laquelle chacun se lie aux autres au nom de
l'intérêt général et du bien commun par delà la gestion des besoins et des intérêts particuliers
divers des membres de la société civile. C’est tout au moins en ce sens que nous comprenons en
France l’idée de République, l’idée d’une vie commune qui aurait pour fin de permettre à tous de
devenir ensemble plus libres, plus égaux, plus humains en s’engageant mutuellement à construire
et à défendre un intérêt commun, un bien commun qui dépasserait les besoins particuliers des
individus en société (par opposition à une conception du politique comme gestion réglée des
intérêts particuliers et de leur somme).
En tout état de cause, le sens de l’école dans une communauté politique dépendra du sens
que cette communauté donne à sa propre existence, de l’idée qu’elle se fait d’elle-même, de la
finalité et des modalités du vivre ensemble qu’elle promeut en son sein, des fins de l’action politique
en général. Il va de soi ainsi qu’une République n’attribuera pas les mêmes fins à l’école qu’un régime
totalitaire (alors même que les fonctions sociales de l’école pourront être les mêmes ici et là).
Quelles sont les finalités de l'école de la République ?
La détermination de la finalité de l'école de la République anime tout le processus de sa
construction depuis le moment révolutionnaire et l'institution progressive d'une école pour tous.
L'analyse des « plans d’éducation » proposés par les révolutionnaires français entre 1789 et 1795 au
30
sein du Comité d’instruction publique14 révèle l'émergence de cette nouvelle préoccupation. A partir
du moment où le peuple devient souverain, son éducation devient l’affaire de tous et donc de l’État.
Il devient nécessaire de poser et de résoudre la question de son éducation si l’on veut qu’il soit
vraiment en mesure d’exercer sa souveraineté. Comment affirmer la souveraineté du peuple sans lui
donner les moyens en particulier intellectuels de l’exercer effectivement (en étant capable de lire et
d’écrire, de connaître ses droits, de voter en connaissance de cause, etc.) ? Comment s’assurer qu’il
l’exercera dans l’intérêt de tous s’il ne reçoit pas une éducation qui l’éclaire sur les droits et les biens
de tous ? Tout le monde est donc d’accord sur un point : l’État doit organiser un système public
d’éducation. La constitution de 1791 l’indique clairement15 : « Il sera créé et organisé une instruction
publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables
pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport
combiné avec la division du royaume. » La discussion porte sur le type d’éducation que ce système
doit mettre en œuvre : il faut éduquer (au sens général) le citoyen, mais en quel sens ? Pour former
quel type de citoyen ou même quel type d’homme ? Sur ce point les avis et les perspectives
divergent. De là les différents plans d’éducation proposés pendant la révolution française qui
indiquent les principales conceptions d’une éducation publique et leurs tensions intrinsèques. Le
débat va se resserrer autour de la distinction entre éducation et instruction : l’État a-t-il à éduquer ou
seulement à instruire ?
- L’instruction est définie comme la transmission de connaissances et la formation des diverses
capacités du sujet par l’étude de ces connaissances (non comme l’accumulation de connaissances). Il
s’agit bien de faire en sorte qu’il apprenne les connaissances en question, qu’il parvienne à maîtriser
les éléments de sciences, de langues, etc. qui lui sont transmis pour qu’ils les connaissent et puissent
en faire usage dans sa vie intellectuelle et sa vie sociale. Mais aussi qu’il développe et forme ce
faisant des capacités de raisonnement et de jugement bien entendu, mais aussi des capacités
esthétiques, sociales, physiques, etc. pour devenir un être humain le plus accompli possible (le plus
maître possible de ses différentes puissances, de penser le monde et d’y agir, de sentir et d’imaginer,
etc.).
- L’éducation (au sens étroit, en rapport de distinction avec l’instruction) est définie comme la
transmission non seulement de normes de comportement mais aussi de valeurs et de croyances dans
le but de former la volonté et le caractère du sujet voire de le conduire à croire ou à obéir dans un
sens déterminé par l’éducateur.
14
Voir le Plan d’éducation nationale de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (1793), le Rapport sur l’instruction
publique de Talleyrand (1791), le Rapport et Projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique de
Condorcet (1792).
15
L’éducation-instruction des citoyens demeure un devoir fondamental de l’Etat garanti dans le Préambule de la
Constitution de 1946 (lui-même consacré par celle de 1958), dans son article 13 : « La Nation garantit l'égal accès de
l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public
gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »
31
« L'instruction publique éclaire et exerce l'esprit, l'éducation doit former le cœur » Jean -Paul Rabaut
Saint-Etienne (Projet d'éducation nationale, décembre 1792)
Instruction ou éducation nationale ?
D'un côté, les partisans d'une « éducation nationale » pose la préexistence de la
communauté nationale sur l'individu : il faudrait soustraire les enfants à leur famille afin de leur
donner une éducation publique commune comportant exercices physiques et leçons de morale
républicaine. C'est le parti de Rabaut Saint-Etienne : il faut « s'emparer de l'homme dès le berceau, et
même avant sa naissance ; car l'enfant qui n'est pas né appartient déjà à la patrie. Elle s'empare de
tout homme sans le quitter jamais, en sorte que l'éducation nationale n'est pas une institution pour
l'enfant, mais pour la vie tout entière. » Le projet est bien celui de former entièrement le citoyen, de
les former tous également, pour leur permettre alors d'être libre à partir de cette égalité.
Condorcet s'oppose au modèle spartiate (et platonicien) de ceux qui voudraient que l’État
prenne l'enfant en charge de bout en bout. Il prône une instruction publique et non pas une
éducation publique. Dans le premier des Cinq mémoires sur l'instruction publique, il soutient la thèse
selon laquelle « l'éducation publique doit se borner à l'instruction ». Pourquoi ? D'abord parce que
dans une nation où chacun n'a pas les mêmes tâches, l'éducation ne peut pas être la même, tandis
que l'instruction le peut. Ensuite, parce que l'éducation revient de droit aux parents : « veiller sur les
premières années de ses enfants », « soutenir leur faiblesse », « les préparer au bonheur » est « un
droit que la tendresse paternelle ne peut abandonner » on ne peut pas obliger les pères de famille à
renoncer à ce droit qui est naturel. Et pour finir, parce que l'éducation publique serait contraire à
« l'indépendance des opinions ». A ce titre, il revient à l'instruction publique de clairement distinguer
ce qui relève de la croyance et ce qui relève du savoir : « la puissance publique ne peut imposer
aucune croyance ». Elle doit « armer contre l'erreur », « mais elle n'a pas le droit de décider où réside
la vérité » en matière religieuse. Son rôle est d'ouvrir aux sciences, aux savoirs et non aux croyances
et aux opinions. Le projet de Condorcet repose donc sur l'idée qu'il y a une primauté de l'individu sur
la communauté et que cette dernière doit garantir l'émancipation de l'individu par le développement
de sa raison, que c'est à cette condition que la République sera proprement républicaine.
Ainsi, l’ « éducation nationale » donne la primauté à la volonté politique, alors que
l’ « instruction publique » fait prévaloir la question de la vérité et de l’erreur, c'est-à-dire de la raison.
Pour les partisans de l’éducation nationale, la liberté dérive de l’égalité (« Il s’agit d’égaliser, et non
de libérer », écrivent les auteurs), tandis que les défenseurs de l’instruction publique subordonnent
l’égalité à la liberté : c'est par la liberté de chacun que l'on doit parvenir à l'égalité de tous.
L'instruction publique est donc plus libérale en ce sens. Mais alors que penser du projet d'éducation
nationale de la troisième république ? S'inscrit-il dans l'approche de type spartiate des montagnards
et de l'aile gauchiste des révolutionnaires ?
Buisson et Ferry ne renoncent pas à une instruction publique émancipatrice au profit d'une
éducation nationale qui subordonnerait l'individu à la collectivité : il s'agit toujours de donner à
l'individu les moyens de penser par lui-même avant toute chose. Mais le patriotisme et la ferveur
32
nationale ont leur part dans l'enseignement de la troisième république : l'école de la république est
une école à la fois patriotique et ouverte à l'Universel. Le ministère demeure toutefois celui de
l'instruction publique jusqu'en 1932 où il deviendra alors ministère de l'éducation nationale. Il le
restera jusqu'à nos jours – il redevient brièvement ministère de l'instruction public sous Pétain, et
n'est plus que ministère de l'éducation sous Giscard. Néanmoins ce que révèle cette querelle
sémantique, c'est une problématique de fond qui innerve la question de la finalité de l'école : doitelle avoir le projet d'éduquer ou seulement d'instruire ? Où trouve-t-elle son sens ? Dans l'éducation
ou dans l'instruction ?
Qu'il ne peut y avoir d'instruction sans éducation, ni d'éducation sans instruction.
L'articulation entre instruction et éducation, sans recouper exactement celles entre fonction
et finalité ne lui est pas étrangère : dans les deux cas, il s'agit d'interroger l'orientation générale de
l'école. Le sens même de l'éducation au sens large.
Distinguer éducation et instruction, c'est une manière de poser le problème de l'orientation
générale de l'école pour ne pas oublier de la limiter dans sa puissance : s'agit-il de dicter au sujet ce
qu'il doit éprouver ? Si l'instruction disparaît derrière l'éducation, alors les connaissances se
confondent toutes entières avec des croyances ou des opinions. Pour autant s'agit-il de considérer
que les connaissances pourraient ne pas conditionner une manière d'être et d'éprouver ?
L'instruction peut-elle ne pas éduquer ? S'il faut bel et bien distinguer la transmission de valeurs
morales et des savoir-être d'un côté avec la transmission de connaissances qui exercent l'esprit et la
faculté de juger d'un autre côté, il convient de reconnaître que cette distinction peut être dépassée.
Il ne peut s'agit seulement d'engranger des connaissances sans que celles ci ne transforment
et modèlent le sujet : « il y a dans l’instruction comprise en sa vérité une dimension éducative »16
Nos connaissances nous façonnent en profondeur. A quoi, il faut encore ajouter que nous ne
pouvons les acquérir que si nous sommes moralement disposés à le faire. Ainsi il ne saurait y avoir
d'instruction sans éducation : l'instruction aboutit à une forme d'éducation, et elle suppose une
certaine éducation.
Si le débat opposait les révolutionnaires de 1789, il se poursuit dans l'élaboration d'un socle
commun de connaissances et de compétences. L'orientation générale de l'école ne peut faire
l'économie d'instruire, mais elle doit aussi en passer par une éducation, par la transmission de
valeurs. Le socle est ainsi une manière de trancher cette alternative en la dépassant :
« Le socle commun doit être équilibré dans ses contenus et ses démarches : - il ouvre à la
connaissance, forme le jugement et l'esprit critique, à partir d'éléments ordonnés de connaissance
rationnelle du monde ; - il fournit une éducation générale ouverte et commune à tous et fondée sur
des valeurs qui permettent de vivre dans une société tolérante, de liberté ; - il favorise un
16
(André Perrin, philo.pourtous.free.fr/Articles/A.Perrin/educationetinstruction.htm#_ftnref12)
33
développement de la personne en interaction avec le monde qui l'entoure ; - il développe les capacités
de compréhension et de création, les capacités d'imagination et d'action ; - il accompagne et favorise
le développement physique, cognitif et sensible des élèves, en respectant leur intégrité ; - il donne aux
élèves les moyens de s'engager dans les activités scolaires, d'agir, d'échanger avec autrui, de
conquérir leur autonomie et d'exercer ainsi progressivement leur liberté et leur statut de citoyen
responsable. » (Bulletin officiel n° 17 du 23 avril 2015 )
L’article L111-1 du Code de l’éducation est également clair à ce sujet : « Outre la
transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager
aux élèves les valeurs de la République. (…) Dans l'exercice de leurs fonctions, les personnels mettent
en œuvre ces valeurs. »
3 – Entre formation, éducation et instruction : le socle commun
La problématique de l'instruction et de l'éducation, ainsi que celle de la fonction et de la fin
de l'école s'actualisent dans la mise en place du socle commun, d'abord socle commun de
connaissances et de compétences (2005) puis socle commun de compétences, de connaissances et de
culture (2013). Il s'agit en effet de définir et de poser ce que doivent être les enseignements
fondamentaux - ce qui met en jeu la finalité que se donne l'école.
La question du socle commun n'est pas seulement franco-française : elle s'articule à un plan
général qui relève de la libéralisation du monde et du développement du commerce international.
L'idée de « standards » en éducation vient en effet du monde anglo-saxon, et c'est sous l'influence de
l'OCDE et des enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des élèves) que cette notion a
été introduite dans la communauté européenne. La finalité des standards « n'est pas de construire
une communauté ou de moderniser la pédagogie mais plutôt de limiter les dépenses publiques et de
mettre en concurrence les différents établissements17 ». Au niveau international, ce qui est clairement
visé c'est une « modernisation des services publics » : « L'Union doit devenir l'économie de la
connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance
économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une
plus grande cohésion sociale. » (Conseil Européen, Lisbonne, mars 2000) Cet objectif global suppose
« un programme ambitieux en vue de moderniser les systèmes de sécurité sociale et d'éducation. »
(nous soulignons pour mettre en question cette notion de modernisation qui par elle-même fait
débat).
Ce que nous allons voir c'est que cette uniformisation par les standards connaît une
retraduction par laquelle elle vient prendre place directement dans la problématique de l'instruction
et de l'éducation, c'est-à-dire dans la définition de la finalité de l'école
17
(Aborder le socle commun de connaissance et de compétence, Delagrave, 2009)
34
Définir des compétences de base
La première difficulté consiste à définir des compétences de base.
Le terme même de compétence suppose un éclairage quant à son sens et à son orientation. Il
désigne un potentiel à agir efficacement dans un contexte précis : ce ne sont plus les connaissances
qui ont de l'importance mais l'utilisation qui en est faite. L'accent est mis sur le faire. Ce vocabulaire
vient du monde de l'entreprise et s'impose progressivement en France à partir des années 80, à
partir du moment où celui-ci est consulté dans le cadre de la consultation nationale pour
l'élaboration de ce programme commun. C'est donc un terme dont la visée est directement
économique et utilitaire. Mais il faut encore le préciser : il n'y a pas de savoir-faire sans savoir et les
compétences ne rejettent pas les contenus ni les disciplines. Ainsi ne s'agirait-il pas de faire
disparaître les savoirs mais de les « rendre opérationnels ». Quels sont ces compétences ?
Les compétences qui conditionnent « l'employabilité » du point de vue des organisations
internationales sont :
- la « littératie » de la lecture ( la littératie étant définie comme : l’aptitude à comprendre et à utiliser
l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue
d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités)
- la « littératie » des mathématiques,
- les compétences sociales, interpersonnelles, reconnues nécessaires à une participation à toute
société : la citoyenneté est ainsi posée comme étant une compétence sociale et définie comme « la
participation avisée et active des individus à la communauté à laquelle ils appartiennent »,
- Il faut encore ajouter la culture informatique qui permet de participer à la société de l'information,
- la compétence en langue étrangère qui est une ressource économique et qui permet le respect
d'autrui,
- la maîtrise des concepts de base de la science et des technologies.
Ces compétences clés ont été largement définies par l'International association for
educational achievment (IEA) pour laquelle elles ont une finalité affichée : permettre de s'adapter au
marché du travail, des études ayant montré que 12 % de ceux qui ont un faible niveau
d'enseignement étaient inscrits comme demandeurs d'emplois en 2000.g
Définition d'une culture commune en France
Pour commencer, précisons que, en France, la définition de standards vient prendre place
dans une évolution générale qui est celle de la démocratisation de l'enseignement et la scolarisation
de masse. Dans les années 1990, les pratiques scolaires apparaissent de plus en plus inadaptées à la
35
scolarisation de masse qui s'est amorcée en amont de la loi Haby de 1975 avec par exemple le plan
Langevin-Wallon de 1947. Ainsi, si les standards européen ont pu avoir une influence sur
l'élaboration d'un socle commun, cette notion est aussi l'héritière du désir de construire une école
pour tous, désir dont nous avons déjà vu qu'il obéissait à l'idéal républicain et à la nécessité d'une
citoyenneté. Le socle commun est donc tout autant l'héritier du plan Langevin-Wallon qu'un
programme de préparation à l'emploi. Cette double origine, qui fait toute l'ambiguïté du socle
commun, se retrouve dans la polysémie du terme choisi par le rapport Thélot (2004) qui prépare le
premier socle commun : assurer la réussite de tous les élèves. Le terme de réussite vient circonscrire
la double origine du socle commun : un programme européen et international de « modernisation »
et une ambition républicaine d'autonomie citoyenne pour tous.
Instruction et éducation dans le socle commun de 2015
Le socle de 2015 met en avant une interrelation entre les savoirs et les valeurs ou principes
et c'est précisément son principe de conception, contre l'opinion selon laquelle l’école devrait
transmettre plutôt des connaissances que des valeurs - il reviendrait aux familles d'assurer cette
dernière transmission. Les valeurs sont bien l'objet d'une transmission au même titre que les
connaissances, elles ne sont donc pas l’objet de la seule « vie scolaire » (des CPE dans le second
degré).
L’école doit transmettre tout autant les connaissances que les valeurs, en particulier celles de
la République, liberté, égalité, fraternité et laïcité mais aussi des valeurs générales comme le respect,
le refus des discriminations… Là-dessus le Code de l’éducation et le Socle commun sont explicites.
Ainsi le domaine n°3 du second est tout entier consacré à la « tâche [de l’école] de transmettre aux
jeunes les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la Constitution de notre pays. » Il s’agit
de former la personne et le citoyen que l’élève devient progressivement, ou de former en l’élève la
personne et le citoyen qu’il est en devenir, formation d’ordre intellectuel, moral, politique.
Tout le pari du socle de 2015 et du programme de l’Enseignement moral et civique de
2015 est de faire comprendre et faire mettre en œuvre une formation morale et politique qui ne soit
pas séparée voire opposée à ce qu’on nomme « instruction », c'est-à-dire à la transmission des
connaissances. Instruction et éducation sont indissociables, en plusieurs sens :
-
au sens qui va de soi de la nécessité pour le sujet devant être éduqué d’acquérir des
connaissances précises et rigoureuses dans l’ordre politique, juridique et moral sur lequel
porte son éducation : des connaissances juridiques, politiques, institutionnelles mais
aussi morales tant il est vrai que dans cet ordre comme dans les autres, les jugements
36
que les hommes portent (des « jugements de valeur ») ont une fonction d’attribution qui
implique des contenus, des objets de connaissance/croyance/évaluation que chacun est
censé maîtriser. Pour affirmer que tel comportement est indécent ou injuste…, il est
nécessaire, si l’on veut dépasser les approximations dues à la passion ou à l’ignorance, de
savoir faire la différence en raison entre ce qui est indécent et ce qui ne l’est pas, entre
ce qui est juste et injuste. Comment raisonner, juger, discuter et agir dans le domaine de
la morale et de la citoyenneté sans connaissances et références explicitement étudiées et
apprises ? Des références juridiques telles que la DDHC de 1798, la constitution de 1958
et son préambule… ; des références politiques telles que le fonctionnement d’une
démocratie ou l’évolution de la justice sociale… ; des références morales telles que la
construction du jugement moral, les grandes valeurs que les élèves doivent donc
travailler et apprendre au même titre que toute autre connaissance…
-
o
Le Socle commun, domaine n°3 précise ainsi qu'il s'agit de « transmettre aux
jeunes les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la Constitution de
notre pays (…) des connaissances et à la compréhension du sens du droit et de la
loi, des règles qui permettent la participation à la vie collective et démocratique
et de la notion d'intérêt général ; la connaissance, la compréhension mais aussi la
mise en pratique du principe de laïcité (…) ; » Nombreux sont les items du socle
qui commencent par « connaître », « comprendre »… et qui portent sur des
objets déterminés et complexes du monde politique, juridique et moral (et de
son histoire) dans lequel nous vivons ;
o
On pourrait ajouter à cet exemple celui du programme d’EMC dans sa totalité ;
au sens encore où la totalité de l’instruction que l’élève reçoit dans l’école le conduit à
développer des capacités et des attitudes qui ont une portée civique voire morale : savoir
nommer ses émotions, les mettre à distance, identifier ses préjugés, etc. Cela vaut aussi
pour les autres domaines, ainsi dans le 4ème : « Les démarches scientifiques développent
chez l'élève la rigueur intellectuelle, l'habileté manuelle et l'esprit critique, l'aptitude à
démontrer, à argumenter. » Michel Lussault, directeur du CNP, a pu dire qu'« en
apprenant quelque chose, on apprend plus et autre que ce quelque chose » (Lyon,
8/7/15). Apprendre une connaissance produit chez le sujet un « effet surnuméraire »,
l’effet critique qui s'apparente à un effet de liberté (Kintzler, Penser la laïcité, 2014,
p.185). La connaissance est compréhension de son objet et, ce faisant, effet critique et
développement des capacités d’argumentation, de discussion… du sujet, celles-là même
qu’il devra mettre en œuvre dans la cité et la conduite de ses relations avec les autres. En
ce sens, nous pouvons considérer que toute instruction est éducation et participe de
plein droit à l’éducation à la liberté et à l’autonomie du jugement et de l’action.
37

C’est à ce niveau qu’il est légitime (logique) d’articuler rigoureusement et
de manière très féconde connaissance, capacité de juger et transmission
des valeurs et principes de la vie politique et morale. Ainsi dans le
domaine n°3 : « L'élève vérifie la validité d'une information et distingue ce qui
est objectif et ce qui est subjectif. Il apprend à justifier ses choix et à confronter
ses propres jugements avec ceux des autres. Il sait remettre en cause ses
jugements initiaux après un débat argumenté, il distingue son intérêt particulier
de l'intérêt général. Il met en application et respecte les grands principes
républicains. »
-
au sens enfin où des conditions d’organisation pédagogique et des actions particulières
dans la classe et dans l’école participent de plein effet à cette éducation-instruction de la
personne et du citoyen. Un dispositif pédagogique, leçon magistrale, travail de groupes,
projet… implique la mise en avant de certaines valeurs et leur mise en œuvre dans la
pratique avec les élèves de sorte qu’ils les mettent en action eux-mêmes dans leur travail
(d’écoute attentive et de compréhension, de coopération, d’entraide, de collaboration
en vue d’un but commun, etc.) et qu’il se les approprie non par l’effet d’un discours
dogmatique (« adhérez aux valeurs de la République ! ») mais dans l’exercice même de
leurs capacités de penser, de raisonner, d’agir… au sein de la communauté scolaire.

Domaine n°3, fin : « Responsabilité, sens de l’engagement et de
l’initiative ».
compétences-clés :
coopération,
responsabilité,
engagement envers soi et envers les autres, expérience démocratique…
Le problème de l'évaluation des compétences.
Si le socle commun se présente comme une tentative pour donner une réponse à la tension
entre instruction et éducation, s'il se propose de poser les bases d'une culture commune, il n'est
pourtant pas sans poser de nouvelles difficultés, celles liées notamment à la question de l'évaluation.
Puisque une compétence relève d'une mise en situation, une démarche rigoureuse
d'évaluation des compétences nécessite conséquemment de mettre l'élève face à une situation
complexe inédite : voilà qui bouleverse le contrat didactique qui repose généralement sur l'idée que
38
l'évaluation porte sur des choses qu'on a enseigné. Marcel Crahay18 s'élève ainsi contre la
complexité inédite « érigée en norme » : l'évaluation porte sur un « savoir mobiliser » mystérieux
qui est plus de l'ordre d'une intelligence héritée que d'un résultat des apprentissages scolaires.
L'évaluation des compétences ne met-elle pas la barre trop haut pour les élèves ? Une tension se
dégage entre un apprentissage pour l'action qui privilégie l'emprunt à plusieurs disciplines et
l'apprentissage scolaire traditionnel qui respecte le cheminement ordonné, rigoureux et organisé au
sein d'une même discipline.
On peut considérer avec Bernard Rey que la notion de compétence ne fait que souligner une
problématique récurrente de l'évaluation. Finalement toute évaluation postule la capacité d'un sujet
à répéter à l'avenir un type d'opération qu'il a accompli une ou deux fois. Or rien n'est plus fragile
qu'une telle inférence19 . Dans le cas des compétences, la tâche à accomplir change de nature selon
la situation – qu'il s'agisse par exemple d'adapter un écrit à son destinataire ou d'exploiter les
résultats d'une mesure. Il s’agit non seulement de maîtriser des procédures, mais aussi d’interpréter
la situation pour choisir les procédures qu'il convient d'utiliser et de savoir les combiner entre elles à
bon escient. Des lors le contenu disciplinaire ne devient plus une fin en soi, mais un moyen au service
du traitement des situations. Au final, « l'évaluation doit pouvoir cerner la capacité d'adaptation à
une situation : il ne s'agit pas de constater uniquement un résultat décontextualisé. L'évaluateur doit
être un observateur en situation qui pusse retracer le développement de la compétence dans le temps
et comprendre son adaptabilité à d'autres situations. » Voilà qui complique la tâche de l'évaluateur et
le met sérieusement en difficulté. Si cette difficulté est inhérente à l'acte du jugement, elle se trouve
largement amplifiée pour ce qui concerne les compétences.
Le livret personnel de compétence (LPP) vient , en 2009, matérialiser le contenu du socle
pour les parents ou pour les enseignants dans le primaire. Il propose alors une validation binaire :
acquis ou non acquis. Le caractère binaire de la validation semble poser problème car elle écrase les
degrés de progression. Ce même problème dans le secondaire rend les évaluations proprement
insurmontables. Ces nouvelles difficultés sont souvent à l'origine d'une résistance
Conclusion
L'école est indiscutablement le lieu d'une formation, d'une éducation et d'une instruction. À
quoi l'on pourrait encore ajouter qu'elle doit être également celui d'une intégration.
Formation, puisqu'elle doit préparer aux besoins de la société civile et permettre l'intégration
de chacun sur le marché de l'emploi. Éducation, puisqu'il s'agit bien d'y acquérir les valeurs qui
doivent guider la vie du citoyen dans ses rapports à l'autre et à la société en général. Instruction
puisque les connaissances doivent permettre à chacun d'exercer son jugement, de raisonner
librement et de faire des choix en connaissance de cause. Mais l'est-elle indistinctement, ou bien
doit-elle privilégier l'un de ces aspects ? Nous avons vu que choisir l'instruction plutôt que l'éducation
n'est pas sans enjeu : penser que la liberté est la condition de l'égalité, c'est orienter politiquement
l'école dans un sens libéral et construire une société qui n'est pas celle dans laquelle l'égalité serait
pensée comme le moyen de la liberté. Nous pouvons raisonnablement poser que les directives
18
Crahay Marcel (2006). « Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation
». Revue française de pédagogie, n° 154, mars.
19
Bernard Réy, « Pour comprendre comment on apprend », Cahier pédagogique n°491, 2011)
39
internationales issues du monde anglo-saxon mettent plutôt en avant des orientations économiques
qui privilégient une approche moins politique. Ainsi le traitement de la question de la finalité de
l'école par le biais d'un socle commun de connaissance, de compétence et de culture n'est pas sans
ambiguïté : il se propose comme un dépassement de la tension entre des finalités économique,
politique et sociale dont il faut bien reconnaître qu'elles ont toutes leur importance.
La notion de compétence peut-elle définitivement trancher la question de savoir quelle est la
finalité de l'école ? Sûrement pas, elle est une solution provisoire, qui engendre à son tour de
nouvelles questions et difficultés, notamment dans l'appréciation de ces compétences, qui une fois
définies restent à évaluer.
La responsabilité des professeurs et des CPE relève ici de l'implication dans la compréhension
de cette évolution. Et cela passe par l'intériorisation de ces trois orientations qui sont celle de
l'école : la formation, l'éducation et l'instruction. Il semble bien qu'il ne saurait s'agir d'en délaisser
aucune. Ne faut-il pas toutefois faire le pari de l'instruction comme orientation générale ? L'école de
la République n'est-elle pas plutôt une école de l'instruction ? Si l'instruction éduque et prépare à la
formation, la réponse est indiscutablement positive.
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Troisième partie :
l'établissement scolaire et la relation enseignants/CPE
1- l'EPLE : un système d'interrelations complexes – mise en avant de la relation entre enseignants et
CPE : une collaboration attendue Cf le Référentiel des compétences du professorat et des métiers de
l'éducation.
2- Une relation problématique (article : pourquoi la relation est difficile), solitude du CPE (cahier
pédagogique : un métier de l'entre deux portes), solitude de l'enseignant,
3- Collaboration professeur principal CPE (doc), travailler ensemble et garder sa place (CANOPE :
chacun son rôle mais en travaillant ensemble)
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