(2455) B-Chap_01.qx 18/7/06 12:00 PM Page 2 Une école pour apprendre est une école centrée sur l’apprentissage. Telle est la conclusion à laquelle aboutit ce premier chapitre. À partir d’exemples, d’images et d’analogies, nous voulons susciter la réflexion sur des conceptions de l’apprentissage et la logique du développement de compétences, afin d’amener le lecteur à comprendre que sa propre conception de l’apprentissage guide ses pratiques d’enseignement. Nous voulons aussi l’inviter à renouveler sa vision des choses en matière d’apprentissage. Nous avons déjà souligné la nécessité de transformer d’abord – ou, à tout le moins, d’affiner – la conception de l’apprentissage qui oriente l’enseignement (Archambault et Richer, 2003). En effet, cette conception doit s’accorder avec les connaissances actuelles en sciences cognitives et en sciences de l’éducation, permettre de dégager une nouvelle compréhension des choses et, enfin, d’ajuster les pratiques professionnelles de l’enseignement à cette nouvelle compréhension. Avant tout, cette vision renouvelée de l’apprentissage rendra évidente la conclusion : une école pour apprendre doit être centrée sur l’apprentissage. La conception de l’apprentissage Apprendre est un phénomène tout à fait naturel. Qui plus est, aujourd’hui, on connaît mieux et l’on est plus en mesure de décrire le processus par lequel l’être humain apprend. En effet, les sciences cognitives et les sciences de l’éducation ont affiné leurs méthodes et ont utilisé de nouvelles façons d’observer l’apprentissage. Ces observations ont permis de mettre au jour de nouvelles façons de concevoir l’apprentissage. Sans prétention, nous comptons présenter ici l’essentiel de ces nouvelles conceptions. Certaines seront connues, d’autres heurteront l’esprit. Dans ce cas, il s’agira peut-être d’un conflit cognitif susceptible de favoriser l’apprentissage du lecteur. Apprendre, c’est naturel Pour comprendre l’apprentissage, commençons par examiner l’apprentissage sous l’angle des sciences de la nature. Après tout, nous faisons bien partie de la nature ! Tous les êtres humains apprennent. C’est un fait avéré maintes et maintes fois. C’est une caractéristique particulière de l’espèce humaine, et Meirieu (2001) va même jusqu’à qualifier le fait d’apprendre de « plus vieux métier du monde ». En venant au monde, le nouveau-né ne sait pas d’emblée quoi faire. Il doit l’apprendre. Les animaux aussi apprennent. Chez eux, cependant, c’est plus souvent l’instinct qui prime. À la naissance, ils savent souvent d’emblée quoi faire et comment le faire, et c’est la même chose pour tous les individus de l’espèce. C’est déjà inscrit dans leurs gènes. Donc, les animaux apprennent aussi. Cependant, ils apprennent à des degrés divers, selon les espèces. En effet, on observe que plus une espèce est élevée dans la hiérarchie de l’évolution des espèces, plus l’instinct cède la place à l’apprentissage. Les animaux les moins élevés, les plus primitifs sont surtout soumis à leur instinct : ils savent spontanément comment se comporter. 2 Une école pour apprendre est une école centrée sur l’apprentissage (2455) B-Chap_01.qx 18/7/06 12:00 PM Page 3 Chez les animaux plus évolués, l’apprentissage prend davantage de place : le petit fait davantage appel à l’apprentissage pour savoir comment agir. Il y a donc une progression de l’instinct vers l’apprentissage. Les mammifères constituent l’espèce la plus évoluée et parmi eux, les êtres humains arrivent tout en haut de l’échelle de l’évolution. Parfois, à voir agir l’être humain, on pourrait croire qu’il s’agit d’une espèce en danger d’extinction, pas tellement élevée dans l’échelle de l’évolution, et que ce sont plutôt les fourmis, beaucoup moins élevées dans l’échelle, qui survivront ! Mais là n’est pas notre propos. Ce qui importe, c’est de constater que l’apprentissage est une caractéristique forte de l’espèce humaine, que tous les êtres humains sont bien équipés pour apprendre et que tous les êtres humains apprennent, bien avant l’école, bien après l’école et bien ailleurs qu’à l’école. Comparé aux autres espèces, l’être humain fait peu appel à son instinct et davantage à l’apprentissage. Un indice de ce phénomène, c’est son degré de vulnérabilité à la naissance et durant les premières années de sa vie. Chez la plupart des animaux, le petit est autonome dès la naissance ou peu après. Il sait déjà quoi faire et comment le faire. En effet, les parents n’ont, en général, d’autre fonction que de concevoir et de mettre au monde le petit. Aussitôt né, le petit se débrouille, généralement assez bien, et les parents s’en désintéressent. Il sait quoi faire et comment le faire, par instinct, puisque c’est déjà inscrit dans ses gènes. En outre, il est très bien équipé physiquement pour le faire. Par exemple, certains mammifères sont déjà en mesure de marcher à la fin de leur première journée de vie. Ici aussi, plus on monte dans la hiérarchie des espèces, plus les choses se transforment : les petits sont de moins en moins autonomes à la naissance, les parents sont de plus en plus importants. Il serait impensable que le petit humain puisse marcher le jour de sa naissance ou même quitter le nid familial après une seule saison ! Donc, plus on avance dans la hiérarchie des espèces, moins le petit est physiquement prêt à agir et plus il a besoin de ses parents, et plus il en a besoin longtemps. Le « savoir-faire d’instinct », rigoureusement identique pour tous les membres d’une espèce, se fait remplacer par « ne pas savoir faire grand-chose mais être prêt à apprendre », qui amène ensuite à la diversité des façons de faire. Ainsi, puisque tout n’est pas prédéterminé pour eux, les petits humains ont la chance d’apprendre. Et puisqu’ils apprennent, ils le feront nécessairement de façon différente et ils apprendront des choses différentes. C’est justement pour cela que l’apprentissage remplace l’instinct : pour permettre aux êtres humains d’apprendre différemment et d’apprendre des choses différentes. Sinon, l’instinct ferait très bien l’affaire. Cette diversité rend d’ailleurs l’espèce beaucoup plus forte, plus capable de s’adapter. En effet, si vous connaissez plusieurs façons de résoudre un problème, vous avez plus de chances de pouvoir le résoudre. En outre, cette diversité permet à l’espèce humaine de continuer à évoluer et à modeler son environnement afin d’améliorer son sort. L’histoire nous permet d’ailleurs de comprendre ce phénomène. L’être humain évolue : il crée sans cesse de nouveaux outils, de plus en plus utiles, de plus en plus efficaces. Ce n’est manifestement pas le cas des autres espèces animales. Chapitre 1 3