1 Anne-Sophie Giraud Post-doctorante au CeRIES (EA 3589

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Anne-Sophie Giraud
Post-doctorante au CeRIES (EA 3589) Université de Lille 3
anne.sophie.giraud@wanadoo.fr - 06.89.14.15.92
La sélection en assistance médicale à la procréation (AMP)
Entre fatalisme et interventionnisme.
Mots clés : assistance médicale à la procréation (AMP), embryon, Diagnostic Pimplantatoire (DPI),
lection, régulation, normes internationales, corps, personne, parenté.
Dans le cadre de ma recherche doctorale j’ai pu observer dans les centres d’AMP un ensemble de
pratiques, gestes et discours ayant pour finali de rendre supportable l'obligation de sélectionner les
gamètes et les embryons ainsi que la destruction de ceux écartés du processus d’engendrement car «
de moindre quali ». Inhérentes aux techniques de reproduction (insémination, FIV, ICSI
1
, DPI) ces
opérations ont pour but d’augmenter les chances de grossesse ou d’éviter la naissance d’un enfant
malade.
J’ai ainsi pu observer dans un laboratoire de biologie de la reproduction, des techniciennes qui
laissaient se détériorer "naturellement" dans les incubateurs, les embryons écartés avant de les jeter
(Giraud 2014, 2015). Ces techniciennes ne voulaient pas faire le choix de les détruire et les laissaient
donc mourir, passivement. J'ai également entendu des biologistes qui, pour justifier la sélection des
gamètes, la décrivent comme une pratique permettant de reproduire ce qui se déroule
« naturellement » dans le corps de la femme. Dans la « nature » en effet, seuls les spermatozoïdes les
plus mobiles fécondent lovocyte.
Ces gestes, paroles, attitudes, permettent de replacer le processus « artificiel » sous le signe de
l’ordinaire, du « normal », de ce qui se passe chaque mois dans le corps d’une femme quand un
embryon ne s’implante pas. Mais ces dispositifs propitiatoires peuvent partre contradictoires dans
le cadre d’une technique ayant justement pour but de mtriser la « nature ». Ils peuvent partre
d’autant plus contradictoires et archques dans ce mouvement contemporain de « défatalisation »
que connt le monde social depuis le XXe siècle (Memmi 2014). Ces observations nous amènent
donc à cette interrogation : Pourquoi ces personnes, professionnels mais aussi patients, ont-elles
besoin d'insuffler à leurs pratiques un « supplément d’âme » pour leur donner un sens et les rendre
supportables ?
Projet de recherche.
Problématique.
Dans le cadre de ce projet postdoctoral, je souhaite mener une recherche sur la sélection dans
la reproduction humaine en France, dans le cadre de l'AMP. Je me focaliserai sur les techniques
induisant un tri des êtres (gamètes, embryons) en fonction de certaines caractéristiques impliquant la
possibilité d’une procréation sélective et ayant donc pour conséquence la possible élimination des
êtres indésirables : sélection des donneurs de gamètes, sélection des gamètes (avec ou sans tiers
donneurs), sélection des embryons, diagnostic préimplantatoire (DPI)
2
, et réduction embryonnaire. Il
1
ICSI : Intracytoplasmic Sperm Injection.
2
Le DPI (appelé « diagnostic biologique » par la loi) est d’abord autorisé à « titre exceptionnel » dans les premières lois
2
s’agira donc de s’intéresser à la fois à des pratiques de tri hautement controversées sur la scène
publique (DPI, appariement dans le cadre d’un don de gamètes) et ne s’adressant qu’à un nombre très
restreint de couples, ainsi qu’à des pratiques ne faisant pas même lobjet de débats comme la sélection
« ordinaire » des gamètes et des embryons dans le cadre d’une AMP (Giraud 2014, 2015). J’étudierai
uniquement la lection centrée sur la « production d’enfant » ayant pour objectif de faire advenir
une nouvelle personne. J’exclue donc la sélection dans un but de recherches (sur l’embryon et les
cellules souches embryonnaires, la dérivation de cellules souches, etc.).
Par le prisme de la sélection, mon objectif est tout d’abord d’étudier les tensions entre
fatalisme et interventionnisme qui se profilent derrière ces pratiques. A l’heure voient le jour des
techniques de plus en plus performantes de sélection dont le but est notamment de prévenir les
maladies congénitales et augmenter les chances de grossesses
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, je fais l’hypothèse que les acteurs
directement confrons à ces pratiques cherchent à préserver un juste équilibre entre fatalisme et
interventionnisme. Il s’agira donc de comprendre quelles sont les limites à l’interventionnisme que
se fixent les acteurs et quelles en sont les raisons.
Ces situations serviront de révélateurs car elles permettront de révéler non seulement quels
sont éléments nécessaire dans la construction d’une personne et par quels processus relationnels
institués se construisent simultanément le statut de personne et de futur parents.
Je me servirai pour cela de l’approche « relationnelle » développée par nombre
d’anthropologues (Weiner 1976, Strathern 1992, Carsten 1997, Bonnemère 2008, Hérault 2014).
Cette perspective analytique nous permet en effet de dépasser et de tenir ensemble ce qu’on veut
habituellement séparer le social et le biologique en évitant de les poser de manière ontologique,
mais en les comprenant de manière à la fois « pragmatique » (au sens de pragma, l’action) et
« relationnelle », et en les inscrivant prioritairement dans leur contexte concret, celui de la
temporali. Cette approche permet donc de passer d’une description centrée sur les propriétés, une
description ontologique, à une description centrée sur les actions, c'est-à-dire sur la façon dont les
acteurs entrent en relation et agissent.
Je ne vais donc pas appréhender les gamètes, les embryons ainsi que les différents acteurs
(professionnels et patients) comme des êtres
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« isolés », en prenant en compte uniquement leurs
attributs intrinsèques, leurs propriétés ou leurs caractères internes, mais je vais étudier leur statut «
de bioéthique de 1994 et ouvert seulement aux couples ayant une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint
dune maladie génétique grave et incurable. Il a été ensuite modifié par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 afin d’élargir
son champ d’application. Il peut désormais être effect : a) lorsquune anomalie responsable dune « maladie gravement
invalidante, à rélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital a été identifiée, non seulement chez
lun des parents, mais aussi chez l’un des ascendants immédiats (Art. L.2131-4, CSP) ; b) afin de concevoir un enfant qui
pourrait donner des cellules souches à un frère ou une sœur souffrant dune maladie génétique grave (Art. L. 2131-4-1,
CSP), pratique appelée aussi «bé médicament ».
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Amélioration du dépistage gétique, développement de techniques de sélection non invasives (ex : time-lapse Imaging).
La recherche s’oriente également sur la détermination de « biomarqueurs » spécifiques à lembryon qui seraient
susceptibles d’informer sur les chances de développement de l’embryon : protéines, ARN, produit du métabolisme dans
le liquide folliculaire mais aussi dans les milieux de culture des embryons eux-mêmes.
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J’entends ici « être » de B. Latour, qui proposait de considérer les « non humains » comme des acteurs dans les affaires
humaines. Nous pouvons en effet considérer les gamètes et les embryons comme des « êtres sociaux » à part entière dans
le sens où l’entend B. Latour (2004), c'est-à-dire dans le sens où les relations avec ces êtres sont jues par les membres
dun collectif humain comme engageant et concernant le collectif dans son ensemble. L’accès d’un être à la société
suppose un travail de qualification et de représentation de celui-ci dans certaines des instances qui régissent le collectif
ou encore une investigation des liens qu’il entretient avec d’autres êtres. Un être devient par conséquent un « être social
» quand il prend la parole lui-même ou par l’intermédiaire dun porte-parole et que s’ouvre à son sujet un débat ou une
discussion, ce qui est justement le cas des gamètes et embryons.
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relationnel », c’est-dire les relations que d’autres personnes (professionnels, engendreurs),
possédant elles-mêmes un statut, peuvent entretenir avec lui. Ces relations sont variables, mais sont
elles-mêmes référées à des normes et des règles communes, en particulier à l’ensemble des dispositifs
juridiques qui peuvent changer et être contradictoires. Il en effet est particulièrement important de
regarder ces relations dans le contexte d’un monde humain, en portant une attention particulière à
l’institution
5
.
J’analyserai pour cette raison à la fois les réseaux relationnels dans lesquels sont inscrits les
gamètes, les embryons et les acteurs (patients et professionnels), mais aussi les dispositifs concrets
(gestes, mots, objets) des acteurs de ces derniers quand ils doivent « trier » gamètes et embryons,
m'attachant à leurs sistances, tactiques et justifications. Ce sont des moments ils doivent au fond,
« porter la condition humaine », c'est-à-dire choisir quels sont les êtres considérés comme aptes à
entrer ou non dans la société humaine et à devenir des personnes. Ces pratiques de sélection sont des
situations liminales, au sens je lai défini dans mon précédent travail (Giraud 2015) des moments
coexistent et sont maintenus les contraires , et hautement problématiques car s’y jouent des
décisions de vie et de mort, objet de négociations. Il nous faudra trouver un terme qui puisse rendre
compte de ces postures
6
.
L’intervention humaine, scientifique et technique sur la nature, une pratique controversée.
L’intervention humaine, scientifique et technique sur la Nature a toujours susci des
sentiments contradictoires, entre espoir et peur. L’espoir est suscité par les implications potentielles
des technologies capables de créer et modifier la vie, soulager la douleur, et guérir la maladie. La
peur est engendrée quant à elle par les implications considérées comme « indésirables » telles que la
manipulation d’organismes vivants et l’élimination des individus ne correspondant pas à certains
critères.
En moignent la mythologie, du mythe de Prométhée et d’Icare à Frankenstein
7
et le Meilleur
des mondes. Dans cescits, l’interventionnisme humain y est toujours présen comme dangereux,
quil prenne la forme de la production de personnes sélectionnées et modifes in vitro dans Le
meilleur des mondes, de la création d’un nouvel être à partir de morceaux de cadavres dans
Frankenstein ou encore de la tentation de l’Homme de se mesurer aux dieux et de s’élever au-dessus
de sa condition dans les mythes de Prométhée et d’Icare. Les conséquences de cet interventionnisme
échappent presque toujours à l’Homme et tous ces récits décrivent les dangers de telles pratiques,
l’Homme finissant toujours par être puni de son audace, soit directement par les dieux quil a offensés,
soit par ses créations qui se retournent contre lui.
Dans les débats sociopolitiques menés autour de l’embryon et du fœtus, en France, en Grande-
Bretagne et dans l’ensemble des pays européens
8
, la référence à cette mythologie est souvent
5
Au sens où l’entendent M. Mauss et P. Fauconnet (1901 : 10-11) : « Nous entendons donc par ce mot aussi bien les
usages et les modes, les préjus et les superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques
essentielles ».
6
Wainwright et son équipe (2006), analysant des chercheurs travaillant sur l’embryon dans le cadre de la recherche en
Grande-Bretagne, ont utilisé le terme de « ethical boundary work », ce que l’on peut traduire par « travail de frontières
éthiques ». Ils ont montré que ces chercheurs effectuent ce qu’ils appellent un ensemble de tactiques pour cadrer leur
pratique et la rendre acceptable dans un cadre législatif particulier.
7
Le sous-titre est dailleurs « le nouveau Prométhée ».
8
Voir notamment les travaux de M. Mulkay sur les débats sur la recherche sur les embryons en Grande-Bretagne, dans
lesquels le mythe de Frankenstein est très souvent mobilisé (1993, 1995, 1996, 1997).
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invoquée pour souligner les dangers d’un trop grand interventionnisme, le danger de vouloir mtriser
la nature et bannir le hasard.
En fait, le reproche constant adresà ces techniques est non seulement de vouloir satisfaire
le « fantasme d’un enfant sur-mesure » (René Frydman, Marianne, 27 février 2016) mais aussi
d’éliminer de la même façon les handicapés. Le tri des embryons et le DPI en particulier, ouvriraient
les portes à une forme d’eugénisme « mou, démocratique et insidieux », dont les conséquences à long
terme pour l’humanité nous seraient totalement inconnues selon le biologiste Jacques Testard (1992)
acteur central dans ce débat en France. De même, J. Habermas (2002) dénonce ce qu’il nomme un
« eugénisme libéral », en laissant aux préférences individuelles le choix des interventions
technologiques pouvant déterminer les caractéristiques de la descendance.
Impact des politiques européennes et internationales.
Au cours de ce post-doctorat, je porterai une attention particulière aux liens et relations
existants entre les pratiques locales et nationales et un niveau plus englobant, celui des politiques
européennes et internationales, et la manière dont elles peuvent se fonner mutuellement. Même si
chaque pays conserve sa spécificité, on ne peut plus en effet ignorer l’impact des politiques
européennes et internationales sur les législations et les pratiques locales
9
.
Portant une attention particulière aux réseaux relationnels dans lesquels sont inscrits les
acteurs et les institutions ils font référence, jétudierai la manière dont les acteurs opèrent entre enjeux
individuels, niveau local (règles, recommandations et bonnes pratiques des centres), impératifs et lois
nationales (lois de bioéthiques) et niveau global (européen et international
10
). Je ferai donc dialoguer
le champ disciplinaire de la sociologie et de lanthropologie avec celui de la politique et du droit.
Terrain de recherche.
Le post-doctorat ne durant quune seule année, je aliserai mon enquête de terrain dans un
seul centre, pratiquant le DPI. Je pourrai ainsi y étudier non seulement cette technique, mais aussi la
lection « ordinaire » des gamètes et des embryons ainsi que le choix des donneurs. L’objectif étant
d’étudier les dispositifs concrets visant à atténuer ou justifier l’interventionnisme, je procéderai à une
ethnographie des laboratoires afin d’étudier les pratiques de sélection et les discours associés. Je
réaliserai en outre des observations dans les CECOS afin d’étudier la sélection et l’appariement des
donneurs. Je redoublerai enfin cette analyse par des entretiens auprès des professionnels et des
engendreurs ayant recours à ces techniques.
Le DPI étant très encadré en France, seuls quatre centres sont aptes à le pratiquer : Paris-
Clamart en région parisienne, Montpellier, Strasbourg et enfin Nantes. Ayant déjà étudié l’embryon
en AMP au cours de ma thèse, je connais tout particulièrement le fonctionnement d’un centre et les
techniques employées. L’entrée sur le terrain sera donc facilitée. Par ailleurs, ne réalisant l’enquête
que dans un seul centre, il me faudra prendre en compte que des pratiques différentes peuvent être
observées dans des centres différents. Elles peuvent dépendre en effet de l’équipe, de la disposition
9
C’est le cas par exemple de la Convention dOviedo en 1997 au sujet de la recherche sur l’embryon ou encore du Comité
international de bioéthique de l’UNESCO et son rapport sur le DPI et les interventions sur la lige germinale du 24 avril
2003.
10
Cours Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), Organisation Mondiale de la Santé (OMS), UNESCO.
5
des lieux ou encore de l’organisation et des sensibilités des professionnels (Thompson 2005,
Svendsen & Koch 2008, Merleau-Ponty 2015, Giraud 2015).
Ouverture : les enjeux anthropologiques et scientifiques.
Cette recherche postdoctorale constituera le premier jalon d’une réflexion plus large menée
sur la sélection dans la reproduction, en comparant la lection dans le cadre de l’AMP et la sélection
sur le fœtus : diagnostic prénatal (DPN) et interruption volontaire et médicale de grossesse (IVG et
IMG). Il s’agira également de replacer cette flexion dans un débat anthropologique plus large sur
la personne, le corps et l’engendrement. Certains travaux en anthropologie, face auxquels je me
positionne, réaffirment le « grand partage », le contraste culturel entre « l’Ouest et le reste », en
soutenant qu’en raison des techniques de procréation, nous serions désormais dans un monde post-
relationnel dans lequel les individus seraient uniquement définis par la génétique et le biologique.
Les relations se négocieraient après coup, laissant place à la seule vérité biologique (Strathern 1992).
M. Godelier (2003, 2004) disait que « nulle part un homme et une femme ne suffisent pour
faire un enfant ». A eux seuls ils fabriquent seulement un fœtus, mais pour que ce fœtus devienne un
enfant humain complet, cela nécessitera nécessairement l’intervention de tiers procréateurs, d’agents
plus puissants que les humains et dont la définition varie selon les sociétés (les ancêtres, Dieu, les
esprits, d’autres humains). Pourtant, selon Enric Porqueres i Gené (2004, 2009, 2014), le hasard, les
aléas de la génétique et la nature seraient ce tiers procréateur. Toujours présent et ce dans toutes les
sociétés, il contribue d’ailleurs dans la pensée symbolique à séparer l’humanité de lanimalité
(Collard 2011 : 22). Les situations de sélection, nous permettent de porter une attention particulre
et de révéler les éléments nécessaires dans la construction d’un être humain, d’une personne entière,
notamment cas cette constitution progressive de la personne semble être mise en danger par une
technique, par l’intervention de lHomme. Ces situations serviront donc de révélateurs.
Cette recherche me permettra donc de croiser utilement sociologie du « vivant », analyse de
la biopolitique, et anthropologie du corps, de la personne et de la parenté.
Inscription dans le laboratoire d’accueil.
Je développe une approche relationnelle proche de celle développée par des chercheurs du
LISST-CAS depuis plusieurs années maintenant comme Agnès Fine ou encore Jérôme Courduries.
Être intége dans ce laboratoire me permettrait de bénéficier d’un environnement de travail
particulièrement riche sur la parenainsi que sur les problématiques de diffusion/gulations des
innovations biomédicales, à travers les travaux de Pascal Ducournau travaillant sur l’ADN et en
particulier les tests génétiques, ou encore ceux de rôme Courduriès sur l’impact des technologies
de reproduction et la gestation pour autrui sur les relations de parenté.
Je souhaiterai m’investir pleinement aux activis du Labex, de la MSHS ainsi qu’à celles du
laboratoire en participant par exemple aux ateliers de recherche « la paren et ses marges »,
coordonné par Agnès Martial, Jérôme Courduriès et Laurent Gabail. Envisageant en effet la parenté
comme relevant d’un ensemble relationnel plus large, les pratiques de sélection dans le cadre de
l’AMP participent directement de lengendrement, de linscription d’un être dans la parenté et donc
l’humani, ainsi que de l’institution d’une personne dans nos sociétés. Riche de mon expérience dans
l’enseignement à l’Universi Lille 1, je pourrai également participer aux séminaires d’enseignement
et de recherche de l’équipe.
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