Définitions
Altruisme. Actes sociaux lors desquels un donneur ou aidant contribue au bien-être d’un receveur ou
bénéficiaire, sans en retirer un avantage personnel et en encourant certains coûts, par exemple une perte de gains
ou des risques. Voir aussi Théorie de la sélection de parentèle.
Atome de parenté. Selon Lévi-Strauss, la structure de parenté la plus simple qui puisse exister, et qui lie quatre
individus : un frère, une soeur, le mari de la soeur et leur fils. L’atome de parenté est censé refléter les effets
combinés de deux facteurs, le désir naturel d’inceste entre frères et soeurs et son interdit, ce qui induit le frère à
céder sa soeur à un autre mâle aux fins de reproduction et crée ainsi un lien d’appartenance entre les enfants de la
soeur et leur oncle.
Consanguin. Synonyme d’apparenté. Consanguins primaires, secondaires, tertiaires. Catégories définies par
Murdock (1949, p. 94). Les consanguins primaires d’ego sont sa mère, son père, ses frères, ses soeurs, ses fils et ses
filles. Les consanguins secondaires d’ego sont les consanguins primaires de tous ses apparentés primaires :
grands-parents, petits-enfants, tantes, oncles, nièces et neveux. Les consanguins tertiaires d’ego sont les
consanguins primaires de ses apparentés secondaires : petits cousins, grands-tantes et grands-oncles, arrièregrands-
parents ; et ainsi de suite.
Dominance matrilinéaire. Type de rapports de dominance entre femelles, que l’on retrouve chez certaines
espèces de primates où les femelles sont philopatriques et apparentées. Dans ces hiérarchies, une femelle hérite
socialement du rang de dominance de sa mère de sorte que les femelles proches parentes occupent des rangs
adjacents. Le rang d’un individu est donc prévisible à la naissance sur la base de la structure d’apparentement
matrilinéaire ; il n’est pas déterminé par la force physique relative.
Exogamie. Former un lien reproducteur stable (se marier) hors de son groupe, quelle que soit la définition du
mot groupe (famille, lignage, clan, village, bande, tribu, etc.). L’exogamie est une forme d’exoreproduction,
mais les deux termes ne sont pas synonymes, parce que l’exogamie implique l’existence de liens reproducteurs
stables.
Matrilignage. Construction socioculturelle ayant pour fondement une matrilignée (ou structure de parenté
matrilinéaire). Ensemble des individus mâles ou femelles qui se reconnaissent comme les descendants d’un
même ancêtre féminin par les femmes seulement. Les membres d’un matrilignage forment ainsi un groupe de
descendance matrilinéaire et, à ce titre, partagent des droits, privilèges et obligations et peuvent agir
collectivement dans différents contextes.
Multiniveaux, société. Société où les groupes sont composés de plusieurs unités reproductives polygynes ou
monogames (groupe multiunités) et où un certain nombre de groupes multiunités coordonnent leurs
déplacements et constituent ainsi une entité sociale de niveau supérieur. Chez les primates non humains, de
telles entités sont exemptes de liens sociaux intergroupes et plutôt lâches alors que, chez l’humain, elles ont un
caractère fédéré.
Patrilignée. Ensemble des individus mâles et femelles qui descendent d’un même mâle, mais par les mâles
seulement. Une patrilignée inclut donc aussi bien les fils que les filles, mais pas les descendants des filles. Dans ce
livre, le terme patrilignée est utilisé pour désigner la structure d’apparentement patrilinéaire elle-même, c’està-
dire indépendamment du fait que les individus reconnaissent ou non leurs liens d’apparentement et leur
ascendance commune.
Philopatrie. Chez les primates, rester et se reproduire dans son groupe de naissance plutôt que le quitter
(dispersion). La philopatrie peut être pratiquée par les mâles seulement et produire des patrilignées, ou par les
femelles seulement et générer des matrilignées.
Promiscuité sexuelle. Système de reproduction où mâles et femelles se reproduisent avec de nombreux
partenaires sexuels et où il n’y a pas, par conséquent, de liens reproducteurs stables.
Théorie de la sélection de parentèle, ou de parenté. Ou théorie de la valeur sélective inclusive. Théorie proposée
par William Hamilton (1964), selon laquelle la sélection naturelle avantage les individus qui adoptent des
comportements favorisant la survie et la reproduction non seulement de leurs propres enfants, mais aussi de tous
les individus avec qui ils partagent des gènes par ascendance commune – leurs apparentés. Selon cette théorie,
l’altruisme (par exemple, un acte de protection) est avantageux pour un donneur (aidant ou pourvoyeur) à la
condition que les coûts (C) que celui-ci subit soient inférieurs aux bénéfices qu’il retire. Ces bénéfices (B) sont
ceux qu’obtient le bénéficiaire, mais dévalués par le degré d’apparentement (r) entre le donneur et le
bénéficiaire, ce qui s’exprime par la formule C < Br. La théorie de la sélection de parentèle explique l’altruisme
entre apparentés.
Chapitre 3 Le legs de la matrilinéaire
L’expression reconnaître un consanguin signifie tout au plus qu’ego perçoit certains marqueurs, ou corrélats, de
la relation d’apparentement qui le lie à un autre et que cette perception affecte sa manière d’agir avec ce dernier.
Le népotisme prend la forme de liens préférentiels entre parents et se manifeste dans des interactions comme le
maintien de la proximité, le toilettage, la tolérance près d’une source de nourriture (coalimentation), le soutien
au cours de conflits avec des adversaires de rang inférieur, la protection contre des agresseurs de rang supérieur
ou contre des prédateurs.
La théorie de la valeur sélective inclusive, ou de la sélection de parentèle, la sélection naturelle avantage les
individus qui adoptent des comportements favorisant la survie et la reproduction non seulement de leurs propres
enfants, mais aussi de tous les individus avec qui ils partagent des gènes par ascendance commune leurs
apparentés.
L’altruisme entre deux individus est profitable ou non en fonction de trois facteurs : les avantages qu’en retire le
bénéficiaire, les coûts encourus par l’aidant ou le pourvoyeur et leur degré de parenté mesuré par le coefficient
d’apparentement.
Comment les consanguins matrilinéaires sont-ils reconnus ?
La familiarité entre frères et soeurs s’acquiert donc par l’intermédiaire de la relation avec la mère.
En théorie, les sujets auraient pu reconnaître leurs germains grâce à un mécanisme fondé sur la correspondance
phénotypique, par lequel l’individu repère certaines caractéristiques physiques de ses frères et soeurs et les associe
aux siennes ou à celles de sa mère, comme le font les rongeurs. Cependant, la reconnaissance entre germains chez
les macaques semble reposer sur l’expérience commune qu’ils partagent avec la mère plutôt que sur la
correspondance phénotypique.
Dans le premier, la mère est un intermédiaire passif de la reconnaissance entre germains. Une femelle
reconnaîtrait sa soeur comme l’individu qu’elle croise tous les jours près de sa mère et avec laquelle elle a atteint
un haut niveau de familiarité. Chez les espèces où la femelle reste dans son groupe de naissance avec ses
consanguins maternels, le lien mère-fille dure toute la vie.
Dans le système classique, une fille hérite du rang social de sa mère dans la hiérarchie. Grâce à l’aide active de
la mère, elle finit par supplanter toutes les femelles occupant un rang inférieur à celui de sa mère et reste
subordonnée à cette dernière. Avec son aide, elle se hisse également au-dessus de ses soeurs plus âgées.
En d’autres mots, toute femelle occupe un rang de naissance prédéterminé qu’elle atteint à la maturité sexuelle.
Pourvu que les femelles demeurent dans leur groupe de naissance, le simple lien durable entre mère et fille est de
nature à générer des structures sociales qui reflètent la structure généalogique du groupe entier.
Chapitre 5 Le legs de l’évitement de l’inceste
Comme pour la parenté en général, c’est une chose de dire que l’interdiction de l’inceste est un phénomène
généralisé chez les primates non humains, mais c’en est une autre de soutenir qu’il existe une continuité
phylogénétique entre l’évitement de l’inceste chez les animaux et l’interdiction de l’inceste chez les humains.
Cela impliquerait en effet que certains des processus qui sous-tendent l’évitement de l’inceste chez l’animal sont
aussi à l’oeuvre dans l’interdiction normative de l’inceste chez les humains.
Principe no 1 : Les unions consanguines comportent des coûts biologiques.
La dépression endogamique, c’est-à-dire les coûts biologiques de la consanguinité, résulte d’une augmentation
de la proportion des gènes homozygotes (allèles identiques à un même locus), augmentation qui a pour effet,
d’une part, d’accentuer l’expression de gènes délétères récessifs qui, à l’état hétérozygote, ne le seraient pas et,
d’autre part, de diminuer l’étendue de la variation génétique parmi les descendants
Principe no 2 : La dispersion limite considérablement la consanguinité.
L’éloignement physique contribue également à réduire la concurrence pour la nourriture, le territoire et les
partenaires sexuels. Toutefois, de nombreux indices indiquent que l’une des fonctions majeures de la dispersion
dans les groupes multimâles-multifemelles
Principe no 3 : L’inceste n’est systématiquement évité qu’entre apparentés capables de se reconnaître par
association.
Principe no 4 : L’évitement de l’inceste décroît fortement à mesure que le lien d’apparentement se distend.
Principe no 5 : L’effet Westermarck est à l’oeuvre dans les sociétés primates.
Edward Westermarck émet l’hypothèse que la grande intimité partagée par des personnes élevées ensemble
depuis la petite enfance génère entre elles « une remarquable absence de pulsions érotiques ». Pour lui, c’est le
degré de familiarité qu’ont les proches parents durant l’enfance qui explique l’évitement de l’inceste, plutôt que
la reconnaissance intrinsèque de la relation d’apparentement.
Les études sur les primates permettent de tester l’effet Westermarck en dissociant l’effet de la familiarité
développementale de celui de l’apparentement génétique sur l’inhibition sexuelle.
Principe no 6 : La dispersion et l’effet Westermarck pourraient être deux rouages d’un même mécanisme.
L’effet inhibiteur de la familiarité développementale sur l’attirance sexuelle se mesure probablement en termes
de degré, l’inhibition allant décroissant à mesure que diminue le degré de familiarité.
Selon cette hypothèse, l’inhibition sexuelle d’un individu (disons un mâle) envers les individus du sexe opposé :
1) atteindrait un niveau maximal avec ses apparentés primaires ; 2) serait un peu plus faible avec les autres
femelles de sa matrilignée ; 3) s’affaiblirait encore avec le reste des femelles de son groupe de naissance ; et
4) avoisinerait le degré zéro avec les femelles vivant dans des groupes autres que le sien et avec lesquelles, par
conséquent, il ne partage aucune familiarité développementale.
Principe no 7 : Les femelles semblent plus portées que les mâles à éviter l’inceste.
Cette différence entre mâles et femelles est tout à fait logique sur le plan adaptatif dans la mesure où les femelles
ont bien davantage à perdre que les mâles, en matière de succès reproductif, en concevant des enfants à partir
d’unions consanguines (Clutton-Brock et Harvey, 1976). La mort d’un enfant représente en effet la perte de
deux ans d’investissement reproducteur – de la conception à la fin de la période d’allaitement – pour une femelle
macaque, et de cinq ou six ans pour une femelle chimpanzé, alors que, pour un mâle, la mort d’un enfant ne
représente que la perte de l’effort investi dans l’obtention de la femelle et la copulation.
Principe no 8 : Les relations homosexuelles n’échappent pas à l’évitement de l’inceste.
L’évitement de l’inceste homosexuel apparaît comme un effet secondaire de l’effet Westermarck.
Principe no 9 : L’activité sexuelle entre apparentés a peu de chance d’être reproductive.
Cela signifie que, dès le début de la séparation du lignage humain : 1) l’évitement des unions consanguines était
adaptatif ; 2) le départ du groupe de naissance par au moins l’un des deux sexes limitait substantiellement les
possibilités de relations incestueuses ; 3) l’inceste n’était systématiquement évité qu’entre parents se
reconnaissant les uns les autres par association, donc surtout entre apparentés matrilinéaires ; 4) l’évitement de
l’inceste déclinait nettement avec le degré d’apparentement génétique ; 5) l’effet Westermarck était au coeur du
phénomène ; 6) en supposant que la dispersion et l’effet Westermarck sont deux aspects d’un même mécanisme,
les deux sexes éprouvaient une attirance sexuelle marquée pour les individus nés dans des groupes autres que le
leur ; 7) l’évitement de l’inceste affectait aussi bien les activités hétérosexuelles qu’homosexuelles ; et
9) lorsqu’elles avaient lieu, les interactions sexuelles entre apparentés étaient peu susceptibles d’être couronnées
de succès sur le plan reproducteur.
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