Introduction
Devant une pathologie oculaire, le stomatologiste,
l’odontologiste et l’ophtalmologiste doivent asso-
cier leurs compétences ; de leur étroite collabora-
tion dépend le traitement (local et/ou général)
dispensé au patient. La guérison, l’avenir fonction-
nel de l’œil, la prévention des récidives dépendent
de leur précocité et de l’efficacité du traitement.
Le stomatologiste et le chirurgien-dentiste
jouent un rôle important et doivent donc connaître
les relations entre l’œil et la dent. Ils doivent
établir un diagnostic étiologique et dispenser un
traitement buccodentaire.
Nous verrons tour à tour, après un rapide histo-
rique et un rappel sur les rapports embryologiques
et anatomiques entre l’œil et la dent, l’étiopatho-
génie, les affections dentaires causales, les ta-
bleaux cliniques susceptibles d’être rencontrés.
Nous finirons sur l’examen stomatologique et la
conduite à tenir pour le stomatologiste et le
chirurgien-dentiste.
Historique
Les relations pathologiques sont connues depuis
longtemps.
Le Code d’Hamourabi (fondateur de l’empire
babylonien), 2258 avant JC, décrit, dans ses tables,
les relations entre les maladies de l’œil et celles
des dents.
Hippocrate, dans ses Aphorismes périopsos, dé-
finit la relation de cause à effet entre certaines
suppurations intraorbitaires et un foyer infectieux
dentaire.
L’iconographie chrétienne représente volon-
tiers, main dans la main, sainte Apolline (protec-
trice des dents) et sainte Lucie (protectrice des
yeux).
Pour Ambroise Paré, la canine maxillaire corres-
pond à la « dent de l’œil » ou « œillère ». Il définit
les rapports de contiguïté entre les dents et le
globe oculaire.
Des auteurs anglo-saxons dénoncent l’impor-
tance des foyers infectieux dentaires dans la ge-
nèse des infections focales. En 1910, Hunter accuse
la septicité apicale dentaire d’être le point de
départ de nombreuses infections, dans sa confé-
rence publiée dans The Lancet. Ce médecin colonel
anglais prône l’extraction dentaire systématique et
accuse les « mausolées d’or (couronnes, bridges,
onlays...) sur des tombeaux de microbes ».
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En
1912, Billings énonce sa théorie de l’infection fo-
cale qui repose sur l’essaimage à distance de toxi-
nes bactériennes. Celle-ci serait la cause principale
des troubles à distance. « La bouche est l’ennemie
mortelle de l’œil ». Ces thèses eurent peu d’écho
en France, mais en eurent beaucoup outre-
Atlantique.
27
En 1914, les travaux français de Dor (Lyon) et de
Polliot (Besançon) démontrent le rôle des lésions
apicales, souvent cliniquement muettes, dans
l’étiologie des uvéites. Les extractions dentaires se
multiplient alors.
27
Fromaget publie, en 1924,
d’importants travaux sur les rapports entre lésions
oculaires et lésions dentaires. Les manifestations
oculaires d’origine dentaire ne sont alors plus niées
(Worms et Bercher, Lepoivre, Dechaume, Reilly...).
Ces auteurs prônent une position moins catégori-
que.
27
En 1951, au congrès de l’Association dentaire
américaine, les participants furent unanimes pour
considérer comme minime le danger des infections
focales.
Actuellement, les cliniciens ont une position plus
modérée. L’étiologie dentaire est possible, mais
rare.
Il n’existe que peu d’études récentes documen-
tées sur ce sujet. La littérature existante se résume
souvent à des cas cliniques.
Rapports
Rapports embryologiques
Il existe un lien ontogénique étroit entre l’œil et la
dent.
L’origine embryologique des dents est double :
l’ectoderme du stomodeum est issu du premier arc
branchial, l’ectomésenchyme des crêtes neurales
encéphaliques. De même, le globe oculaire a une
double origine embryologique : l’œil est constitué
d’une vésicule optique, émanation du diencéphale,
qui préside à l’élaboration de la rétine sensorielle
et pigmentaire. Autour de celle-ci, vers le 40
e
jour,
affluent les cellules des crêtes neurales encéphali-
ques qui vont se différencier en enveloppes et
structures périoculaires (choroïde, sclérotique, en-
dothélium de la cornée, cellules pigmentaires de
l’iris...).
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L’œil et la dent ont donc une origine
embryologique commune : ils dérivent de l’épi-
blaste.
Les éléments ectodermiques de l’œil (cristallin
et rétine) et le développement du maxillaire et de
la mandibule évoluent dans la même période (entre
la cinquième et la septième semaine).
Mais, plus encore, c’est la mise en place des
structures de soutien qu’il faut considérer.
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Le
développement volumétrique et la fusion médiane
418 F. Jordana et al.