Données préliminaires sur l`expérience vécue de diagnostics

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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 25, issue 2, spring 2015
reVue Canadienne de sOins infirmiers en OnCOlOgie
FEATURES/RUbRiqUES
PriX De conFérence Acio/cAno en PrAtique clinique 2014
Données préliminaires sur l’expérience vécue de
diagnostics successifs de cancer primitif
par Krista L. Wilkins
AbréGé
Environ un Canadien sur deux dévelop-
pera une forme ou une autre de cancer, et
certains des individus ainsi atteints vivront
susamment longtemps pour être diagnos-
tiquées de plusieurs cancers primitifs. Il
semblerait que des diagnostics successifs de
cancer primitif aient une incidence néga-
tive sur létat mental et physique des survi-
vants ainsi que sur leur qualité de vie. Les
études de recherche existantes ne saisissent
pas complètement la réalité complexe de
ce que cela signie davoir des diagnostics
successifs de cancer primitif. Par consé-
quent, une étude qualitative a été menée
dans le but dobtenir des descriptions détail-
lées des expériences vécues liées aux dia-
gnostics successifs de cancer primitif. Les
participants comprenaient 10 personnes
du Canada Atlantique ayant des anté-
cédents d’au moins deux diagnostics de
cancer. Les données ont été obtenues par
le biais d’interviews semi-structurées et de
photographies prises par les participants.
Les interviews ont été transcrites et exa-
minées an den dégager les signications
communes. Les analyses des données pré-
liminaires laissent à penser que la signi-
cation essentielle du fait davoir le cancer
à plusieurs reprises est que le cancer est un
« rappel importun ». Cette étude donne
des résultats pouvant fournir aux presta-
taires de soins une orientation à fondement
empirique leur permettant dorir aux sur-
vivants du cancer un soutien plus holis-
tique tout au long du continuum de soins
prolongé et, en bout de ligne, d’améliorer la
santé des personnes ayant eu plusieurs can-
cers primitifs de suite.
Le cancer est passé d’une maladie
presque toujours mortelle à une
maladie fréquemment guérissable de
nos jours. Alors que la survie au cancer
était une exception il y a quarante ans,
le taux de survie relative à cinq ans s’est
constamment accru, de 1992–1994 à
2000–2004, pour atteindre 63 % pour
l’ensemble des cancers (Comité direc-
teur des statistiques sur le cancer de la
Société canadienne du cancer, 2014).
La survie au cancer est une question
existentielle fondamentale. Elle nous
amène à nous interroger sur la vie et
la mort et suscite une réexion des-
criptive et ontologique sur la nature de
l’existence humaine (Pascal, Endacott &
Lehmann, 2009).
cAncers PrimitiFs
multiPles
La croissance du nombre de sur-
vivants du cancer s’est accompagnée
d’une augmentation parallèle du
nombre de personnes diagnostiquées
de cancers primitifs multiples. Ces der-
niers sont dénis comme étant « deux
cancers primitifs ou plus survenant
chez une personne et qui prennent nais-
sance dans un site ou tissu primaire et
qui ne sont ni un prolongement, ni
une récurrence ni une métastase »
(Soerjomataram & Coebergh, 2009,
p. 86) [traduction libre]. Il est prévu
qu’au moins une personne sur 9 déve-
loppe deux types de cancers ou plus
au cours de sa vie (Mariotto, Rowland,
Ries, Scoppa & Feuer, 2007). En outre,
quand on considère toutes les catégo-
ries d’âge, les survivants du cancer ont
14-20 % plus de risque de développer
un nouveau cancer primitif par rapport
à l’ensemble de la population (Curtis et
al., 2006; Soerjomataram & Coebergh,
2009).
inciDence Des cAncers
PrimitiFs multiPles
Les diagnostics de cancers primitifs
multiples prédisposent les survivants
du cancer à la morbidité et à une mor-
talité précoce du fait de leurs eets sur
la santé globale, sur la qualité de vie
et sur la survie à long terme. En com-
paraison avec les survivants à un seul
cancer et avec les personnes n’ayant pas
d’antécédent en matière de cancer, les
survivants à des cancers primitifs mul-
tiples indiquaient avoir une moindre
qualité de vie globale, un plus haut
stress lié au cancer, une plus forte pré-
valence, au cours de la vie, de troubles
médicaux et une plus grande incapa-
cité liée à la santé (Andrykowski, 2011;
Gotya, Ransom & Pagano, 2007). À une
seule exception près (l’inactivité phy-
sique), les survivants à des cancers pri-
mitifs multiples participaient davantage
à des comportements malsains que les
survivants à un cancer unique, mais
leurs comportements étaient plus sains
que ceux du groupe contrôle (Burris &
Andrykowski, 2011). Tous les eets d’un
diagnostic de cancer sur le bien-être
psychosocial étaient encore apparents
plusieurs années plus tard, ce qui laisse
à penser que le temps n’atténue pas ces
eets (Thong et al., 2011).
Mises ensemble, ces études de
recherche suggèrent que le fardeau de
la maladie lié aux diagnostics de cancers
primitifs multiples est cumulatif et qu’il
dépasse celui qui pèse sur les survivants
d’un diagnostic unique. Quoiquelles
soient importantes, elles ne saisissent
pas pleinement la multidimensionalité
d’avoir le cancer à plusieurs reprises. Il
est nécessaire délaborer des approches
de recherche permettant d’accéder aux
pensées des survivants du cancer et
de leur donner la parole dans le but de
comprendre ce que cela signie, pour
eux, d’avoir des diagnostics de cancers
primitifs multiples.
Au suJet De l’Auteure
Krista L. Wilkins, inf., Ph.D.,
Professeure adjointe, Faculté des
sciences inrmières, Room 155,
MacLaggan Hall, 33 Dineen Drive,
Université du Nouveau-Brunswick,
Fredericton, N.-B.E3B 5A3
Tél. : (506) 447-3077; Téléc. :
Fax: (506) 453-4519; Courriel :
232 Volume 25, Issue 2, sprIng 2015 • CanadIan onCology nursIng Journal
reVue CanadIenne de soIns InfIrmIers en onCologIe
FEATURES/RUbRiqUES
question De recHercHe
Parce quelle s’attache à révéler la
nature des expériences humaines dans
le monde, la recherche phénoméno-
logique peut être employée en toute
ecacité pour étudier en profondeur
les expériences vécues des survivants
du cancer (van Manen, 1990). Une
approche phénoménologique a ainsi
été utilisée dans le cadre de cette étude
de recherche s’étalant sur deux ans
an d’acquérir une riche compréhen-
sion de ce que les personnes éprouvent
lorsquelles ont le cancer à plusieurs
reprises et la signication de ce fait pour
les personnes atteintes dans le contexte
de leur vie quotidienne. La question de
recherche de l’étude était : Quelles signi-
cations les individus attribuent-ils à
l’expérience vécue d’avoir reçu plusieurs
diagnostics de cancer primitif?
eXPériences Vécues
sAisies À lAiDe De
PHotoGrAPHies
Saisir les expériences vécues dans
les données dégagées au moyen de
photographies permet de « voir »
d’une manière diérente une expé-
rience vécue, de révéler ce quelle a
« d’indicible » (Pain, 2012). Ceci inclut
une compréhension commune de : (1)
le corps vécu (la présence corporelle
dans le monde), (2) le temps vécu (la
perception subjective du temps dans le
monde), (3) l’espace vécu (la façon dont
l’espace a une incidence sur ce que la
personne éprouve), et (4) les relations
vécues (établies dans l’espace partagé
avec les autres) [van Manen, 1990].
Lors de cette étude, on invitait les
individus ayant eu deux cancers ou plus
(voir les critères d’inclusion au tableau
1 et les stratégies de recrutement au
tableau 2) à :
1. Fournir des renseignements démo-
graphiques (p. ex. âge, scolarité) et
leurs antécédents en matière de
cancer
2. Parler de ce qu’ils ont vécu du fait
d’avoir eu le cancer à plusieurs
reprises (environ 60 minutes, entre-
vue faisant l’objet d’un enregistre-
ment numérique);
3. Réaliser une activité photographique
qui exigeait :
• La prise de photographies au
moyen d’un appareil photo numé-
rique de tout ce qui pouvait repré-
senter leurs expériences (p. ex.
changements corporels, expé-
rience du temps d’un cancer à
l’autre);
• Privilégier les objets inanimés
dans la mesure du possible et
obtenir le consentement écrit des
personnes gurant dans leurs
photographies; et
• Rédiger des notes sur les photo-
graphies qu’ils ont prises; et
4. Parler des photographies ainsi prises
(environ 90 minutes, entrevue fai-
sant l’objet d’un enregistrement
numérique).
Nous organiserons, en 2015, une
séance de partage de photos et une
exposition publique de photos des parti-
cipants. Ces derniers décideront quelles
photographies ils souhaitent partager, la
façon de le faire et avec qui ils veulent
les partager.
Les énoncés thématiques ont été iso-
lés en utilisant l’approche sélective de
van Manen (1990) qui consiste à sélec-
tionner et à surligner les groupes de
mots ou les phrases qui ressortaient
Tableau 1 : Critères d’inclusion des participants
Critères Définition
Diagnostic de cancer 2 diagnostics de cancer ou plus
Intervalle minimum de 6 mois entre diagnostics
N’importe quel type de cancer
Au moins 6 mois depuis le plus récent diagnostic de cancer
Âge lors de l’interview 19 ans ou plus
Lieu de résidence Canada Atlantique
Tableau 2 : Stratégies de recrutement
Stratégies
Médias sociaux
facebook.com/SMCUNB
Suivez-nous sur Twitter @CancerRsrchUNB
Messages d’intérêt public
Petites annonces
Groupes de soutien
Sections locales de la Société canadienne du cancer
Entrevues diusées à la radio et publiées dans des journaux
Les survivants du cancer exclus d’études précédentes mais admissibles à la présente étude
Tableau 3. Caractéristiques des participants (n = 10)
Données démographiques/ caractéristiques sur la maladie Total/Moyenne (étendue)
Sexe
Masculin
Féminin
3
7
Âge au moment de l’interview 61 (27-75)
Nombre de diagnostics de cancer 23 (2-4 par participant)
Nombre d’années entre diagnostics 9 (2-17)
Âge au moment du diagnostic de cancer 50 (7-70)
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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 25, issue 2, spring 2015
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FEATURES/RUbRiqUES
et semblaient thématiques de l’expé-
rience vécue des participants atteints à
plusieurs reprises de cancers primitifs.
En utilisant l’ensemble des groupes de
mots et des phrases, les données tex-
tuelles ont été réduites jusqu’à ce que
les thèmes essentiels s’en dégagent. Le
travail de rédaction initiale et de révi-
sion des thèmes nous a aidées à déve-
lopper l’interprétation. Les participants
ont fourni la contextualisation initiale
des données photographiques en cer-
nant les questions les plus importantes
qui en ressortaient pour eux. La tâche
de la chercheuse était de réaliser l’in-
terprétation globale de ces données
(Guillemin & Drew, 2010).
constAts
Données démographiques /
caractéristiques de la maladie
Il y avait 10 participants dont 7
femmes et 3 hommes (voir les carac-
téristiques des participants au tableau
3), qui ont fourni des données pour
l’analyse. Les eorts de recrutement
vont être poursuivis an d’atteindre
20 comme taille déchantillon (voir les
stratégies de recrutement au tableau
2). Tous les participants actuels ont
réalisé la première interview tandis
que six dentre eux ont achevé l’activité
photographique ainsi que la seconde
interview.
La moyenne d’âge des participants
était de 61 ans (pour une étendue de
27 à 75 ans) lorsqu’ils se sont inscrits
pour l’étude. La plupart des partici-
pants ont eu le cancer à deux reprises.
Vingt-trois diagnostics de cancer ont
été rapportés par les participants. Ce
chire ne comprend pas les cancers
qui avaient produit des métastases ou
avaient récidivé dans les six mois. Les
diagnostics concernaient les cancers
suivants : sein, côlon / intestin, lym-
phome, mélanome, col de l’utérus et
prostate. La période de temps moyenne
entre les diagnostics de cancer s’élevait
à neuf années (pour une étendue de 2 à
27 années). Au moment du diagnostic
de cancer, les participants avaient, en
moyenne, 50 ans (pour une étendue de
7 à 70 ans). Une variété de traitements
anticancéreux a été signalée pour cha-
cun des diagnostics de cancer, notam-
ment la chimiothérapie, la chirurgie,
la radiothérapie ou une combinaison
quelconque de ces traitements.
Lessence : le script du rappel importun
Les analyses préliminaires donnent
à penser que la meilleure description
de l’essence davoir le cancer plus d’une
fois est un « rappel importun ». En
termes simples, il s’agit d’un script dont
les participants à l’étude se seraient
bien passés. Une perspective était par-
tagée par tous les participants à savoir
le fait que d’avoir le cancer une autre
fois nétait pas quelque chose de dési-
rable ou de recherché à la manière
des rappels marquant la n de pièces
de théâtre, de concerts ou de confé-
rences. La réalité veut que, pour ces per-
sonnes-là, le cancer ne survienne pas
qu’une seule fois. Le fait d’avoir le can-
cer à plusieurs reprises caractérise une
partie de leur vie, en s’assortissant par-
fois de fardeaux et parfois de bienfaits.
Néanmoins, les participants ont conclu
qu’il y avait beaucoup de bonnes choses
qui accompagnaient les diagnostics suc-
cessifs de cancer primitif, notamment
une perspective diérente sur la vie.
Thèmes
Trois thèmes communiquent l’es-
sence de cette expérience : (1) De la
toile de fond au devant de la scène, (2)
Familier mais diérent, et (3) Se sentir
privilégié…« Je tiens à remercier»
De la toile de fond au devant de la scène
Le temps écoulé entre les diagnos-
tics de cancer était une période de
récupération durant laquelle les par-
ticipants cherchaient à se réhabiliter.
Certains se sont mariés. Certains pre-
naient le temps de voir leurs enfants
grandir. Certains ont trouvé de nou-
veaux emplois, d’autres ont pris leur
retraite. Les participants armaient
se sentir forts et en bonne santé. Pour
quelques femmes qui avaient perdu un
sein, cétait le moment de la chirurgie
de reconstruction mammaire. Quand le
cancer prend le devant de la scène, cela
veut dire qu’il est de retour. De l’avis
des participants, cela signiait qu’ils
venaient de faire un demi-tour complet
et qu’avec ce nouveau diagnostic de can-
cer, ils se retrouvaient à leur point de
départ.
Les participants se sentaient déçus et
découragés de ne pas avoir pu « esqui-
ver » leurs cancers suivants et ce, pour
deux raisons. D’une part, les partici-
pants expliquaient que leur premier
diagnostic de cancer leur semblait
insigniant ou peu important dans le
contexte de leur vie; il s’agissait d’un
« accroc » dans la vie. C’était quelque
chose qui s’était produit dans le passé.
Comme un participant (2 lymphomes)
l’a dit :
« Il nit par faire partie de la toile
de fond. Quelqu’un prononce le mot
cancer” et vous vous dites “Ben ça
m’est arrivé, je suis passé par là.
C’est comme la varicelle ou une
autre aection qui survient seule-
ment une fois. Il ne m’était jamais
venu à lesprit que cela pourrait arri-
ver de nouveau. »
D’autre part, les participants accor-
daient une grande conance à l’opi-
nion des prestataires de soins et étaient
déçus lorsque ceux-ci se trompaient à
propos de diagnostics de cancer ulté-
rieurs. Par exemple, certains croyaient
qu’ils nauraient pas de nouveau le
cancer parce qu’ils avaient connu en
moyenne, une rémission de 9 ans. Le
fait d’avoir dépassé la barre des 5 ans
marquant la « guérison » lorsqu’ils ont
été diagnostiqués d’un autre cancer était
particulièrement bouleversant pour les
participants qui estimaient avoir été
induits en erreur par les prestataires de
soins qui leur avaient fait croire qu’ils
étaient « guéris du cancer ».
Surtout, le fait dêtre atteints du
cancer à plusieurs reprises a fourni
aux participants la preuve que le can-
cer peut survenir plus d’une fois chez
Figure 1 : « Fin de la zone de
construction » de Mike (2 lymphomes).
234 Volume 25, Issue 2, sprIng 2015 • CanadIan onCology nursIng Journal
reVue CanadIenne de soIns InfIrmIers en onCologIe
FEATURES/RUbRiqUES
une même personne. Il leur semblait
impossible de mettre un point nal au
chapitre et que l’expérience de cancer
n’avait pas de n nette. L’avenir leur
paraît ou comme le reète la photo-
graphie que Mike a prise dun panneau
« Fin de la zone de construction » (voir
la gure 1). En parlant des chances qu’il
avait de développer un troisième cancer,
Mike sest exclamé : « Je pense que cest
bien réel, que cest possible, parce que
les deux premiers (cancers) n’avaient
pas de lien entre eux et étaient tout à
fait imprévus et que je nétais pas vieux
à l’époque et que je ne suis encore pas
vieux pour avoir un autre cancer ».
Un diagnostic de cancer ultérieur
amenait certains à éprouver un senti-
ment d’insécurité et à se sentir mena-
cés. Ils se mettaient à s’inquiéter de
chaque douleur, mal ou bosse et se
demandaient « Est-ce une douleur nor-
male ou une douleur induite par le can-
cer? ». Par exemple, en parlant d’une
photographie de foulards, Deborah
(cancer du col de l’utérus suivi d’un can-
cer du sein) a coné quelle gardait les
foulards quelle avait portés quand elle
avait perdu ses cheveux à cause des trai-
tements de chimiothérapie parce quelle
pourrait en avoir de nouveau besoin si
elle devait avoir le cancer une troisième
fois.
C’est familier mais diérent
Il existe une idée reçue omnipré-
sente à la fois chez les survivants du
cancer et les prestataires de soins,
celle selon laquelle le fait d’avoir eu le
cancer prépare automatiquement les
survivants à la survenue de cancers ulté-
rieurs. Dans cette optique, la personne
qui a le cancer à plusieurs reprises est
perçue comme un « ancien combat-
tant », un patient déjà atteint par le
cancer qui sait à quoi s’attendre sur le
plan du diagnostic, du traitement, et
des eets à court et à long terme parce
qu’il a déjà traversé l’épreuve du cancer.
Le problème est que le fait d’avoir eu le
cancer une fois ne prépare pas nécessai-
rement les patients aguerris à des dia-
gnostics de cancer ultérieurs. D’ailleurs,
il se peut que cette idée reçue puisse
nuire aux soins dispensés à ces patients
lorsqu’ils sont atteints d’un nouveau
cancer tel que l’illustre la citation
suivante de Sarah à propos de son deu-
xième cancer du sein :
« Je narrêtais pas de faire de mau-
vaises suppositions parce que je les
basais sur la façon dont les choses
sétaient déroulées quatorze ans
plus tôt. Et tout a tant changé. Cela
aurait été beaucoup mieux pour
moi si cela avait été ma première
fois. Je ne cessais de me dire que ça
allait se passer de cette façon... et de
cette façon et ainsi de suite. Je nis-
sais par ne pas poser la question qui
me vaudrait de recevoir certains ren-
seignements. Les gens (prestataires
de soins) supposaient que je connais-
sais la réponse parce que j’étais déjà
passée par là, tout cela fait que
diverses petites choses nont pas été
abordées. »
Lorsque les participants comparaient
leur première expérience du cancer à
leurs expériences ultérieures, ils par-
laient des similitudes et des diérences
qu’ils remarquaient au niveau des carac-
téristiques du cancer, du traitement du
cancer, des tâches liées aux étapes de la
vie et des perspectives d’avenir. La carac-
téristique du cancer qui préoccupait le
plus les participants était l’étendue de
l’envahissement tumoral. La plupart des
participants avaient été diagnostiqués,
lors de leur première épreuve cancé-
reuse, de cancers localisés non invasifs,
tandis que leurs cancers ultérieurs
étaient souvent de nature plus invasive
avec présence de métastases.
Les participants étaient stupéfaits
des progrès réalisés à ce jour concer-
nant les traitements anticancéreux. Ils
constataient que les traitements de
radiothérapie ciblaient beaucoup mieux
les cellules cancéreuses et endomma-
geaient bien moins les organes et tis-
sus sains environnants (p. ex. faisceaux
de photons par rapport au cobalt-60).
Les participants soulignaient égale-
ment l’importance, pour eux, de rece-
voir leurs traitements contre le cancer
dans le même établissement pour cha-
cun de leur diagnostic de cancer. Ceci a
beaucoup aidé une participante dont les
soins ont été assignés à son ancienne
équipe médicale lorsquelle a développé
son deuxième cancer du sein parce
quelle était « encore dans le système ».
Les participants décrivaient l’impact
de leurs traitements anticancéreux sur
leur organisme, en contrastant leurs
expériences au l du temps. Pour cer-
tains, les traitements les touchaient
de la même façon « en ravageant
les émotions et le corps ». D’autres
décelaient des diérences dans leur
préparation en vue du traitement anti-
cancéreux. En se référant à la photogra-
phie d’un kayak, Deborah (cancer du col
de l’utérus suivi d’un cancer du sein) a
déclaré :
« La diérence est mon premier can-
cer (en comparaison avec mon deu-
xième)… Je navais pas une aussi
bonne forme physique au moment
de laronter. Je nétais pas aussi
stable du point de vue émotionnel.
Spirituellement parlant, je nétais
pas prête… J’ai donc mis bien plus
de temps à traverser lépreuve, la pre-
mière fois. »
Les participants en étaient à des
étapes de vie diérentes lorsqu’ils ont
été diagnostiqués de leurs cancers suc-
cessifs. Ceux qui étaient célibataires
lors de leur premier cancer étaient fré-
quemment mariés lors de leur seconde
atteinte. Certains avaient de jeunes
enfants à la maison lorsque le can-
cer les a frappés pour la première fois.
Lorsqu’il est apparu une autre fois,
ils avaient des enfants adultes et des
petits-enfants. Lillian en a fait l’illus-
tration avec une photographie de sa
famille :
« Lorsque mon second cancer du
sein est survenu, j’étais parvenue à
une étape diérente de ma vie ... Je
savais que mes enfants ne dépen-
daient plus de moi comme avant …
nous étions rendus au moment où
nous pouvions vivre de nouveau
« notre vie de couple » parce que nos
gamins étaient partis. »
Les besoins des participants variaient
en fonction de leurs étapes de vie. Nelda,
qui était chef de famille monoparentale
quand elle a reçu son premier diagnos-
tic de cancer du sein à l’âge de 30 ans,
avait les besoins suivants : logement,
soins aux enfants, carrière/emploi et
revenus. Ses besoins avaient changé
deux ans plus tard lorsquelle a été dia-
gnostiquée d’un second cancer du sein
235
Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 25, issue 2, spring 2015
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FEATURES/RUbRiqUES
à 32 ans. Cette fois-ci, ses besoins por-
taient sur l’assurance-vie, la réduction
de son volume de travail professionnel
et la capacité de donner un enfant à son
mari.
La conception de la vie chez les par-
ticipants s’est modiée au l du temps.
La majorité dentre eux rapportaient
qu’ils avaient eu peur de mourir quand
ils avaient reçu leur premier diagnostic
de cancer. Cette peur de mourir a été
saisie dans la photographie de Nelda
intitulée « Terrorisée jusquaux os »
(voir la gure 2). Lors du premier dia-
gnostic de cancer, la peur de mourir
était tellement intense que deux par-
ticipants se sont sentis obligés de faire
préparer une entente de tutelle parce
qu’ils croyaient ne pas s’en sortir et être
là pour prendre soin de leurs enfants.
Lors de leurs cancers ultérieurs, la plu-
part des participants ne semblaient
pas s’inquiéter autant de leur propre
mort puisque le fait d’avoir « battu »
le cancer une fois voulait dire qu’ils
pourraient le « battre » de nouveau.
Seulement une participante, Sheila, qui
a survécu au cancer à quatre reprises,
exprimait un sentiment de peur persis-
tant qui se transférait d’un diagnostic
de cancer à l’autre. À ses dires, « C’était
toujours le même sentiment (la peur).
D’après moi, peu importe le nombre de
fois quon vous le dit (que vous avez le
cancer), cest la même chose. »
Se sentir privilégié… « Je tiens à
remercier… »
Avoir le cancer à plusieurs reprises
est un élément de la vie des partici-
pants qui ne changera pas. Cela ne
veut pas dire qu’ils sont les victimes de
leurs circonstances. L’attitude et la per-
ception des participants relevaient de
leur propre création. Ils nétaient pas
dictés par leurs circonstances. Les par-
ticipants choisissaient de rechercher
des bénédictions au sein de leurs expé-
riences face au cancer. Ces bénédictions
étaient les choses qui les aidaient ou
leur apportaient bonheur et prospérité.
Pour certains participants, les bénédic-
tions étaient évidentes. Pour d’autres, il
s’agissait de bénédictions déguisées, qui
leur semblaient être des mauvais coups
du sort au départ mais qui se révélaient
bénéques, en n de compte.
D’abord et avant tout, les partici-
pants étaient reconnaissants du don de
la vie. Ils étaient vivants. Ils avaient sur-
vécu au cancer à plusieurs reprises. Ils
étaient en train de retrouver leur santé
et leur force. Une bénédiction particu-
lièrement importante faite à une par-
ticipante fut une deuxième lle. En
examinant la photographie d’une pou-
pée, Nelda a coné quelle avait conçu et
élevé une deuxième lle malgré quon
lui ait dit quelle ne pouvait pas et ne
devrait pas avoir de bébé. On lui avait
expliqué qu’ayant été atteinte du cancer
du sein à deux reprises, il était probable
quelle en développe un autre et quelle
ne vive pas assez longtemps pour voir
grandir un nouvel enfant.
Les diagnostics successifs de cancer
donnaient aux participants l’occasion de
discuter du cancer avec leurs proches et
de les encourager à suivre des pratiques
de dépistage. Quoique la transmission
de gènes du cancer à leurs enfants leur
paraisse préoccupante, les participants
soulignaient les bienfaits qui allaient
de pair avec ce que les participants
appelaient « le cancer à titre de legs
familial ». Lillian (2 cancers du sein) le
formulait ainsi :
« C’est un legs horrible que je laisse à
mes lles parce quelles devront, toute
leur vie durant, rester vigilantes en
tout temps. Mais ça pourrait les
mettre dans une position plus favo-
rable que celle dautres personnes.
Elles verront ainsi de nombreux
médecins et on ne manquera pas de
leur rappeler de passer leurs mam-
mographies. Si elles ne sont pas sui-
vies de près, il se peut que quelque
chose passe inaperçu. »
Une autre bénédiction dont parlaient
les participants était l’opportunité qu’ils
avaient dêtre des ambassadeurs char-
gés de sensibiliser les gens à la lutte
continue contre le cancer. Ils sont pas-
sionnés, tenaces, axés sur l’action et des
acteurs de changement. Ils agissaient
au niveau de la prévention du cancer et
du soutien aux personnes atteintes et
participaient à des activités de collecte
de fonds comme le Relais pour la vie de
la Société canadienne du cancer.
La recherche de réconfort/consola-
tion était une bénédiction qui s’avérait
importante aux yeux des participants.
Ces derniers trouvaient souvent du
réconfort dans leur foi en une puis-
sance supérieure (Dieu). Comme Lillian
(2 cancers du sein) l’a exprimé : « Je
crois tout simplement qu’Il est aux com-
mandes et que ce qui arrive, arrive. De
toute façon, il n’y a rien que nous puis-
sions changer ». Comme elle l’a saisi
dans sa photographie intitulée « Soins
spirituels », Deborah (cancer du col
de l’utérus suivi d’un cancer du sein)
a coné quelle était reconnaissante de
ces deux expériences du cancer. Elle
était prête à « les traverser de nouveau »
parce quelles l’avaient amenée à tis-
ser une relation avec son Créateur. Elle
a parlé des batailles quelle a menées
en vue de Le connaître quand elle a eu
son premier cancer parce quelle « était
religieuse, mais n’avait aucune rela-
tion avec Lui ». Quand le cancer est
venu la frapper une seconde fois, elle
avait établi sa relation sacrée avec Dieu.
C’est cette relation qui l’aidait à trouver
paix et joie au beau milieu de ses expé-
riences de cancer.
Des lieux de sanctuaire s’avéraient
importants pour leur procurer des
moments de méditation et de réexion
tranquilles. Pour Deborah (cancer
du col de l’utérus suivi du cancer du
sein), tout endroit situé sur l’eau ou à
sa proximité avait un eet apaisant sur
son corps. En regardant sa photogra-
phie intitulée « Tranquilles moments
Figure 2 : « Terrorisée jusqu’aux os » de
Nelda (2 cancers du sein).
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Données préliminaires sur l`expérience vécue de diagnostics

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