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Usine Fagus
(Allemagne)
No 1368
Nom officiel du bien tel que proposé par l’État partie
Usine Fagus
Lieu
État-région de Basse-Saxe
Ville d’Alfeld an der Leine
Allemagne
Brève description
Conçue au début des années 1910, l’usine Fagus à Alfeld
présente un ensemble architectural des plus complets
annonçant le mouvement moderniste en architecture.
Construite et agrandie par Walter Gropius, elle comprend
en particulier l’usage novateur des « murs rideaux », de
vastes verrières indépendantes d’une structure porteuse
épurée. Elle témoigne d’une rupture importante des
valeurs architecturales et décoratives de l’époque, se
tournant résolument vers une esthétique industrielle
fonctionnaliste. Par un programme incluant
l’aménagement intérieur, elle prépare la naissance du
design industriel et elle préfigure la naissance de l’école
du Bauhaus.
Catégorie de bien
En termes de catégories de biens culturels, telles qu’elles
sont définies à l’article premier de la Convention du
patrimoine mondial de 1972, il s’agit d’un ensemble.
1 Identification
Inclus dans la liste indicative
29 septembre 1999
Assistance internationale au titre du Fonds du
patrimoine mondial pour la préparation de la
proposition d’inscription
Aucune
Date de réception par le Centre du patrimoine mondial
28 janvier 2010
Antécédents
Il s’agit d’une nouvelle proposition d’inscription.
Consultations
L’ICOMOS a consulté son Comité scientifique
international sur le patrimoine du XXe siècle et de
nombreux experts indépendants.
Littérature consultée (sélection)
Argan, G. C., Gropius und das Bauhausn Rowohlt, 1962.
Giedon, S., Walter Gropius, l’homme et l’œuvre, Paris, 1954.
Isaacs, R. R. , Walter Gropius. An Illustrated Biography of his
Life and Work, Boston-Toronto-Londres, 1991.
Wingler, H. M., Das Bauhaus, Cambridge Mass., 1980.
Mission d’évaluation technique
Une mission d’évaluation technique de l’ICOMOS s’est
rendue sur le bien du 15 au 17 septembre 2010.
Information complémentaire demandée et reçue de
l’État partie
L’ICOMOS a demandé des informations complémentaires
à l’État partie en date du 30 septembre 2010 et du
14 décembre 2010, sur les points suivants :
compléter et étendre l’analyse comparative ;
compléter la présentation de l’état de conservation du
bien, en particulier les travaux effectués entre 1985
et 1999 ;
documenter la question du développement urbain
éventuel dans la zone tampon et au-delà, en termes
d’impact visuel possible sur le bien ;
considérer une possible extension de la zone tampon
au nord-est du bien et confirmer la promulgation du
plan de développement urbain d’Alfeld ;
préciser la politique de stationnement des véhicules ;
préciser les personnels du Centre d’exposition ;
examiner les conséquences du trafic ferroviaire sur la
conservation des murs rideaux.
L’État partie a répondu le 18 novembre 2010 et le
17 février 2011. L’analyse de ces informations
complémentaires est incluse dans la présente
évaluation.
Date d’approbation de l’évaluation par l’ICOMOS
10 mars 2011
2 Le bien
Description
L’usine Fagus a été conçue, dès 1911, pour produire des
formes destinées à la fabrication industrielle de
chaussures. Elle est constituée par un ensemble
homogène de bâtiments visant avant tout à la
fonctionnalité technique. La succession des bâtiments est
organisée pour accompagner le processus industriel,
depuis les matériaux bruts jusqu’à la fabrication, du
stockage jusqu’aux expéditions et aux bureaux.
L’architectonique d’ensemble repose sur le dialogue de
volumes parallélépipédiques bien affirmés avec la
présence de grandes ouvertures là où le travail réclame
de la lumière. Les bâtiments présentent de larges
surfaces rectangulaires, rythmées par l’entrecroisement
de longues lignes horizontales et verticales. L’usage de la
brique jaune-ocre est couplé à de vastes baies vitrées
rectangulaires. Le bâtiment principal est ainsi presque
entièrement vitré, réalisant des « murs rideaux » continus
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sur trois niveaux. Leur fonctionnalité est seulement
destinée à l’éclairage, car ils sont distincts de la structure
porteuse en béton, ramenée à l’essentiel. Outre son
fonctionnalisme industriel précurseur et ses innovations
architecturales, l’ensemble possède une grande unité
visuelle, complétée par une sobriété esthétique intérieure
de qualité, annonciatrice des principes du Bauhaus.
En partant du nord-ouest du bien et en suivant l’ordre du
processus industriel, les bâtiments successifs sont :
1 La scierie : Elle est constituée par un bâtiment sur un
seul niveau, aux larges fenêtres régulièrement espacées.
Elle débitait les troncs de hêtre (fagus en latin) en pièces
de dimensions appropriées à leur futur usage technique.
Ce fut le premier atelier de l’usine, construit en 1911. Afin
de faire face au développement des marchés, le bâtiment
de la scierie a été agrandi à deux reprises, par Gropius
lui-même en 1921 puis par un élève du Bauhaus en 1938,
doublant sa surface initiale. Ces travaux ont totalement
respecté le style architectural et les formes initiales. Le
bâtiment a ensuite connu différentes évolutions d’usage,
mais sans modifier ses données architecturales majeures.
2 La halle de stockage : Conçu en 1911 et achevé en
1913, cet entrepôt de cinq niveaux forme un volume
imposant qui domine d’un côté la scierie, de l’autre
l’étuvage et les ateliers. Il était destiné au séchage naturel
des bois découpés, pendant plusieurs années. Sa masse
est renforcée par la verticale de la cheminée sur son
arrière. Sa fonction technique implique une grande solidité
structurelle et peu d’ouvertures, à la différence de la
majorité des autres bâtiments. De fines lignes horizontales
et des corniches rythment ses façades planes, exprimant
un motif architectural spécifique dont on retrouve de
nombreuses citations dans les autres façades. Ce style
sobre rappelle la fonction du bâtiment, tout en renforçant
son dialogue architectural avec l’ensemble de l’usine. La
halle disposait dès l’origine d’un système de ventilation,
d’un escalier massif en briques et d’un ascenseur
industriel.
3 Le bâtiment du séchage : Le processus de séchage
naturel est prolongé par un séchage en étuve. L’usine en
comprenait trente, chacune de neuf mètres de haut.
Remontant aux travaux initiaux de 1911-1913, ce
bâtiment d’un seul niveau fonctionnel occupe une vaste
surface rectangulaire au centre de l’usine. Adjacent au
précédent, il en poursuit le style architectural dans une
version basse. Par le jeu des fenêtres, il présente
l’apparence extérieure de deux niveaux. La toiture en
terrasse disposait de 15 sorties pour la vapeur des étuves.
4 L’atelier : Cette vaste halle en rez-de-chaussée
poursuit directement le bâtiment du séchage. C’est le
cœur du processus technique où sont réalisées les
formes de chaussures à l’aide de nombreuses machines
et machines-outils. Conçu en 1911, l’atelier a été
immédiatement agrandi pour être achevé dans ses
dimensions actuelles en 1914.
De forme proche d’un carré, l’atelier comprend cinq nefs
similaires. Il dispose de grandes baies vitrées et
d’éclairages de toiture par des sheds. La charpente de
bois repose sur des poteaux en fontes. Le mur extérieur,
au sud-est, présente une baie vitrée continue, donnant
une qualité lumineuse remarquable et bien adaptée aux
nécessités du travail. La baie est bornée en hauteur par
un large couronnement horizontal en briques qui masque
les lignes inclinées de la toiture. Dans son sous-sol,
l’atelier comprend d’importantes annexes destinées au
personnel.
5 Le bâtiment principal est construit en forme de L,
autour de l’atelier qu’il enserre sur deux côtés. Il accueille
sur trois niveaux la gestion et le contrôle du processus
industriel, l’expédition, enfin les services administratifs et
la direction de l’entreprise.
Les façades sont entièrement recouvertes de larges
« murs rideaux ». La succession régulière des grandes
baies vitrées est scandée par des verticales et des
horizontales en briques, qui masquent les structures
porteuses. La régularité rythmique est complétée par les
fines huisseries métalliques orthogonales, de couleur
grise. Joint à des angles entièrement vitrés, cela confère
une légèreté inédite à l’ensemble, tout en soulignant sa
fonctionnalité industrielle. Ce sont alors des innovations
structurelles et architecturales importantes appelées à un
grand avenir.
Le bâtiment principal a été construit en deux temps,
correspondant aux deux ailes, mais en respectant le
même style.
Les éléments intérieurs démontrent une grande qualité de
conception et de nombreuses innovations dans les détails
constructifs et décoratifs (revêtements, peintures, sols,
rampes d’escalier, dispositifs d’éclairages, portes, etc.). Ils
annoncent les prises de position esthétiques et sociales
du Bauhaus.
6 L’atelier des outils de coupe : il est à la limite sud-est
de l’usine. Il s’agit d’une seconde activité de l’entreprise
pour l’outillage destiné aux professionnels du cuir. L’atelier
est sur un seul niveau, avec deux nefs. Il comprend une
forge et une cheminée de 20 mètres. Quelques éléments
sont accordés à l’esthétique générale de l’usine, en
particulier les fenêtres, mais c’est un bâtiment industriel
conventionnel.
7 La salle de la motrice : le besoin d’une nouvelle
machine motrice se fait jour dès 1915. Un nouveau
bâtiment est alors conçu par Walter Gropius pour
l’accueillir, derrière le bâtiment de séchage. Il reprend le
style en grandes baies vitrées des bâtiments voisins, mais
sa structure est entièrement métallique. Il est complété
d’une cheminée en briques de 50 mètres et d’un réservoir
d’eau.
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8 Le magasin à charbon et à déchets de bois est en
limite nord de l’emplacement de l’usine, près de la voie
ferrée et à proximité de la salle de la motrice. Installé dès
1911, il a été agrandi en 1923-24 par Gropius.
9 La bascule à wagons est un petit bâtiment en bordure
de la voie ferrée qui abrite un dispositif de pesage des
cargaisons ferroviaires. Construit par Gropius en 1921, il
reproduit les éléments stylistiques du bâtiment principal.
10 L’entrée de l’usine comprend la maison du gardien, le
portail et le mur extérieur. Ils correspondent à la dernière
tranche de travaux, en 1925. Ils reproduisent les éléments
stylistiques de l’ensemble de l’usine, notamment l’usage
de la brique et des structures largement vitrées.
Histoire et développement
Carl Benscheidt créa l’entreprise Fagus-Werk GmbH
Alfled en prolongement d’activités plus anciennes sur un
site voisin (l’usine Behrens/Kappe, au-delà de la voie
ferrée). Elle est destinée à la fabrication industrielle de
formes de chaussures et d’outils de coupe du cuir. C’est
Walter Gropius, jeune architecte ayant travaillé avec Peter
Behrens à l’usine AEG de Berlin, qui dirigea la
construction de l’usine Fagus, telle qu’elle se présente
aujourd’hui. Il reprend, en 1911, le projet initial de
l’architecte Eduard Werner qui a notamment déterminé
l’emplacement et les formes générales des bâtiments en
fonction de leurs rôles industriels complémentaires.
Assisté par Adolf Meyer, Gropius redéfinit les volumes et
le style architectural d’ensemble. En outre, le programme
comprend l’aménagement et la décoration intérieurs,
jusqu’à un niveau poussé de détail, comme les portes,
l’éclairage, etc., en fonction d’un idéalisme social et
industriel partagé avec Benscheidt.
Gropius rencontre un entrepreneur qui adhère à son
projet moderniste et social. Leur démarche s’inscrit dans
le mouvement Deutscher Werkbund pour la promotion de
l’innovation dans les arts appliqués et leur mise en œuvre
dans le monde industriel. Ils recherchent ensemble une
qualité architecturale simultanément au service de la
rationalisation des processus de fabrication et d’une
attention portée aux bonnes conditions du travail en usine.
Les travaux se déroulent en trois phases principales. La
première, en 1911-1913, réalise les infrastructures de la
production industrielle. Très vite, deux lignes de
productions sont mises en place, pour les formes de
chaussure et pour les outils de coupe. La réussite de
l’entreprise nécessite toutefois des agrandissements
substantiels presque immédiats. Gropius les utilise non
seulement pour quasiment doubler la plupart des ateliers
et des bureaux, mais aussi pour améliorer la qualité
fonctionnelle et architecturale de l’ensemble. La cheminée
et la salle des machines sont reconstruites à l’arrière de
l’atelier et du bâtiment de séchage ; une nouvelle entrée
est ajoutée au bâtiment principal ; les ateliers et les
entrepôts sont agrandis. Ces travaux constituent la
seconde phase de la construction. Ils sont réalisés entre
1914 et 1915, donnant la forme et l’esthétique finale de
l’usine.
Conçu avant et durant la Première Guerre mondiale, ce
projet industriel apparaît comme un manifeste de
l’architecture industrielle fonctionnaliste et comme un
exemple fondateur du mouvement moderniste. Sa pleine
réussite engage son auteur à lancer, immédiatement
après la guerre de 1914-1918, l’école du Bauhaus, dont
l’influence sera mondiale tant dans le domaine de
l’architecture que dans celui de la naissance du design
industriel.
Les travaux reprennent en 1924-1925, toujours sous la
responsabilité de Gropius et de ses assistants, formant
une troisième phase. Il s’agit de compléments fonctionnels
comme le hangar à charbon et d’un agrandissement du
bâtiment principal d’administration par une seconde aile
en retour sur l’arrière de l’atelier, de style identique. Une
dernière campagne de travaux est réalisée par Ernst
Neufert, un collaborateur de Gropius, en 1938,
principalement pour agrandir la scierie et mieux l’intégrer
stylistiquement à l’ensemble.
Le bien n’a pas souffert des bombardements de la
Seconde Guerre mondiale. Il est classé monument
historique dès 1946.
Dans les années 1970, le remplacement du bois par le
plastique comme matériau des formes à chaussures a
entraîné une vaste refonte du processus industriel. Les
bâtiments techniques ont été reconvertis pour d’autres
usages. Par exemple, le bâtiment du séchage a été
transformé en atelier de préparation des pièces en
plastique, en usage de 1974 à 2003, puis en atelier de
mesures et de contrôles électroniques. La scierie a été
endommagée par un incendie en 1985. Elle a été
reconstruite au début des années 1990, en suivant les
directives de restauration des monuments historiques. Elle
a accueilli un bureau d’ingénierie, toujours en place. Le
bâtiment principal a connu de nombreuses
réorganisations fonctionnelles afin de s’adapter à la vie de
l’entreprise et à ses évolutions. Durant cette longue
période d’évolution des usages des bâtiments, les
données architecturales et esthétiques formant l’originalité
du lieu ont été globalement bien préservées, par des
responsables successifs tous conscients de l’importance
culturelle et historique de l’usine Fagus, par ailleurs
protégée au titre des monuments historique.
Toujours en activité industrielle, l’usine a nécessité
d’importants travaux d’entretien et de réparations, à
compter du milieu des années 1980. Ceux-ci se sont
poursuivis jusqu’à une période récente, accompagnant
parfois des reconversions d’usage importantes. Une
phase très active de travaux a été conduite dans les
années 1990. Tous les bâtiments ont alors été rénovés et
éventuellement restaurés, en respectant les formes, le
style et les matériaux choisis par Gropius. Par exemple, la
halle de stockage a été transformée en un centre
d’exposition de 3 000 m2, sur six niveaux, mais dans un
esprit de respect du monument industriel, notamment
pour ses apparences extérieures. Depuis 2005, une partie
importante de cette surface d’exposition est consacrée à
Gropius et à l’usine Fagus. La salle de la motrice et
314
l’atelier des outils de coupe ont également été transformés
en lieux d’accueil du public. Toutefois, les activités
industrielles initiales de fabrication des formes de
chaussures subsistent, notamment dans l’atelier, le
bâtiment du séchage et le bâtiment principal.
3 Valeur universelle exceptionnelle,
intégrité et authenticité
Analyse comparative
L’État partie rappelle l’importance accordée en Allemagne
aux différents mouvements à l’origine de l’architecture
moderne, connus sous le nom général du Neues Bauen. Il
est déjà reconnu par la Liste du patrimoine mondial avec
des biens comme Le Bauhaus et ses sites à Weimar et
Dessau (1996, critères (ii), (iv) et (vi)) et Cités du
modernisme de Berlin (2008, critères (ii) et (iv)). Ces biens
sont toutefois caractéristiques de l’entre-deux-guerres.
L’usine Fagus précède ces réalisations et les annonce.
Sur un plan international, elle est également un
représentant précoce et emblématique de la naissance du
modernisme fonctionnaliste, un vaste mouvement créatif
qui se veut en accord avec les valeurs du rationalisme et
de la science contemporaine. Outre l’Allemagne, il se
développa aux États-Unis et en Europe (République
tchèque, Autriche, Pays-Bas, France, etc.). Ses
réalisations les plus marquantes furent généralement
postérieures à la Première Guerre mondiale, par des
architectes de grande valeur qui connaissaient les
réalisations allemandes pionnières, comme l’usine Fagus
et l’école du Bauhaus. Il s’agit d’un vaste mouvement
créatif international dont l’usine Fagus est un repère très
précoce et influent.
En termes d’exemples, le dossier de proposition
d’inscription examine les liens de Gropius avec l’usine de
turbines AEG, à Berlin, à laquelle il travailla sous la
direction de Peter Behrens. Cette réalisation l’inspira et en
même temps l’usine Fagus en constitua une critique
radicale et un dépassement conceptuel important.
D’autres usines ou constructions de moindre importance,
en Allemagne, sont également envisagées. L’État partie
cite l’usine United Shoe Machinery Corp. dans le
Massachusetts, avec laquelle l’industriel Carl Benscheidt
fut en relation.
Dans un document complémentaire reçu le 18 novembre
2010, l’État partie examine de manière approfondie les
liens et les originalités de l’usine Fagus en rapport avec
les biens suivants, déjà inscrits sur la Liste et illustrant
l’architecture moderniste du XXe siècle : la Halle du
Centenaire de Wroclaw (Pologne, 2008, critères (i), (ii) et
(iv)), le Bauhaus et ses sites à Weimar et Dessau déjà
cité, la Maison Schröder de Rietveld (Pays-Bas, 2000,
critères (i) et (ii)), les Cités du modernisme de Berlin déjà
citées, la Ville blanche de Tel-Aviv (Israël, 2003, critères
(ii) et (iv)), la Ciudad Universitaria de Caracas (Venezuela,
2000, critères (i) et (iv)), le Campus central de la cité
universitaire de l’Universidad Nacional Autónoma de
Mexico (UNAM) (Mexique, 2007, critères (i), (ii) et (iv)), la
Villa Tugendhat à Brno (République tchèque, 2001,
critères (ii) et (iv)). La plupart de ces réalisations sont
postérieures à l’usine Fagus, au mieux contemporaines ;
elles ont souvent été influencées par elle, plus largement
par le mouvement du Bauhaus.
L’analyse de l’État partie est complétée par une étude
comparative de la naissance du modernisme architectural
au Brésil, en Finlande, en France, en Grande-Bretagne,
au Japon, au Mexique, aux Pays-Bas, en Russie et aux
États-Unis. Elle se poursuit par la recherche des
influences directes exercées par l’usine Fagus, au niveau
des types de construction ou décoratifs, et au niveau des
exemples.
Il reste incontestable que Walter Gropius, notamment par
la réalisation précoce et innovante de l’usine Fagus, est à
l’origine du mouvement moderniste. L’usine illustre tout
particulièrement la naissance du « mur rideau » en
architecture.
L’ICOMOS considère que l’analyse comparative doit,
dans un premier temps, examiner la place de l’usine
Fagus dans la transition entre les deux mouvements
simultanément esthétiques, architecturaux et sociaux de
l’Allemagne du début du XXe siècle : le Deutscher
Werkbund, des années 1907-1910, et le Bauhaus dont
Walter Gropius est le créateur immédiatement après la
Première Guerre mondiale. C’est le rôle d’exemplarité et
de modèle joué par l’usine Fagus qui semble important.
La comparaison effectuée avec l’usine de turbines AEG à
Berlin, construite en 1910 par Peter Behrens, est de ce
point de vue pertinente, par les relations humaines quelle
met en évidence et par la critique effectuée par Gropius
de ce bâtiment. L’usine Fagus est en continuité et en
même temps en rupture avec celle-ci, par la séparation
technique entre la structure porteuse et le mur rideau dont
l’usine Fagus est l’un des exemples précoces les plus
importants, plus largement par la rupture avec les
références classiques et une entrée sans réserve dans la
modernité rationaliste.
Sur un plan européen et international, le projet de l’usine
Fagus s’insère dans l’effervescence créatrice qui conduisit
au rationalisme en architecture et au modernisme
fonctionnel. Ces expérimentations utilisent les nouveaux
matériaux de construction apportés par la révolution
industrielle (acier, verre, béton) ; elles recherchent de
nouvelles esthétiques et de nouveaux principes de
construction ; elles sont en lien avec le mouvement social
qui accompagne l’industrialisation ; elles ambitionnent
aussi de réconcilier l’humanisme et la technique. D’autres
constructions et d’autres architectes contemporains
participent à ce mouvement, dont plusieurs réalisations
importantes ont été influencées par l’usine Fagus ; ils
illustrent des valeurs ainsi que des solutions
architecturales comparables. Il s’agit par exemple d’Albert
Khan et de la construction de la première usine Ford à
Detroit (1908-1913), de Frank Lloyd Wright (États-Unis,
liste indicative), du Hallidie Building à San Francisco par
Willis Polk (1917-1918), qui suit et s’inspire de l’usine
Fagus ; en Europe, l’usine Van Nelle à Rotterdam
(années 1920, liste indicative des Pays-Bas), plus
315
largement les œuvres de Le Corbusier (listes indicatives
de la France, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique,
l’Argentine, le Japon et l’Inde).
L’ICOMOS considère que l’analyse comparative justifie
d’envisager l’inscription de ce bien sur la Liste du
patrimoine mondial.
Justification de la valeur universelle exceptionnelle
Le bien proposé pour inscription est considéré par l’État
partie comme ayant une valeur universelle
exceptionnelle en tant que bien culturel pour les raisons
suivantes :
Dès 1911, Walter Gropius pose certains des
fondements les plus importants de l’architecture
moderne lors de la conception de l’usine Fagus à
Alfeld, en particulier le « mur rideau » combinant de
vastes surfaces vitrées à huisseries d’acier reposant
sur une structure porteuse épurée. C’est une rupture
franche avec les styles antérieurs et l’affirmation de
nouvelles valeurs d’utilisation de l’espace et de la
lumière.
L’usine Fagus constitue un ensemble architectural
particulièrement homogène et complet. Il témoigne
de la naissance de l’architecture moderne
fonctionnaliste, en étroite relation avec le monde
industriel auquel elle est ici dédiée, reprenant ses
concepts d’analyse fonctionnelle des objets. Il s’agit
d’un programme simultanément architectural,
esthétique et social.
Les éléments décoratifs et fonctionnels intérieurs
sont étroitement associés à l’architecture et au projet
social. Ils forment l’une des toutes premières
manifestations du mouvement du design industriel,
combinant de manière novatrice des forces créatives
issues de mondes différents.
L’usine Fagus exprime, dans le domaine de
l’architecture et de la conception des objets, la
révolution sociale issue de l’industrialisation du
monde européen et occidental. Il témoigne de la
volonté d’une maitrise humaniste d’un des
changements les plus radicaux de la condition
humaine.
La construction de l’usine Fagus est l’une des
expériences fondatrices les plus achevées de Walter
Gropius, l’ayant conduit à fonder l’école
d’architecture et de design du Bauhaus. Elle en
demeure le symbole annonciateur, reconnu comme
tel par les enseignements d’histoire de l’architecture
et d’histoire du design du monde entier.
L’ICOMOS considère que cette justification est
appropriée. Walter Gropius exprime par la construction
de l’usine Fagus à Alfeld, pour la première fois d’une
manière aussi complète, les principes d’une architecture
fonctionnaliste aux valeurs résolument modernes. Outre
ses dimensions architecturales, le projet fut étendu aux
éléments fonctionnels et décoratifs intérieurs, formant
l’un des premiers exemples du design industriel tel que
Gropius les formalisera peu après au sein de l’école du
Bauhaus. Il s’agit d’un des témoignages les plus
complets, les plus emblématiques et les plus achevés
des origines de ce changement radical des valeurs
architecturales et esthétiques du XXe siècle, en direction
du modernisme fonctionnel.
Intégrité et authenticité
Intégrité
La structure générale des bâtiments de l’usine Fagus
actuelle est très proche du site industriel réalisé par Walter
Gropius, entre 1911 et 1916. Les travaux
complémentaires qu’il mena lui-même en 1925 ou les
derniers travaux d’agrandissement de 1938, par l’un de
ses élèves, confirment les options antérieures. La forte
intégration visuelle de l’ensemble a été conservée et
même renforcée.
Depuis les origines, il n’y a pas eu de démolition ou de
transformation affectant l’implantation des locaux. Il n’y a
pas eu d’ajout de nouveaux bâtiments. L’aspect visuel
extérieur de l’usine a été préservé. La reconstruction de la
scierie incendiée, les reconversions d’usage (bâtiment du
séchage, atelier) ou les restaurations (bâtiment principal,
etc.) n’ont pas affecté les apparences architecturales
extérieures, dont l’importance historique a toujours été
bien perçue, en particulier lors de la campagne de travaux
de 1985 à 1999.
L’usine est toujours en activité, produisant toujours des
formes de chaussures. Toutefois le processus industriel a
notablement évolué avec le remplacement du bois par les
matières plastiques, ce qui a entraîné des modifications et
des reconversions dans l’usage des locaux (voir Histoire).
Le souci de conservation des éléments décoratifs et
mobiliers a généralement présidé aux travaux
nécessaires. Les machines du processus industriel initial
ont par contre disparu, accompagnant les changements
techniques de la production. L’activité d’outillage de coupe
du cuir est arrêtée et le local reconverti.
L’ICOMOS, en tenant compte de la documentation
complémentaire de novembre 2010, considère que les
interventions majeures sur les bâtiments ont surtout
consisté à les adapter intérieurement aux évolutions
techniques, sans altération notable de leurs qualités
architecturales et avec le souci de conserver leurs
éléments stylistiques particuliers. Les travaux récents de
restauration ont concerné la réfection des toitures, la
restauration des façades et des murs rideaux, sans
altération des volumes ni de la texture des surfaces. En
termes d’intégrité, la reconversion intérieure de la halle de
stockage en centre d’exposition est le plus important
changement. L’intégrité de l’ensemble des bâtiments est
donc bonne, renforcée par un usage encore présent de la
fonction industrielle initiale.
Authenticité
Les travaux de maintenance et de restauration de l’usine
Fagus, conduits de 1985 à 1999, ont été faits dans le
respect des valeurs architecturales des bâtiments, en
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