Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2015) 63, 109—115 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com REVUE DE LITTÉRATURE Hystérie chez l’enfant : d’un diagnostic du passé à un état des lieux actuel Hysteria in childhood: View and concepts from the past to the present days A. Papazova a,∗, H. Nicolis b a Consultation de psychiatrie, centre hospitalier universitaire Brugmann, 4, place Van-Gehuchten, 1020 Bruxelles, Belgique b Équipe « enfants-adolescents », SSM ULB « Psycho-Belliard-Plaine », boulevard du triomphe, accès no 2, bâtiment HB, 1050 Bruxelles, Belgique MOTS CLÉS Conversion hystérique ; Enfant ; Adolescent ; Névrose infantile ; Étiologie ∗ Résumé But. — L’objectif de ce travail est de réaliser une revue objective et critique de la littérature concernant la notion d’hystérie chez les enfants et les adolescents. Méthode. — La littérature à ce sujet reste limitée et la validité du concept lui-même est sujette à controverse, notamment en raison de l’imprécision du diagnostic. Résultats. — Le trouble concerne essentiellement la préadolescence et la prépondérance semble être nettement féminine. Certaines caractéristiques familiales ont pu être mises en évidence. Le terrain de l’enfant hystérique semble souvent constitué d’éléments retrouvés on pourrait dire « physiologiquement » chez le jeune enfant. Cette entité n’est donc pas un simple diagnostic d’exclusion, une évaluation minutieuse et approfondie de la situation est recommandée car derrière tout symptôme hystérique se cache une demande et une angoisse. Conclusions. — Il est essentiel de (a) s’intéresser attentivement à l’histoire de l’affection, ainsi qu’à l’histoire individuelle et familiale, (b) de procéder à un examen clinique approfondi accompagné d’examens complémentaires aux résultats négatifs, ainsi que de tests projectifs. La prise en charge est de longue durée et inclut la thérapie familiale. L’attitude du thérapeute, du clinicien se doit d’être rassurante, tout en maniant la suggestibilité de manière adéquate. L’attitude de l’entourage du patient est également primordiale. L’hystérie « normale » ou « physiologique » est banale. La névrose hystérique est plus rare. Ainsi, en l’absence d’une structure sous-jacente, on ne peut parler de personnalité hystérique chez l’enfant, vu que cela implique une structure sous-jacente dont l’existence n’est pas établie. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (A. Papazova), [email protected] (H. Nicolis). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2014.05.002 0222-9617/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 110 KEYWORDS Hysterical conversion; Child; Adolescent; Infantile neurosis; Etiology A. Papazova, H. Nicolis Summary Background. — The aim of this work is to provide a critical account of the ideas on hysteria in children and adolescents. Methods. — The literature on this subject is rather limited and the validity of the concept itself remains questionable, particularly in view of the lack of precision in the diagnosis. Findings. — The affection concerns essentially preadolescence and, in the vast majority, female subjects. Some evidence of family-related factors is also available. In most cases the world of the hysterical child seems to be constructed by elements found in the physiologically normal child. The affection is therefore not a simple diagnosis of exclusion. A careful search is recommended, since behind hysteria syndrome there is a hidden anguish and a call for help. Perspective. — It is important (a), to consider carefully the history of appearance of the syndrome as well as individual and family history; and (b), to perform an in-depth clinical examination, negative complementary examinations and projective psychological tests. Taking in charge is long and includes family therapy. The attitude of the clinician and of the therapist must be reassuring, while applying suggestibility in an adequate way. Of equal importance is the attitude of the patient’s environment. ‘‘Normal’’, physiological hysteria is standard. Hysterical nevrose is on the other hand rarer. As a matter of fact for a child one cannot really speak of hysterical personality, as this implies an underlying structure that is not yet fully established. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Le diagnostic d’hystérie dans l’enfance et l’adolescence pose question, tant sur la validité du concept théorique, que sur le fait de poser ce diagnostic en soi. Selon certains auteurs, le diagnostic d’hystérie serait un « diagnostic du passé », pratiquement éteint aux jours d’aujourd’hui. D’ailleurs, le concept de « trouble de conversion » et d’ « hystérie » ont disparu tous les deux du chapitre relatif aux troubles liés à l’enfance et l’adolescence déjà dans le DSM III R [1]. La conversion est un mécanisme de formation de symptômes qui consiste en une tentative de résolution de conflit psychique par sa transposition en des symptômes somatiques, prenant une signification symbolique et que des bénéfices secondaires contribuent à entretenir [2]. Il semblerait plutôt que cette observation soit due à la société actuelle plus permissive en comparaison à la société viennoise au temps de Freud. Malgré un éveil clinique grandissant, les écrits concernant l’hystérie durant l’enfance restent peu nombreux. Des symptômes de conversion s’observent fréquemment durant les phases de la vie où les changements physiologiques perturbent la représentation mentale du corps, comme spécifiquement durant la phase de latence et l’adolescence. D’autre part, la conversion peut accompagner d’autres situations psychopathogéniques (épisode isolé dans le développement d’un enfant au développement par ailleurs « normal », désordre borderline ou même psychotique). Selon la pensée médicale, l’hystérie est une affection définie par l’absence de pathologie ou de maladie. Ce manque d’explication biomédicale a entraîné la limitation de la compréhension de cette entité. En effet, l’étiquette de « psychologique », qui est fréquemment apposée dans ces situations, est porteuse d’un sens, d’une connotation morale et d’implications négatives à propos de la parentalité. Mais, d’une part, c’est un désordre psychiatrique sérieux qui peut être souvent craint et nié par les parents et, d’autre part, l’hystérie est un phénomène ubiquitaire dont la présentation clinique varie entre les cultures et même au sein d’une même culture [3]. Selon Freud [4], la compréhension de l’hystérie va de pair avec la découverte de la sexualité infantile. Or cela ne semble pas pouvoir être un lien valable pour l’hystérie chez l’enfant. En effet, il existe des difficultés multiples à parler de névroses, d’hystérie chez l’enfant. Car, d’une part, les présentations cliniques, les formes sont différentes par rapport à l’adulte et, d’autre part, durant son développement psychique l’enfant peut négocier des conflits existentiels en reproduisant des symptômes névrotiques passagers. C’est important de différencier ces symptômes passagers « banals » et « labiles », des organisations névrotiques où l’enfant s’immobilise dans la répétition de symptômes. Cette distinction n’est pas aisée à réaliser. À côté de cela, il est à noter que l’enfant utilise souvent des mécanismes pour « emprunter » (par imitation, simulation. . .) aux adultes proches de lui. Il s’agit souvent d’un emprunt touchant des traits de l’adulte que celui-ci refoule, désavoue. Ces identifications sont peu accessibles à la conscience ; elles sont banales dans l’enfance et se déploient dans le jeu de l’enfant. Cela pose la question du lien entre ces identifications inconscientes et le symptôme hystérique présenté par l’enfant. Cramer estime que la conversion ne peut être définie valablement au niveau purement symptomatique en raison du polymorphisme de sa présentation et du flou entourant sa distinction de la simulation et des affections psychosomatiques [5]. La fréquence du trouble hystérique dans l’enfance varie selon les auteurs [6—14] et semble influencée par nombre de paramètres, dont certains ont étés décrits plus Hystérie chez l’enfant : d’un diagnostic du passé à un état des lieux actuel spécifiquement dans la littérature, comme le milieu socioculturel [6]. La fréquence du diagnostic et son expression seraient en lien avec le milieu socioculturel mais aussi influencés par la technique d’échantillonnage et par les critères de diagnostic choisis pour cette entité. C’est en raison de toutes ces variables que beaucoup d’auteurs se sont accordés et s’accordent encore à dire que la réelle fréquence de l’entité reste inconnue. Néanmoins, la rareté de l’incidence de l’hystérie infantile est confirmée ; en hospitalisation pédiatrique, celle-ci s’élèverait à 0,5 [3,10] et 2 % parmi les patients neuropédiatriques [8]. Les études épidémiologiques semblent suggérer que l’incidence serait même plus rare. Selon Walshe [13], il n’y a pas de complexe symptomatique ou d’affection somatique qui n’ait son double hystérique. Diverses approches cliniques sont décrites en ce qui concerne la classification des présentations, des entités, notamment selon le type d’anomalie et l’aire impliquée : sensitive, motrice, viscérale, vasomotrice [15] avec en parallèle les névroses dissociatives, de dépersonnalisation et la personnalité hystérique. Il existe aussi la classification selon la chronologie, l’évolution [15]. En effet, les manifestations spécifiques à la phase de développement dans laquelle se trouve l’enfant et/ou associées à des crises développementales ou des stress extérieurs apparaissent et disparaissent comme méthode de gestion de ces stress ou par sélection préférentielle de mécanismes de défense associés à la conversion et aux phénomènes dissociatifs (refoulement, déni, déplacement). Ceci pourrait expliquer la « belle indifférence ». Cette dernière classification selon la chronologie a une implication au niveau de la prise en charge thérapeutique. En effet, cela souligne l’importance de la spécificité d’un diagnostic selon l’âge : une même présentation n’a pas la même signification et n’entraîne pas le même diagnostic à des âges différents. Globalement, on observe donc un polymorphisme extrême des présentations cliniques. Malgré cela, il subsiste néanmoins une autre tentative de classification, la classification par Sichel et Poupier [16]. Elle distingue, d’une part, les symptômes de conversion : il s’agit de troubles paroxystiques, imitant une pathologie organique surtout des symptômes neurologiques (pseudo-épilepsie, vertiges, tremblements, désordres tonico-moteurs, troubles sensitifs, troubles sensoriels, accidents somato-visceraux), mais aussi des manifestations psychiques (troubles de la mémoire, parfois hallucinose hystérique, inhibition intellectuelle, troubles du sommeil avec terreurs nocturnes) [17]. D’autre part, cette classification décrit la personnalité hystérique, même si l’accent est mis sur le fait que la personnalité de l’enfant est en devenir et que les traits attribués aux enfants hystériques sont en réalité communs à tout enfant (théâtralisme, exaltation imaginative, suggestibilité, dépendance affective). Étiopathogenie Diverses hypothèses ont été énoncées au fur et à mesure de l’histoire. Commençons par le point de vue de Freud, avec la théorie de la sexualité infantile et la génitalisation [4]. 111 En termes freudiens : lorsque les pensées ou les désirs sont inacceptables pour le sujet et ne peuvent être suffisamment réprimés, il y a alors un déplacement de ces pensées vers une partie du corps avec expression de symptômes somatiques. Pour la plupart, ces désirs instinctifs sont d’origine génitale et suivant cela, la conversion hystérique ne pourrait apparaître avant l’âge de 2—3 ans. Si cela arrive cela représente une tendance régressive à la situation prégénitale. Historiquement, Freud estime qu’il existe un déterminisme inconscient de ces symptômes avec le mécanisme d’identification inconsciente au désir d’autrui et il met à jour la sexualité infantile. Elle s’organise en étapes dont la plus décrite est la phase œdipienne (marquée pour la plupart des enfants par des manifestations névrotiques passagères). Notons qu’il est important de différencier les névroses infantiles (reconstitution du passé infantile dans les cures de patients adultes) et les névroses de l’enfant (apparition de symptômes névrotiques chez l’enfant, ce qui est habituel entre 3—10 ans, comme l’énurésie, les phobies diverses, les symptômes passagers utiles à la poursuite du développement psychologique de l’enfant). Plus rarement ces symptômes s’organisent en véritables névroses, quand l’ensemble de l’activité de l’enfant est touchée avec comme conséquence est un blocage évolutif, comme c’est décrit dans l’exemple du petit Hans de Freud [18]. La conversion hystérique serait ainsi due à la répression ou « distorsion de l’expression sexuelle ». Néanmoins, la génitalisation et sa généralisation n’aident pas complètement à la compréhension de la conversion hystérique. À côté de cela, il y a l’hypothèse d’une problématique familiale avec souvent mise en évidence d’un parallèle entre les conflits souvent cachés chez les parents et les conflits intrapsychiques propres à l’enfant, donnant naissance au symptôme. Le symptôme serait donc la partie émergée mais en même temps il semble être porteur d’une individualité pour l’enfant car il le différencie au sein de sa famille ; ce n’est pas un simple prolongement des conflits familiaux. Dans cet ordre d’idées, le travail individuel ne peut avoir les mêmes objectifs que le travail familial. Il y a, d’une part, une situation familiale complexe où l’enfant participe au travers de son symptôme et, d’autre part, l’existence d’une maladie qui affecte l’enfant ou un proche. Une fois la pathologie de l’enfant ou du proche soignée, cela laisse néanmoins une trace chez cet enfant qui peut l’exprimer par un trouble fonctionnel qui mime grossièrement le traumatisme initial. C’est le symptôme hystérique. Ainsi, la conversion hystérique constituerait un saut du psychique vers le somatique qui fait reproduire par le malade un symptôme observé sur autrui. Cette observation avait déjà été mise en avant par Charcot [19], qui parle d’« imitation ». En effet, il exerçait dans un service ou se côtoyaient patients hystériques et épileptiques, et il observait que les patients hystériques reproduisaient essentiellement des symptômes épileptiques. Certains auteurs se sont spécifiquement focalisés sur les hypothèses étiopathogéniques concernant la forme monosymptomatique, qui par ailleurs semble, comme cité plus haut, être la plus fréquemment observée. Il s’agirait de conversion de l’anxiété en dysfonction physique et de l’utilisation des symptômes, comme une défense mal adaptée contre l’anxiété [3]. 112 Derrière une manifestation hystérique, il y a toujours une demande et une angoisse profonde. Le milieu familial a un rôle prépondérant dans l’éclosion et le maintien des manifestations hystériques. La littérature [16] décrit des milieux familiaux conservateurs, hyper-protecteurs, toujours à l’affût d’une maladie qui ne manque finalement pas de se produire. Il s’agit souvent d’un milieu familial clos. Beaucoup de ces familles sont isolées géographiquement et la plupart de ces familles sont des familles nombreuses. Les ressources financières et adaptatives au sein de ces familles sont faibles. Les parents semblent par ailleurs enclins au rôle de « public » ; l’enfant fera ainsi souvent sa « crise » devant le parent qui y est le plus sensible. L’accident hystérique doit servir à quelque chose : attirer l’attention de l’entourage, se faire aimer de la mère, trouver une solution à un conflit familial ou scolaire. C’est ainsi qu’on peut conclure que les crises, les manifestations hystériques, posent souvent la question de leur place dans la dynamique familiale. D’autres facteurs pourraient être déterminants : la position dans la fratrie ; en effet, 90 % cas répertoriés sont les aînés ou les seconds, ou encore l’altération des relations, de la dynamique familiale et dans la plupart des situations de façon chronique [8]. Au niveau développemental, une hypothèse avancée fut celle de considérer que la conversion soit un état potentiel qui tende à disparaître avec l’âge mais qui s’affirme chez certains individus et selon certains environnements culturels [15]. Et à ce niveau, une proposition pouvant expliquer la propension intra-individuelle de voir se développer ou de s’accentuer ou non une symptomatologie de conversion pourrait être une modalité particulière de relation mère—enfant [20]. C’est le concept de « affect attunement » (accordage affectif) : toute initiative du bébé est interprétée par la mère comme un besoin du corps ; ainsi l’enfant doit maintenir un niveau d’excitation physique conséquent pour rester en lien, en contact avec sa mère et pour maintenir la sensation d’une expérience, d’un vécu commun. Par ailleurs, l’imitation, le mime de la maladie semble apparaître comme la seule communication possible qui permette à ces enfants d’espérer des soins, des attentions particulières de leurs pairs [21]. Dans cette lignée de pensée, beaucoup d’auteurs [3] ont tenté une explication de l’hystérie par une conceptualisation de celle-ci comme une sorte de « pretending », comme le « faire semblant » de l’enfance qui permet de développer une transaction entre le patient, les parents et le système médical. C’est ainsi qu’on peut émettre l’hypothèse suivante : imaginer être malade avec toute l’attention médicale résultante à laquelle on peut s’attendre peut amener quelqu’un à faire semblant. Cette hypothèse offre l’avantage que nous n’avons pas à attribuer une pensée, une intentionnalité consciente de la personne concernée au fait même de simuler. Si l’hystérie serait une forme de « jeu de faire semblant », tellement présent dans le développement des jeunes enfants, on peut se demander pourquoi les phénomènes hystériques sont si peu décrits dans cette tranche d’âge. A. Papazova, H. Nicolis Tout d’abord le phénomène du « faire semblant » s’observe plus chez les jeunes enfants parce qu’on s’y attend ; nous avons tendance à prendre moins au sérieux les histoires s’entourant de fantaisie chez ceux-ci. On s’y attend moins chez l’enfant plus âgé et de plus celui-ci le fera de façon moins publique et moins ostentatoire. C’est uniquement avec la maturité que la simulation peut être confrontée de façon consistante et suffisamment longuement pour engager le système médical et conduire à l’élaboration de symptômes. Le terrain de l’enfant hystérique semble constitué le plus souvent par des éléments que l’on retrouve « physiologiquement » chez le jeune enfant, à savoir le théâtralisme, l’exaltation imaginative. Ces éléments constituent une activité ludique pour l’enfant qui est inconscient de son inauthenticité mais trouve un public complaisant. Ainsi, la « belle indifférence » n’existe pas chez le jeune enfant qui joue. La suggestibilité est inconsciente, elle intervient essentiellement quand l’enfant, pour diminuer son angoisse, utilise une maladie vécue par ou dans son entourage, en vue d’attirer l’attention, craignant d’être délaissé. Il reproduit ainsi, dans une optique identificatoire, la maladie d’une personne aimée ou enviée. C’est également commun que les enfants trouvent certains aspects de la maladie attractifs et qu’ils jouent à être malades. Il faut noter que c’est l’intensité de la première réaction parentale lors des premières plaintes de l’enfant qui conditionnera les manifestations symptomatiques ultérieures. Une explication neurobiologique a été proposée, suite à une étude menée en janvier 2012 [22], afin de comprendre le phénomène de la conversion hystérique et plus particulièrement celui de l’hystérie de masse [23]. Cette explication se base sur l’existence du réseau des neurones miroir, réseau mis en évidence chez le singe, avec comme hypothèse que ce réseau existerait plus que probablement selon les mêmes configurations et avec les mêmes fonctions chez l’être humain. Ce circuit neuronal est situé dans le cortex frontal, pariétal et temporal du singe et décharge lorsqu’un mouvement est exécuté et également lorsque le même mouvement est observé par le sujet. Ce circuit des neurones miroir pourrait ainsi nous aider à comprendre les actions des autres et son inhibition nous aide à ne pas imiter tout ce que nous observons. Ainsi, selon Lee et Tsai, quatre caractéristiques de ce système neuronal interviendraient dans l’explication de la pathogenèse de la conversion hystérique. Premièrement, un défaut du système inhibiteur de ce réseau neuronal chez certaines personnes aurait comme conséquence de les prédisposer à imiter les autres. Deuxièmement, la transmission du phénomène d’hystérie de masse se fait typiquement via des stimuli visuels et auditifs, qui sont eux transmis par les neurones miroirs. Troisièmement, les neurones miroirs pourraient avoir un rôle dans la contagion émotionnelle qui nous permet de capter et ressentir les émotions des autres. Pour finir, l’activité du réseau des neurones miroir est plus importante chez les personnes de sexe féminin, personnes qui sont spécifiquement majoritairement concernées par le phénomène d’hystérie de masse. Hystérie chez l’enfant : d’un diagnostic du passé à un état des lieux actuel En conclusion, les recherches avancées et approfondies en neuro-imagerie (fMRI, MEG, SPECT) et neurostimulation (TMS) pourraient nous aider à fournir une explication pour le phénomène de conversion hystérique, l’hystérie de masse, en créant un pont entre l’esprit et le cerveau. . . D’ici-là, nous sommes contraints de nous baser sur des hypothèses non démontrées et de proposer des traitements empiriques à ces patients qui se situent sur cette frontière inconfortable entre neurologie et psychiatrie. Méthodes diagnostiques Il n’existe pas de critère diagnostique spécifique en tant que tel. En conséquence, le diagnostic est difficile [3,7,8,15] et l’entité souvent sous-diagnostiquée [7,8]. Il semble dès lors essentiel de s’intéresser attentivement à l’histoire de l’affection, ainsi qu’à l’histoire individuelle et familiale. De plus, un examen clinique approfondi mettra en évidence l’absence de signes cliniques liés aux plaintes hystériques ainsi que l’absence de territoire anatomique ou neurologique correspondant. L’observation du patient durant l’examen clinique fera également état d’une grande suggestibilité chez celui-ci. En outre, l’expression clinique semble en général être hétérogène et les symptômes sont absents durant le sommeil [8,9]. Il est important d’observer la réaction de l’enfant à son symptôme : l’enfant hypochondriaque est inquiet de son symptôme, se plaint beaucoup ; l’enfant qui simule accentue sa souffrance ; l’enfant avec conversion semble moins inquiet, plus indifférent car la conversion semble être la fin en soi. Par définition, les résultats des examens complémentaires sont négatifs bien que des résultats positifs n’excluent pas des symptômes hystériques. Par le passé, on utilisait une technique d’induction médicamenteuse d’un état d’hypnose, avec, durant cet état, un travail sur les symptômes par suggestion. Cela constituait une méthode tant diagnostique que thérapeutique. Ainsi, à cette époque, la disparition des symptômes hystériques suite à un tel traitement (parfois après plusieurs séances) signait le diagnostic [3,6]. Il semblerait que des tests psychologiques projectifs n’aident pas à la mise au point selon certains auteurs. D’autres affirment le contraire et s’appuient également sur les tests de personnalité [24]. Notons que selon Caplan (1970), ces enfants ont une intelligence normale ou supérieure [25]. À noter que la distinction est faite par de nombreux auteurs entre conversion et hystérie. En parlant d’hystérie, il semble important de dissocier le noyau hystérique et le fonctionnement mental hystérique. En ce qui concerne la conversion, on note toujours la même notion de rareté dans la petite enfance et d’accentuation de la fréquence en prépubertaire. La recherche d’un « facteur déclenchant », d’un élément de vie traumatique peut éclairer mais peut parfois induire en erreur, ne donnant pas une explication nécessairement correcte de la situation. En effet, probablement toute personne a vécu de façon rapprochée ou lointaine un événement de vie éprouvant. Néanmoins, il semble essentiel d’exclure un 113 abus sexuel chez tous les enfants se présentant avec une névrose hystérique. Quoi qu’il en soit, il faudrait éviter de considérer ce diagnostic comme un « simple » diagnostic d’exclusion. Conclure à ce diagnostic ne peut se faire que suite à une évaluation minutieuse de la situation. Par ailleurs, le diagnostic est malaisé, vu la difficulté de fixer les limites de l’hystérie infantile. Sa spécificité réside dans le polymorphisme signant l’organisation d’un fonctionnement mental caractérisé par un mode particulier d’intrications des registres conflictuels et narcissiques. Les manifestations de ce phénomène régressif où le corps l’emporte sur la mentalisation ne sont pas inhabituelles en fin de latence ou en puberté. Cramer [5,26] évoque qu’il est difficile de lier la conversion à un diagnostic particulier, d’autant qu’on a trouvé également des conversions chez des enfants psychotiques. Si on essaie de lier diagnostic et pronostic, certains auteurs soulignent que l’hystérie et la maladie organique ont en commun certaines symptomatologies et sont dès lors intriquées (cf. épilepsie reconnue et traitée). On relève aussi l’hystérie « normale » et la névrose hystérique : ces manifestations qui disparaissent souvent spontanément soulignent l’importance pour l’enfant de son corps comme médiateur auprès de sa mère. C’est via cette médiation que s’établiront plus tard ses modalités relationnelles avec autrui [16]. Selon la plupart des auteurs [16], le pronostic de cette catégorie est bon. C’est lorsqu’il y a intervention médiatrice maladroite que cela entraînerait un symptôme, un point de départ d’un état névrotique en partie hystérique. Il n’existe pas de continuité entre l’hystérie de l’enfant et celle de l’adolescent ou de l’adulte, ce qui semble également le cas dans le sens inverse : un adulte hystérique n’a pas nécessairement d’antécédent d’hystérie infantile mais plutôt un passé de névrose infantile au sens large. De plus, il peut y avoir une association entre hystérie et d’autres névroses infantiles entre symptômes hystériques et phobie, association plus rare entre obsessions et symptômes hystériques. Discussion Plusieurs caractéristiques se retrouvent dans nombre d’études effectuées. La prépondérance semble être féminine, l’âge se situe entre 7 et 18 ans. Selon Proctor [12], se basant sur les travaux de Spitz, il existe peu de distinction entre le Ca et le Moi et à peine entre le Moi et le corps durant les périodes infantiles précoces. C’est pourquoi, nombre d’auteurs [8,14], à la différence d’Anna Freud [27], considèrent qu’on ne peut parler d’hystérie avant 4 ans ; les « phénomènes » majeurs étant le plus fréquemment observés à partir de 9—10 ans, les manifestations labiles mineures ou facilement réductibles avec un pic vers 7—8 ans. Au niveau des caractéristiques familiales, le milieu socioculturel semble également intervenir, comme cité plus haut. La fréquence de la conversion hystérique semble plus élevée que précédemment décrite, avec une influence significative du milieu socioculturel (isolement social, contrôle patriarcal marqué, poids du folklore. . .). Ainsi, par exemple, une fréquence plus élevée est observée dans une étude en Inde [7] 114 (soit 14,8 % des patients en ambulatoire et 30,8 % de patients hospitalisés en pédopsychiatrie), avec comme hypothèse que dans ce type de culture, le fait d’avoir une affection médicale soit la façon la plus efficace pour obtenir une aide psychologique. Un autre exemple de l’influence du milieu socioculturel sur la fréquence semble être donné par une étude qui met en avant une fréquence plus élevée chez les enfants issus de famille vivant dans un milieu rural, au mode de vie « Bible-belt » [12] ayant d’ailleurs beaucoup de points communs avec la société contemporaine de Freud. Il semble que ce soit l’infantilisme culturel qui prédispose à l’hystérie. Proctor (1958) estime la fréquence de l’hystérie chez l’enfant élevée, 13 %, dans une population d’enfants issus de familles rurales. Ceci est confirmé par Hensley [24] et Minuchin [28] dans une étude où la majorité des enfants adressés à l’hôpital en psychiatrie pour traitement ou prise en charge viennent de foyers pauvres, désavantagés au niveau éducationnel. La réaction de conversion peut être un symptôme d’hystérie monosymptomatique, au bon pronostic ou faire partie de l’hystérie polysymptomatique, au pronostic plus réservé. Nombre d’auteurs font cette distinction entre manifestations mineures, rassemblées par les auteurs sous le terme « d’hystérie normale », et de manifestations durables qui désignent les troubles paroxystiques, les troubles des fonctions de la relation, les troubles des conduites alimentaires, les troubles psychiques de l’hystérie, comme l’inhibition intellectuelle, les troubles de la mémoire et les troubles des fonctions instrumentales. En outre, les troubles psychiques de l’hystérie peuvent être compris comme des difficultés relationnelles avec le milieu d’apprentissage ou un déplacement sur l’école d’un trouble relationnel au niveau familial. La distinction est importante car elle entraîne des prises en charge bien différentes. Pour compléter la catégorie des troubles psychiques de l’hystérie, il faut également mentionner la dépression qui semble néanmoins inconstante et plus rare que chez l’adulte, et les troubles du sommeil qui semblent eux assez fréquents, intriqués avec une tendance phobique (par exemple sous forme de terreurs nocturnes). D’ailleurs, selon certains auteurs [16,17], le somnambulisme signerait toujours la névrose infantile et le plus souvent l’hystérie de l’enfant. Certains symptômes semblent être plus fréquents, d’autres plus rares [29]. Il y a les symptômes classiques : pseudo-crise, troubles de la marche, états crépusculaires (twilight attacks), paralysie et les symptômes plus rares comme les désordres de la vue ou de l’ouïe. Par ailleurs, beaucoup s’accordent sur le fait que la « belle indifférence » est plutôt exceptionnelle, sujette à débat et peut fluctuer lorsqu’elle est observée [6,10,14,15,24]. En outre, la plupart des auteurs n’incluent pas la douleur comme une réaction de conversion, mais d’autres [30] pensent que certains enfants avec une douleur abdominale sont « prédisposés » à développer une hystérie de forme polysymptomatique. Finalement, d’autres écrits ont mis l’accent sur l’importance de différencier plus particulièrement deux entités concernant le trouble à l’enfance et l’adolescence : la conversion hystérique et l’hystérie à proprement parler. A. Papazova, H. Nicolis Il faut différencier l’hystérie de la simulation : c’est l’aspect inconscient qui le différencie de la simulation ou de l’hypochondrie ainsi que du trouble somatoforme. Beaucoup de données, d’observations vont dans le sens de l’existence, d’une part, de manipulation comme faisant partie de l’hystérie [3]. Le développement de conséquences physiques secondaires peut parfois s’observer ce qui peut alors orienter le diagnostic vers une cause organique, offrant alors une permanence au mécanisme de conversion sous-jacent. Un autre exemple de cette « étiologie » combinée entre conscient et inconscient est le phénomène d’hystérie de masse (mass hysteria) [6,23]. Il semblerait que le phénomène soit induit par le conflit occasionné, suite à la différence entre ce qui est enseigné à l’école et les traditions et croyances tribales. Cela concerne essentiellement des enfants de sexe féminin, scolarisés avec comme symptomatologie des contorsions histrioniques : paralysies, cris, dancing mania. En d’autres mots, il existe des éléments de contagiosité et de suggestibilité ce qui semble confirmer l’association « conscient-inconscient ». Enfin, il faut aussi souligner la combinaison « organique et fonctionnel » avec parfois l’existence de conséquences organiques secondaires à l’hystérie. En effet, les symptômes hystériques peuvent accompagner des situations cliniques organiques telles que l’épilepsie, et il est alors impossible de déterminer si les symptômes hystériques sont réactionnels ou font partie intégrante du syndrome organique. Sans compter que les patients peuvent avoir des symptômes hystériques comme faisant partie de leur adaptation au diagnostic de leur affection organique [15] et que par ailleurs les symptômes organiques peuvent accompagner un autre type de désordre émotionnel. Conclusion Moyennant des interventions médicales et/ou familiales modérées, l’hystérie « normale » disparaît sans traces. Le pronostic semble d’autant meilleur que l’enfant est jeune (certains symptômes névrotiques, même très structurés, peuvent avoir un effet positif dans l’organisation ultérieure de la personnalité). Le pronostic de l’hystérie de conversion est plus sévère. Néanmoins, le pronostic est moins défavorable, si la prise en charge psychothérapeutique est stable et spécifique. Il semble qu’une des lignes conductrices soit de distinguer les enfants avec hystérie comme trouble primaire et ceux où la conversion, où les phénomènes dissociatifs surviennent dans le contexte d’autres désordres psychiatriques. Nous serions plutôt de l’avis de la difficulté à généraliser les données statistiques concernant l’hystérie dans l’enfance, en raison des nombreux paramètres à prendre en considération, à commencer par la définition même de l’affection, mais aussi la méthode diagnostique, la durée du suivi, la méthode d’échantillonnage. . . Nous pensons en effet qu’il y a une réelle difficulté diagnostique en absence d’appel clinique spécifique et un état inhérent à l’enfance d’où l’importance d’observer la réaction de l’enfant, ainsi que la dynamique familiale. Hystérie chez l’enfant : d’un diagnostic du passé à un état des lieux actuel Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] American Psychiatric Association. Revision of diagnostic and statistical manual of mental disorders III. American Psychiatric Association; 1987. [2] Laplanche J, Pontalis JB. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris: PUF; 1971. [3] Jureidini J, Taylor DC. Hysteria, pretending to be sick and its consequences. Eur Child Adolesc Psychiatry 2002;11(3):123—8. [4] Freud S. Études sur l’Hystérie. Anthologie Commentée Dr Jean Dierkens. Bruxelles, Belgique: édition Labor; 1895. [5] Cramer. Vicissitudes de l’investissement du corps : symptômes de conversion en période pubertaire. Psychiatr Enfant 1977;XX:1. [6] Stevens H. Conversion hysteria—revisited by pediatric neurologist. Clin Proc 1969;XXV(2):27—39. [7] Srinath S, Bharat S, Girimaji S, Seshadri S. 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