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© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 15 February 2017
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la génétique n'explique pas tout, loin s'en faut. La preuve en est que, comme le rapportent
Arnaud D'Argembeau et Martial Van der Linden, «a majorité des parents au premier degré et la
majorité des jumeaux monozygotes des individus diagnostiqués PS ne présentent pas le trouble». De
surcroît, les deux psychologues soulèvent une «question subsidiaire» : la prédisposition génétique observée
est-elle spécifique de l'anxiété sociale ou sous-tend-elle une propension plus générale à ressentir des
affects négatifs ?
Quittons le monde des gènes. Quelles sont les autres variables impliquées ? D'une part, le type de
tempérament nous avons parlé du tempérament évitant. D'autre part, des expériences sociales qui se
sont révélées négatives, l'individu ayant éprouvé le sentiment de mal maîtriser la situation, d'avoir
été ridiculisé, humilié. Songeons par exemple à un exposé scolaire qui a suscité la risée de la classe.
Autre élément encore : un mode d'éducation inapproprié. Plusieurs travaux ont notamment montré que
l'environnement familial des patients PS était soit davantage «rejetant» et émotionnellement distant,
soit, à l'opposé, surprotecteur et possessif.
Quoi qu'il en soit, l'étiologie de la phobie sociale ne se réduit pas à un seul facteur de risque ; au
contraire, elle est le fruit d'un ensemble de variables en interaction, chacune d'entre elles prise
isolément ne constituant ni une condition nécessaire ni une condition suffisante au développement du trouble.
La PS ne comprend-elle pas aussi un versant cognitif ? La réponse est oui. Pourtant, celui-ci était pratiquement
inexploré avant la naissance, il y a une quinzaine d'années, de la psychopathologie cognitive.
L'échelle de la timidité
Il y a quelques mois, furent publiés les deux tomes du Traité de psychopathologie cognitive(3), lequel
représente une première en langue française et, pour l'heure, ne connaît pas d'équivalent en
anglais. Les éditeurs de ces deux volumes, dont le premier fournit des bases conceptuelles et méthodologiques
et le second, une approche de symptomatologies diverses, comme l'état de stress post-traumatique,
le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), la schizophrénie, la dépression, l'anxiété généralisée ou la
phobie sociale, sont Martial Van der Linden (Liège, Genève) et Grazia Ceschi, de l'Université de
Genève.
Dans le second tome du traité, Arnaud D'Argembeau et Martial Van der Linden ont rédigé un chapitre
où ils dressent l'état des connaissances relatives au fonctionnement cognitif dans la phobie sociale.
L'idée maîtresse qui ressort des théories cognitives des troubles anxieux est que des «croyances
dysfonctionnelles» et des «biais cognitifs» dans le traitement des informations sociales contribuent au
développement, au maintien et à la récurrence de ces troubles. «En effet, dit Arnaud D'Argembeau, ces
deux types de dysfonctionnements cognitifs vont amener l'individu à considérer les situations sociales
comme une menace, celle d'être évalué négativement par autrui.»
Précisons les concepts. En psychopathologie cognitive, les biais cognitifs (d'attention, de jugement
et d'interprétation, de mémoire...) renvoient à des situations dans lesquelles le sujet traite
préférentiellement certains types d'informations au détriment d'autres, privilégiant par exemple
celles qui revêtent une connotation négative ou éveillent l'idée de danger. Pour leur part, les croyances
dysfonctionnelles se fondent sur un ensemble complexe d'associations entre concepts, qui sont
stockées en mémoire sémantique (voir encadré déjà publié et intitulé La mémoire multiple) et confèrent une
coloration particulière à la lecture que le sujet a du monde et de lui-même, en modulant son fonctionnement