Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 Article original Caractéristiques comportementales et personnelles chez des enfants âgés de 8 à 12 ans (n = 215) présentant un problème alimentaire : étude rétrospective夽 Behavioral and personal characteristics in children aged 8 to 12 years old (n = 215) with an eating disorder: A retrospective study D. Meilleur a,∗ , O. Jamoulle b , D. Taddeo b , J.-Y. Frappier b a Université de Montréal, CP 6128 succursale centre-ville, Montréal, Province de Québec, H3C 3J7 Canada b Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Montréal, Canada Résumé But. – Cette étude a pour but de décrire les caractéristiques psychologiques, sociodémographiques et somatiques de tous les enfants (âgés de 8 à 12 ans) qui ont consulté pour un problème alimentaire sur une unité de soins pédiatriques d’un centre hospitalier universitaire pendant une période de 15 ans. Méthode. – Nous avons revu les dossiers médicaux de 215 enfants à l’aide d’une grille détaillée élaborée pour cette étude. Des statistiques descriptives (tests-t, Chi2 ) ont été effectuées. Résultats. – L’échantillon total est composé majoritairement de filles (92 %, n = 197), 4 % d’entre elles sont des jumelles. Des 215 enfants, 52 % ont été hospitalisés au moins une fois et 48 % ont été soignés en service ambulatoire. Dans l’échantillon, 82 % expriment des préoccupations à l’égard de la nourriture et du poids, 69,4 % ont peur de prendre du poids, 57,5 % désirent encore en perdre et 46,6 % ont des préoccupations par rapport à leur image corporelle. La majorité des enfants, soit 95 %, ont des comportements restrictifs et 13,3 % ont des comportements boulimiques. Des difficultés alimentaires durant l’enfance sont présentes chez 15,9 % des enfants. Un peu plus de la moitié des enfants (55,8 %) a au moins un autre trouble comorbide et la présence d’antécédents familiaux de maladies psychiatriques est notée chez 36,3 % des enfants de l’échantillon. Les filles et les garçons obtiennent des résultats similaires sur la majorité des variables de l’étude. On note une seule différence significative entre eux : les garçons sont plus isolés socialement. Des différences significatives sont observées entre les enfants plus jeunes (âgés de 8 à 10 ans) et les plus âgés (10–12 ans) constituant l’échantillon. Conclusion. – Les résultats soulèvent des questionnements sur l’étiologie du trouble et sur son éventuelle évolution. Des études sur le devenir de ces enfants sont essentielles afin de mieux les comprendre et nous aider à mieux adapter nos stratégies d’interventions auprès d’eux. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Troubles alimentaires ; Enfants ; Prépubères ; Anorexie Abstract Objective. – This study aimed to describe psychological, sociodemographic and somatic characteristics of all children aged 8–12 years who received treatments for eating disorders on a pediatric unit of a University Health Centre during a period of 15 years. Methods. – We reviewed the medical records of 215 children with a detailed grid. Descriptive statistics (t-test, Chi2 ) were performed. Results. – The overall sample was comprised largely (92%) of girls (n = 197); 4% of whom were twins. Out of the 215 children, 52% were hospitalized at least one time and 48% were seen and treated as outpatients. In the sample, 82% expressed concerns towards food/weight, 69.4% were afraid of gaining weight, 57.5% still want to lose weight and 46.6% had body image preoccupations. Most of the children, e.g. 95%, had restrictive eating behaviors and 13.5% had bulimia symptoms. Eating problems during infancy were present in 15.9% of the sample. More than half of the children (55.8%) had at least one comorbid condition and family history of psychiatric problems was observed for 36.3% of the children. Boys and girls obtained very similar results on all variables of the study. Only one significant difference had been observed between them: boys 夽 ∗ Cette recherche a été réalisée grâce aux fonds institutionnel du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Meilleur). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2014.04.004 0222-9617/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 279 were more socially withdrawn. Some significant differences were found between younger children (8–10 years old) and the older one (10–12 years old) of the sample. Conclusion. – These results bring out questioning on the etiology of ED in children and on their outcome. Follow-up studies of children presenting ED are essential to better understand these problems and their evolution in order to adapt our strategies for treating them. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Eating disorders; Prepubertal anorexia; Anorexia; Children 1. Contexte théorique Les troubles alimentaires touchent environ 0,5 à 3 % des femmes dans la population générale [1,2]. Leur présence chez les adultes et les adolescents est reconnue depuis longtemps. Certains cliniciens et chercheurs ont noté une recrudescence de problèmes alimentaires chez les enfants et les pré-adolescents, soit ceux âgés entre 8 et 12 ans, au cours des dernières années [1,3–7]. Il n’est pas clair pour les cliniciens et les chercheurs si ces troubles alimentaires s’apparentent à ceux observés chez les enfants plus jeunes (0–6 ans) ou s’ils sont plutôt similaires à ceux que l’on retrouve à l’adolescence. Des auteurs soulignent la diversité des présentations cliniques des problèmes alimentaires chez les enfants qui pourraient les distinguer de ceux qui surviennent à l’adolescence et à l’âge adulte. Malgré l’intérêt de plusieurs auteurs pour ce sujet, nos connaissances entourant les problèmes alimentaires qui surviennent chez les enfants âgés de 8 à 12 ans demeurent fragmentaires. Diverses raisons peuvent expliquer cette situation. D’une part, les enfants qui ont des difficultés alimentaires, de par la diversité des symptômes qu’ils présentent, consultent des services et équipes de soins appartenant à des spécialités variées. Les données cliniques à leur endroit peuvent ainsi se confondre à l’intérieur d’autres groupes d’âges ou d’autres problèmes spécifiques et provenir de sources variées les rendant difficiles à répertorier. De plus, malgré une certaine recrudescence de cas, leur nombre demeure restreint. Il peut donc être difficile de constituer un échantillon significatif provenant d’un seul site d’accueil. Aussi, il ne semble pas y avoir de consensus quant à l’appellation privilégiée pour identifier les problèmes alimentaires présentés par ces enfants. Les auteurs utilisent diverses expressions parmi lesquelles on retrouve : troubles alimentaires durant l’enfance, trouble alimentaire d’apparition précoce ou trouble alimentaire chez les prépubères. Cette absence de consensus peut nuire à l’adoption de repères consensuels permettant un meilleur dépistage des troubles, à leur identification dans les services et conséquemment à la constitution d’un échantillon de recherche. Les auteurs sont nombreux à noter que le diagnostic de trouble alimentaire non spécifié (Eating Disorder Not Otherwise Specified – EDNOS) est plus souvent posé chez les enfants que les diagnostics d’anorexie et de boulimie, les enfants ne rencontrant pas tous les critères requis [8–11]. Certains auteurs ont même proposé une classification spécifique pour eux [12] ayant contribué à l’élaboration d’une nouvelle catégorie diagnostique, soit le trouble alimentaire évitant/restriction alimentaire (Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder – ARFID) dans la version du DSM-V qui vise particulièrement ce groupe d’âge [1]. Au cours des dernières décennies, des études ont tout de même réussi à mettre de l’avant certaines caractéristiques propres aux enfants atteints de problèmes alimentaires. Des auteurs suggèrent que l’éventail de comportements alimentaires restrictifs serait moins grand chez les enfants que chez les adolescents de même que les comportements de boulimie et de vomissements [7,12]. L’hyperactivité physique et le refus de prendre des liquides seraient plus fréquents chez les enfants comparativement aux adolescents [7,13,14]. Plusieurs auteurs ont souligné l’absence de distorsion de l’image corporelle chez une majorité d’enfants ayant des problèmes alimentaires [7,15]. Leur perte de poids ou l’absence de gain de poids serait, chez certains enfants, attribuable au désir de s’alimenter sainement plutôt qu’à un désir de minceur ou de perte de poids [16] les distinguant des groupes plus âgés. Toutefois, la crainte de prendre du poids serait présente chez plusieurs d’entre eux [7]. Il semblerait y avoir plus de garçons atteints de problèmes alimentaires chez les enfants comparativement aux adolescents : des études avancent une proportion de 3 filles pour 1 garçon [7,17–19], comparativement à 9 filles pour 1 garçon chez les adolescents et adultes [2]. La présence de plaintes somatiques variées associées aux comportements et préoccupations alimentaires chez les enfants est soulevée par de nombreux auteurs [16]. Les symptômes physiques orienteraient d’ailleurs fréquemment les premières investigations vers une pathologie médicale, ce qui aurait comme conséquence de retarder le diagnostic [20,21]. D’autres études ont mis de l’avant la présence de troubles comorbides dans les tableaux cliniques présentés par les enfants atteints de troubles alimentaires. Parmi les principaux troubles identifiés, on note les symptômes dépressifs précoces ou associés au problème alimentaire [7,14,22,23], les symptômes phobiques et obsessionnels [7,24], les gestes suicidaires [14], et les troubles alimentaires durant l’enfance [25,26]. Par ailleurs, d’autres auteurs notent qu’il est plus fréquent d’identifier un événement déclencheur au problème alimentaire chez les enfants comparativement à leurs acolytes plus âgés. Des événements tels un stress psychosocial, une maladie d’un parent et des commentaires négatifs de l’entourage sur l’apparence sont les plus souvent évoqués comme motif ayant initié le problème [7,14,17,22,27]. Les conséquences associées à la présence d’un trouble alimentaire sont très préoccupantes chez les enfants en raison de leur impact sur la santé physique et psychique. Certains auteurs rapportent un pronostic moins favorable lorsque le trouble 280 D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 alimentaire débute avant l’âge de 13 ans [28]. Des comportements alimentaires qui occasionnent une absence de gain de poids, une perte de poids ou une déshydratation rapide peuvent avoir des conséquences graves sur la santé du jeune [11,15,16,29]. Les stratégies d’interventions, développées pour les adolescents, s’avèrent souvent plus ou moins efficaces auprès des enfants et doivent fréquemment être révisées ou adaptées afin de mieux prendre en considération les facteurs développementaux propres à cet âge [11]. Les auteurs sont nombreux à soulever l’importance d’accroître nos connaissances concernant les enfants de 8 à 12 ans qui souffrent de TCA afin de mieux documenter leurs présentations cliniques et de favoriser une meilleure compréhension des facteurs susceptibles de jouer un rôle dans le développement et maintien du problème de même que dans leur évolution [20]. 2. Objectif L’objectif de cette recherche de nature rétrospective est de répertorier les caractéristiques somatiques, comportementales et familiales de tous les enfants âgés de 8 à 12 ans, évalués et suivis pour un problème alimentaire au cours d’une période de 15 ans dans un centre hospitalier universitaire de la région métropolitaine québécoise. Parmi l’échantillon de participants constitués, nous tenterons de voir si des différences sont observées sur les variables en fonction du sexe et de l’âge des enfants. Les résultats obtenus seront discutés en regard des connaissances actuelles sur le sujet et des pistes de réflexion pour des recherches futures seront proposées. 3. Méthodologie L’approbation du comité scientifique et d’éthique à la recherche du centre hospitalier universitaire a été obtenue pour permettre la sélection et la consultation des dossiers médicaux jugés pertinents à l’étude. L’échantillon de l’étude a été constitué à partir des dossiers des enfants qui ont consulté au centre hospitalier universitaire pour des difficultés alimentaires au cours d’une période de 15 ans. Une première liste de dossiers a été établie à partir de mots clés susceptibles de correspondre soit au motif de consultation ou au diagnostic de l’enfant à son arrivée dans les services (clinique externe ou hospitalisation). Les mots clés utilisés sont : perte de poids, difficulté/problème/trouble alimentaire, anorexie, anorexie atypique, refus de manger, refus alimentaire, phobie alimentaire, boulimie, vomissements, retard de croissance, retard staturo-pondéral, arrêt de croissance, absence de gain de poids. Les dossiers ainsi sélectionnés ont ensuite été analysés manuellement par les principaux auteurs de l’étude afin de retrancher ceux des enfants dont les symptômes ou problème(s) alimentaire(s) étaient associés à un trouble organique (p. ex. la fibrose kystique ou une maladie gastrique). Au final, 215 dossiers ont été retenus et analysés. 4. Description de la grille Les informations ont été recueillies dans les dossiers à partir d’une grille d’analyse élaborée spécifiquement pour cette étude et composée de 534 items (potentiels) regroupant les variables d’intérêt. Une grille a été complétée pour chaque dossier. Un échantillon de 10 % des dossiers a fait l’objet d’un accord interjuges pour la cotation ; ce dernier a été établi à 90,4 %. 5. Résultats Des statistiques descriptives (analyse de fréquences, test-t, Chi2 ) ont été effectuées pour analyser les résultats obtenus. Les résultats pour l’ensemble de l’échantillon sont présentés selon les principales variables à l’étude soit les caractéristiques somatiques, comportementales et personnelles des enfants. Certaines données concernant la trajectoire des patients dans les services sont présentées. Les résultats ont été analysés en tenant compte du sexe des participants. Des comparaisons sur certaines variables entre les enfants plus jeunes (8 à 10 ans) et les plus âgés (10 à 12 ans) sont rapportées. 6. Description de l’échantillon L’échantillon est composé de 215 enfants ; 197 filles (91,6 %) et 18 garçons (8,4 %). L’âge moyen des enfants à l’arrivée dans les services est de 141 mois soit 11 ans et 9 mois (DS = 13,3). Le poids moyen à la première visite est de 35,7 kg (DS = 8,6) avec une taille moyenne de 149,6 cm (DS = 10,6) et un indice de masse corporelle moyen de 15,8 (DS = 2,3), le situant entre le 10e et 25e percentile. Un peu plus de la moitié de l’échantillon, soit 52 % (n = 112), a été hospitalisé au moins une fois pour ce problème. Les garçons sont répartis également entre les enfants hospitalisés et ceux suivis en ambulatoire. Les personnes ayant initié la consultation pour l’enfant sont variées. Sur 196 enfants pour lesquels il a été possible d’avoir l’information, 57 % ont été référés par un médecin, 32 % sont amenés par leurs parents qui ont initié la consultation médicale et 11 % ont été référés par un professionnel ou une personne de l’entourage. La majorité des jeunes (85 %) habitent la région métropolitaine et ses environs. 7. Caractéristiques sociodémographiques Une majorité d’enfants, soit 67 % est issue de familles nucléaires intactes et habitent avec leurs deux parents biologiques, 28,8 % viennent de familles dont les parents sont séparés/divorcés et 2,9 % ont un parent décédé. Deux participantes, soit 0,9 % de l’échantillon, vivent en famille d’accueil. L’origine ethnoculturelle est majoritairement canadiennefrançaise, soit à 92 %. L’âge moyen du père est de 42,4 ans (DS = 6,6) et celui de la mère de 40,3 ans (DS = 5,7). Une majorité de mères (78,7 %) et de pères (94,7 %) ont une occupation professionnelle ou scolaire. Près de la moitié des participants, soit 47 %, viennent d’une famille composée de deux enfants, 39 % d’une famille de trois enfants et plus et 14 % sont enfants uniques. On note la présence de jumelles pour 3,7 % de l’échantillon, toutes de sexe féminin. La majorité des enfants, soit 92,5 %, a un cheminement scolaire régulier. Une grande proportion d’entre eux (37,7 %) fréquente soit la dernière année du primaire (6e année) ou la D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 281 Tableau 1 Comportements et attitudes à l’égard de l’alimentation. Comportements de restriction Activité physique excessive Boulimie Vomissements Utilisation de laxatifs Réduction du gras et sucre Évite certains aliments Couper en petits morceaux Mange les mêmes aliments Manger les aliments dans un certain ordre Refus de s’hydrater Filles (n = 197) (%) Garçons (n = 18) (%) n total (%) 94,8 35,6 13,4 15,3 3,1 64,4 51 19,2 17,6 11 13,9 94,1 46,4 12,5 17,6 0 75 64,7 18,8 13,3 12,5 5,6 95 (200/211) 40,2 (78/194) 13,3 (28/210) 15,5 (33/213) 2,8 (6/211) 65,2 (135/207) 52,1 (110/211) 19,1 (40/209) 17,3 (35/202) 11,1 (23/207) 13,2 (28/212) première année du secondaire (34,4 %), 14 % sont en 5e année et 11 % sont en 2e , 3e ou 4e année du primaire. La fréquentation scolaire récente est décrite comme stable pour la majorité d’entre eux soit 89 % et 68 % des enfants se disent satisfaits de leur école. Aucune différence significative n’est observée entre les filles et les garçons sur l’ensemble des caractéristiques sociodémographiques. 8. Caractéristiques somatiques Une perte de poids est notée chez une grande majorité des enfants de l’échantillon soit chez 90,5 % des participants. La perte de poids moyenne est de 8,5 kg (DS = 5,9), avec un pourcentage de perte de poids moyen de 17,7 % (DS = 8,6). Les symptômes alimentaires sont présents en moyenne depuis un peu plus de 7 mois (DS = 5,7), situant leur début aux environs de l’âge de 11 ans et 1 mois. Les garçons et les filles sont similaires sur tous les aspects somatiques évalués. Chez les filles, 64 % ont une aménorrhée primaire. Parmi les filles pubères (36 %, n = 71), on note une aménorrhée secondaire chez 59 % (n = 41) d’entre elles. À l’arrivée dans les services, 9,5 % des enfants prennent une médication : 7 reçoivent une médication pour un TDA/TDAH, 3 un anxiolytique et 2 un antidépresseur. 9. Caractéristiques comportementales et personnelles 9.1. Comportements et attitudes à l’égard de l’alimentation Différents comportements et attitudes à l’égard de l’alimentation sont notés chez les enfants. Les comportements de restriction, les diètes et les jeûnes sont présents chez 95 % des enfants de l’échantillon. La grande majorité, soit 65 %, rapporte avoir diminué la consommation d’aliments considérés riches en gras et en sucre. L’évitement de certains aliments est présent chez 52 % de l’échantillon. La présence d’activités physiques excessives (p. ex. course à pied, redressements assis, musculation) est notée chez 40 % des enfants. Diverses manies par rapport à l’alimentation sont présentes : couper sa nourriture en petits morceaux lors des repas (19,1 %), manger souvent les mêmes aliments (17,3 %) et manger les aliments dans un certain ordre (11,1 %). On note que 13,2 % des enfants boivent peu de liquides ou ne s’hydratent pas. Des comportements de régurgitation (5 %) et de rumination (3 %) sont présents chez 8 % de l’échantillon. La présence de comportements boulimiques est notée chez 13,3 % des enfants, leur fréquence est de 1 à 7 fois/semaine pour 36 % d’entre eux. Les vomissements sont présents chez 15,5 % de l’échantillon ; leur fréquence est d’une à six fois par semaine pour 24 % et quotidienne pour 30 % d’entre eux, soit 4,7 % du total des enfants. L’utilisation de laxatifs est notée chez 2,8 % des enfants (Tableau 1). Aucune différence significative n’est observée entre les garçons et les filles quant aux comportements et attitudes à l’égard de l’alimentation. 9.2. Préoccupations à l’égard de l’alimentation, du poids et de l’image corporelle La majorité des enfants, soit 82,5 %, exprime des préoccupations face à l’alimentation. Différentes motivations sont exprimées par les enfants pour expliquer leurs comportements : 14,3 % disent avoir modifié leur alimentation dans le but de manger de façon saine (« manger santé ») ; 14,4 % disent craindre les maux de ventre après avoir mangé ; et 10 % ont peur de vomir ou d’avoir la nausée. La crainte de s’étouffer est exprimée par 5,3 % des jeunes et la même proportion (5,3 %) rapporte la présence d’une sensation de « boule dans la gorge » au moment de la déglutition pour expliquer la diminution des apports alimentaires. La crainte de prendre du poids est exprimée par une majorité d’enfants, soit 69,4 %, et plusieurs souhaitent encore perdre du poids au moment de la première consultation, soit 57,5 %. Seulement 7,8 % disent craindre de perdre du poids et 19,2 % souhaitent en gagner. On note que 15,6 % disent avoir peur de grandir. Un peu plus de la moitié des enfants, soit 54 %, ont une perception d’eux-mêmes qualifiée de bonne ou moyenne (« correcte »). En ce qui concerne la perception de l’image corporelle, 46,6 % disent se trouver gros, 30 % se considèrent comme étant normaux et 19 % verbalisent se trouver maigres. Une majorité d’enfants (59 %) mentionne entretenir de bonnes relations 282 D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 Tableau 2 Préoccupations à l’égard de l’alimentation, du poids et de l’image corporelle. Préoccupations face à l’alimentation Désir de manger sainement Craint les maux de ventre Peur de vomir/nausées Crainte de prendre du poids Désire encore perdre du poids Verbalise peur de grandir Perception de soi (bonne/moyenne) Verbalise se trouver gros(se) Perception IC normale Bonnes relations avec les parents Isolées socialement Filles (n = 197) (%) Garçons (n = 18) (%) n total (%) 83,9 14,8 14,2 9,9 68,9 59,1 16,5 53,6 47,1 30 58,8 9,9 66,7 31,3 16,7 11,1 75 41,2 6,3 58,4 40 30,1 61,5 31,3* 82,5 (174/211) 16,1 (33/205) 14,4 (30/208) 10 (21/209) 69,4 (143/206) 57,5 (111/193) 15,6 (29/186) 54 (81/150) 46,6 (76/163) 30 (49/163) 59 (98/166) 11,6 (23/198) *p ≤ 0,05. avec leurs parents. Au plan social, 62,6 % des enfants (64,3 % des filles et 43,8 % des garçons) disent avoir plusieurs amis et ils décrivent leur relation avec eux comme étant satisfaisante (77,5 %). Toutefois, un nombre significativement plus élevé de garçons ont peu d’amis et sont isolés socialement, et ce, depuis longtemps (31,3 % vs 9,9 %, x2 (3, n = 198) = 9,345, p = 0,025). Il s’agit de la seule différence significative entre les sexes des participants sur cette dimension (Tableau 2). Plusieurs enfants expriment des plaintes somatiques. Ces dernières sont de natures variées. Parmi les plus fréquentes, on retrouve les douleurs abdominales et les étourdissements qui sont rapportés par la même proportion d’enfants soit 25,5 %. Environ 21,5 % des enfants souffrent de constipation, 13,1 % ont des céphalées, 11,7 % disent avoir des nausées, 7 % ont une sensation de satiété précoce et 5 % ont du reflux ou de la dysphagie. (11/191) soulignent la présence de conflits entre les parents (Tableau 3). On n’observe aucune différence significative entre les filles et les garçons concernant les antécédents. 10. Trajectoires dans les services Sur les 215 enfants, un peu plus de la moitié, soit 52 % (n = 112) a été hospitalisée. Parmi ceux-ci, 59 % l’ont été une fois, 17 % ont été hospitalisés à deux reprises, et 24 % l’ont été trois fois et plus. Près des deux tiers (67 %) de ces enfants ont été hospitalisés à leur première visite, suggérant un état de santé physique précaire à leur arrivée dans les services. Les filles et les garçons suivis en clinique ambulatoire (92 % vs 7,8 %) et ceux hospitalisés (92 % vs 8 %) sont répartis de manière similaire. 9.3. Antécédents 11. Comparaisons entre les enfants plus jeunes et les plus âgés On note à l’histoire développementale des difficultés alimentaires durant l’enfance chez 15,9 % des enfants de l’échantillon. Un peu plus de 9 % sont décrits par les parents comme des « petits mangeurs », 10,5 % comme ayant « peu d’appétit », 6,2 % ont souffert de douleurs gastriques durant l’enfance et 4,3 % d’allergies alimentaires. Parmi les enfants pour lesquels les données sont disponibles, on note la présence d’idées suicidaires chez 11 % d’entre eux et 2 % ont déjà posé un geste suicidaire. Des abus physiques sont présents chez 5,6 % et la présence d’abus sexuel est notée chez 4,6 % d’entre eux. De l’absentéisme scolaire est présent chez 6 % des enfants. Des comportements d’automutilation sont notés chez 5,1 % des enfants, les principaux comportements sont : se frapper, se pincer, se lacérer certaines parties du corps, s’arracher des cils ou des cheveux. Parmi les principaux événements identifiés par le jeune ou par une personne de son entourage comme déclencheurs du trouble, 22,7 % (44/194) mentionnent avoir fait l’objet de railleries ou de moqueries par rapport à leur apparence physique ; 9,4 % (19/202) rapportent un problème de santé précédant le début du trouble (p. ex. : gastroentérite) et 5,8 % Des comparaisons sur les principales variables à l’étude ont été effectuées entre les enfants en fonction de leur âge. À cette fin, ils ont été divisés en deux groupes soit : les enfants âgés de 8 à 10 ans (n = 18) et ceux âgés de plus de 10 ans (n = 197). Seules les différences significatives sont rapportées. Une proportion significativement plus grande d’enfants âgés de 8 à 10 ans a été hospitalisée au moins une fois (77,8 % vs 49,7 %, x2 (1, n = 215) = 5,19, p = 0,027). Ces derniers sont plus nombreux à prendre une médication à leur arrivée dans les services (27,8 % vs 7,7 %, x2 (1, n = 212) = 7,75, p = 0,017). La médication prescrite la plus fréquente est un psychostimulant pour un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Concernant leurs attitudes à l’égard du poids, de la nourriture et de leur image corporelle, les enfants plus jeunes sont significativement moins nombreux à exprimer craindre de prendre du poids comparativement aux plus âgés (26,7 % vs 72,8 %, x2 (1, n = 206) = 13,93, p = 0,001). La présence d’activité physique excessive (hyperactivité) visant la perte de poids est significativement moins élevée chez les enfants plus jeunes comparativement aux autres (5,6 % vs 39,3 %, D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 283 Tableau 3 Antécédents médicaux et psychiatriques. Difficultés alimentaires en enfance Idées suicidaires Gestes suicidaires Abus physiques Abus sexuels Automutilation Filles (n = 197) (%) Garçons (n = 18) (%) n total (%) 15,8 12 2,4 6,1 5,0 5,5 16,7 0 0 0 0 0 15,9 (34/214) 11 (20/182) 2,2 (4/182) 5,6 (11/197) 4,6 (9/196) 5,1 (10/198) x2 (3, n = 214) = 28,27, p = 0,000). Les enfants plus jeunes sont significativement moins nombreux à avoir une perception de soi négative comparativement aux plus âgés (9,1 % vs 48,9 %, x2 (2, n = 150) = 6,66, p = 0,036). Les enfants plus jeunes sont significativement plus nombreux à craindre les maux de ventre suite à l’ingestion de nourriture (41,2 % vs 12 %, x2 (1, n = 208) = 10,74, p = 0,005) et à expérimenter des douleurs gastriques comparativement aux autres enfants (23,5 % vs 4,7 %, x2 (1, n = 209) = 9,50, p = 0,014). Les enfants plus jeunes ont significativement plus de troubles comorbides que les autres (x2 (3, n = 215) = 26,95, p = 0,000) ; on note une proportion significativement plus élevée de problème de comportement (21,4 % vs 5,1 %, x2 (1, n = 190) = 5,83, p = 0,05) et de difficultés attentionnelles (20 % vs 3,9 %, x2 (1, n = 195) = 7,39, p = 0,03). Le pourcentage d’abus physique ou sexuel est plus élevé chez les plus jeunes (21,4 % vs 8 %) sans toutefois être significatif. On trouve plus d’antécédents de troubles alimentaires durant l’enfance chez les plus jeunes (50 % vs 12,8 %, x2 (1, n = 214) = 17,11, p = 0,000), les plus fréquents étant l’alimentation sélective (47,1 % vs 5,7 %, x2 (1, n = 209) = 32,28, p = 0,000) et les « petits mangeurs » (35,3 % vs 8,3 %, x2 (1, n = 209) = 12,05, p = 0,004). Il y a significativement plus d’antécédents familiaux de troubles psychiatriques chez les enfants âgés de 8 à 10 ans (72,2 % vs 33 %, x2 (3, n = 215) = 18,49, p =0 ,000). La présence d’antécédent de dépression est significativement plus élevée chez les pères des enfants plus jeunes (21,4 % vs 3,9 %, x2 (1, n = 167) = 7,71, p = 0,029). La présence d’antécédents de troubles alimentaires dans la famille est présente dans une proportion similaire chez les deux groupes (20 %) (Tableau 4). 12. Discussion Cette étude décrit diverses caractéristiques observées chez un nombre important d’enfants âgés de 8 à 12 ans qui présentent un trouble alimentaire. Les résultats sont discutés en regard des connaissances retrouvées dans la littérature scientifique sur le sujet et des implications cliniques qu’ils soulèvent. L’échantillon de 215 sujets est l’un des plus importants, en termes quantitatifs, à avoir été constitué à partir d’un même milieu clinique pour ce groupe d’âge parmi les études sur le sujet. Il permet d’avancer des conclusions robustes quant à certaines caractéristiques identifiées chez ces enfants. Le ratio garçon:fille observé dans notre échantillon, soit 1:10, s’apparente à celui que l’on retrouve chez les adolescents [2], contrairement à ce qui est rapporté dans d’autres études [7,17–19]. Diverses hypothèses sont avancées pour tenter d’expliquer ce résultat. Il est possible que les garçons ne soient pas référés aussi rapidement et fréquemment que les filles dans les services spécialisés pour un trouble alimentaire, soit parce que les problèmes alimentaires sont moins souvent soupçonnés et investigués chez les garçons par les intervenants [19,30–32], soit parce qu’ils sont identifiés plus tardivement, donc à un âge plus avancé, lorsque les symptômes du trouble sont plus apparents, comme le suggèrent certains auteurs [19,33]. À ce propos, dans notre étude, on remarque d’ailleurs qu’aucun garçon ne Tableau 4 Comparaisons entre les enfants plus jeunes et les plus âgés. Au moins une hospitalisation Médication à l’arrivée Crainte de prendre du poids Craint les maux de ventre Activité physique excessive Perception de soi négative Douleurs gastriques Au moins un trouble comorbide Problèmes de comportements Difficultés attentionnelles Difficultés alimentaires enfance Alimentation sélective Petits mangeurs Antécédents familiaux psychiatriques *p ≤ 0,001 ; **p ≤ 0,01 ; *** p ≤ 0,05. Enfants 8–10 ans(n = 18) (%) Enfants 10–12 ans(n = 197) (%) n total (%) 77,8*** 27,8*** 26,7 41,2*** 5,6 9,1 23,5* 100* 21,4*** 20*** 50* 47,1* 35,3** 72,2* 49,7 7,7 72,8* 12 39,3* 48,9*** 4,7 51,8 5,1 3,9 12,8 5,7 8,3 33 52,1 (112/215) 9,4 (20/212) 69,4 (143/206) 14,4 (30/208) 36,4 (78/214) 46 (69/150) 6,2 (13/209) 55,8 (120/215) 6,3 (12/190) 5,1 (10/195) 15,9 (34/214) 9,1 (19/209) 10,5 (22/209) 36,3 (78/215) 284 D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 fait partie des enfants plus jeunes, ce qui appuie l’idée que les garçons sont amenés en consultation plus tardivement. À leur arrivée dans les services, la majorité des enfants de l’étude affiche une perte de poids importante (17 % de leur poids corporel antérieur), apparue en moyenne au cours des 7 derniers mois et l’IMC se situe en moyenne entre le 10e et 25e percentile pour l’âge. Ces résultats suggèrent que la perte de poids est survenue assez rapidement chez ces enfants et qu’elle a entraîné des conséquences importantes sur leur santé. La moitié des enfants a été hospitalisé au moins une fois, et parmi ceux-ci, une majorité l’a été à l’intérieur du premier mois suivant le premier rendezvous. Par ailleurs, les conséquences importantes sur la santé physique peuvent probablement expliquer le court laps de temps entre le début des symptômes et la première consultation. Ces résultats appuient ceux rapportés par d’autres études concernant la perte de poids rapide observée chez plusieurs enfants. L’analyse des résultats permet de constater qu’une grande majorité des enfants présente des comportements de restriction alimentaire : soit ils ont diminué leurs apports alimentaires, soit ils évitent de manger des aliments gras ou sucrés. Les résultats de notre étude mettent aussi de l’avant que presque la moitié des enfants exprime se « trouver gros » (46,6 %) suggérant la présence d’une distorsion de l’image corporelle, la majorité (69 %) craint de prendre du poids et plus de la moitié souhaite encore perdre du poids (57 %). Ces résultats suggèrent que l’adoption des comportements restrictifs chez ces enfants est associée soit à l’évitement d’un gain de poids, soit à des préoccupations entourant la saine alimentation, soit à la recherche d’une perte de poids. Ils suggèrent aussi la présence de préoccupations liées à l’image corporelle chez plusieurs, et potentiellement la présence d’une altération de l’image corporelle chez certains. Ces comportements s’apparentent étroitement aux présentations cliniques observées chez les adolescents et appuient les résultats d’études qui rapportent la présence de préoccupations envers l’image corporelle chez certains jeunes dès le primaire [34], mais sont contraires aux études qui rapportent peu ou pas de présence de distorsion de l’image corporelle chez les enfants souffrant de trouble alimentaire [7,15,16]. Le fait que l’âge moyen de notre échantillon (11,7 ans) soit très près de celui typiquement associé au début de l’adolescence (12 ans) explique peut-être en partie la similarité de certains résultats à ceux obtenus auprès d’échantillons adolescents. Les résultats de notre étude soulignent que plusieurs enfants (13 %) boivent peu, comportement qui peut avoir des conséquences graves sur leur santé physique. Ces résultats vont dans le même sens que ceux rapportés par d’autres auteurs [7]. Les comportements boulimiques (13,5 %) et purgatifs (15,6 %) observés sont légèrement plus élevés que ce qui était attendu et ceux rapportés par certains auteurs [20]. Ils appuient toutefois l’hypothèse voulant que les comportements boulimiques et purgatifs chez les enfants soient plus souvent présents que ce qui est rapporté dans les études et qu’ils seraient possiblement sous-diagnostiqués car peu soupçonnés et investigués [35]. Il est possible toutefois que le fort pourcentage d’enfants de notre échantillon qui présentent des vomissements (15,6 %) ait été influencé par les critères utilisés (mots clés) pour sélectionner les dossiers des enfants de l’échantillon. Par ailleurs on note la présence de plaintes somatiques chez de nombreux enfants tout comme le rapportent plusieurs auteurs [16,18]. On note que l’âge moyen de début des difficultés coïncide avec le dernier cycle du primaire soit les cinquième et sixième années au Québec. Cette période est marquée par d’importants changements physiologiques, psychologiques et sociaux (p. ex. l’apparition des transformations pubertaires, la fin de l’école primaire, la transition vers l’école secondaire). Cette période de transition peut apporter son lot de défis susceptibles d’entraîner une plus grande vulnérabilité chez le jeune. Dans notre étude, le principal élément déclencheur identifié chez les enfants est la présence de moqueries subies par rapport à leur apparence physique. Cet élément suggère que pour certains enfants, une remarque désobligeante reçue sur leur apparence physique a soit initié ou renforcé une préoccupation entourant leur image corporelle et possiblement une modification des comportements alimentaires. Les garçons sont similaires aux filles sur la grande majorité des variables de l’étude. La seule différence significative observée entre les sexes est l’isolement social qui est plus présent chez les garçons que chez les filles, et ce, depuis plus longtemps. Ce dernier élément suggère que la faible socialisation des garçons ne serait pas uniquement attribuable à la présence du trouble alimentaire. Cette grande similarité entre garçons et filles appuie, à notre avis, l’hypothèse voulant que des facteurs psychiques et physiques communs, liés entre autre à la période développementale, soient impliqués dans le développement du problème alimentaire. La forte proportion d’enfants dans l’échantillon qui présentent au moins un trouble comorbide suscite des interrogations. On peut se questionner sur le lien possible entre les troubles comorbides (anxiété, humeur triste, déficit de l’attention, trouble de comportement, etc. . .) identifiés chez certains enfants et le développement du trouble alimentaire. La présence du premier pourrait mettre plus à risque ces enfants de développer un trouble alimentaire et/ou qu’il puisse en accentuer l’intensité. Par ailleurs, cette intensité pourrait favoriser qu’il soit repéré plus rapidement, par exemple chez les plus jeunes enfants du groupe. On peut aussi faire l’hypothèse inverse, c’està-dire que la présence du trouble alimentaire a pu influencer l’apparition ou la manifestation d’un autre trouble psychiatrique. Une troisième hypothèse avancée est que les difficultés des enfants se manifestent différemment selon les étapes de développement qu’ils traversent, pouvant prendre ainsi diverses formes ou symptômes au cours des années. Par exemple, chez certains enfants le nombre plus élevé de comportements restrictifs, de plaintes somatiques, et la présence d’hyperactivité physique pourraient suggérer la présence d’éléments anxieux chez certains d’entre eux. Ces comportements pourraient être une manifestation de leur anxiété, une façon d’exprimer cette dernière autrement que par la parole. De même, la présence importante d’idées et de gestes suicidaires et de comportements d’automutilation pourrait être associée, chez d’autres, à des difficultés dans la régulation émotionnelle. Ainsi, certains des enfants de l’échantillon pourraient avoir présenté des tableaux cliniques variés avec des symptômes diversifiés au cours de leur développement. Ces symptômes témoigneraient de difficultés D. Meilleur et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 278–286 personnelles « stables » dans le fonctionnement du jeune mais se manifestant différemment selon l’âge. Ces résultats iraient dans le même sens que les études portant sur l’évolution des adolescents et adultes avec TCA qui rapportent la présence de troubles comorbides (troubles anxieux et de l’humeur) importants [36]. En ce sens, la classification proposée par Lask et Bryan-Waugh pour ce groupe d’âge, rend bien compte de la diversité possible des présentations cliniques et des différents éléments potentiellement impliqués dans le trouble [37]. Il faudra observer avec le temps, si la nouvelle catégorie proposée dans le DSM-V, soit l’ARFID, sera efficace pour rendre compte de cette pluralité des tableaux cliniques. Par ailleurs, on note aussi chez les enfants plus jeunes une plus grande fréquence de problèmes alimentaires durant l’enfance, de troubles comorbides personnels et d’antécédents psychiatriques dans la famille (généraux). À leur arrivée dans les services ces enfants sont plus nombreux à prendre une médication pour un autre trouble, (principalement pour un déficit attentionnel) impliquant qu’ils ont déjà consulté un médecin pour cet autre problème. La majorité d’entre eux ont été hospitalisés à au moins une reprise. Ces résultats suggèrent que les enfants plus jeunes présentent un tableau clinique plus sévère et potentiellement plus complexe. La présence importante de problème alimentaire dans l’enfance chez les plus jeunes (50 %) a peut-être fait en sorte que l’entourage (parents, médecin) est demeuré vigilant face à leur évolution et aux éventuelles répercussions sur le plan physique permettant de les dépister rapidement. Toutefois, compte tenu du nombre restreint d’enfants plus jeunes, il importe de demeurer prudent dans l’interprétation de ces résultats. 13. Limites à l’étude Certaines limites à cette étude doivent être mentionnées. D’abord, les données ont été recueillies dans les dossiers médicaux. Malgré une certaine standardisation dans les questions posées aux jeunes et consignées aux dossiers par les différents intervenants, la majorité des informations n’ont pas été colligées à l’aide d’instruments standardisés mais bien par l’entremise d’entrevues. Une part de subjectivité chez les intervenants ne peut être écartée quant à la formulation et la nature des questions posées et la transcription des réponses. Ceci explique aussi en grande partie le nombre important de données manquantes pour certaines variables. Aussi, malgré un excellent accord inter-juges dans la cotation des grilles à partir des données dans les dossiers, on ne peut exclure une part de subjectivité chez les coteurs. D’autre part, nous n’avons pas effectué la même collecte de données et les mêmes analyses dans les dossiers d’adolescents, ce qui aurait permis de comparer les résultats obtenus chez les plus jeunes avec les plus âgés, et de pouvoir ainsi mieux statuer sur les particularités observées chez les enfants. Finalement, malgré une sélection minutieuse et attentive des dossiers, nous ne pouvons écarter la possibilité que certains ont pu échapper à notre sélection, nous privant d’informations pertinentes. 14. Conclusion Cette étude dresse un portrait détaillé d’un groupe d’enfants qui ont été évalués et traités pour un trouble alimentaire. Les 285 résultats permettent d’approfondir nos connaissances sur les présentations cliniques de ces enfants. Cette étude répertorie plusieurs variables chez un nombre important d’enfants. Certains résultats vont dans le même sens que ceux rapportés dans des études antérieures sur le sujet, alors que d’autres vont dans une direction différente. Les résultats soulèvent l’importance de poursuivre nos travaux de recherche auprès de cette clientèle car les tableaux cliniques identifiés soulignent la présence de symptômes qui mettent à risque la santé physique et psychologique de ces enfants et suggèrent, pour certains d’entre eux, la présence d’autres troubles ou difficultés questionnant leur devenir. Les efforts de prévention et de dépistage précoce de ces troubles doivent être poursuivis. L’étude souligne la similarité entre les filles et les garçons sur la grande majorité des variables. La seule différence significative observée se situe au niveau de la vie sociale. L’étude permet de distinguer les enfants âgés de 8 à 10 ans des autres sur quelques variables. Les résultats suggèrent qu’ils ont une fréquence de troubles comorbides plus élevée, des antécédents de troubles alimentaires dans l’enfance plus fréquents et des antécédents psychiatriques familiaux plus nombreux. Plus de la moitié des enfants de l’échantillon de l’étude présente au moins un autre trouble comorbide à leur problème alimentaire et plus du tiers ont des antécédents psychiatriques dans la famille. Ces facteurs soulèvent des questionnements autant sur l’étiologie du trouble que sur son éventuelle évolution. Est-ce que ces facteurs jouent en faveur d’un pronostic favorable ou au contraire sont-ils plutôt précurseurs d’un pronostic défavorable ? Des études longitudinales auprès de ces enfants sont essentielles afin de mieux cerner leur devenir et nous aider à mieux adapter nos stratégies d’intervention auprès d’eux. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorders DSM-5. 5th ed. Wasinghton: American Psychiatric Publishing; 2013. [2] APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorders. Washington: American Psychiatric Publishing; 2000. 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