Entretien avec l’Ambassadeur de Pologne au Maroc Witold Spirydowicz : Les investisseurs polonais ont l'impression que le marché marocain est dominé par les sociétés françaises. Interview par : Mustapha Azougah * Monsieur l'Ambassadeur, la Pologne préside depuis le 1er Juillet l'UE, quelles sont vos priorités au cours de ces six mois de présidence des Européens? ** Il y a trois priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne. Ces priorités visent une Europe élargie, une Europe sécurisé et un Europe ouverte. Ce qui signifie que la Pologne considère que l’Europe est une institution qu’il faut élargir, où il est temps de compter sur l'adhésion de la Croatie pendant notre présidence. Nous voulons aussi progresser dans les négociations avec la Turquie et nous sommes impatients de libéraliser les échanges avec l'Ukraine. Nous visons aussi la stabilité de l'Europe en termes économiques. Et quand nous parlons de l'Europe ouverte, c’est parce que nous nous opposons à l'amendement de toute la législation de "Schengen" qui garantit la liberté de circulation des personnes. Comme vous le savez, il y a quelques semaines, certains pays dans l'espace Schengen ont instauré un sévère contrôle sur leurs frontières. Nous visons la sécurité de notre continent et nous pensons que les frontières en dehors de l’ Europe doivent êtres plus sécurisées, tout en maintenant la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen. Étant donné ces priorités, il semble que la tâche ne sera pas facile ? ** Bien sûr, en particulier compte tenu des récents développements économiques en Europe et dans le monde. La crise dans l’espace Euro est visible. Et il semble que ce soit encore plus difficile pour nous, d’autant plus que la Pologne n'a pas encore rejoint la zone Euro. Et donc, nous ne pouvons pas participer directement aux débats sur l'avenir de la monnaie européenne. Nous sommes impatients de contribuer à cela, mais certains pays y restent opposés. * La Norvège a connu une attaque terroriste commise par un extrémiste de droite, cet événement s'inscrit dans le contexte de retour du nationalisme extrémiste dans de nombreux pays européens, comment allez vous faire pour trouver une solution a ce dossier ? ** Peut être dans certaines sociétés, il y a une sorte de peur des étrangers, mais personnellement je vois que c’est dû aux conséquences de la crise économique. Prenez la situation d’avant 2008, ce climat n’existait pas, parce que l'économie était en meilleur état. La situation actuelle, ne concerne pas uniquement les immigrés africains ou arabes dans les pays européens. Regardez ce que le gouvernement espagnol a pris récemment comme décisions, il a décidé de limiter les droits des ressortissants de la Roumanie, membre de l’Union européenne, dans la recherche d'un emploi en Espagne. Le climat actuel est le résultat de la crise économique et n'a rien à voir avec une quelconque interprétation idéologique. * Vous avez fait référence à la Turquie, pensez vous que vous allez progresser dans le dossier de l’adhésion de la Turquie a l’Union Européenne ? ** L’image de la Turquie auprès des Européens ne reflète pas la réalité. Ce pays a fait des grands progrès et évolue d'une façon remarquable. Les infrastructures et les services dans ce pays sont de haut niveau. La Turquie est devenue un acteur important dans les relations internationales et je pense qu’elle ne posera aucun problème pour les Européens sur le plan économique. * La Pologne n’ as pas été touché par la crise économique, et le pays enregistre le plus haut taux de croissance dans l'Union européenne, pensez-vous que c’ est un facteur de confiance pour les Européens surtout avec la crise actuelle? * Nous avons pu éviter la crise qui a touchée l'Europe. Et je pense que la raison, peut-être, c’est que nous ne faisons pas partie de la zone euro. Le fait de disposer de notre monnaie nationale y a contribué beaucoup. Par ailleurs, nous avons diversifié notre économie, et nous avons trouvé des issues pour nos exportations. Je pense que notre ministre des Finances peut donner de bons conseils à ses homologues européens. Quels sont les facteurs qui ont contribué à éviter la crise? ** Je considère que la politique bancaire est très importante à ce niveau. Les banques polonaises ont été plus prudentes en ce qui concerne la politique des prêts et elles sont soumises à un contrôle strict. De plus, il faut diversifier l'économie et ne pas compter uniquement sur quelques secteurs. Contrairement à ce qui arrive dans certains pays où le secteur public domine, la Pologne s’est été engagée dans une série de privatisations réussies. * Il y a des années, la Pologne était considérée plus proche de l'Amérique que de l'Europe, et aujourd'hui, les sondages montrent que les Polonais sont plus étroitement liés à l'Europe, comment l'idée de l'Europe a fais chemin auprès de vos citoyens? ** Ceci était dû, à mon avis, aux vertues de la libre circulation des personnes. Les Polonais aiment voyager et s'informer sur les autres expériences européennes. La liberté de mouvement a convaincu les eurosceptiques que des Polonais sont pour l’idée de l’Union européenne. Un autre facteur s’y ajoute : le fait que de nombreux Polonais travaillent, étudient et sont actifs dans d'autres pays européens, ce qui constitue une importante valeur ajoutée. * Vous êtes un modèle pour l'Europe de l’Est sur laquelle vous vous étés très concentrés, et cela peut vous poussez à négliger d'autres régions telles la rive Sud de la Méditerranée ? ** Notre intérêt pour l'Europe de l’Est trouve ses origines dans des considérations historiques. Depuis des siècles, la Pologne comprenait les régions de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Lituanie, et il y a toujours des minorités polonaises dans ces pays. Il y a des traditions communes et des liens culturels, linguistiques, historiques, et économiques avec ces pays. Et nous cherchons à les annexer de la famille européenne, mais cela ne signifie pas que nous sommes absents de la politique de voisinage avec la Méditerranée, en particulier en Afrique du Nord, surtout sous les révolutions égyptiennes et tunisiennes et les réformes au Maroc. Ces processus qui sont en cours ne peuvent pas nous laisser indifférents envers ces pays. Et le résultat direct de cet intérêt, c'est les nombreuses visites faites par nos ministres dans la région. Avez-vous une stratégie en matière de relations économiques avec la rive Sud? ** On ne peut pas parler de stratégie pour le moment, mais nous essayons de développer des outils existant afin de faciliter l'aide économique pour ces pays. Nous sommes aussi impatients d'organiser des réunions en Pologne qui verront la participation d'experts polonais, européens et de ces pays, afin de discuter sur les moyens d'activer les outils disponibles. * Nouvellement nommé comme ambassadeur de Pologne au Maroc, quelles sont les priorités de votre mission? ** Je veux développer les relations économiques entre le Maroc et la Pologne. Et je vois qu'il y a beaucoup de possibilités pour le développement du commerce entre nos deux pays. Afin d'atteindre cet objectif, nous avons décidé d'ouvrir un Centre de Promotion du Commerce et des Investissements (WPHI) à l’ancien siège du consulat de Casablanca. J'espère que ce centre donnera un nouveau dynamisme à nos relations économiques. Nous avons organisé en Novembre de l'année dernière, une mission d'hommes d'affaires polonais vers le Maroc. Une autre mission viendra en septembre prochain pour participer à un congrès à Tanger. Il y a quelques jours, une délégation de parlementaires polonais était sur Rabat pour discuter des relations économiques entre les deux pays. Quels sont les facteurs qui font que les investisseurs polonais hésitent à investir au Maroc? ** Il y a un obstacle fondamental lié à la langue. Les investisseurs polonais sont convaincus que sans la langue, on ne peut pas faire de business. De plus, les investisseurs polonais ont l'impression que le marché marocain est dominé par les sociétés françaises. * Mais, selon vous, et en tant qu’observateur de ce qui se passe au Maroc, avez-vous eu cette impression? ** Je suppose qu'il y a un grand potentiel pour le développement des relations économiques et il n'est pas vrai que les sociétés françaises sont seules sur le marché marocain. Les parlementaires polonais ont remarqués qu il a beaucoupde possibilités d’introduire des produits industriels et agricoles sur le marché du Maroc. Je considère que l'accord de libéralisation des échanges agricoles qui est discuté au Parlement européen va nous permettre d'exporter d’avantage sur le Maroc, et vice versa pour le Maroc. Quels sont les secteurs qui pourraient intéresser les investisseurs polonais au Maroc? ** La Délégation d'hommes d'affaires polonais qui a visité le Maroc en Novembre dernier, a exprimé son intérêt pour le secteur de la construction. Nous disposons d’une grande expertise dans ce domaine et nous sommes très compétitifs au niveau des services que nous offrons. * Le Maroc croyait que l’accord de la libéralisation du commerce agricole entre le Maroc et l’UE ne poserait pas de problèmes majeurs au vu des relations économiques entre les deux parties. Néanmoins, quelques réserves ont été émises du côté européen, ce qui a été remarqué lors de l’assemblée du Comité Agricole du Parlement européen. D’où viennent ces réserves selon vous ? ** Peut-être certains agriculteurs dans certains pays craignent la concurrence des produits agricoles marocains, et c’est tout a fait normal à mon avis. Ceci dit, vous voyez par exemple des différences entre les agriculteurs français et espagnol. Mais il me semble que l'accord est en face de nouvelles perspectives et les négociations conduiront à un résultat positif en Octobre prochain. * Ouvrir une liaison aérienne entre Casablanca et la capitale Varsovie, que peut on attendre ce cette ligne directe? ** Cela permettra d'accroître le nombre de touristes polonais qui visitent le Maroc, leur nombre a été estimé à quarante mille l’année dernière, et c’est un nombre record. Cependant, l'instabilité dans la région, et l'attaque terroriste à Marrakech ont donné une mauvais impression. Nous remarquons que la ligne se développe bien, car non seulement, cette ligne est utilisée par les touristes, mais aussi par les hommes d'affaires qui se rendent à Casablanca. Journal : Al Massae, du 9 août 2011