Imagerie des exophtalmies non tumorales A. IDRISSI, N. EL BENNA, H. BELGADIR, N. MOUSSALI, A. ABDELOUAFI. Service de Radiologie 20 Août, Casablanca. Introduction L’exophtalmie correspond à l’augmentation de la protrusion normale du globe oculaire en avant du cadre orbitaire. Elle constitue le symptôme le plus souvent révélateur d’une pathologie orbitaire. La tomodensitométrie est souvent l’examen de première intention. L’IRM complète fréquemment le bilan tandis que le rôle de l’échographie est très limité. Une analyse systématique des images et en particulier du siège de la lésion permet le plus souvent d'approcher le diagnostic et de guider le choix d'un éventuel abord chirurgical. Objectif Définir la place de l'imagerie notamment le scanner et l’IRM dans le diagnostic et la prise en charge des exophtalmies non tumorales Patients et méthodes Etude rétrospective regroupant 37 cas d’exophtalmies non tumorales colligés au service entre 2006 et 2010. Tous les patients ont été explorés par une TDM en acquisition spiralée comportant des coupes après injection de produit de contraste. Une IRM a été réalisée dans 8 cas. Résultats Diverses pathologies sont présentées : Cellulite orbitaire (12 cas) Orbitopathie dysthyroïdienne (9 cas) Traumatisme de l'orbite (6 cas) Pseudotumeur inflammatoire (4 cas) Kyste hydatique orbitaire (2 cas) Varice orbitaire (1 cas) DISCUSSION Généralités L’exophtalmie est la protrusion du globe oculaire hors de l’orbite, au-delà de 18 mm en avant du canthus externe. Elle peut être isolée, ou associée à une baisse de l’acuité visuelle, des douleurs orbitaires, des troubles oculo-moteurs, une masse palpébrale, ou des phénomènes inflammatoires. Devant une exophtalmie, le choix des examens d’imagerie et leur technique seront orientés par la clinique : ◦ Interrogatoire soigneux et précis ◦ Examen ophtalmologique complété par un examen général Moyens d’imagerie TDM: Scanner sans injection: premier examen proposé surtout devant une exophtalmie bilatérale ou post-traumatique. Mode hélicoïdal centré sur les orbites avec un plan d’acquisition parallèle au plan neurooculaire et reconstructions dans les plans axial, coronal et sagittal Recherche de calcifications intra-lésionnelles ou d’anomalie des parois osseuses Hélice après injection, réalisée en cas de suspicion de cellulite, hématome intra-orbitaire ou de pseudotumeur inflammatoire Moyens d’imagerie IRM: Antenne de surface ou antenne tête classique Séquences pondérées en spin-écho T1, T2 et séquences pondérées en T1 après injection de Gadolinium et saturation de la graisse Acquisitions dans 3 plans orthogonaux : axial (dans le plan du nerf optique), coronal (perpendiculaire au plan précédent) et sagittal oblique dans l’axe du nerf optique Nécessaire devant toute suspicion de masse orbitaire Echographie: indiquée pour étudier le globe oculaire Doppler: ◦ Utile en cas de suspicion de lésion vasculaire ◦ Caractériser la vascularisation d’une masse orbitaire DIAGNOSTIC POSITIF Diagnostic positif de l’exophtalmie Basée essentiellement sur l’imagerie en coupe Diagnostic: Mesure de la protrusion du globe oculaire par rapport à la ligne bi-canthale externe dans le plan neuro-oculaire, passant par le cristallin et le canal optique Absence d’exophtalmie : la ligne bi-canthale externe passe à l’union entre les deux tiers antérieurs et le tiers postérieur du globe oculaire. Grade 1 : plus des deux tiers du globe se projettent en avant de la ligne bi-canthale externe. Grade 2 : la ligne bi-canthale externe affleure le pôle postérieur du globe oculaire. Grade 3 : le globe oculaire se situe en totalité en avant de la ligne bi-canthale externe. Diagnostic différentiel Il faut éliminer les fausses exophtalmies dont les plus fréquentes sont: La forte myopie Le glaucome congénital L’ enophtalmie controlatérale La rétraction des paupières L’exorbitisme DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE Orbitopathie dysthyroidienne Etiologie la plus fréquente des exophtalmies chez l’adulte Résulte: ◦ Hyperthyroïdie auto-immune « maladie de Basedow » ( 85-90% ) ◦ Thyroïdite d’Hashimoto ( 5-10% ) ◦ Anomalies auto-immunes biologiques isolées (5%) Clinique: ◦ Femme d’âge moyen++ ◦ Exophtalmie bilatérale, asymétrique, axile, non pulsatile et classiquement réductible ◦ Rétraction palpébrale supérieure Orbitopathie dysthyroidienne imagerie: TDM +++ ◦ Examen de 1ére intention ◦ Acquisition sans injection de PDC suffisante IRM : ◦ Formes sévères à évolution rapide dites «malignes» ◦ Exploration meilleure du nerf optique et de l’apex orbitaire Sémiologie: ◦ Elargissement fusiforme bilatéral des muscles oculomoteurs avec respect des tendons, au dépens surtout des muscles droits inférieur et interne ◦ Hypertrophie de la graisse orbitaire ◦ Neuropathie optique: rare (2-5%) Étirement / élargissement du nerf optique TDM -C: épaississement des muscles droits inférieurs de manière fusiforme, respectant les tendons avec exophtalmie bilatérale grade I (maladie de Basedow). a b T1+Gado IRM en séquences axiales T1 (a), T2 (b), coronale T1 (c) et T1 + Gado: élargissement des muscles oculomoteurs avec hypertrophie de la graisse orbitaire responsable d’une exophtalmie bilatérale grade II. Maladie de Basedow c Infections orbitaires Exophtalmie dans un contexte inflammatoire Clinique: ◦ ◦ ◦ ◦ Exophtalmie d’apparition brutale Douleurs périorbitaires Troubles oculomoteurs Atteinte de l’état général, fièvre… Plusieurs aspects : ◦ Cellulite rétroseptale ◦ Abcès orbitaire ◦ Parasitoses ( kyste hydatique…) Infections orbitaires Cellulite rétroseptale Infection diffuse de l’orbite Causes multiples: ◦ Sinusite (éthmoïdite ++) ◦ Traumatisme: plaie pénétrante / corps étranger ◦ Iatrogène: après chirurgie oculaire ou orbitaire Gravité: ◦ Retentissement sur la fonction visuelle ◦ Extension vers le sinus caverneux TDM: Effacement de l’hypodensité du tissu graisseux intra et extraconal Ostéolyse généralement très limitée de l’os planum Complications: abcès sous périosté, cellulite diffuse… TDM +C: Sinusite éthmoïdale droite compliquée de cellulite orbitaire. Infiltration de la graisse extraconique médiale et épaississement du muscle droit médial. Cellulite rétroseptale. TDM +C: infiltration de la graisse intraconique droite avec exophtalmie grade I et remaniement endo-oculaire. Cellulite rétroseptale sur endophtalmie. TDM +C: infiltration palpébrale étendue à la sclére, aux insertions des muscles oculomoteurs et à la graisse intra et extra conique sur corps étranger avec exophtalmie grade III. Infections orbitaires Abcès Infection collectée en sous périosté ou intra-orbitaire TDM: Abcès sous périosté: Image convexe le long du mur osseux Epaississent, déplacement des muscles oculomoteurs Association: névrite optique, ostéolyse Abcès intra-orbitaire: Stade évolutif du décollement périosté Collection intra-orbitaire hypodense, rehaussée en périphérie après injection de produit de contraste Evolution ◦ Thrombose caverneuse ◦ Abcès cérébral Drainage chirurgical en urgence+++ TDM+C: Multiples collections sous-périostées de la paroi externe et du toit de l’orbite gauche avec exophtalmie grade III. Sinusite maxillaire et éthmoïdale bilatérale TDM +C: Petite collection sous périostée (flèche) avec infiltration de la graisse intra-orbitaire et exophtalmie grade I gauche sur sinusite antérieure gauche. TDM+C: Collection hydroaérique intraorbitaire droite sur sinusite fronto- ethmoïdale avec lyse de la paroi postérieure du sinus frontal. Infections orbitaires Kyste hydatique Localisation orbitaire rare (1 à 2%) Exophtalmie indolore Inflammation si fissuration Echographie: ◦ Formation arrondie ou ovalaire anéchogene, bien limitée avec renforcement postérieur des échos TDM: ◦ Masse liquidienne, homogène ◦ Couronne périphérique plus dense, pouvant prendre le contraste modérément ◦ Siège: Souvent rétrobulbaire, Intra ou extra-cônique Angle supéro-interne++ ◦ Toujours unilatéral ◦ Forme multi-kystique : rare TDM +C: lésion intra-orbitaire droite, intra et extra-conique, bien limitée, de densité liquidienne, réalisant une empreinte sur l’os planum, refoulant le globe oculaire et comprimant le nerf optique avec exophtalmie grade III. Kyste hydatique TDM +C: masse de densité liquidienne siégeant au niveau de l’angle supéro-interne de l’orbite gauche, intra et extra-conique, refoulant le muscle droit interne et globe oculaire à gauche. Kyste hydatique Pseudotumeur inflammatoire Orbitopathie inflammatoire aigue ou subaigüe, non spécifique Clinique : ◦ ◦ ◦ ◦ Adulte ente 40 et 60 ans Exophtalmie de type tumoral, d’installation brutale Habituellement unilatérale Signes inflammatoires: œdème palpébral, chémosis et douleurs ◦ Signes associés: ophtalmoplégie, diplopie et ptosis Bonne évolution sous corticothérapie Pseudotumeur inflammatoire Imagerie: Myosite: ◦ Muscle élargi dans son ensemble, y compris au niveau de son tendon ◦ Rehaussement après injection de produit de contraste Dacryoadénite: ◦ Elargissement à bords irréguliers de la glande lacrymale Infiltration du tissu adipeux: ◦ Tenonite: épaississement de la paroi oculaire postérieure++ ◦ Périnévrite ◦ Apex orbitaire: extension vers le sinus caverneux possible syndrome de Tolosa-Hunt ◦ Diffuse: graisse intra et extra-conale ◦ Diagnostic différentiel : lymphome orbitaire ++ TDM +C: Processus tissulaire gauche intra et extra conique, prenant le contraste de façon homogène avec épaississement scléral adjacent et exophtalmie grade I. Pseudotumeur inflammatoire T1 T2 T1+ GADO IRM: épaississement circonférentiel, rehaussé par le contraste des tuniques de l’œil gauche avec épaississement des muscles oculomoteurs et exophtalmie grade II. Pseudotumeur inflammatoire Mucocèle Lésion bénigne pseudokystique expansive des sinus de la face Triade: occlusion ostiale hypersécrétion muqueuse inflammation chronique Atteinte éthmoïdo-frontale prédomine (85%) Antécédent de sinusite, de chirurgie des sinus ou de traumatisme facial souvent retrouvés Clinique: Exophtalmie+++ Troubles visuels, douleurs Evolution lente et progressive avec déformation, refoulement puis rupture des parois osseuses Mucocèle TDM: Contenu: hypodense, parfois dense par déshydratation Paroi: fin liseré périphérique, non identifiable au contact des parois osseuses Résorption des parois osseuses +++ avec expansion des lésions du sinus frontal ou ethmoïdal vers l’orbite IRM: Contenu: signal en fonction du degré d’hydratation et de la concentration protéique Paroi: en hypersignal T1 et T2 En cas de surinfection (pyocèle) : coque épaisse, rehaussée par le contraste TDM +C: Mucocèle fronto-éthmoïdale gauche étendue à l’orbite avec effet de masse sur le muscle droit interne, globe oculaire et exophtalmie grade I. TDM +C: double mucocèle ethmoïdale postérieure droite et fronto-ethmoïdale gauche avec lyse de l’os planum , extension orbitaire gauche et exophtalmie grade II. Traumatisme Les exophtalmies traumatiques sont dues à: Hématome: ◦ Aspect violacé des paupières avec hémorragie sous conjonctivale d’apparition brutale ◦ Collection intra-orbitaire, sous périostée, musculaire ◦ Drainage en urgence+++ Emphysème: ◦ Crépitation lors de la pression sur les paupières ◦ Rupture d’une des parois de l’orbite au niveau d’une cavité sinusienne Fracture de l’orbite: ◦ Fracture d’une des parois fragiles de l’orbite : plancher, os planum ◦ Incarcération dans le foyer fracturaire de la graisse orbitaire et des muscles oculomoteurs Cellulite Traumatisme Corps étranger ◦ origine: plaie palpébrale, traumatisme par projection ◦ Conséquence: inoculation septique (cellulite orbitaire) réaction inflammatoire (granulome inflammatoire) Fistule carotido-caverneuse ◦ Shunt artério-veineux anormal entre le système carotidien et le sinus caverneux ◦ Exophtalmie pulsatile, chémosis et hyper-hémie conjonctivale ◦ TDM : Dilatation des veines ophtalmiques Hypertrophie des muscles oculomoteurs Elargissement du sinus caverneux du côté de la fistule ◦ Artériographie: Confirmation du diagnostic Opacification précoce du sinus caverneux aux temps artériels Détermination du shunt et des des voies de drainage veineuses Traitement endovasculaire par embolisation TDM-C: Hématome intra orbitaire post-traumatique refoulant le globe oculaire en bas et en avant. TDM–C: Remaniements hémorragiques rétrobulbaire droits post-traumatique avec exophtalmie grade II TDM –C: fractures du toit de l’orbite droit avec fragments osseux intraorbitaires et exophtalmie grade II chez un patient opéré pour hématome extradural frontal droit. TDM –C: Exophtalmie droite sur cellulite post-traumatique. Epaississement avec infiltration de la paroi interne de l’orbite droit qui présente des foyers de fracture avec comblement des sinus ethmoïdomaxillaire homolatéraux. TDM +C: Fistule carotido-caverneuse droite post traumatique. Exophtalmie grade I avec dilatation de la veine ophtalmique supérieur (flèche) et élargissement du sinus caverneux droit. Images de l’artériographie non disponibles. Origine vasculaire: Varices orbitaires Malformations veineuses caractérisées par la prolifération d’éléments veineux associés à la dilatation majeure d’une des veines orbitaires. Elles peuvent être congénitales, idiopathiques ou post-traumatiques Clinique: exophtalmie intermittente, fluctuante et survient essentiellement lorsque le patient se penche en avant. Echographie Doppler: Masse anéchogène, de volume fluctuant en fonction des positions et des manœuvres réalisées. TDM: Lésion spontanément hyperdense (thrombose/hémorragie) Lésion mieux visible en procubitus ou en Valsalva Calcifications (phlébolithes) fréquentes et évocatrices Important rehaussement après injection de PDC IRM: Paquet variqueux en hyposignal T1, en hypersignal T2 et fortement rehaussé par le contraste TDM +C: varice thrombosée de la veine ophtalmique supérieure droite passant au dessus et en dehors du nerf optique Autres étiologies Amylose orbitaire localisée Dépôt extracellulaire de protéines fibrillaires pathologiques insolubles dans les tissus et les organes. Rare: 4% des amyloses intéressant la région tête et cou Clinique: exophtalmie, déplacement du globe oculaire, limitation du mouvement oculaire et diplopie. TDM et IRM: ◦ Intérêt: évaluer le degré d’atteinte orbitaire ◦ Atteinte lacrymale: masse tissulaire homogène ◦ Atteinte des muscles orbitaires: uni ou bilatérale, unique ou multifocale, à type d’élargissement irrégulier nodulaire ou fusiforme avec respect des tendons ◦ Calcifications punctiformes au sein de la masse orbitaire ◦ Epaississement, irrégularité de l’os adjacent TDM : hypertrophie lacrymale droite siège de calcifications, une atteinte bilatérale et asymétrique des muscles oculomoteurs qui sont augmentés de volume avec exophtalmie bilatérale. IRM+C: rehaussement modéré et homogène par le contraste. Amylose orbitaire localisé Autres étiologies Dysplasie fibreuse Anomalie du développement osseux, caractérisée par une métaplasie ostéo-fibreuse détruisant l’architecture normale de l’os. Tous les os de la face peuvent être touchés avec deux sites de prédilection: maxillo-zygomatique et frontoorbitaire. Clinique: exophtalmie unilatérale, ptosis, baisse de l’acuité visuelle par compression nerveuse TDM: ◦ Lyse osseuse en verre dépoli avec corticales refoulées, amincies parfois rompues ◦ Rétrécissement du trou optique et/ou des fissures orbitaires en cas d’atteinte de la base du crâne. Coupe TDM transversale, coronale et 3D. Dysplasie fibreuse condensante fronto-ethmoïdo-sphénoïdale et du cornet inférieur avec exophtalmie gauche isolée. Autres étiologies kyste dermoïde Malformation faciale touchant l’orbite secondaire à une inclusion embryonnaire ectodermique Siège: canthus interne ou externe, queue du sourcil Clinique: exophtalmie non pulsatile, irréductible, parfois diplopie et plus rarement une baisse de l’acuité visuelle Echographie : ◦ Confirme la nature kystique du processus ◦ Permet de détecter une extension postérieure de la lésion TDM : ◦ Kyste à centre homogène, de densité variable, à limites nettes ◦ Fine bordure prenant le contraste pouvant être partiellement calcifiée ◦ Empreinte cupuliforme sur l’os en regard IRM: ◦ Signal variable selon le contenu du kyste TDM –C: kyste dermoïde de l’angle supero externe de l’orbite droit avec exophtalmie grade I. Conclusion Les étiologies des exophtalmies sont multiples. L'imagerie basée sur la tomodensitométrie et l'imagerie interprétées permettent par résonance dans le le magnétique contexte diagnostic clinique positif de l’exophtalmie ainsi qu'une approche étiologique afin d'adapter le traitement.