les nombres complexes

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Chapitre
7
AU
DELÀ DU RÉEL
:
LES
NOMBRES COMPLEXES
D'impossibles à imaginaires,
d'imaginaires à complexes.
Combien d'idées, de systèmes
politiques, de théories, de procédés
ont suivi ce chemin pour devenir
réalité !
, Le Théorème du
Perroquet
Denis Guedj
1
I NTRODUCTION
La résolution des équations a toujours été une préoccupation majeure des mathématiciens, et
pour cause : elle était déjà au c÷ur des problèmes de partages et d'héritages chez les anciens.
Au cours du xvie siècle, poursuivant les travaux de Cardan 1 sur la résolution des équations du
2 a l'audace 3 d'introduire de nouveaux objets algébriques de la
troisième degré,
Bombelli
√
√
forme a + b −1, où −1 est un élément imaginaire dont le carré vaut (−1), et de calculer avec
eux sans comprendre alors vraiment ce qu'ils peuvent signier. À cette époque, on manipule les
racines carrées d'entiers négatifs sans pour autant les considérer vraiment comme des nombres.
On constate qu'ils donnent des résultats corrects que l'on peut vérier : leur utilité incite alors
les mathématiciens à tenter de leur donner un vrai statut de nombre.
4 dénit les opérations algébriques (+, −, ×, ÷) sur les nombres de la
En 1747, D'Alembert
√
forme a + b −1.
1. Jérôme Cardan (Gerolamo Cardano) est un mathématicien et philosophe italien, né en 1501 et mort en
1576. En 1539, il arrache à Tartaglia les formules concernant la résolution d'un certain type d'équations du
troisième degré ; il les généralise et les publie sans scrupule sous le nom de formules de Cardan . Cardan est
aussi astrologue. En 1552 ; il prédit au roi d'Angleterre Edouard VI qu'il aura une durée de vie supérieure à la
moyenne ; il meurt l'année suivante de la tuberculose à l'âge de 16 ans ! Cardan prédit également que sa propre
mort aura lieu trois jours avant de fêter ses 75 ans ; il se donne alors la mort pour ne pas se contredire. . . Cardan
laissera aussi son nom à un mécanisme bien connu qu'il invente et qui permet le déplacement angulaire dans
toutes les directions de deux arbres dont les axes sont concourants. . .
2. Rafaele Bombelli, ingénieur bolognais, né en 1526, mort en 1573.
3. . . . et la géniale idée !
4. Jean Le Rond D'Alembert, mathématicien et philosophe français, né en 1717, mort en 1783.
1
LYCÉE B LAISE PASCAL
S.D ELOBEL
M.L UITAUD
2
Chapitre 7. Au delà du réel : les nombres complexes
En 1777 Euler 5 les qualie de nombres imaginaires pour les distinguer
des autres qui eux, à cette
√
occasion, prennent le nom de nombres réels. En eet, le symbole −1 utilisé par Bombelli, qui
représente une quantité dont le carré est négatif ne peut pas être un nombre réel puisque
le carré d'un nombre réel est toujours positif 6 !
√
√
Euler remplacera
−1 par le symbole i, toujours utilisé de nos jours. La notation −1 était
eectivement peu judicieuse puisque les propriétés classiques des racines carrées ne sont pas
compatibles avec cette notation :
√
−1 ×
√
−1 =
p
√
(−1) × (−1) = 1 = 1
n'est pas correct puisque par dénition du symbole
√
−1 ×
√
−1 =
√
√
−1 :
−1
2
= −1.
La notation i évite cette ambiguïté.
C'est avec Argand 7 en 1806 que les objets du type a + ib acquièrent le statut de nombre,
et c'est Gauss 8 en 1837 qui leur donne le nom de nombres complexes.
2
L E CORPS DES NOMBRES COMPLEXES
2.1
Qu’est-ce que C ?
Suite aux travaux des mathématiciens cités précédemment, on admet qu'il existe des nombres
satisfaisant à la dénition suivante :
Dénition 1.
Les nombres s'écrivant sous la forme a + ib, où a et b sont deux nombres réels, et où i
est un nombre imaginaire dont le carré vaut (−1) sont appelés nombres complexes.
Notation
Un nombre complexe est souvent noté z .
L'ensemble des nombres complexes est noté C.
Tout nombre réel est un nombre complexe 9 , autrement dit : R ⊂ C.
L'écriture sous la forme a + ib est unique, c'est-à-dire que :
Si a + ib = a0 + ib0 , alors a = a0 et b = b0 .
5.
6.
7.
8.
9.
Leonhard Euler, mathématicien et physicien suisse, né en 1707, mort en 1783.
Penser à la règle des signes pour s'en convaincre. . .
Jérôme Argand, mathématicien, médecin, philosophe et astrologue italien, né en 1501, mort en 1576.
Carl Friedrich Gauss, mathématicien, astronome et physicien allemand, né en 1777, mort en 1855.
puisque tout réel a peut s'écrire sous la forme a + ib, avec b = 0.
3
Cours de Terminale S
Dénition 2.
L'écriture de z sous la forme a + ib est appelée forme algébrique 10 de z .
a est la partie réelle de z, notée Re(z).
b est la partie imaginaire de z, notée Im(z).
Un nombre complexe z est réel lorsque sa partie imaginaire est nulle.
Un nombre complexe dont la partie réelle est nulle est appelé imaginaire pur.
Exemple 1
√
z1 = 4 − 3i, z2 = −5 et z3 = 2i 3 sont des nombres complexes.
Re(z1 ) = 4 et Im(z1 ) = −3 ; z2 est réel (sa partie imaginaire est nulle) ; z3 est un imaginaire pur
(puisque Re(z3 ) = 0).
2.2
Ajouter, soustraire, multiplier des nombres complexes
Il n'est point de bon ensemble de nombres dans lequel nous ne puissions calculer !
Munissons C de règles opératoires qui prolongent celles de R, et qui vérient les propriétés de
commutativité, d'associativité, et de distributivité 11 .
N'oublions pas non plus, que lorsqu'on calcule dans C, on a i2 = −1.
Exercice 1
Prenons z = 5 + 2i et z 0 = 3 − 4i.
Calculer z + z 0 , 2z − 3z 0 , z × z 0 et z 2 − z 02 et donner les résultats sous forme algébrique.
Exercice 2
1. Calculer i3 , i4 , i5 , i6 , i7 .
2. Déterminer in suivant les valeurs de n ∈ N.
Nous savons maintenant ajouter, soustraire et multiplier des nombres complexes.
5 + 2i
Qu'en est-il de la division de deux nombres complexes ? Quel sens donner au quotient
par
3 − 4i
exemple ? C'est ce que nous allons dénir au paragraphe 2.3.
2.3
Conjuguer pour diviser
Diviser par un nombre, c'est multiplier par son inverse. Un vieil adage souvenir du collège ?
Pas seulement. C'est aussi ce chemin que nous allons suivre pour dénir la division dans C.
Exercice 3
1
(3 + 4i).
25
Remarquons dans cet exercice que le produit de (3 − 4i) par (3 + 4i) dans le calcul de z × w
provoque une identité remarquable qui permet d' éliminer les i . Cela vient du fait que seul le
signe de la partie imaginaire dière : 3 − 4i et 3 + 4i sont dits conjugués.
Vérier que z = 3 − 4i a pour inverse 12 le nombre complexe w =
Exercice 4
À l'aide de la remarque précédente, trouver l'inverse du nombre z = 1 + 2i.
10. Ce qui laisse entendre qu'il y aura d'autres formes... Voir un chapitre ultérieur.
11. Un ensemble de nombres muni de deux opérations et de quelques propriétés très précises (dont celles
mentionnées ici) est appelé un corps.
12. Rappelons que deux nombres z et w sont inverses l'un de l'autre lorsque z × w = 1.
4
Chapitre 7. Au delà du réel : les nombres complexes
Dénition 3.
Pour tout z et z 0 dans C, avec z 0 6= 0, on dénit le quotient
1
z
=z× 0
0
z
z
(où
z
par :
z0
1
désigne l'inverse de z 0 ).
z0
De ce qui précède se dégage la méthode suivante :
Méthode 4 (Division des nombres complexes).
En pratique, pour diviser deux nombres complexes, on multiplie le numérateur et le
dénominateur par le conjugué du dénominateur.
On présentera les calculs ainsi :
Exemple 2
(5 + 2i) × (3 + 4i)
5 + 2i
=
3 − 4i
(3 − 4i) × (3 + 4i)
7 + 26i
= 2
3 + 42
26
7
+
i
=
25 25
Nous savons maintenant diviser deux nombres complexes.
Exercice 5
1. Déterminer l'inverse de i.
1−i
2. Exprimer Z =
sous forme algébrique.
3.
2 + 3i
Résoudre dans C l'équation 5z + 2i = (1 + i)z − 3.
On constate que la notion de conjugué joue un rôle crucial dans la division des nombres complexes ; elle mérite donc que l'on s'y attarde quelque peu.
2.4
Le conjugué, vu de plus près
Dénition 5.
On appelle conjugué 13 de z = a + ib le nombre complexe noté z et tel que z = a − i b.
Remarquez l'analogie avec l'expression conjuguée vue dans les classes antérieures. . .
13. du latin conjugare composé du préxe con- ( avec ) et de jugare ( lié ), apparenté à jugum ( joug ).
Le conjugué de a + ib est en quelque sorte un nombre qui est lié , qui va de paire , avec le nombre a + ib.
5
Cours de Terminale S
Exercice 6
1. Donner le conjugué de 3 + 2i.
2. Donner le conjugué de 2i − 1.
Exercice 7
Résoudre dans C les équations suivantes d'inconnue z :
1.
2.
2z + iz = 3
z 2 + 2z = −1
Nous avons vu plus haut que :
Proposition 6.
Pour tout z ∈ C :
Plus précisément :
zz est un nombre réel.
Si z = a + ib alors zz = a2 + b2 .
Le conjugué possède d'autres propriétés :
Proposition 7.
Soit z ∈ C.
z + z = 2 Re(z)
z − z = 2i Im(z)
Preuve
Facile en écrivant z = a + ib.
Ces deux relations peuvent se reformuler ainsi :
Corollaire 8.
z+z
2
z−z
Im(z) =
2i
Re(z) =
Proposition 9 (Caractérisation des nombres réels et des imaginaires purs).
z est réel ⇔ z = z
z est imaginaire pur ⇔ z = −z
6
Chapitre 7. Au delà du réel : les nombres complexes
Preuve
Utiliser le corollaire 8.
Voici maintenant quelques propriétés de compatibilité du conjugué vis-à-vis des opérations élémentaires :
Propriété 10.
Soit z et z 0 deux nombres complexes.
1.
2.
3.
4.
z + z0 = z + z0
z × z0 = z × z0
z n = (z)n (n ∈ N∗ )
5.
(z) = z
z
z
= 0
0
z
z
(pour z 0 6= 0)
Preuve
1.
2.
3.
4.
5.
Facile en posant z = a + ib.
Même chose.
Se prouve par une récurrence facile...
Évident. . .
a. Démontrer d'abord que le conjugué de l'inverse est l'inverse du conjugué. Pour cela, calculer
1
z
b.
× z.
Démontrer ensuite que
z
z0
=
z
z
1
. Astuce : revenir à la dénition 0 = z × 0 .
z
z
z0
Exercice 8
Soit z un nombre complexe non nul quelconque.
1. Montrer que z1 = z 4 + (z)4 est un nombre réel.
2. Montrer que z2 =
z−z
est un imaginaire pur.
z+z
Exercice 9
Soit P (z) = z 3 − 3z 2 + 4z − 12 avec z ∈ C.
1. Montrer que pour tout nombre complexe z , on a : P (z) = P (z).
2. a. Vérier que −2i est solution de l'équation P (z) = 0.
b. En déduire sans calcul que 2i est aussi solution de cette équation.
3
R ÉSOLUTION DANS C DES ÉQUATIONS DU SECOND DEGRÉ
On s'intéresse aux racines du trinôme ax2 + bx + c, avec a, b et c trois nombres réels et bien
sûr a 6= 0. On a vu en classe de Première que la valeur ∆ = b2 − 4ac permet de discriminer les
diérents cas :
√
√
−b + ∆
−b − ∆
et x2 =
.
2a
2a
−b
Si ∆ = 0 alors le trinôme admet une racine réelle dite double : x0 =
.
2a
Si ∆ < 0 alors le trinôme n'a pas de racine réelle.
Cependant, forts de l'existence du nouveau corps C, nous sommes maintenant en mesure de
Si ∆ > 0 alors le trinôme admet deux racines réelles : x1 =
compléter l'étude de ce dernier cas :
7
Cours de Terminale S
Théorème 11.
Si ∆ < 0 alors le trinôme possède deux racines complexes 14 conjuguées :
p
−b − i |∆|
z1 =
2a
p
−b + i |∆|
z2 =
.
2a
et
Preuve
La mise sous forme canonique du trinôme donne :
"
#
2
b
b2 − 4ac
az + bz + c = a
z+
−
2a
4a2
"
#
2
b
∆
=a
z+
− 2
2a
4a
2
(a 6= 0)
Comme dans le cas 15 où ∆ 6 0 , on cherche à faire apparaître dans les crochets
une expression du type
√
A2 − B 2 an de pouvoir factoriser. Mais, lorsque ∆ est strictement négatif, ∆ n'existe pas. Ainsi, pour
faire apparaître cette forme, on écrit :
2
"
az + bz + c = a
d'où la forme souhaitée :
2
az + bz + c = a
"
b
z+
2a
b
z+
2a
2
2
−
i2 |∆|
−
4a2
#
!2 #
p
i |∆|
2a
ce qui permet de factoriser :
az 2 + bz + c = a z +
!
!
p
p
|∆|
|∆|
b
b
−i
z+
+i
2a
2a
2a
2a
Ainsi :
p
p
|∆|
|∆|
b
b
−i
= 0 ou z +
+i
=0
az + bz + c = 0 ⇔ z +
2a
2a
2a
2a
p
p
−b + i |∆|
−b − i |∆|
⇔z=
ou z =
2a
2a
2
Ce qui achève la démonstration du théorème.
Exercice 10
Résoudre dans C les équations suivantes :
1.
2.
3.
z 2 − 2z + 26 = 0
z2 + z + 1 = 0
2
2−z =
z
Exercice 11
√
√
Pour tout nombre complexe z , on pose : P (z) = z 4 − 2 z 3 − 4 2 z − 16.
1. Démontrer que l'équation P (z) = 0 a deux solutions imaginaires purs que l'on déterminera.
2. Déterminer les réels a et b tels que, pour tout z ∈ C, on ait : P (z) = z 2 + 4 z 2 + az + b .
14. que l'on notera donc plutôt z1 et z2 . . .
15. vu en classe de Première.
8
Chapitre 7. Au delà du réel : les nombres complexes
3. Résoudre dans C l'équation P (z) = 0.
Nous venons d'étudier la résolution des équations du second degré à coecients réels. Qu'en
est-il lorsque les coecients sont complexes ? La démonstration du théorème 11 ne convient
plus en l'état puisque ∆ peut maintenant être un nombre complexe. Pour pouvoir factoriser,
il faut donc être capable de trouver un nombre dont le carré fasse√∆, problème qui sort
du cadre du programme de Terminale (on évoque le problème de ∆ au paragraphe 4) ;
c'est pourquoi nous nous limitons ici aux équations à coecients réels. Pour aller plus loin,
voir cependant l'exercice second degré à coecients complexes de la che d'exercices en
guise d'exemple.
4
C E QUE PERD C
L'un des avantages de C est d'orir des solutions à certaines équations qui n'en avaient pas dans
R. Dans C, toute équation polynomiale (de degré supérieur ou égal à 1) admet au moins une
solution 16 .
Mais tout progrès a un prix, et pour utiliser C, il faut accepter de faire quelques concessions :
Dans C, on perd la relation d'ordre : on ne peut pas comparer deux nombres complexes comme
on compare deux réels.
Par exemple, écrire 2 − 3i < 2 + 3i ou encore 5i < 7i n'a aucun sens.
On ne peut donc pas non plus ranger des complexes dans l'ordre croissant par exemple :
z1 < z2 < z3 est incorrect.
Il en découle que dans C, on ne peut pas parler de nombres positifs ou négatifs. Ecrire z 6 0
ou z > 0 est une ineptie.
Dans R, on dénit la racine carrée d'un nombre a comme étant le nombre positif dont le carré
vaut a. Par exemple, la racine carrée de 4 vaut 2 ; en eet, il y a deux√nombres réels dont le
carré vaut 4 : (−2) et 2. On choisit celui qui est positif, et on note : 4 = 2. Dans C, si on
cherche la racine carrée de (−4) par exemple, il y a deux nombres complexes qui ont (−4)
pour carré : (−2i) et 2i. Lequel choisir comme racine carrée ? Puisque la notion de nombre
positif n'a pas de sens dans C, la dénition valable dans R ne peut s'étendre ici, et aucun
choix ne peut être privilégié. (−4) a en fait deux racines carrés dans C (−2i et 2i), mais
√
on ne peut pas dénir
√ de fonction racine carrée comme on le fait dans R. Ainsi, écrire z
avec z ∈ C ou bien 24 − 10i par exemple est dénué de sens, mais on peut tout de même dire
que 24 − 10i a deux racines carrées dans C qui sont 5 − i et −5 + i (on vérie en eet que
(5 − i)2 = 24 − 10i et (−5 + i)2 = 24 − 10i).
16. On dit que C est
algébriquement clos.
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