Compte-rendu de la Conférence sur les enjeux éthiques de la modification de la loi Léonetti/Claeys (5 février 2016, Faculté de médecine de Reims) Voici en préambule un résumé des principales modifications de la loi Léonetti de 2005, tiré d’un article du Monde du 27 janvier 2016 : Le Parlement a définitivement adopté mercredi 27 janvier une proposition de loi accordant de nouveaux droits aux personnes en fin de vie, plus de dix ans après la loi Leonetti de 2005. Les sénateurs se sont définitivement prononcés en faveur d’un texte instaurant un droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes. « On va passer d’un devoir des médecins à un droit des malades », explique le député Jean Leonetti (LR), coauteur de la proposition de loi avec son homologue Alain Claeys (PS). Concrètement, la nouvelle loi va mettre en place ce que M. Leonetti appelle un « droit de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir ». Désormais un médecin ne pourra pas s’opposer à une demande de sédation profonde et continue de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable », dont le « pronostic vital est engagé à court terme » et qui présente une « souffrance réfractaire aux traitements ». Ou lorsque sa « décision d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ». Le refus d’acharnement thérapeutique renforcé Les directives anticipées, par lesquelles il est possible de faire connaître son refus d’un acharnement thérapeutique – jusque-là simplement indicatives – s’imposeront désormais au médecin, sans être toutefois opposables. Le soignant pourra en effet y déroger « en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation » et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Ce refus devra être pris à l’issue d’une procédure collégiale et figurer noir sur blanc dans le dossier médical du patient. Ensuite, voici les principales dispositions de la proposition de loi qui ont été acceptées par le gouvernement telles que présentées sur le site de l’assemblée nationale : Article 1er : Droits des malades en fin de vie et devoirs des médecins à l'égard des patients en fin de vie (réécriture de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique). Article 3 : Droit à la sédation profonde et continue jusqu'au décès, à la demande du patient. Article 5 : Renforcement du droit pour un patient dûment informé par le professionnel de santé de refuser tout traitement. Article 8 : Principe d'opposabilité des directives anticipées. Article 9 : Précision du statut du témoignage de la personne de confiance. Interventions et commentaires de Mme Karine Bréhaut, coordinatrice d’un espace de réflexion éthique en Champagne-Ardenne et de Régis AUBRY, médecin chef de service de soins palliatifs au CHU de Besançon, le 5 février 2016, à la faculté de médecine de Reims : Après avoir rappelé que la possibilité existe pour le patient de refuser tout traitement (article 5), Mme Bréhaut insiste sur le fait que les directives anticipées ne sont désormais plus seulement consultatives mais contraignantes, c’est-à-dire que si le médecin considère qu’elles ne sont plus adaptées au contexte de fin de vie, il devra s’y opposer par l’intermédiaire d’une procédure collégiale puis rédiger une note explicative dans le dossier médical du patient. Un des auditeurs présent dans la salle, interne en soins palliatifs, parle de « patient prescripteur », qui contraint le soignant au nom de son autonomie, et se demande s’il n’y a pas là un risque d’instaurer un régime de défiance plutôt que de confiance entre patient et médecin. Régis AUBRY insiste sur l’importance d’instaurer un climat de confiance dès le début de la prise en charge pour éviter au maximum ce genre de problème. Il précise aussi que cela est important pour la rédaction des directives anticipées, et que passer d’abord par la désignation de la personne de confiance peut faire office de « pont » pour évoquer ensuite le sujet. Concernant la personne de confiance, Mme Bréhaut affirme que ses droits sont renforcés, droits plus en lien avec ceux d’un tuteur. En ce qui concerne la définition de la sédation en comparaison de l’euthanasie, Mme Bréhaut déplore une tendance à « l’acharnement herméneutique », à savoir le maniement de concepts parfois flous, ce qui peut donner lieu à de nombreuses interprétations. Elle insiste néanmoins sur le fait que c’est la notion d’intention qui différencie les deux, la sédation étant exclusivement dédiée au soulagement de la douleur. En conclusion Mme Bréhaut affirme que la nouvelle loi conforte l’absence de tout protocole d’aide à mourir, et qu’elle n’a aucune portée morale ou religieuse, mais qu’elle est juste procédurale. Quant à Régis AUBRY, il affirme qu’excepté les nouveautés concernant les directives anticipées, cette nouvelle loi « n’a pas grand intérêt », et que cela « serait une ineptie de penser que la loi pourra venir régler un cas particulier ». Pour ce qui est du droit à la sédation profonde, il affirme que cela peut soulager les angoisses d’un patient et de sa famille de savoir qu’il a le droit de vouloir soulager ses douleurs sans que cela ne soit considéré comme de l’euthanasie. Il souligne aussi l’importance de la formation à la réflexion éthique et à la recherche dans ce domaine et qu’il est important parfois de savoir « changer d’avis », que cela « est signe de noblesse ». Enfin, il termine sur une pointe d’humour en faisant la remarque que le « débat est toujours plus houleux quand les personnes souhaitent arrêter leurs traitements plutôt que lorsqu’elles souhaitent les continuer, pourquoi ? ».