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Deux cents ans d’internat à l’AP-HP
● M. Pelleau*
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1802-1958 : LA PÉRIODE HÉROÏQUE
Au XVIIIe siècle, la nécessité de former le médecin par la
pratique clinique se fait jour. En 1730, cinq étudiants sont
autorisés à accompagner la visite à l’Hôtel-Dieu. En 1794, la
création des écoles de santé généralise le principe de la formation au lit du malade, et c’est en 1802 que le Conseil général
des hospices crée l’internat en médecine et chirurgie. Ce dernier conjugue deux réformes : celle de l’enseignement médical
et celle de l’hôpital. Il sera, selon l’idée de Félix Vicq d’Azyr2,
une école de perfectionnement pour “les élèves les plus méritants du Royaume”. Le ton est donné : l’internat constitue une
ouverture démocratique, car l’accès au “corps d’élite” passe
par un concours auquel chacun doit se prêter, mais, dans ce
cursus conçu à partir du modèle des grandes écoles, la voie est
étroite, et ne sont sélectionnés que les meilleurs parmi les
meilleurs.
Les internes sont appelés ainsi parce qu’ils sont logés à l’hôpital. Ils doivent assurer la continuité des soins aux malades lorsque
les chefs de service, qui sont libres de consacrer une partie de
leur temps à leur clientèle privée, sont absents. En retour, les
internes bénéficient du compagnonnage de ces mêmes chefs, qui
leur transmettent leur savoir. C’est l’un des grands paradoxes du
* Secrétaire de rédaction de La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale.
1. Musée situé dans l’hôtel de Miramion, 47, quai de la Tournelle, 75005 Paris.
2. Médecin français (1748-1794), auteur des premiers travaux d’anatomie comparée et du Nouveau plan de constitution pour la médecine en France, qu’il
dépose devant l’Assemblée constituante en 1790 et qui servira de base de travail au Comité de santé.
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statut d’interne : étudiants en formation devant leurs maîtres, ils
sont aussi médecins, mais seuls, devant le malade et les soignants,
et portent sur leurs épaules une lourde responsabilité.
Outre le service de garde et quelques fonctions de soins, l’interne
est chargé de tenir les cahiers de visite et de veiller au suivi des
prescriptions médicales. Il consigne les informations sur la nature
et l’évolution des maladies sur les registres d’observations. Il
confronte les signes cliniques et les symptômes aux lésions observées sur les cadavres et remplit ainsi une fonction d’intérêt scientifique. Cette contribution à la connaissance des maladies fait la
gloire de l’école de Paris. Aussi l’internat s’affirme-t-il rapidement comme la voie royale qui ouvre les portes de la carrière hospitalière et universitaire, les concours hospitaliers étant utilisés
comme facteurs de recrutement des enseignants de la faculté.
Ce “personnel des élèves”, comme le qualifie l’administration,
participe grandement au fonctionnement de l’hôpital. Il apparaît
comme une élite en devenir, mais aussi comme une population
soumise à une rude condition, compensée par force turbulences
en salle de garde (figure 1). C’est en effet dans les salles de garde,
créées en 1834, que les élèves se retrouvent, car ils sont consignés dans l’établissement pendant leur service.
Crédit photographique : AP-HP/Photothèque.
e 25 mai dernier, le musée de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris1 (AP-HP) a fermé les portes de
l’exposition “Ordre et désordre à l’hôpital”, qui
célébrait les 200 ans de l’internat de médecine et de chirurgie
des hôpitaux de Paris.
Cet internat a bien changé depuis vingt ans. Diverses réformes
se sont succédé, et un examen classant national très différent du
mode de sélection initial sera instauré en 2004-2005. La dénomination “interne” demeure cependant. Elle désigne toujours à
la fois un médecin en formation et un médecin qui agit. Retours
et perspectives.
Figure 1. Invitation au
bal de l’internat. Les
vertus et les vices de
l’internat, 1928. Collection particulière.
Au terme de quatre années de labeur, l’oral du concours de l’internat semble constituer le point d’orgue d’un parcours initiatique.
Le candidat doit exposer le sujet qui lui échoit en 10 minutes rythmées par la trotteuse d’une pendule, celle-ci étant visible des deux
côtés (figure 2).
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 286 - octobre 2003
Crédit photographique : AP-HP/Photothèque.
Figure 2. Séance d’oral à
l’amphithéâtre à l’hôpital
Necker.
Caricature d’Alain Cornec, extrait de Histoire
polymorphe de l’internat en médecine des
hôpitaux et hospices
civils de Paris, Jacques
Frossard, 1981.
Ainsi, en 1808, le candidat doit décrire :
1. “les amygdales et l’isthme du gosier ;
2. les causes de l’angine tonsillaire ;
3. le système de la marche de cette angine ;
4. son traitement et sa terminaison par induration ;
5. la rescision des amygdales”.
En 1871, l’interne est invité à s’exprimer sur “Trachée et
bronches. Corps étrangers des voies aériennes”.
Cet oral, qui a été supprimé en 1968, était une épreuve redoutée
et traumatisante. Le Pr Jacques Trotoux, ancien chef du service
ORL de l’hôpital européen Georges-Pompidou, raconte qu’il
tenait à la fois de la “grand-messe”, car le concours se déroulait
en public, et de la “messe noire”. Le candidat ne connaissait pas
à l’avance l’heure de son passage et le premier tiré au sort restait
devant son jury tandis que ses condisciples allaient attendre leur
tour dans la “turne” où pouvait se jouer, à l’occasion, une scène
d’intimidation : “J’ai trois patrons dans le jury, vous pouvez rentrer chez vous”…
Le Pr André Valla, ancien chef du service d’hépato-gastroentérologie du CHU de Caen, évoque toutefois l’utilité d’un oral qui
représentait une très bonne épreuve pédagogique. Le fait de devoir
résumer une maladie en 10 minutes constituait un entraînement
à l’effort de synthèse et révélait le comportement du candidat, sa
clarté d’esprit au moment de l’urgence, situation à laquelle il ne
cesserait d’être confronté dans son exercice.
À Paris, en 1802, 24 candidats sont reçus, pour 64 inscrits ; en
1889, ils sont 50 sur 386 inscrits tandis que, quatre ans plus tôt,
a été reçue la première femme, Augusta Klumpke. En 1901,
66 candidats sont reçus pour 571 inscrits et, en 1955, 116 sur
1 123 inscrits, soit un pourcentage de 11,5 % et de 10,3 %,
respectivement.
1958-2003 : LE TEMPS DES RÉFORMES
En 1958, l’ordonnance du 30 décembre crée les centres hospitaliers universitaires. Ceux-ci sont investis d’une triple mission :
les soins aux malades, l’enseignement, la recherche. Cette ordonnance instaure la présence à plein temps des médecins dans les
hôpitaux. Cette dernière mesure entraîne le développement de
véritables équipes médicales. Cependant, cette réforme, pourtant
fondée sur le principe de la fusion entre l’hôpital et l’Université,
ne redéfinit pas l’institution de l’internat des villes de faculté.
Selon Robert Debré3, si l’internat est maintenu en l’état, c’est
“par manque de courage” (1969). De nouvelles fonctions apparaissent, celle de chef de clinique notamment, mais elles viennent progressivement remplir l’espace entre l’interne et le chef
de service, rompant “l’intimité de la collaboration” dont parle
encore Henri Mondor4 au début des années 1950, et qui constituait l’essence même de l’apprentissage médical. S’adaptant à
cette nouvelle donne, les internes utilisent peu à peu le mécanisme des stages dans les services comme une stratégie de spécialisation.
La réforme du 6 juillet 1979 entérine cette évolution. Elle met en
place l’internat qualifiant, qui devient le seul accès possible aux
spécialités (une exception européenne), et crée le résidanat hospitalier pour la formation des généralistes. Le concours hospitalier local devient un concours universitaire général. La référence
prestigieuse des hôpitaux de Paris disparaît.
En 1984, “l’internat pour tous les spécialistes” est remplacé par
“l’internat pour tous”. Cette évolution se traduit, pour le futur
médecin généraliste, par la possibilité d’accéder à une formation
pratique plus large et de qualité, mais elle est ressentie par certains comme une atteinte au prestige et à l’identité de ce corps.
C’est la Direction régionale de l’action sanitaire et sociale, et non
plus l’AP-HP, qui organise le concours de l’internat. Les concours
locaux sont supprimés ainsi que le résidanat (rétabli en 1987).
“L’internat a changé après la réforme de 1984, je crois, explique
le Dr Jean-Paul Lévy, directeur médical de l’Institut Pasteur. Il
est devenu autre chose. On est dans un monde de techniques différentes, de buts différents. Je crois qu’on aurait dû arrêter
d’appeler ça ‘l’internat des hôpitaux de Paris’. On est dans un
autre monde, c’est tout”.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 achève ce qui
est commencé : le concours est remplacé par un examen national classant pour tous les étudiants. Mais le milieu des internes
semble traversé par une crise qui porte sur la définition et le
contenu de l’internat, ils l’ont d’ailleurs fait savoir en manifestant à six reprises depuis 1983. Aujourd’hui, en France, le monde
du travail est aux 35 heures ; ils contestent donc les 32 heures de
travail d’affilée avec une responsabilité qui n’a pas diminué. À
la question “Qu’est-ce que vous ne voulez plus ?”, Caroline Charlier, interne à l’hôpital Cochin répond “trimer”. À la question
“Qu’est-ce que vous voulez ?”, elle répond par un autre cri du
cœur : “faire bien notre métier, ne pas arriver aux urgences à
trois heures du matin sans brancard, sans chaise pour examiner
les patients…”. Pour elle, l’internat reste un système de compagnonnage au cours duquel le “patron” accompagne, tient la main,
3. Médecin français (1882-1978), qui est l’un des pères de la pédiatrie française
moderne. Président du Comité interministériel pour la réforme de l’enseignement médical en 1956, il est parmi les inspirateurs de la réforme de l’hospitalisation française.
4. Interne des hôpitaux en 1908 (1885-1962), il acquiert pendant la Première
Guerre mondiale une grande expérience de la chirurgie traumatologique et
devient à 35 ans le plus jeune chirurgien de France. Il est l’auteur, notamment,
de Diagnostics urgents de l’abdomen.
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confie et délègue. “Dans le vrai compagnonnage, il sort de vous
quelque chose. Il sort de vous vos qualités”, explique-t-elle. Elle
sait aussi que ce qu’ont vécu les chefs de service actuels durant
leur internat ne correspond pas à la réalité des internes
d’aujourd’hui et que les premiers ne regardent pas les seconds
comme leurs pairs. “L’élite, dit-elle, c’est mes patrons, c’est des
médecins expérimentés, c’est la crème de la médecine”.
L’hôpital est écartelé entre des exigences de qualité et des impératifs économiques. La médecine se rapproche de la science. Elle
se “technicise” et nécessite un apprentissage théorique important. Cependant, rien ne remplace l’examen clinique. Pour Emmanuel Lansac, interne en chirurgie à l’hôpital Necker, la période
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durant laquelle le médecin en formation apprend est le clinicat.
L’examen clinique permet d’instaurer une relation soignant-soigné – l’information au patient est depuis quelques années sur le
devant de la scène – et renseigne éventuellement le médecin sur
les examens complémentaires dont il peut se dispenser.
Selon le Pr Danièle Sommelet (chef du service d’oncologie pédiatrique à l’hôpital d’enfants Brabois, Nancy), il faudrait aux
internes “des objectifs à 5 ou 10 ans, mais dans un environnement adapté, et c’est de cela qu’ils manquent…”. L’interne
des années 2000 doit néanmoins trouver sa voie. Peut-être
faudra-t-il pour cela recréer des lieux de partage et d’expression
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des expériences.
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