L’index de pression systolique : marqueur de risque cardiovasculaire ?

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Correspondances
en Risque CardioVasculaire
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D. Thomas
L’index de pression
systolique :
marqueur de risque
cardiovasculaire ? 1
The ankle-brachial index as a marker
of cardiovascular disease mortality
❒ C. Mounier-Vehier*, G. Rosey*, P. Marboeuf*, M. Gras*,
J.P. Beregi**, S. Haulon***
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artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) est un authentique marqueur de mortalité cardiovasculaire (1-4). Elle est largement
sous-estimée, en raison de la part importante de patients (entre 60 et
80 %) ne présentant aucun symptôme apparent. Sa prévalence ajustée à l’âge est
d’environ 12 % ; elle augmente avec l’âge, concernant 18 % des plus de 65 ans (1-4).
Comparativement à des sujets témoins, les claudicants ont une diminution de leur
espérance de vie de 50 % à 10 ans ; leur pronostic est conditionné principalement
par les accidents coronaires (RR infarctus du myocarde x 4 ; 55 % des décès), les
accidents vasculaires cérébraux (AVC) (RR x 2-3 ; 15 % des décès) ou néoplasiques
(25 % des décès) [1-3]. L’objectif du dépistage est de diminuer les conséquences
locales altérant la qualité de vie et d’enrayer la progression de la maladie générale
par un traitement approprié.
L’
L’index de pression systolique à la cheville :
outil d’évaluation du risque cardiovasculaire
Les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) [5] ainsi que les recommandations américaines (6) préconisent l’utilisation de la mesure des index de
pression systolique (IPS) à la cheville comme outil de dépistage précoce, fiable, peu
onéreux et accessible. La mesure des IPS permet d’évaluer le degré de sévérité de
l’AOMI avec une corrélation constante entre l’IPS et la sévérité des lésions. La mesure
de l’IPS permet aussi une évaluation pertinente du pronostic des patients à risque,
1 © La Lettre du Cardiologue 2007;409:3-6.
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* Service de médecine vasculaire et HTA.
** Service de radiologie vasculaire.
*** Service de chirurgie vasculaire.
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bien avant l’apparition de la claudication artérielle (CA). La mesure de l’IPS est
réalisée avec un appareil doppler continu et un appareil de mesure tensionnelle
classique (sphygmomanomètre anéroïde ou à mercure). Chez un patient en position
couchée, le brassard est gonflé au-dessus des malléoles, au-dessus de la valeur
de la pression artérielle systolique (PAS), le flux ayant été repéré au préalable à la
sonde doppler. À la levée de la compression du brassard, on repère à quel niveau de
PAS réapparaît le flux. Trois mesures sont nécessaires, avec le calcul de la moyenne
des deux dernières mesures sur les deux sites : tibial postérieur et pédieux. Seule
la valeur la plus élevée est retenue. La PAS humérale est mesurée aux deux bras
selon la même méthodologie, en retenant la valeur moyenne la plus élevée. L’IPS
correspond au rapport entre la PAS à la cheville et la PAS humérale (figure 1). L’IPS
est une variable physiologique fluctuant dans une certaine fourchette de valeurs
dont la normale est de 1,10 ±± 0,10. Les seuils de normalité sont 0,9 et 1,3 (tableau).
Enregistrement du pouls huméral
Enregistrement
des pouls jambiers
Tableau. Classification hémodynamique tenant compte de la mesure de
l’IPS.
IPS
Interprétation clinique
> 1,3
0,9-1,3
0,75-0,9
0,4-0,75
< 0,4
Médiacalcose
État normal sur le plan hémodynamique
AOMI compensée
AOMI décompensée
Ischémie chronique critique
IPS : index de pression systolique.
AOMI : artériopathie oblitérante des membres inférieurs.
• Prendre 3 fois la mesure
• Faire la moyenne
Tensiomètre posé juste
au-dessus des malléoles
Un rapport inférieur à 0,9 signe une AOMI avec une sensibilité de 95 % et une spécificité voisine de 100 % ; une valeur
Figure 1. Technique de mesure des index de pression systolique à la
supérieure à 1,3 témoigne d’artères incompressibles et
cheville.
définit une médiacalcose jambière partielle, fréquemment
observée chez le sujet diabétique, âgé ou encore insuffisant rénal. Un IPS inférieur à 0,40 indique, dans la majorité des cas, la nécessité
d’un geste de revascularisation. La combinaison de signaux doppler normaux et
d’un IPS à la cheville normal exclut une AOMI avec une fiabilité supérieure à 90 %.
D’un examen à l’autre, une variation de l’IPS inférieure à 15 % peut être due à une
erreur de mesure ou à une variation physiologique. En revanche, une variation
supérieure ou égale à 30 % est hautement significative. La mesure des IPS reste
sous-utilisée, conduisant à un diagnostic tardif de l’AOMI ou à sa méconnaissance (2, 7). Son utilisation plus systématique permettrait de dépister cinq fois
plus d’AOMI, notamment chez les patients âgés et sédentaires. L’examen clinique
classique sous-estime la prévalence de l’AOMI. Celle-ci, définie par un IPS inférieur
à 0,90, est de l’ordre de 20 % des sujets âgés de plus de 50 ans dans la population
générale. Elle augmente avec l’âge (multipliée par 5 après 65 ans), avec le diabète,
et chez l’insuffisant rénal (4, 5, 7).
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< 0,9-1,0
< 0,8-0,9
< 0,8
0,31-0,49
≤ 0,30
0,8
Survie cumulée
Risque relatif
0,50-0,91
0,9
3
2
1
0
IPS
1,0
IDM
Angor
ICC
AVC
AIT
Newman AB et al. Circulation 1993;88:837-45.
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0
10
20
30
Survie en mois
40
50
60
Mc Dermott MM et al. J Gen Intern Med 1994;9:445-9.
Figure 2. Risque relatif d’événements cardiovasculaires en fonction des
valeurs d’IPS.
Figure 3. Index de pression systolique à la cheville et mortalité.
L’IPS permet aussi de classifier le risque cardiovasculaire (RCV). L’IPS est également
un marqueur d’athéromatose diffuse et d’événements cardiovasculaires (figure 2)
[8-10]. Il existe une relation linéaire significative entre la sévérité de l’AOMI définie
par l’IPS et la mortalité (figure 3) [10]. Dans la Cardiovascular Health Study, 5 714 sujets
âgés de 65 ans ont été suivis pendant 6 ans ; le risque de maladie cardiovasculaire était d’autant plus important que l’IPS était faible. Les sujets ayant un IPS
inférieur à 0,8 versus les sujets dont l’indice était compris entre 1,0 et 1,5 avaient
deux fois plus souvent un antécédent d’IDM, d’angor, d’insuffisance cardiaque,
d’AVC ou d’accident ischémique transitoire (8). Dans l’étude CAPRIE, l’analyse des
2 180 patients atteints d’une AOMI symptomatique rapporte qu’un faible IPS est
un indicateur important du risque de survenue d’un événement cardiovasculaire
(AVC ischémique, IDM ou décès d’origine vasculaire) ; chaque diminution de 0,1 de
l’indice s’accompagne d’une augmentation significative de 10,2 % du risque relatif
d’événements cardiovasculaires. Pour un indice inférieur à 0,5, le taux annuel
d’événements cardio-vasculaires est de 5,4 % versus 4,1 % pour un indice compris
entre 0,5 et 0,85 (11).
Des études récentes, fondées sur des échantillons représentatifs de la population
générale, ont montré que l’existence d’une AOMI asymptomatique avec un IPS
inférieur à 0,90 témoignait d’un risque vital d’accident cardiovasculaire analogue
à celui d’un patient claudicant de même IPS (2).
La mortalité cardiovasculaire annuelle était de 2 % avec une incidence annuelle
d’IDM de 3 % et d’AVC de 1 à 2 % chez les patients ayant un IPS inférieur à 0,90. L’incidence annuelle de mortalité cardiovasculaire était de 3 à 4 % pour un IPS inférieur
à 0,70 (2). Cependant, un IPS supérieur à 1,3 était aussi associé à un risque accru
d’événements cardiovasculaires (3, 5, 6, 9). Il y a ainsi une véritable courbe en U
entre l’IPS et les événements cardiovasculaires entre les valeurs-seuils de 0,9 et
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de 1,3 (9) [figures 2 et 3]. La classification du RCV chez le sujet artériopathe repose
aussi sur l’évaluation des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV) classiques
et sur un bilan d’extension vasculaire a minima (3, 5, 6). L’existence d’une AOMI
implique la recherche d’antécédents, de symptômes ou de signes cliniques cérébrovasculaires ou coronariens qui auraient pu passer inaperçus. Une échographie de
l’aorte abdominale (recherche d’un anévrysme) et un ECG de repos sont justifiés. Un
test coronaire non invasif est souhaitable chez le sujet avec FRCV. Un écho-doppler
cervical peut être proposé à la recherche d’une sténose asymptomatique de degré
supérieur à 60 % pouvant relever d’une indication chirurgicale (5).
Les conséquences thérapeutiques d’un IPS altéré
Une AOMI doit être prise en compte au même titre qu’une atteinte coronaire ou
cérébrovasculaire. Il s’agit d’optimiser la prise en charge des FRCV. Ces mesures
nécessitent une contractualisation dans le temps avec le patient sur les objectifs
thérapeutiques à atteindre :
➤ arrêt du tabac, qui nécessite une évaluation du degré des dépendances physique
et psycho-comportementale avec une approche comportementale, complétée si
besoin par une aide pharmacologique ;
➤ surcharge pondérale : prise en charge spécifique pour un index de masse corporelle inférieur à 25 kg/m2 ;
➤ diabète : équilibre glycémique (HbA1c < 6,5 %) ;
➤ dyslipidémie : régime adapté, instauration ou adaptation posologique d’un
traitement par statines (LDL-cholestérol ≤ 1 g/l) ;
➤ HTA : PA inférieure à 140/90 mmHg, inférieure à 130/80 mmHg en cas de diabète ou
d’insuffisance rénale, inférieure à 125/75 mmHg en cas de protéinurie associée ;
➤ pratique d’une activité physique quotidienne d’intensité modérée (marche)
pendant au moins 30 mn.
La mise en place d’une éducation thérapeutique structurée est justifiée par la
nécessité de changements de mode de vie importants, d’une bonne observance aux
traitements et du diagnostic précoce des autres localisations cardiovasculaires ;
dans l’idéal, celle-ci s’intègrera dans un réseau de santé, comme c’est le cas dans
le Nord-Pas-de-Calais avec HTA Vasc (5).
Le RCV étant comparable, que l’AOMI soit symptomatique ou non, la HAS recommande d’“instaurer un traitement médicamenteux au long cours afin de prévenir
la survenue d’événements cardiovasculaires, bien que les données disponibles
dans la littérature ne permettent pas de préciser dans quelles conditions l’association des différents traitements peut être recommandée”. Celui-ci comportera
au minimum : antiagrégant plaquettaire (aspirine à faible dose : 75 à 160 mg/j, ou
clopidogrel : 75 mg/j, qui est le seul à avoir l’AMM pour l’AOMI) ; statine (simvastatine : 40 mg/j) ; inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC)
(ramipril à 10 mg/j) d’instauration progressive par paliers de 2 à 4 semaines sous
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surveillance de la pression artérielle et de la créatininémie. En cas d’intolérance
aux IEC, les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2 pourront être utilisés
(4). Les bêtabloquants, prescrits dans le cadre du traitement BASIC chez le sujet
athéromateux, ne sont pas contre-indiqués dans l’AOMI compensée (12).
Conclusion
Symptomatique ou non, l’AOMI, diagnostiquée par la mesure de l’IPS, doit être
considérée comme un véritable marqueur de RCV, plaçant ces patients en situation
de prévention secondaire. La majorité des patients va décéder d’une complication
cardiovasculaire ou d’une affection tumorale favorisée par le tabac. L’IPS remplit
toutes les conditions d’un test fiable de dépistage et est aussi un marqueur pronostique. L’IPS doit être réalisé chez toute personne, homme ou femme, présentant un
ou plusieurs des FRCV suivants : âge supérieur à 65 ans, HTA, tabac, diabète, dyslipidémie (13). Une première campagne d’information grand public s’est déroulée en
2006-2007 sur le diagnostic de l’AOMI à l’initiative de la Société française de médecine
vasculaire, avec le soutien de l’Institut de l’athérothrombose. La deuxième campagne
démarrera le 8 novembre 2007 pour informer l’usager des facteurs de risque de
l’AOMI, devant l’inciter à un test de dépistage (mesure de l’IPS) en présence d’un
ou plusieurs d’entre eux. Informer, dépister, éduquer et traiter sont les challenges
forts de la prévention cardiovasculaire en 2007 chez tout patient à risque.
■
RÉFÉRENCES
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