La prothèse d’épaule en 2004 Shoulder arthroplasty in 2004

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A
CTUALITÉS
SUR
L’ A R T H R O S E
DE
L’ É P A U L E
La prothèse d’épaule en 2004
Shoulder arthroplasty in 2004
"
C. Lévigne*
BREF HISTORIQUE
P o i n t s
f o r t s
# La prothèse céphalique ne s’adresse en principe qu’aux cas dans lesquels la glène n’est
pas altérée.
# Les prothèses totales donnent des résultats
supérieurs à ceux des prothèses céphaliques
dans l’arthrose et les arthropathies inflammatoires.
# La prothèse totale inversée s’adresse à tous
les cas présentant une altération des deux
surfaces articulaires et une coiffe non fonctionnelle (soit par faillite tendinomusculaire,
soit par faillite des tubérosités).
# Les arthropathies inflammatoires excentrées
et les omarthroses subluxantes postérieures
évoluées restent des problèmes non résolus,
du fait notamment du stock osseux glénoïdien insuffisant pour la mise en place d’un
implant glénoïdien.
# La rééducation est immédiate pour éviter un
enraidissement, mais elle doit rester exclusivement passive pendant 6 semaines, le délai
de retour à une vie quotidienne normale
étant de l’ordre de trois mois.
Mots-clés : Épaule - Hémiarthroplastie - Prothèse
anatomique - Prothèse inversée.
Keywords: Shoulder - Hemiarthroplasty - Anatomical prosthesis - Reverse prosthesis.
* Clinique du Parc, Lyon, et centre hospitalier Lyon-Sud.
La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005
Depuis 1950, de très nombreux modèles de prothèse d’épaule ont
été proposés. La plupart des tentatives ont échoué, conduisant à
l’abandon d’une multitude de modèles. Au cours de cette évolution,
deux types de prothèses, de conceptions différentes, ont émergé.
Les prothèses anatomiques
Leur principe repose sur le remplacement à l’identique des
surfaces articulaires, humérale et glénoïdienne.
" Sur le versant huméral, l’implant a la forme d’un tiers de sphère
qui se prolonge d’une tige dans l’humérus, destinée à sa fixation.
Les premiers modèles ont été proposés vers 1950 par Neer aux
États-Unis (1), Judet en France et Krueger en Allemagne. Ils ont
été proposés à l’origine dans les cas de fracture complexe de la
tête humérale. Il s’agissait d’implants d’une seule pièce, identiques pour tous les patients. L’anatomie étant très variable d’un
patient à l’autre, les résultats fonctionnels étaient très aléatoires.
Entre 1980 et 1990, les auteurs ont proposé des implants “modulaires” en plusieurs parties, permettant de faire varier le volume de
la tête et celui de la tige pour être plus conforme à l’anatomie de
chaque patient, avec des résultats fonctionnels un peu meilleurs.
Depuis 1990, des tiges humérales de “troisième génération” ont
vu le jour. Il s’agit d’implants “modulaires et adaptables”
permettant d’adapter véritablement la prothèse à l’anatomie de
chaque sujet. Le groupe Aequalis en France est à l’origine du premier modèle, issu d’un important travail anatomique, suivi par
d’autres modèles reprenant les mêmes principes (2). C’est ce type
de tige qui est posé actuellement. Il permet de faire varier de nombreux paramètres : le diamètre et la longueur de la tige, le
diamètre et l’épaisseur de la tête, l’inclinaison du col et la position de la calotte céphalique par rapport à la tige.
" Sur le versant glénoïdien, les premiers modèles proposés
datent des années 1970, s’inspirant des travaux menés par Charnley en Grande-Bretagne sur la fixation des prothèses de hanche
à l’aide d’un ciment au méthylmétacrylate. Plusieurs auteurs ont
adapté cette technique à la fixation de l’implant glénoïdien. En
1974, Neer aux États-Unis, Kenmore en Grande-Bretagne et Zippel en Allemagne ont proposé des implants glénoïdiens en polyéthylène. Depuis 30 ans, des modifications ont été effectuées,
concernant le dessin, le nombre de tailles et la fixation, mais les
principes généraux sont restés les mêmes.
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CTUALITÉS
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Depuis les premières descriptions, tous les auteurs s’accordent
pour reconnaître que ces prothèses anatomiques ne peuvent fonctionner correctement qu’en présence d’une coiffe des rotateurs
efficace.
Les prothèses non anatomiques
Parallèlement aux prothèses anatomiques, plusieurs auteurs ont
essayé des modèles radicalement différents entre 1960 et 1980
pour proposer une solution efficace même lorsque la coiffe était
détruite (prothèse de Stanmore, prothèse de Liverpool, etc.). Il
s’agissait soit de modèles s’inspirant de la prothèse de hanche,
soit de modèles pour lesquels les composants étaient inversés,
avec une partie sphérique fixée sur l’omoplate et une partie
concave fixée dans l’humérus. L’emboîtement des deux implants
étant très serré, la majorité de ces modèles ont été abandonnés
du fait des descellements précoces liés à de trop fortes contraintes.
Grammont a proposé en 1987 une prothèse inversée peu
contrainte qui, après plusieurs modifications, s’est finalement
imposée au bout de dix ans comme une option logique et efficace dans certaines arthropathies à coiffe détruite (3).
LA PROTHÈSE D’ÉPAULE EN 2004
Trois types de modèles sont actuellement implantés en fonction
des différentes pathologies.
La prothèse céphalique (ou hémiarthroplastie)
Elle ne remplace que le versant huméral de l’articulation, par un
implant en forme de tiers de sphère prolongé d’une tige dans l’humérus destinée à sa fixation. Elle s’adresse en principe à tous les
cas dans lesquels la glène n’est pas altérée. Il s’agit :
– des ostéonécroses aseptiques de la tête, lorsque la glène est
encore intacte [stade < 4] (figure 1) ;
– des ostéonécroses postfracturaires ;
– des fractures complexes de la tête humérale. Un modèle “spécial
fracture”, comportant une large fenêtre, a été conçu pour faciliter la consolidation des tubérosités qui sont refixées autour de la
prothèse (figure 2).
De nombreux auteurs ont longtemps été partisans de ce modèle
dans l’arthrose et les arthropathies inflammatoires, qui comportent pourtant une altération de la glène, mais les dernières études
comparatives ont montré la supériorité des prothèses totales dans
ces étiologies.
Figure 1.
Exemple
de prothèse
céphalique
pour un cas
d’ostéonécrose
aseptique
de la tête
humérale
de stade 3.
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Figure 2. Exemple de
prothèse céphalique
pour un cas de fracture complexe de la
tête humérale. Noter
la partie ajourée de
l’implant permettant
d’optimiser la consolidation des tubérosités refixées autour de
la prothèse.
La prothèse totale anatomique
Elle remplace les deux versants articulaires en associant à l’implant huméral un petit implant glénoïdien en polyéthylène en forme
de cupule. Elle s’adresse à tous les cas présentant une altération
des deux surfaces articulaires et une coiffe fonctionnelle (les petites
ruptures isolées du sus-épineux n’étant pas une cause d’exclusion).
En pratique, elle s’adresse à toutes les arthropathies centrées sur
la radiographie de face (espace sous-acromial préservé) : arthrose
primitive, arthrose post-traumatique, arthropathie inflammatoire
(figure 3).
De nombreuses séries cliniques de patients porteurs d’une tige
humérale “de troisième génération” atteignent maintenant plus
de dix ans de recul et montrent des résultats fonctionnels globalement très satisfaisants lorsque la coiffe est intacte.
Si la coiffe n’est plus fonctionnelle, soit du fait d’une rupture tendineuse étendue au sous-épineux, soit du fait d’une dégénérescence
musculaire, il se produit une ascension de la tête humérale et un
pincement de l’espace sous-acromial. La mise en place d’une prothèse totale anatomique aboutit dans ces cas à un décalage des deux
implants, la tête humérale exerçant des contraintes sur le pôle supérieur de la glène. Cette anomalie expose à un descellement précoce
Figure 3.
Exemple de prothèse
totale anatomique
pour une arthropathie
centrée.
Figure 4. Schématisation
du descellement glénoïdien
avec bascule de l’implant
du fait des contraintes exercées
sur son pôle supérieur
lorsque la tête humérale est trop haute
(coiffe non fonctionnelle).
La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005
par un mécanisme de bascule de l’implant glénoïdien (figure 4).
Dans cette situation, mieux vaut proposer une prothèse inversée.
La prothèse totale inversée
À la suite du modèle proposé par Grammont dès 1987, plusieurs
prothèses sont actuellement disponibles, fondées sur le même
concept de prothèse inversée peu contrainte.
Le principe de cette prothèse est de fixer un implant en cupule
du côté de l’humérus et un implant hémisphérique du côté de
l’omoplate. Ainsi, le centre de rotation des mouvements de
l’épaule est beaucoup plus en dedans que le centre de rotation
d’une épaule normale ou que celui d’une prothèse anatomique.
On dit que le centre de rotation est médialisé, ce qui augmente
par voie de conséquence le bras de levier du deltoïde (figure 5).
Celui-ci est donc plus efficace pour l’élévation active du bras,
qu’il peut alors assurer à lui seul. C’est tout l’intérêt de ce modèle
de prothèse lorsque la coiffe est détruite.
La prothèse inversée s’adresse donc à tous les cas présentant une altération des deux surfaces articulaires et une coiffe non fonctionnelle
(soit par faillite tendinomusculaire, soit par faillite des tubérosités) :
" Les omarthroses excentrées, caractérisées par l’association
d’un pincement gléno-huméral et d’un pincement sous-acromial
(figure 6).
" Les arthroses sur cal vicieux majeur de l’extrémité supérieure de l’humérus. Dans ce type de pathologie, la mise en
place d’une prothèse anatomique nécessite une ostéotomie des
tubérosités pour les replacer en position correcte ; les résultats
se sont avérés insuffisants. Il vaut mieux opter dans ces cas pour
une prothèse inversée.
Figure 5. Dessin de la prothèse
inversée peu contrainte.
Le centre de rotation
de l’épaule est médialisé,
ce qui augmente le bras de levier
du deltoïde.
Figure 6.
Exemple
de prothèse
inversée
pour un cas
d’omarthrose
excentrée.
La Lettre du Rhumatologue - n° 309 - février 2005
Les reprises de prothèse : il y a généralement dans ces situations
une altération importante de la coiffe et/ou des tubérosités, faisant
opter dans bien des cas pour une prothèse inversée.
On serait tenté de considérer cet implant comme une solution universelle dans les arthropathies d’épaule. Il faut néanmoins tempérer cet
optimisme du fait du caractère massif de la prothèse et d’un recul encore
insuffisant, les cas revus après dix ans étant peu nombreux.
Enfin, certaines situations font partie des problèmes non résolus :
" Les arthropathies inflammatoires excentrées. Deux points sont
difficilement compatibles avec la prothèse inversée : d’une part, la
fragilité de l’acromion, qui peut se fracturer sous l’effet de la force
de traction du deltoïde, et, d’autre part, la perte de stock osseux glénoïdien, notamment dans sa partie supérieure, qui complique beaucoup la fixation de l’implant glénoïdien.
" Les omarthroses subluxantes postérieures évoluées. Dans cette
situation, c’est la perte de stock osseux glénoïdien en arrière qui pose
un problème technique pour la fixation d’un implant glénoïdien.
Dans ces deux situations, une simple prothèse céphalique à titre
purement antalgique peut être discutée.
"
L’INTERVENTION ET SES SUITES
L’hospitalisation est généralement d’une semaine. L’intervention se
déroule soit sous anesthésie générale, soit sous anesthésie locorégionale (bloc interscalénique). Il faut compter en moyenne deux heures
d’intervention pour une prothèse totale, une heure pour une prothèse
céphalique. Une transfusion sanguine est très rarement nécessaire.
La rééducation est immédiate pour éviter un enraidissement, mais
elle doit rester exclusivement passive pendant six semaines pour éviter de fragiliser la cicatrisation des tissus (notamment du tendon sousscapulaire, qui est coupé en début d’intervention pour accéder à
l’articulation et suturé en fin d’intervention). Pendant ces semaines,
le bras est au repos en écharpe en dehors des séances de rééducation.
Le délai de retour à une vie quotidienne normale est de l’ordre de
trois mois.
Le résultat n’est définitivement stabilisé qu’au bout d’un an, notamment pour la mobilité.
CONCLUSION
En définitive, après 50 ans de propositions et de modifications, la
prothèse d’épaule offre en 2004 un choix éclectique, avec trois
modèles adaptés aux différentes présentations des arthropathies. Le
recul des modèles actuels atteint maintenant une dizaine d’années,
ce qui nous rend confiants pour l’avenir. Parmi les améliorations à
attendre, celle de la pérennité de la fixation glénoïdienne occupe la
plupart des équipes de recherche.
#
Bibliographie
1. Neer CS, Brown TH, Mc Laughlin HL. Fracture of the neck of the humerus
with dislocation of the head fragment. Am J Surg 1953;85:252-8.
2. Boileau P, Walch G. Adaptabilité et modularité au cours des prothèses d’épaule.
Acta Orthopedica Belgica 1995;61(suppl. 1):49-61.
3. Grammont PM, Trouilloud P, Laffay JP, Deries X. Étude et réalisation d’une
nouvelle prothèse d’épaule. Rhumatologie 1987;39:407-18.
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