Rachialgies de l’enfant et de l’adolescent

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Rachialgies de l’enfant et de l’adolescent
Alexis Ferrari*, Cécile Cunin-Roy**, Chantal Wood**
L
es douleurs du dos de l’enfant avaient, il y a peu de temps encore,
la réputation d’être rares et le plus souvent le signe d’une maladie
grave (1). En fait, de plus en plus d’études montrent l’inverse, et leur prévalence atteint des chiffres impressionnants, voire alarmants, dans certaines séries. Il est possible de proposer une classification des rachialgies
en fonction de l’origine de la douleur : douleur symptomatique d’une maladie spécifique, ou douleur non spécifique, dont l’origine est plus complexe.
Cette opposition, très schématique, ne reflète cependant pas la réalité,
car on peut “glisser” d’un cadre à l’autre. Elle est néanmoins utile, car la
prise en charge thérapeutique de ces deux types de douleur est par
essence différente.
Mots-clés : Rachialgie - Enfant - Douleurs chroniques - Thérapeutique.
Les douleurs spécifiques ont le plus
souvent une topographie de schématisation anatomique et sont d’horaire
mécanique ou inflammatoire. L’imagerie permet parfois de montrer la
lésion en cause, et les traitements
médicamenteux, mécaniques ou chirurgicaux ont une action sur cette
douleur. Les douleurs non spécifiques
sont d’origine complexe et doivent
être étudiées d’un point de vue multidisciplinaire, incluant des facteurs
“biopsychosociaux”, culturels, éducatifs et en les intégrant dans le processus général d’apprentissage de
l’enfant (2). Les douleurs sont souvent bilatérales, diffuses, chroniques,
constantes, c’est-à-dire influencées
par rien sinon la fatigue et le stress. Il
s’agit le plus souvent de cervico-dorsalgies, de lombalgies ou d’un
tableau diffus de fibromyalgie (3).
* Centre de médecine physique et de réadaptation pour enfants “Bois-Larris”, Croix-rouge française, Lamorlaye.
** Unité d'évaluation et de traitement de la
douleur, hôpital Robert-Debré, Paris.
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Épidémiologie
La prévalence des douleurs du dos
est difficile à cerner, précisément en
raison des différentes définitions utilisées et de l’hétérogénéité des
groupes d’âge dans les études épidémiologiques de la littérature.
Dans une étude portant sur 2 173 enfants âgés de 11-12 ans et de 1516 ans, Kristjansdottir (4) montre que
20,6 % d’entre eux ont des douleurs
du dos au moins hebdomadaires.
Dans une étude danoise portant sur
806 enfants (481 entre 8 et 10 ans et
325 entre 14 et 16 ans), Wedderkopp
et al. (5) rapportent une prévalence
de 39 % de douleurs du dos d’au
moins une journée dans le mois précédent l’interview. Il ne met pas en
évidence de différence entre les sexes,
mais la prévalence est significativement plus élevée chez les adolescentes que chez les filles plus jeunes.
L’originalité de cette étude est
d’avoir scindé les douleurs du dos en
trois régions : cervicale, dorsale et
lombaire. Les résultats montrent que,
en grande majorité, une seule région
est douloureuse : 27 enfants dési-
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
gnaient deux régions et aucun les
trois régions. Trente pour cent des
enfants de 8 à 10 ans avaient des
rachialgies avec une prépondérance
au milieu du dos, les douleurs en
région lombaire et du cou étant inhabituelles. Cinquante pour cent des
adolescents (14-16 ans) avaient des
rachialgies, la zone lombaire et le
milieu du dos étant les localisations
les plus fréquentes. Parmi les enfants
algiques, 38 % rapportaient un retentissement sur leurs activités quotidiennes.
Dans une remarquable étude portant
sur 1 496 enfants âgés de 11 à 14 ans
(taux de participation de 97 %), Watson et al. (6) rapportent de 24 % de
lombalgie supérieure à un jour dans
le mois précédant l’étude, avec un
pic à 34 % pour les filles de 14 ans.
Quatre-vingt-quatorze pour cent des
enfants lombalgiques se disaient
invalidés par leur douleur (Hannover Low Back Pain Questionnaire).
Sur ces enfants lombalgiques, seuls
24 % ont eu recours à des soins
médicaux au cours de l’année précédente et seuls 33 % des parents
étaient au courant de la douleur de
leur enfant.
L’histoire naturelle des douleurs non
spécifiques du dos a été étudiée par
Mirovsky et al. (7). Dans une étude
prospective, il a suivi 59 enfants jusqu’à maturité osseuse. Chaque
enfant avait eu des investigations
poussées pour éliminer une cause
identifiable à la douleur. À maturité
osseuse, 62 % d’entre eux avaient
encore mal, avec 90 % de persistance
si la douleur était dorsale, et 55 %
pour les douleurs lombaires. De
façon similaire, Harreby et al. (8),
dans une étude de cohorte prospective sur 25 ans, ont montré que 84 %
des adolescents “lombalgiques”
l’étaient encore 25 ans plus tard, avec
une diminution de la capacité de travail. Sur l’ensemble des adolescents,
30 % avaient des signes radiographiques anormaux (pour l’essentiel
de type Scheuermann), sans que cela
soit corrélé aux douleurs de l’adolescence ou aux lombalgies de l’âge
adulte. Les douleurs du dos ont donc
tendance à persister à l’âge adulte,
et les auteurs insistent sur la nécessité de prendre au sérieux ces rachialgies de l’enfant, vu la répercussion
personnelle et socio-économique de
cette pathologie chez l’adulte.
La première consultation
L’un des buts majeurs est de dépister
une douleur symptomatique et révélatrice d’une affection potentiellement grave. L’examen clinique doit
être précis et rigoureux, et il va le
plus souvent permettre de faire la
part des choses parmi les différents
symptômes présentés par l’enfant.
C’est en fonction de critères cliniques que seront décidées les éventuelles investigations complémentaires.
L’interrogatoire
Il est capital. Il s’agit d’un temps
d’écoute active, initialement orienté
sur le caractère des symptômes :
passé douloureux, présence de signes
généraux, horaire, siège et irradiation des douleurs. Les variations
d’intensité de la douleur en fonction
des activités et le retentissement sur
la vie de tous les jours doivent être
précisés. Les antécédents personnels
et familiaux, médicaux et de douleurs sont importants pour situer le
vécu douloureux de l’enfant par rapport à son expérience de la vie et du
contexte transgénérationnel. L’interrogatoire se poursuivra par une évaluation plus globale de l’enfant (ce
qu’il aime faire, la qualité du sommeil, etc.) et aboutira petit à petit à un
dialogue qui laissera à l’enfant l’espace pour être écouté et reconnu dans
son “être propre”. Il est très utile de
faire représenter à l’enfant ses douleurs sur un schéma et de faire asso-
cier aux différentes zones une note et
un caractère issu d’une liste de mots.
Pendant tout l’entretien, il est important d’être attentif au langage paraverbal et non verbal de l’enfant, aux
émotions et aux sensations qui naissent du dialogue.
L’examen physique
Le médecin examinateur, quelle que
soit sa spécialité, doit impérativement garder à l’esprit qu’une douleur rachidienne peut être une douleur symptomatique d’une affection
organique potentiellement grave.
L’examen doit donc être général et
complet, afin de déceler toute anomalie associée, orthopédique, viscérale, cutanée, de croissance, etc.
L’examen neuromusculaire sera particulièrement attentif à la recherche
d’une diminution des amplitudes
articulaires, des réflexes ostéotendineux et cutanés abdominaux, d’un
trouble de la sensibilité ou de la force
musculaire. Seront de même étudiés
l’équilibre unipodal et la marche sur
les pointes et les talons.
L’examen du rachis doit être
complet :
✓ statique globale du rachis : sur un
bassin équilibré, de face (équilibre
des épaules, des omoplates, symétrie des plis de taille, gîte frontal) et
mesure des flèches de profil ;
✓ mobilité globale : antéflexion,
extension, latéroflexion et rotations,
qui peuvent être douloureuses et/ou
limitées. Il est utile de reporter les
résultats de cet examen sur un
schéma en étoile. On mesurera le test
de Schöber, pathologique en deçà de
3 cm ;
✓ recherche de gibbosités lors de
l’antéflexion, témoins d’une scoliose ;
✓ examen segmentaire : recherche
d’une hypomobilité localisée, d’une
douleur articulaire postérieure, épineuse ou interépineuse, en pression
directe ou en rotation segmentaire ;
✓ examen des tissus mous du tronc
et des membres : recherche d’une
cellulalgie, des cordons myalgiques,
des points gâchettes (trigger points)
et des douleurs d’insertion ténopériostées ;
✓ examen des sacro-iliaques : recherche d’une douleur provoquée en
flexion-abduction-rotation externe,
ou d’une hypomobilité sacro-iliaque.
L’examen général sera terminé par
la recherche d’une hypotension
orthostatique et de signes en faveur
d’une origine organique. Ainsi,
Hollingworth a proposé un ensemble
de signes cliniques qui doivent faire
évoquer une origine organique des
douleurs (9) :
– âge inférieur à 4 ans,
– symptômes évoluant depuis plus
de un mois ou douleur augmentant
progressivement ;
– retentissement sur la vie sociale et
la pratique du sport ;
– histoire traumatique ou pratique
d’un sport violent ;
– présence de signes généraux (fièvre, amaigrissement, anorexie, etc.) ;
– présence d’une anomalie neurologique ;
– scoliose douloureuse ;
– raideur du rachis et/ou rétractions
musculaires des membres inférieurs ;
– cyphose angulaire, cyphose régulière non réductible ;
– anomalies cutanées du raphé
médian, fossette médiane, taches
cutanées, nævus, lipomes médians,
fistules borgnes, etc.
Song et al. (10) ont cherché à mettre
au point une liste de symptômes et
de signes cliniques “inappropriés”
qui orientent sur la non-organicité
de la douleur : absence de systématisation anatomique, simulation de
blocage des mouvements, réactions
hypertrophiées, symptômes inappropriés…
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Examens
complémentaires (11)
Aucun examen complémentaire n’est
nécessaire lorsqu’une anamnèse précise fait état d’un traumatisme mineur
récent et que l’examen clinique est
normal. Il convient de revoir l’enfant
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
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15 jours plus tard pour vérifier la disparition des symptômes. Les radiographies centrées sur la zone douloureuse, de face et de profil, et,
éventuellement, de trois quart pour la
charnière lombo-sacrée, sont indiquées dès que des signes physiques
mineurs (asymétrie rachidienne, brièveté des ischio-jambiers) existent sans
signes généraux. S’il y a des signes
généraux, le bilan doit comporter en
plus des radiographies, des examens
biologiques (numération formule sanguine, CRP, VS) et une scintigraphie
osseuse au Technétium99m. Celle-ci
permet d’obtenir des images du corps
entier en mettant en évidence les
zones atteintes d’infection, de tumeur
ou de lésion inflammatoire. En cas de
signes physiques majeurs, de déficit
neurologique ou d’anamnèse confuse
évoluant depuis plusieurs semaines,
ce bilan sera complété par une IRM
et/ou une TDM.
En cas de suspicion de maladie rhumatismale, on fera un dosage des facteurs antinucléaires, des facteur rhumatoïdes et du HLA B-27 ainsi
qu’un examen ophtalmologique à la
lampe à fente afin de rechercher une
uvéite antérieure.
Le scanner et l’IRM ne se justifient
pas en l’absence de signes cliniques
ou radiologiques nets (7).
Les douleurs
symptomatiques
d’une affection organique
Le rachis est une structure complexe,
multitissulaire, et l’origine d’une
douleur vertébrale peut être variée :
mécanique, inflammatoire, tumorale,
neurologique, hématologique ou
musculaire. La moitié des rachialgies aurait une étiologie organique
(9). Il faut donc s’acharner à dépister une étiologie à la douleur, afin de
proposer un traitement étiologique
adapté, s’il existe. Les étiologies les
plus fréquentes sont la cyphose de
Scheuermann, le spondylolisthésis,
les infections et les rachialgies méca-
130
niques. Les principales étiologies
organiques à évoquer et leurs caractéristiques sont résumées dans le
tableau.
Les douleurs non spécifiques
Appelées aussi “douleurs idiopathiques”, ces douleurs chroniques ou
récidivantes, pour lesquelles aucune
cause spécifique n’est retrouvée,
atteignent au moins 15 % des enfants
et des adolescents (12), toutes localisations confondues. Initialement
considérés comme bénins, ces syndromes sont d’abord traités par
quelques mesures simples telles que
prescrire des antalgiques appropriés
et rassurer l’enfant et sa famille. Un
certain nombre d’entre eux vont
pourtant développer un syndrome
douloureux “malin”, qui va se prolonger et avoir un retentissement
fonctionnel.
Du fait de leur fréquente coexistence,
il y a une nette similitude entre les différents types de douleurs chroniques
(douleurs abdominales, douleurs
musculo-squelettiques, céphalées,
fibromyalgie) (13, 14). De même, les
enfants douloureux chroniques sont
souvent fatigués, et il n’est pas possible de différencier une fibromyalgie d’un syndrome de fatigue chronique (15). La proportion d’entre eux
qui deviendront des adultes douloureux chroniques est difficile à estimer
du fait du peu d’études à long terme,
mais elle semble significative (8, 16,
17). Dans la littérature certains facteurs, intrinsèques et extrinsèques,
ont été montrés comme étant significativement associés aux douleurs
chroniques de l’enfant :
– facteurs intrinsèques : un seuil de
douleur bas (18), un mauvais
contrôle de la douleur et de mauvaises stratégies pour y faire face
(coping), en particulier les conduites
d’évitement (19), des inquiétudes
infondées quant aux performances
scolaires (20), une hypervigilance
envers la douleur qui est dramatisée
(21) et des tempéraments difficiles
(hyperactivité, anxiété, faible sociabilité) (22) ;
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
– facteurs extrinsèques : des expériences douloureuses antérieures, en
particulier dans la première enfance
(23), des agressions physiques ou
sexuelles (24), un modèle parental
déficient vis-à-vis des douleurs (20)
et des troubles du sommeil.
Dans la littérature les douleurs idiopathiques sont parfois nommées douleurs “somatoformes”, “psychogéniques” ou “hystériques”. Ces
appellations doivent être abandonnées, car elles laissent supposer que
la douleur est imaginaire ou “dans la
tête” de l’enfant. En outre, ces termes
suggèrent une approche des douleurs
chroniques par un modèle dualiste
(corps/esprit), alors que leurs causes
sont incertaines et qu’il semble plus
juste de proposer un abord global.
C’est la raison pour laquelle de plus
en plus d’auteurs utilisent le terme de
“biopsychosocial”, afin de décrire un
modèle d’étude qui prenne en compte
les aspects biologiques, psychologiques et socioculturels, qui sont tous
importants dans le domaine complexe des douleurs chroniques (2,
25). Il est néanmoins bien établi que
des facteurs psychologiques, en particulier du système émotionnel, sont
en rapport étroit avec l’intensité douloureuse, le retentissement fonctionnel et la persistance de la douleur
(26). Du point de vue de la psychosomatique, la question est de savoir
de quoi l’enfant se plaint à travers son
corps (27). La douleur est un symptôme qui est là pour être dit. Elle peut
cacher des difficultés personnelles,
être un moyen d’attirer l’attention ou
de réunir la famille, ou encore une
manifestation du besoin d’être pris
en considération dans sa souffrance.
Dans certains cas, la douleur est le
signe d’une souffrance et de difficultés familiales qui ne trouvent pas
d’autres voies d’expression. La
plainte peut aussi cacher des non-dits
dans l’histoire personnelle et familiale de l’enfant.
L’examen clinique met le plus souvent
en évidence des zones plus ou moins
étendues de douleurs et de tensions
musculaires, réalisant au maximum un
tableau dit “de fibromyalgie” (3).
Tableau. Étiologies des rachialgies organiques.
Traumatiques
et microtraumatiques
Infectieuses
De croissance
Spondylolyse et spondylolisthésis
Cause très fréquente de lombalgies mécaniques chez l’enfant. Favorisé
par les sports avec hyperextension du rachis lombaire. Le signe clinique
le plus fréquent est une brièveté des ischio-jambiers.
Les signes neurologiques sont rares et tardifs
Hernie discale
Rare. Le plus souvent, le tableau est incomplet, avec parfois une irradiation
sciatique tronquée, le signe de Lasègue souvent positif, et la posture
asymétrique. L’IRM doit être interprétée avec prudence, car il y a un taux
élevé d’images anormales chez les adolescents asymptomatiques
Arrachement du listel marginal
Pathologie de l’adolescent, lors d’un accident sportif ou du port d’une charge.
Le tableau est aigu et “bruyant” : le traitement est chirurgical
Spondylodiscite,
ostéomyélite vertébrale
Le plus souvent staphylococcique, le tableau général est celui d’une infection,
avec un refus de la position assise chez le nourrisson et un refus de la marche
chez l’enfant. Le diagnostic repose sur les examens biologiques
et la scintigraphie (et/ou IRM)
Mal de Pott
Rare, le tableau est moins “bruyant”, et les destructions osseuses
peuvent être importantes
Dystrophie rachidienne
de croissance (maladie de
Scheuermann)
Cause très fréquente de dorsalgies mécaniques et de cyphose
régulière. Le diagnostic est radiographique (dystrophie
des plateaux, hernies intraspongieuses et marginales antérieures).
Ces signes radiographiques sont présents chez 50 % des enfants
asymptomatiques et chez 30 % des adultes
Scoliose
Il est de règle de dire qu’une scoliose est indolore et que, en cas contraire, il faut
évoquer une scoliose secondaire et pratiquer des examens complémentaires
(scintigraphie, IRM). Les douleurs mécaniques ou liées au traitement
par corset sont tout de même fréquentes
Ostéome ostéoïde
et ostéoblastome
Douleurs à recrudescence nocturne, parfois calmées par l’aspirine. La moitié
des douleurs a des irradiations radiculaires. La localisation la plus fréquente est
postéro-latérale, mais la douleur peut envahir le pédicule, l’articulaire ou le corps
vertébral. Le diagnostic repose sur la scintigraphie et la TDM :
le traitement est chirurgical
Kyste anévrismal
Touche habituellement l’adolescent. Les signes peuvent être la douleur,
une scoliose indolore, une limitation des mouvements. Le kyste touche le plus
souvent les éléments postérieurs, parfois sur plusieurs vertèbres adjacentes
et les côtes. Une compression médullaire peut exister. La radiographie
montre un kyste soufflant les corticales traversé de fines trabécules.
La scintigraphie fixe, le meilleur examen étant l’IRM.
Le traitement chirurgical doit être précédé d’une embolisation
Granulome éosinophile
Touche surtout l’adolescent. De localisation surtout dorsale,
évoluant depuis quelques semaines. L’atteinte neurologique est
rare. Les radiographies montrent une zone d’ostéolyse bien
circonscrite, avec souvent un effondrement vertébral (vertebra
plana). En cas d’atteintes multiples, cela évoque une histiocytose X
Sarcome d’Ewing
Tumeur maligne la plus fréquente du rachis. Elle peut mimer une infection
avec douleur, fièvre et hyperleucocytose. Les radiographies montrent un aspect
d’os mité
Lymphome
Les lymphomes primaires peuvent envahir la colonne, et les lymphomes
hodgkiniens peuvent y métastaser
Neuroblastome
Tumeur maligne la plus fréquente chez le petit enfant, elle métastase souvent
au rachis. Une hémoglobine inférieure à 10 g est un signe biologique important
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Tumorales
✓ Tumeurs bénignes
✓ Tumeurs malignes
✓ Tumeurs
intrarachidiennes
Neurofibrome, astrocytome, lipome, Moins fréquentes, 70 % sont bénignes et de croissance lente, avec apparition
kystes dermoïde
progressive des douleurs et des signes neurologiques ; 40 % se présentent
avec des rachialgies irradiant aux dermatomes correspondants. Les autres
se caractérisent par des difficultés à la marche, des déformations des membres
.../...
ou des pieds
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
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.../...
Mécaniques
(dérangement
intervertébral mineur
et trigger points)
Syndrome de la charnière thoracolombaire
Typiquement, douleur lombo-fessière ou thoraco-lombaire unilatérale (parfois
de l’aine ou à la fosse iliaque), cellulalgie T11 T12, face latérale de la cuisse
et abdomen (ilio-hypogastrique), point de crête postérieur homolatéral
Syndrome de l’angulaire
de l’omoplate
Douleurs de l’angle supéro-interne de l’omoplate ou cervicalgie, en rapport
avec une contracture du levator scapulae. L’étiologie est souvent
une dysfonction C3-C4
Algie interscapulaire
d’origine cervicale
Douleur interscapulaire avec, à l’examen, un point précis sur la face latérale
de l’épineuse de T4 (insertion du splénius), cellulalgie de la fosse sous-épineuse,
en rapport avec une dysfonction C5-C6 ou C6-C7
Dorsalgie d’origine costo-vertébrale
(“entorse costale”)
Concerne les 11es et 12es côtes, à la suite d’un faux mouvement en rotation
Dysfonction sacro-iliaque
Blocage ou pseudo-blocage de l’articulation responsable de lombalgie
ou de fessalgie
Dorsalgie et lombalgie musculaires
Travell et Simons ont élaboré un système d’interprétation des douleurs
mécaniques de l’appareil locomoteur fondé sur l’origine myofasciale
des douleurs, avec présence d’un trigger point qui déclenche la douleur
à distance dont se plaint le patient
Inflammatoires
Spondylarthropathies
Les rachialgies d’horaire inflammatoire sont rarement le premier signe, mais il
faut y penser en cas d’oligoarthrite des membres inférieurs, d’enthésopathies,
de psoriasis, de colite inflammatoire, d’uvéite, d’histoire familiale. La plupart
sont HLA-B27 positifs
Malformations
vertébrales
Mégatransverse de L5
Absence congénitale d’un pédicule
Canal étroit congénital
Autres
Rétropéritonéale
Ostéomyélite chronique multifocale
Thoracique
Ostéoporose juvénile idiopathique
Fibrodysplasie ossifiante
Cushing
La prise en charge
thérapeutique des rachialgies
non spécifiques
Très souvent, l’enfant et sa famille
ont derrière eux un long parcours de
consultations et d’examens complémentaires, et ils sont fréquemment
anxieux, frustrés, voire agressifs, car
il n’y a ni diagnostic clair, ni traitement spécifique pour la douleur.
Dans ce contexte, la multiplication
des examens complémentaires a un
effet délétère, car elle conforte le
patient dans l’idée que l’on “n’arrive
pas à savoir ce qu’il a”, et cela retarde
d’autant l’amorce du processus de
guérison.
L’approche thérapeutique de ces
patients est vouée à l’échec si elle se
cantonne à une approche discipli-
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Hydronéphrose, pyélonéphrite, abcès du psoas
Pneumonie, tumeurs
naire donnée (physique ou psychologique). Il s’agit moins de “guérir”
l’enfant de ses douleurs que de l’aider à développer des voies de
contrôle et d’autogestion, de favoriser un travail sur le symptôme, pris
comme une partie de soi qui cherche
à se faire entendre.
Très souvent, l’enfant et sa famille ne
voient ou n’acceptent pas la dimension psychique d’une symptomatologie qui fait souffrir “dans le corps”.
Celui-ci ne doit donc pas être abordé
sous l’angle du “corps-objet à réparer”, mais comme étant l’expression
de la personne tout entière.
Rôle de l’écoute
Prendre le temps d’écouter l’enfant
parler non seulement de son symptôme, mais aussi de sa vie est d’une
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importance centrale pour lui permettre de cheminer vis-à-vis de sa
souffrance. La douleur est un symptôme qui n’est pas là sans raison,
mais pour être dit. Cette plainte doit
être entendue et replacée dans le
contexte et dans le processus de
développement de l’enfant (structuration, maturation, identification) et
de ses relations avec l’entourage.
Comme aux autres âges de la vie, la
plainte peut aussi être entendue
comme appel à être (“j’ai mal donc
je suis”) ou comme appel à l’autre
contre l’angoisse d’abandon (27).
Les traitements médicamenteux
antalgiques
De palier I ou II, ils sont adaptés à la
symptomatologie et aux besoins
propres à chaque cas particulier. On
utilisera généralement la voie entérale et on évitera autant que possible
les effets indésirables. Les doses utilisées doivent être suffisantes. Pris
seuls, ces médicaments sont souvent
inefficaces sur les douleurs chroniques. Ce sont le paracétamol
(15 mg/kg/6 h) et les AINS pour les
antalgiques non-opioïdes, la codéine
(1 mg/kg/6 h) et le tramadol pour les
antalgiques opioïdes faibles. Les
morphiniques seront évités dans les
douleurs non spécifiques en raison
du risque toxicomanogène.
Les psychotropes sont utilisés
comme coanalgésiques. Ces classes
médicamenteuses (antidépresseurs,
anxiolytiques, thymorégulateurs et
neuroleptiques) ont été initialement
développées pour d’autres indications que la douleur chronique. Leurs
propriétés antalgiques ont été découvertes de façon plus ou moins fortuite. Trois produits seulement ont
une AMM pour les douleurs chez
l’adulte : l’imipramine et l’amitriptyline pour les algies rebelles d’une
part, et le tétrazépam pour le traitement d’appoint des contractures
musculaires d’autre part. En réalité,
beaucoup d’autres psychotropes sont
utiles dans cette indication. Les douleurs chroniques entraînent très souvent une inhibition avec ralentissement thymique et intellectuel, et une
tendance au repli sur soi, donc un
isolement, une autodépréciation, une
irritabilité et une culpabilité, comme
dans les syndromes dépressifs. Un
syndrome dépressif vrai s’installe
fréquemment, d’autant plus que la
symptomatologie douloureuse est
importante.
Chez l’enfant, on utilise principalement :
✓ les antidépresseurs tricycliques :
malgré leur ancienneté, ils restent
d’un intérêt majeur. Leur effet repose
sur leur action sérotoninergique.
Leurs effets indésirables anticholinergiques, oculaires ou cardiologiques sont très variables. Sur le plan
clinique, l’intérêt d’un produit plus
ou moins sédatif est utile à connaître.
En effet, chez un patient anxieux et
insomniaque, il est nettement préfé-
rable d’utiliser un antidépresseur
sédatif (Laroxyl® par exemple), plutôt qu’un stimulant associé à un tranquillisant et à un hypnotique. La clopramine (Anafranil®) est plutôt
neutre, l’imipramine (Tofranil®) stimulante ;
✓ les anxiolytiques : le clonazépam
(Rivotril®) est très utilisé malgré l’absence d’étude contre placebo. Sa
forme en goutte est utile, et c’est également un produit sédatif.
Les thérapies cognitivocomportementales
Il existe maintenant des arguments
solides en faveur de l’efficacité de
ces approches chez l’enfant (28, 29).
Cette approche devrait donc être
développée, mais peu de psychologues sont spécialisés dans ce
domaine chez l’enfant.
✓ L’hypnose (30) est de plus en plus
employée pour la prise en charge de
la douleur. L’état hypnotique commence par une relaxation physique et
mentale, associée à une focalisation
sur un ou plusieurs objets réels ou
imaginaires. L’enfant passe alors
d’une forme active de concentration
à une forme plus détendue, passive,
dans laquelle apparaît une absence
de jugement ou de censure, une suspension d’orientation de lieu ou du
temps et une expérience de réponses
quasi automatiques. Cet état facilite
l’incorporation de suggestions hypnotiques, dont celles de l’analgésie.
L’enfant adhère bien plus facilement
à ces techniques que l’adulte. Au
cours de la prise en charge du patient,
il est indispensable que celui-ci
apprenne l’autohypnose afin de pouvoir l’utiliser à tout moment lors
d’une crise douloureuse ou dès qu’il
en aura besoin. Il est donc nécessaire
de l’informer que l’hypnose nécessite un apprentissage et que plus il
utilisera cette technique, plus elle
deviendra efficace rapidement.
✓ Les thérapies à médiation corporelles sont très utiles, en particulier
pour les enfants qui ne veulent ou ne
peuvent pas encore appréhender la
dimension psychologique de la douleur.
Le type le plus utilisé chez l’enfant
est la relaxation. Il en existe beaucoup d’autres, tels que le jeu de rôle,
la Gestalt-thérapie, les thérapies
émotionnelles, l’analyse bioénergétique, etc.
✓ La psychothérapie analytique :
elle peut être proposée lorsqu’il y a
une demande de la part de l’enfant,
comme suite d’une thérapie à médiation corporelle.
✓ Les thérapies alternatives et complémentaires (31) sont très utiles
comme alternatives (ou compléments) au traitement médicamenteux. Parmi celles-ci, on peut retenir, entre autres, la neurostimulation
transcutanée (TENS), les massages
et la médecine manuelle, l’acupuncture, les thérapies “corps-esprit”
comme la méditation.
Mise au point
Mise au point
Conclusion
Face à une rachialgie de l’enfant ou
de l’adolescent, le médecin doit
d’abord s’acharner à dépister une
douleur symptomatique. L’interrogatoire et l’examen clinique sont la
clef de voûte de la démarche diagnostique. Les douleurs symptomatiques doivent conduire à un diagnostic étiologique et à un traitement
spécifique. Les douleurs non spécifiques sont d’origine plus complexe
et réclament une approche multidisciplinaire. Dans tous les cas, la prise
en charge doit se faire en prenant en
compte l’enfant dans sa globalité.
Aucune facette de sa réalité de sujet
(biologique, psychologique, affective, spirituelle) ne peut être séparée
de l’unité insaisissable qu’est une
■
personne.
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Résumé/Summary
Rachialgies de l’enfant et de l’adolescent
Les rachialgies de l’enfant sont très fréquentes et la première mission du médecin est
de différencier une douleur symptomatique d’une maladie organique d’une douleur
non spécifique.
Les douleurs spécifiques ont le plus souvent une topographie de schématisation anatomique et sont d’horaire mécanique ou inflammatoire. Le diagnostic étiologique doit
être le plus précis possible afin d’appliquer le traitement adapté.
Les douleurs non spécifiques sont fréquemment bilatérales, diffuses, chroniques,
constantes, c’est-à-dire influencées par rien sinon la fatigue et le stress. Il s’agit le plus
souvent de cervico-dorsalgies, de lombalgies ou d’un tableau diffus de fibromyalgie.
L’origine de ces douleurs est complexe et elles doivent être étudiées d’un point de vue
multidisciplinaire, incluant des facteurs “biopsychosociaux”, culturels, éducatifs et en
les intégrant dans le processus général d’apprentissage de l’enfant.
Back pain in children and teenagers
Back pain is frequent in children and the first thing the physician must do is to make
the difference between non specific pains and pain due to an organic disease.
Specific pains often have a systematized anatomic topography and appear with a certain timing, either mechanical or inflammatory. The cause of the pain must be identified in order to apply a specific treatment.
Non specific pains are often bilateral, diffuse, chronic and constant, little influenced by
factors other than stress and fatigue. Very often these pains are localized in the cervicodorsal, or lumbar area, or can be more diffuse like fibromyalgia. Their origin is complex and a multidisciplinary approach is necessary including “biopsychosocial”, cultural, educational factors and integrating these in the child’s general learning process.
Keywords: Back Pain - Child - Chronic Pain - Treatment.
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
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