M I S E A U P O I N T Le traitement de la maladie de Horton et de la pseudopolyarthrite rhizomélique Treatment of giant-cell arteritis and polymyalgia rheumatica ! M. De Bandt* P o i n t s f o r t s " Dans la maladie de Horton, la corticothérapie est indispensable, mais responsable de nombreux effets indésirables. Il est probable que les doses initiales que nous utilisons sont trop fortes, et les travaux montrent tous une tendance généralisée à la baisse de la posologie initiale (0,5 à 0,7 mg/kg/j). " Il est tout à fait possible de guérir d’authentiques maladies de Horton avec une corticothérapie de 6 à 12 mois seulement. " Il manque actuellement les critères précis de rémission de la maladie, et, encore plus important, des critères précis de rechute : on ne doit plus majorer systématiquement la dose des corticostéroïdes sur une simple élévation de la VS. Cela explique probablement les durées excessives de la corticothérapie chez certains patients. " Il est possible que, à terme, de nouveaux marqueurs d’activation endothéliale puissent apporter un plus en ce domaine. .../... " Traiter systématiquement avec de l’aspirine pourrait être bénéfique en termes de réduction des accidents occlusifs vasculaires, bien qu’il n’y ait aucune étude absolument formelle en ce domaine. " Dans la PPR, la réponse à la corticothérapie est un critère diagnostique. Une corticothérapie initiale faible (0,2 mg/kg) est le plus souvent suffisante. Mots-clés : Maladie de Horton - Pseudopolyarthrite rhizomélique - Corticothérapie. Keywords : Giant cell arteritis - Polymyalgia rheumatica - Corticotherapy. A ffection de pratique rhumatologique courante, la maladie de Horton pose deux questions thérapeutiques d’actualité : quelle est la dose et quelle est la durée optimale de la corticothérapie ? Y a-t-il une possibilité d’épargne stéroïdienne ? " Aucun argument ne justifie (en dehors de tra- vaux de recherche) l’utilisation du méthotrexate (MTX) dans le traitement de l’affection. Les travaux d’avenir testeront probablement des doses de stéroïdes plus faibles en traitement d’attaque, en association avec une forte dose initiale de MTX, afin de dégager un éventuel bénéfice de celui-ci. .../... * Service de rhumatologie, hôpital Bichat, Paris. 14 GÉNÉRALITÉS La maladie de Horton est une vascularite inflammatoire de l’adulte de plus de 50 ans, de cause inconnue. Il est admis que le traitement de la maladie impose une corticothérapie à forte doses et au long cours (1, 2). La mortalité et la morbidité de l’affection (et de son traitement) sont importantes, en partie La Lettre du Rhumatologue - n° 292 - mai 2003 M I S E A U P O I N T liées au traitement, et justifient la validation de nouvelles approches thérapeutiques visant à raccourcir la durée de traitement et/ou la dose de corticoïdes grâce à l’emploi d’un épargneur de stéroïdes. TRAITEMENT DE LA MALADIE DE HORTON La maladie de Horton est une entité classée parmi les vascularites inflammatoires non nécrosantes du sujet âgé, associant des signes encéphaliques, des signes vasculaires locaux, une possible atteinte rhumatologique des ceintures et un syndrome inflammatoire. La maladie est fréquente entre 70 et 80 ans. Son incidence est de l’ordre de 10 à 20 personnes pour 100 000 habitants (tous âges confondus), et certains auteurs avancent les chiffres de 100 à 200 pour 100 000 habitants de plus de 50 ans. Il existe une prédominance du sexe féminin, avec un sex-ratio de 2/4 à 2/7. On connaît aussi un gradient nord/sud de la maladie. Qu’entend-on par fortes doses ? La gravité de la maladie tient à plusieurs faits, en particulier la possibilité de développer une complication vasculaire oculaire (cécité en particulier), dont la fréquence oscille entre 21 et 71 % selon les séries. Cette disparité tient au mode de recrutement des séries. La fréquence des cécités est en très nette régression depuis l’introduction de la corticothérapie. La fréquence des complications oculaires (tout-venant) est passée de 45 % avant l’introduction de la corticothérapie à moins de 8 % actuellement. La morbidité de la maladie est importante (en dehors de l’atteinte oculaire) et tient pour partie à ses complications (complications artérielles périphériques), mais surtout aux complications de la thérapeutique (infections favorisées par la corticothérapie, ostéoporose induite, fractures osseuses, hypertension artérielle induite et/ou aggravée, diabète insulinodépendant de novo et/ou aggravé…). Leur fréquence respective est difficile à chiffrer. Les incidents mineurs seraient observés avec une fréquence de 14 à 63 % selon les séries, et les événements majeurs dans des proportions moyennes de 35 à 65 % des patients la première année. En cas de corticorésistance, demandant une majoration des doses, la fréquence des complications est encore plus importante et dépasse 70 %. La mortalité de l’affection est variable, entre 4,3 % et 35,3 % selon les séries. Elle tient en partie aux accidents vasculaires cérébraux et coronariens. De manière schématique, les travaux antérieurs à 1985, et en particulier ceux de la Mayo Clinic, ne faisaient pas état d’une surmortalité (par rapport à une population du même âge) au cours de la maladie, alors que les travaux récents, en particulier suédois, insistent sur cette augmentation de la mortalité. De ces études, il ressort que la mortalité observée au cours des 4 premiers mois de la maladie est de 1,5 à 4 fois supérieure à celle d’une population témoin. Passé ce délai, le risque redevient identique à celui de la population générale. La Lettre du Rhumatologue - n° 292 - mai 2003 Le traitement de la maladie de Horton fait appel à la corticothérapie dite “forte et au long cours”. Il s’agit de doses variant entre 0,7 et 1,5 mg/kg/j, maintenues un laps de temps variable, mais généralement jusqu’à la normalisation des signes biologiques. Plusieurs schémas sont proposés. En France, par exemple, le schéma le plus commun comporte une dose de 0,7 à 1 mg/kg/j, maintenue jusqu’à la normalisation des signes biologiques (environ un mois), puis une phase de décroissance rapide de 10 % par semaine jusqu’à une dose correspondant à la moitié de la dose initiale (0,35 à 0,4 mg/kg/j), puis une phase de plateau de durée variable (entre 3 et 6 mois), puis une reprise avec une décroissance lente de 1 mg tous les 15 jours. Des schémas utilisant des doses plus faibles sont aussi utilisés (0,5 mg/kg/j). Le schéma de la Mayo Clinic est différent et comporte une dose d’attaque moyenne de 40 mg/j, pendant 5 jours, réduite ensuite à 15 ou 20 mg à la fin du premier mois. Cette posologie et cette décroissance rapide autorisent en fin de compte des doses cumulées bien plus faibles que celles utilisées en France. Des travaux font état, cependant, de l’efficacité de doses de stéroïdes plus faibles encore pour juguler la maladie ; ainsi, des doses de 20 mg/j sont efficaces pour certaines équipes, sans que la morbidité ou la mortalité ni le taux de rechute ou d’échappement soient supérieurs à ceux des séries utilisant des doses plus fortes. La seule différence, notée par certains, serait une petite élévation du taux de rechute par rapport aux séries utilisant des doses plus fortes, mais, dans tous les cas, une réponse est obtenue avec une majoration transitoire des corticoïdes. L’utilisation de bolus de stéroïdes en phase initiale du traitement ne permet pas, semble-t-il, d’apporter un progrès, comme l’a montré une étude française... # Il n’y a en fait actuellement aucun consensus sur la dose de corticoïdes à utiliser pour traiter la maladie. Qu’entend-on par traitement au long cours ? Il n’y a pas de durée idéale théorique du traitement, qui est très variable en pratique. En moyenne, et quel que soit le schéma thérapeutique utilisé, 73 % des patients reçoivent au bout d’un an de traitement une dose voisine de 8,2 mg/j (écarts 5 à 15). La durée totale de la corticothérapie est plus longue en Europe qu’aux États-Unis : avec, en moyenne, 30 % de patients sevrés à deux ans en Europe contre 75 % aux États-Unis. Cette durée de la corticothérapie s’explique par le risque de rechute de la maladie. Ce taux de rechute, fluctuant selon les séries, est situé entre 4 et 70 %. Les définitions de la rechute, très variables selon les équipes, expliquent ces différences ; tous les auteurs s’accordent, toutefois, pour noter une forte incidence des rechutes pendant la première année de traitement. Il faut savoir que de très nombreuses rechutes ne sont “que biologiques”, c’est15 M I S E A U P O I N T à-dire sans aucun signe clinique (simple majoration des paramètres biologiques de l’inflammation), et l’habitude de majorer la corticothérapie de façon systématique devant une accélération isolée de la VS est très certainement contestable. hyperinflammatoires d’emblée ? Les formes avec rechutes ? Les formes corticodépendantes ? Les formes avec complications multiples des corticoïdes (diabète, HTA, ostéoporose…) ? Les formes avec atteintes vasculaires périphériques ? Épargne stéroïdienne : est-ce possible ? Autres traitements L’idée d’une possible épargne stéroïdienne est soulevée de longue date et soutenue par l’expérience obtenue dans les autres vascularites systémiques. L’introduction du cyclophosphamide, de l’azathioprine ou du méthotrexate a radicalement modifié le pronostic d’autres vascularites systémiques, et en particulier de celle qui s’approche le plus de la maladie de Horton : la maladie de Takayasu. Des tentatives d’épargne au cours de la maladie de Horton ont été menées avec diverses molécules, sans grand succès à l’heure actuelle. Citons entre autres les essais de disulone, qui montrent un effet bénéfique en termes d’épargne stéroïdienne, avec une tendance à un moindre nombre de rechutes dans le groupe disulone, mais au prix d’effets indésirables graves et intolérables, et les essais avec le Plaquenil®, sans bénéfice réel. Des tentatives de traitements combinés par le méthotrexate (MTX) ont été proposés sans qu’une conclusion formelle puisse se dégager, ce qui tient au petit nombre des effectifs inclus, à l’absence de groupe contrôle ou encore au mélange de pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR) avec des maladies de Horton authentiques. La critique principale que l’on peut faire à tous ces travaux est surtout l’utilisation d’une trop forte dose de stéroïdes, empêchant probablement de détecter tout effet du MTX dans ce cas. Trois études récentes étudiant l’effet bénéfique de l’association du MTX à une corticothérapie sont parues et relancent le débat (3-5). Bien que donnant des résultats contradictoires et n’apportant aucune conclusion définitive, ces études sont intéressantes par certaines conclusions annexes ; en particulier, le MTX est bien toléré chez ces patients âgés, et il est possible de guérir d’authentiques maladies de Horton avec un traitement cortisonique de 6 mois seulement. Les voies d’avenir Quelques observations de traitement de formes rebelles de maladie de Horton par l’infliximab (anticorps anti-TNF) sont publiées dans la littérature (6). Il s’agit de 5 patients, l’expérience est donc limitée ; cependant, les informations fournies sont intéressantes. Il s’agit de maladies de Horton compliquées d’effets indésirables graves de la corticothérapie, ou encore de formes rebelles avec rechutes multiples lors de tentatives de sevrage. Les rechutes sont définies par la présence d’une majoration des signes biologiques inflammatoires, plus au moins un signe clinique nouveau. Les anti-TNF permettent de “passer un cap” et de baisser la corticothérapie dans un délai rapide de 6 semaines. Si leur intérêt est indéniable, il faut définir plus précisément leur place dans l’arsenal thérapeutique et répondre à de nombreuses questions préalables avant de diffuser leur usage : les anti-TNF, pour quels patients ? Les formes 16 La prévention de la perte osseuse s’impose de façon systématique. Compte tenu de l’âge des patients, mais aussi des doses de stéroïdes utilisées et de la durée du traitement, on utilisera de façon conjointe un apport vitamino-calcique et un inhibiteur de la résorption osseuse. Faut-il donner systématiquement de l’aspirine aux patients souffrant de maladie de Horton pour prévenir les complications oculaires (7) ? Des résultats probants sont obtenus chez l’animal, mais aucun travail n’avait montre l’intérêt d’une telle attitude chez l’homme. L’analyse (certes rétrospective) d’une cohorte espagnole de 175 malades souffrant d’artérite giganto-cellulaire apporte un début de réponse. Au début de leur corticothérapie, 21 % des patients reçoivent de l’aspirine (100 mg/j). Des accidents vasculaires surviennent chez 43 patients de la cohorte (11 fois un AVC, 30 fois une occlusion de l’artère centrale de la rétine, 2 fois les deux simultanément). La fréquence des accidents dans le groupe sous aspirine est de 8 % contre 30 % dans le groupe sans aspirine (p < 0,02), suggérant le bien-fondé d’une telle conduite. Aucun travail ne démontre l’intérêt d’un traitement anticoagulant systématique au début du traitement. TRAITEMENT DE LA PSEUDOPOLYARTHRITE RHIZOMÉLIQUE La pseudopolyarthrite rhizomélique (PPR) est une affection rhumatologique inflammatoire fréquente du sujet âgé. Son diagnostic reste cependant d’exclusion et nécessite d’avoir éliminé au préalable un certain nombre d’affections pouvant la mimer (tableau I). Tableau I. Affections à éliminer avant de retenir le diagnostic de PPR. Maladie musculaire $ myopathie des ceintures $ pathologie musculaire toxique ou médicamenteuse Endocrinopathie : dysthyroïdie (hypo- ou hyperthyroïdie) Affection métabolique, hyperparathyroïdie, carence en vitamine D Ostéose métastatique (myélome ou cancer de la prostate) Rhumatisme à cristaux (chondrocalcinose, dent couronnée) PR à début proximal Spondylarthropathie du sujet âgé Rares PPR paranéoplasiques vraies De plus, toute évolution atypique d’une “PPR”, malgré une petite corticothérapie, demande à réévaluer le diagnostic initial. La Lettre du Rhumatologue - n° 292 - mai 2003 M I S E A U P O I N T L’EULAR a donc revisité récemment les critères de diagnostic de la pseudopolyarthrite rhizomélique (tableau II). raison aux posologies plus fortes utilisées auparavant (0,5 mg/kg/j). Tableau II. Critères diagnostiques de l’EULAR pour la pseudopolyarthrite rhizomélique. Des critères de réponse ont été proposés par l’EULAR. Parmi les divers critères évalués (VS, CRP, alphaglobulines, EVA, fer sérique, dérouillage matinal, mesure de l’élévation globale des membres supérieurs sur une échelle de 0 à 3, douleurs musculaires spontanées et provoquées), cinq critères ont été retenus en fin d’analyse. Ce sont : l’EVA (activité de la maladie mesurée par le patient), la CRP ou la VS, la durée de la raideur matinale, l’élévation globale des membres supérieurs et l’appréciation globale du clinicien. Il faut que trois de ces mesures s’améliorent de 50 % pour parler de réponse thérapeutique. – Douleurs et/ou raideur de deux épaules (bilatéralité impérative) – Tableau installé rapidement, en moins de deux semaines – VS supérieure à 40 à la première heure – Raideur matinale de plus d’une heure – Âge de plus de 65 ans – Dépression et/ou perte de poids – Douleur à la pression des masses musculaires scapulaires Pour tous les auteurs, il est apparu évident qu’un critère supplémentaire devait être ajouté, à savoir l’efficacité spectaculaire et rapide des corticoïdes, provoquant une résolution rapide (moins de 3 jours) et totale des signes cliniques. Au total, satisfaire 4 des 7 critères de Bird, plus le critère thérapeutique, permet de retenir le diagnostic de PPR avec une très forte sensibilité. Même si des défauts méthodologiques entachent ce travail (en particulier, il n’y a aucun critère concernant la ceinture pelvienne ni aucun critère d’exclusion strict), ces critères ont actuellement le mérite d’exister et d’être pratiques en clinique. Le traitement de la PPR est mal codifié, probablement parce que de nombreuses affections disparates, se présentant sous le masque d’une atteinte inaugurale des ceintures, reçoivent la dénomination de PPR. Le traitement classique de la PPR fait appel à la corticothérapie même si certaines équipes prônent l’usage des AINS seuls. Les posologies moyennes de stéroïdes, donnés dans la littérature et en traitement d’attaque, sont de l’ordre de 10 à 30 mg/j, avec une médiane située à 17,5. Il n’y aucune recommandation concernant la décroissance des doses ou la durée, mais 50 % des patients ont une réduction de ces doses d’attaque de l’ordre de 40 % à trois mois, la décroissance étant ensuite plus lente sur de nombreux mois. Plusieurs études menées depuis le début des années 90 confirment l’égale efficacité des posologies “basses” de corticostéroïdes (0,2 mg/kg/j) par compa- La Lettre du Rhumatologue - n° 292 - mai 2003 Il n’y a pas d’alternative thérapeutique aux corticoïdes qui soit validée pour le traitement de la PPR. La revue de la littérature portant sur les traitements épargneurs de stéroïdes (Plaquenil®, méthotrexate, azathioprine…) au cours de la PPR oblige à constater la cruelle pauvreté des travaux en ce domaine, l’absence de conclusion valide sur telle ou telle molécule et l’urgente nécessité de promouvoir des analyses cliniques prospectives en ce domaine. " Bibliographie 1. Barrier JH, Chevalet P, Liozon F. La maladie de Horton. In : Maladies et syndromes systémiques, Kahn MF ed, Flammarion Médecine Sciences, Paris, 2000 : 659-84. 2. Hoffman G. Treatment of vasculitis. Arthritis Rheum 1994 ; 37 : 578-82. 3. Juan Jover et al. Combined treatment of giant cell arteritis with methotrexate and prednisone. Ann Intern Med 2001 ; 134 : 106-14. 4. Spiera et al. A prospective double-blind randomized trial of methotrexate in the treatment of giant cell arteritis. Clin Exp Rheumatol 2001 ; 19 : 495-501. 5. Hoffman GS et al. A multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled trial of adjuvant methotrexate treatment for giant cell arteritis. Arthritis Rheum 2002 ; 46 : 1309-18. 6. Cantini F et al. Treatment of longstanding active giant cell arteritis with infliximab ; report of four cases. Arthritis Rheum 2001 ; 44 : 2933-5. 7. Weyand C et al. Therapeutic effects of acetylsalicylic acid in giant cell arteritis. Arthritis Rheum 2002 ; 46 : 457-66. 17