Hypertension - R. Asmar H 29/04/04 16:28 Page 8 Y P E R T E N S I O N Les nouvelles réglementations sur l’utilisation du mercure vont-elles modifier les pratiques de la mesure de la pression artérielle ? ● Pr R. Asmar* L les sphygmomanomètres et les amalgames dentaires. Les pathologies imputables au mercure font partie des premières ayant figuré au tableau des maladies professionnelles indemnisables. Suite à cette prise de conscience, plusieurs directives européennes et nationales ont été émises et diverses actions entreprises pour réglementer, limiter son usage (même en médecine) et encourager sa substitution : – Directives européennes portant sur les exigences générales et particulières des normes techniques des tensiomètres non invasifs (5). – Interdiction dans certains pays européens, et notamment en Suède, conformément au code suédois SFS 1991 : 1290, “ordonnance sur certains produits contenant du mercure” ; l’importation, la fabrication pour des activités commerciales et la vente des tensiomètres contenant du mercure sont prohibées depuis le 1er janvier 1993. Dans plusieurs autres pays où l’interdiction n’est pas encore effective à cette date, des notes d’information portant sur la toxicité du mercure, les précautions dont il faut s’entourer pour sa mani- e 10 décembre 1896, Scipione Riva-Rocci (1863-1939), médecin de l’université de Turin, publia le premier d’une série de quatre articles dans la Gazetta Medica di Torino (1) : les deux premiers concernaient un nouveau sphygmomanomètre, les autres portaient sur la technique de mesure. La mesure sphygmomanométrique de la pression artérielle (PA) était née, bien que la détermination de la PA systolique et diastolique à l’aide de la méthode auscultatoire n’ait été décrite par Nicolai Korotkoff qu’en 1905. En décembre 1996, la Société Française d’Hypertension Artérielle célébra le centenaire de Riva-Rocci et publia l’ouvrage “Impressions artérielles - Cent ans d’hypertension artérielle, 1896-1996” (2). En décembre 1997, le Groupe de Mesure et Évaluation, en collaboration avec le Comité Français de Lutte contre l’Hypertension Artérielle, publia le livre “La pression artérielle Mesures... et recommandations” (3). Ironie du sort, parallèlement à ce centenaire, nous assisterons vraisemblablement avant la fin du siècle au remplacement du sphygmomanomètre à mercure, élément fondamental de la technique auscultatoire RivaRocci/Korotkoff. En effet, plusieurs éléments laissent présager ce changement : – l’emploi du mercure serait très limité, voire interdit (4) ; – d’autres appareils fiables sont disponibles et l’utilisation des appareils automatiques est de plus en plus fréquente ; – l’application de méthodes réalisées loin du milieu médical, telles que l’automesure ou la mesure ambulatoire pendant 24 heures, ouvre de nouvelles perspectives, que la seule mesure ponctuelle en clinique n’appréhendait pas. Le mercure présente une toxicité importante aussi bien sur le plan sanitaire qu’écologique. Il s’agit d’un métal persistant bioaccumulable dans l’environnement, avec un risque de pollution des eaux et du sol touchant ainsi la chaîne alimentaire. Sous sa forme élémentaire, on le retrouve en médecine dans les thermomètres, * L’Institut Cardiovasculaire, 21, bd Delessert, 75016 Paris. 8 J.P. Batisse TOXICITÉ ET RÉGLEMENTATION DU MERCURE Le mercure : un risque réel. La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998 Hypertension - R. Asmar 29/04/04 16:28 Page 9 pulation et la nécessité de respecter le calendrier d’entretien sont rendues obligatoires. Le remplacement du mercure en médecine semble inéluctable ; il est déjà bien entamé pour les thermomètres ; les sphygmomanomètres et les tonnes de mercure/année qu’ils représentent n’y échapperont pas. Y P E R T E N S I O N J.P. Batisse H LA MESURE DE LA PA EN CLINIQUE Selon les recommandations des sociétés scientifiques, la méthode de référence pour la mesure de la PA en clinique est la méthode auscultatoire réalisée à l’aide d’un stéthoscope et d’un manomètre à mercure. Considérant les inconvénients du mercure, l’emploi du manomètre anéroïde est soit autorisé, soit conseillé, selon que nous considérons telles ou telles recommandations (6). La réflexion actuelle sur la mesure clinique de la PA ne se limite pas à faire le procès du manomètre à mercure, appareil très précis et fiable, mais porte sur les limites, inconvénients et faiblesses de cette méthode sur laquelle sont basés les principaux éléments de la gestion de l’HTA. En effet, outre son caractère ponctuel, qui ne prend pas en considération la variabilité tensionnelle, cette méthode fait intervenir plusieurs facteurs : humain (observateur, patient), technique (conditions et méthodes de mesure) et matériel (manomètre, brassard, stéthoscope), dont chacun constitue une source d’erreur qu’il faut savoir dépister et corriger. Détermination de la PA par le corps médical Si le facteur humain (patient et observateur) peut être limité par l’information et la formation du corps médical à la technique de mesure de la PA, le facteur matériel (notamment le manomètre) reste déterminant pour l’obtention de mesures fiables et précises. En effet, comme tout matériel de mesure, les manomètres, aussi bien à mercure qu’anéroïdes, sont susceptibles de dérèglement et nécessitent un entretien régulier. Cet entretien est certes recommandé par les scientifiques et les fabricants, mais malheureusement, en l’absence de contrôle officiel, il est souvent négligé. Ainsi, il est fréquent d’observer des manomètres utilisés depuis plusieurs années sans aucune vérification de leur état de fonctionnement, alors que la fiabilité de leurs mesures n’est garantie par le constructeur que pour une certaine durée, un nombre donné de mesures, et à condition de respecter le calendrier d’entretien. Dans de telles conditions, il est légitime de s’interroger sur la véracité des chiffres mesurés et les conséquences qui en découlent. Pour pallier certains de ces inconvénients, des normes européennes AFNOR portant sur les exigences techniques de fabrication ont été établies (partie 1 : exigences générales, partie 2 : exigences complémentaires). Malheureusement, d’une part ces exigences ne sont pas toujours respectées par les fabricants, puisque aucun contrôle n’est obligatoire, et d’autre part, comme pour tout appareil comportant plusieurs composants, la qualité de l’appareil dans sa globalité dépend de la qualité technique de chacun de ses composants. Ainsi, pour des raisons purement commerciales, il existe sur le marché des produits de qualité technique très inégale et dont la différence se révèle souvent à l’utilisation. Dans ce cadre, des manomètres (notamment de type La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998 Tensiomètre à mercure : la fin d’un monopole. anéroïde), de grande qualité technique, assurant des mesures avec une précision de ± 3 mmHg (voire moins) et une endurance pour plus de 10 000 mesures, sont développés et seront mis à la disposition du corps médical. De tels appareils pourraient être employés raisonnablement en clinique et constitueraient une alternative à la colonne à mercure. Mesure de la PA par les appareils électroniques La PA peut être déterminée par des appareils électroniques en la présence ou en l’absence du corps médical. La majorité des appareils électroniques déterminent la PA par méthode oscillométrique ; ils sont automatiques ou semi-automatiques (déclenchement manuel de la mesure). Plusieurs études ont souligné le problème de la fiabilité de leurs mesures avec une inégalité considérable entre les propriétés techniques des différents appareils disponibles (7). Même si nous assistons actuellement à une amélioration de la qualité de ces appareils et à l’apparition de certains modèles dont la fiabilité est satisfaisante, il est à noter que la plupart d’entre eux n’ont pas été conçus pour un usage intensif professionnel, et leur fiabilité après une période d’utilisation (endurance) n’a pas été établie. Ainsi, dans l’éventualité de l’absence du manomètre à mercure, pour réaliser une comparaison, le clinicien serait très dépendant de la fiabilité et de la consistance de l’algorithme de ces appareils. Dans ce cadre, des appareils électroniques à usage professionnel (par opposition à ceux de l’automesure par le patient) sont en cours de développement. Là aussi, en plus de normes européennes AFNOR de fabrication, des procédures d’homologation et de validation adaptées sont plus que jamais nécessaires. 9 Hypertension - R. Asmar H 29/04/04 16:28 Page 10 Y P E R T E N S I O N LA MESURE DE LA PA LOIN DU MILIEU MÉDICAL De nombreuses études publiées ces dernières années ont souligné les intérêts de la mesure de la PA loin du milieu médical sur le plan diagnostique, pronostique et thérapeutique, et ce aussi bien pour l’automesure que pour la mesure ambulatoire pendant 24 heures. Cette dernière permet de mieux évaluer les variations circadiennes de la PA au cours d’une journée d’activité quotidienne. Ainsi, les derniers rapports de l’OMS (1996) et du JNC (1997) font état de leur emploi, valeurs de “normalité” et de leurs principales indications dans la gestion de la maladie hypertensive. UNITÉ DE MESURE DE LA PRESSION ARTÉRIELLE À cette date, l’unité de la PA reste le mmHg. Les normes européennes sur les exigences techniques de fabrication des manomètres non invasifs recommandent d’employer comme unité de mesure le mmHg, mais aussi le kilopascal (KPa). En effet, en l’absence de la colonne de mercure, il n’y aurait plus aucune raison scientifique de maintenir le mmHg comme unité de mesure. Parallèlement, selon le Comité européen de standardisation (8), le mmHg n’a pas été retenu comme unité SI et les directives européennes autorisent son emploi jusqu’en 1999 ; il semblerait toutefois que cette directive ait été mal interprétée, et la date de son application reste imprécise ! À ce propos, les partisans du mmHg mettent en avant la confusion qu’un tel changement d’unité pourrait provoquer dans le milieu médical, alors que les partisans du kilopascal insistent sur les éléments suivants : a. le mmHg favorise des mesures approximatives, en “arrondissant” les chiffres observés, alors que le kilopascal ne le permet pas puisque 100 mmHg = 13,33 KPa, 160 mmHg = 21,33 KPa, etc. ; b. en l’absence de consensus entre les différentes sociétés savantes pour définir l’hypertension artérielle et le niveau tensionnel impliquant l’instauration d’un traitement médicamenteux, l’introduction d’une nouvelle unité de mesure constituerait une opportunité pour établir un consensus international sur la définition de la normotension, l’hypertension... Ainsi, nous assisterons certainement dans les années à venir à des recommandations portant sur l’unité de mesure de la PA : maintien du mmHg ? Son remplacement ou son dédoublement par le kilopascal ? 2. L’établissement de normes européennes AFNOR portant sur la fabrication des manomètres non invasifs, le développement de manomètres de type anéroïde de grande qualité technique pourrait constituer raisonnablement une alternative à la colonne à mercure pour la mesure ambulatoire de la PA. 3. Le développement des appareils électroniques à usage professionnel pour déterminer la PA pourrait voir les applications d’une telle méthode augmenter à condition d’effectuer une homologation et une validation bien adaptées à ces appareils. 4. Les intérêts évidents, pour certains patients et dans certaines conditions, de l’emploi de l’automesure ou de la mesure ambulatoire pendant 24 heures (MAPA) se confirment ; leur développement dans les années à venir semble évident. 5. Les directives européennes de standardisation et les réflexions sur le maintien, le remplacement ou le dédoublement du mmHg par le kilopascal comme unité SI de mesure de la PA devraient aboutir à des recommandations plus précises sur l’unité de mesure à employer. Tous ces éléments font que nous nous trouvons actuellement devant une opportunité unique pour préparer pendant les années à venir des changements qui semblent inéluctables et qui porteraient sur les méthodes de mesure de la pression artérielle, mais aussi sur la prise en charge de la maladie hypertensive. Pour l’heure, il nous appartient de procéder à nos mesures avec rigueur et d’interpréter leurs valeurs en connaissant leurs limites. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Riva-Rocci S. Un nuovo sfigmomanometro. Gazzetta Medica di Torino 1896 ; 47 : 981-96. 2. Impressions artérielles : 100 ans d’hypertension, 1896-1996. Société Française d’Hypertension Artérielle, Édition Imothep/Maloine, 1996. 3. Asmar R., Mallion J. La pression artérielle : mesure, variation, interprétations, recommandations. Édition Imothep/Maloine, 1997. 4. O’Brien E. Will mercury manometers soon be obsolete ? J Hum Hypertens 1995 ; 9 : 933-4. 5. Directives européennes AFNOR. Exigences générales et particulières des normes techniques des tensiomètres non invasifs. 6. La lutte contre l’hypertension. Rapport d’un comité d’experts, Genève, OMS, 1996 (OMS, série de rapports techniques ; n° 862). PROSPECTIVES Si nous considérons : 1. Les directives européennes sur l’interdiction et la réglementation de l’emploi du mercure, la substitution du sphygmomanomètre à mercure par un autre appareil semble inéluctable. 10 7. O’Brien E., Mee F., Atkins N., O’Malley K. Inaccuracy of seven popular sphygmomanometers for home-measurement of blood pressure. J Hypertens 1990 ; 8 : 621-34. 8. CENELEC/TC62. Draft - 1st working Document - Medical informatics Expression of the results of measurement in health sciences. CEN/TC 251/PT 016 - Bruxelles : European Committee for standardization, 1994. La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998