injections qu’il voyait pratiquer. Au éviter les syndromes de manque. Il

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Obser vation
La série “Observation” est réalisée avec la collaboration de Schering Plough.
Photo : Charles Dolfi-Michels
Les médicaments utilisés dans le traitement des toxicomanes
aux opiacés imposent une rigueur dans leur prescription. Cette
situation contraint à un retour à l’observation clinique. C’est
une chance pour le prescripteur et surtout... pour le patient et
parfois pour les lecteurs !
Ces histoires de substitution se déclineront au fil des numéros.
Mais pourquoi vend-il
ses pins’ ?
Des collections à faire et à défaire ...
Lucien n’a pas échappé à l’attention soutenue de sa mère
en sortant rapidement. Il emmène ses boîtes de pin’s. Il les
présente au cours de brocantes, les échange ou les vend en
cherchant de bons prix parmi des collectionneurs qui achètent impulsivement. En rentrant chez ses parents, il se
montre satisfait d’avoir rencontré des gens qu’il observe
davantage qu’il ne lie connaissance avec. Il rentre tard, se
montre irritable, passant par des phases d’engouement et
d’abattement. Sa famille s’inquiète, sa mère vérifie en
cachette ses relevés bancaires, comme elle entend de plus
en plus parler de drogue à la télévision, elle décide d’en
parler à un médecin sans trop y croire. Lucien a débuté sa
collection de pin’s et de cartes téléphoniques il y a
quelques années ; la rareté de certaines pièces, leur valeur
dans un milieu très spécialisé lui valaient finalement une
reconnaissance familiale après avoir longtemps été décrié
par un entourage qui aurait préféré que Lucien s’intéresse
davantage aux sorties de son âge, 24 ans, et aux amies qu’il
amenait à la maison.
Lucien a découvert l’héroïne au cours d’une soirée, il y a
deux ans, avec des amis d’enfance. Il a essayé et a fini par
rechercher, de plus en plus régulièrement, un effet déshinibiteur et stimulant. Il utilisait la voie nasale, redoutant les
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n°212, septembre 1998
injections qu’il voyait pratiquer. Au
cours de cette période initiale, il
connaît une promotion professionnelle. Lucien est réservé et se met
assez peu en valeur, pourtant il s’affirme dans son équipe et des responsabilités nouvelles lui sont
confiées. Il quitte sa famille et vit
avec une amie pendant six mois
puis retourne dans le foyer parental
après une séparation dont il ne veut
pas parler à son entourage.
Sa consommation avec recherche
d’effet stimulant l’a amené à multiplier ses prises nasales, une à deux
fois par jour pendant son travail, en
prétextant un problème rénal. Son
amie s’est assez vite rendu compte
de ses difficultés, elle pense pouvoir
l’aider. Les difficultés financières et
la menace de séparation d’avec son
amie le décide à s’arrêter de luimême. Il profite d’une semaine de
congés pour réaliser un sevrage sans
aide médicale et reste chez lui. Il est
abstinent pendant un mois et demi
mais rechute et atteint vite ses derniers niveaux de consommation. Un
jour, il utilise l’argent de la cantine
des enfants de son amie, déclenchant un conflit et rapidement une
séparation. Il n’a jamais volé, il
emprunte aux amis et aux proches
avec une grande tolérance dans une
famille étendue et conciliante.
Abus de pin’s ou désabusé
de...
A son retour dans sa famille, ses
prises le soir et le matin au réveil
augmentent de même que sa
consommation de cannabis qu’il
justifie et défend auprès de sa famille en les amenant à une tolérance, et
notamment à une explication des
états de conscience crépusculaire.
Il est amené à utiliser des psychotropes qu’il trouve chez des amis les
jours où il n’a pas d’héroïne pour
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éviter les syndromes de manque. Il
ne boit pas, et préfère utiliser des
benzodiazépines de la pharmacie
familiale ou les hypnotiques de ses
relations. Lucien commence à avoir
des remarques à son travail et se
confronte aux interrogations de sa
famille sur son état.
Sa situation financière ne s’arrange
pas. Il va vendre sa collection de
pin’s au cours des brocantes de printemps des villes de la banlieue parisienne.
Il avoue sa dépendance à sa famille
en en minimisant la durée quand il
reçoit des coups de téléphone insistants d’un créancier qui veut être
remboursé de cinq grammes d’héroïne avancés lors des dernières
vacances. Le médecin traitant, appelé par la famille, lui propose un
sevrage à domicile avec un traitement (classique) associant anxiolytiques et hypnotiques. Lucien le
commence mais refuse de rester
chez lui de peur des conséquences
professionnelles de son absence,
alors qu’il est soumis depuis
quelque temps à une attention toute
particulière de ses supérieurs. Il
continue de prendre de l’héroïne dès
qu’il le peut et finit par consulter
dans un centre de soins spécialisés.
Lors de sa première consultation,
Lucien évoque les impossibilités
d’un suivi régulier, faute de temps,
sa réticence à un traitement, en ayant
tout utilisé de lui-même et sans
résultat. Sa situation est sans
“issue” ; il conteste la proximité
d’autres toxicomanes bien “plus
atteints” que lui. Il n’y a que la
méthadone qui pourrait l’aider, mais
il estime qu’il n’est pas assez
“atteint” pour l’obtenir, avant de
conclure qu’en France, on parle
beaucoup des toxicomanes mais
“qu’on ne les aide pas”. Il n’est “pas
prêt à attendre trois consultations
Un traitement de substitution par la buprénorphine haut dosage peut
être proposé et mis en place, mais il s’accommode mal dans sa
durée, dans ses objectifs, dans son accompagnement psychosocial
d’un projet personnel de sevrage rapide. Un traitement par antagoniste opiacé permettant un maintien du sevrage pourrait être aussi
intéressant, mais les conditions de sevrage hospitalier ou celles déjà
proposées par le médecin de famille,
sont refusées par le patient. Le traitement
par antagoniste opiacé doit débuter après
un sevrage, le risque d’interaction avec
les agonistes (héroïne, buprénorphine,
méthadone) ne doit pas être minimisé.
Un traitement préparatoire à un sevrage
lui est ainsi proposé. Bien que cela ne
soit pas recommandé par l’AMM, un
traitement de 1 mois par un opiacé, agoniste partiel (buprénorphine haut dosage), est mis sur pied, avant la réalisation
d’une diminution progressive des posologies sur une période de quatre à huit
semaines. La buprénorphine HD n’est
en effet pas indiquée comme méthode de
sevrage mais comme un outil de régulation de la dépendance opiacée (traitement substitutif des pharmacodépendances majeures aux opiacés dans le
cadre d’une thérapeutique globale de
prise en charge médicale, sociale et psychologique). Au terme de cette période,
on envisage un relais par un antagoniste
qui permettrait une diminution de l’appétence pour les opiacés et une extinction du phénomène de renforcement positif de nouvelles prises
d’héroïne.
Ce projet est bien accueilli par Lucien. Les durées de traitement initialement proposées sont néanmoins, au cours de son suivi, adaptées
selon son état clinique, et la phase préparatoire s’étale finalement
sur six semaines. Le relais de buprénorphine haut dosage par la naltrexone est réalisé avec une dernière prise de 0,4 mg de buprénorphine et un délai de 10 jours entre cette dernière prise et la prise initiale de 25 mg de naltrexone (1/2 comprimé), puis 1 heure après en
l’absence de signes de sevrage l’autre demi-comprimé, avec à partir
du deuxième jour, une prise quotidienne de 50 mg de naltrexone.
Ce traitement séquentiel libère Lucien des automédications, d’attitudes réactionnelles, et bien sûr, du bruit de fond psychopathologique lié et secondaire à l’usage de produits, sans libérer le praticien
d’une obligation triviale : tout commence souvent après cette
phase...
pour se montrer motivé” avant d’entrer à l’hôpital pour un sevrage. Il
ne voit aucune issue à ses difficultés et ne comprend pas quelle aide
personnelle il peut attendre. Le “système finit par être réservé aux
clients HIV, chômeurs ou délinquants...” Il redoute de devoir se
débrouiller seul, constate qu’il réagit de plus en plus de façon impulsive, et pense parfois au suicide en même temps qu’il envisage des
solutions rapides pour obtenir de l’argent
auprès de ses amis. Il avoue que la situation est devenue plus difficile pour lui
depuis sa séparation et le retour dans sa
famille et que sa consommation augmente depuis. Il refuse de faire comme certains de ses amis, d’aller “mendier” des
traitements à des médecins généralistes.
Il ne sait plus comment faire ni à qui
s’adresser pour réaliser un sevrage qui
tienne. Il veut trouver un bon traitement
qui l’aide à arrêter ses prises d’héroïne, à
limiter ses envies, sans se retrouver à
nouveau dépendant, d’un produit prescrit. Sa situation est simple et sans source
de conflit avec le corps médical...
Discussion
La dépendance de Lucien est récente,
avec une tentative de sevrage spontanée,
suivie d’une rechute à six semaines avec
des niveaux de consommations initiaux
vite atteints. Dans le contexte de diffi- Photo : Charles Dolfi-Michels
cultés multiples (professionnelles, financières, familiales), il met en place des tentatives d’automédication
plus ou moins efficaces, en réponse souvent à des besoins immédiats en état de manque ou dans l’impossibilité de s’approvisionner
en héroïne. Il cherche une solution rapide pour éviter les retombées
professionnelles. Les solutions personnelles qu’il envisage peuvent
compliquer sa compliance ultérieure aux soins, l’exposer à des
conséquences médicales ou judiciaires [l’injection de faibles quantités d’héroïne, le deal de cannabis ou autre pour payer sa consommation, les actes délictueux, l’abus ou la dépendance aux produits
de remplacement (benzodiazépines, alcool, cannabis ou mélanges
de psychotropes)]. Une anamnèse précise permettrait d’évaluer ses
capacités d’adaptation, ses difficultés relationnelles, sa personnalité
ainsi que les éléments dysphoriques de son parcours. Encore faut-il
que le patient soit suivi. Il apparaît ainsi nécessaire de trouver une
forme de traitement et de suivi amenant, dans un second temps, à
l’évaluation psychopathologique.
J. Bouchez, D. Touzeau*
* Clinique Liberté, 10 rue de la Liberté 92200 Bagneux
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