16 Pratique S oins Traitements de substitution Des soins en réseau pluridisciplinaire C ommen t prendre en charge les per sonnes dépendan tes au x opiacés ? Les stratégies, pour être efficaces, doi vent être médicale, psychologique et sociale. Les médicaments de substitution au x opiacés (MSO), méthadone et buprénorphine haut dosage (BHD), ont une place prépondérante. Travaux dirigés par l’Anaes L Infos ... Mortalité et morbidité Les décès par surdoses à l’héroïne ont été 5 fois moindres entre 1994 et 2002. On a constaté 3 fois moins de prématurité chez les nouveau-nés ; 6 fois moins de “patients injecteurs” entre 1995 et 2003. Il y a eu 3 fois moins d’infractions à la législation des stupéfiants (ILS) concernant l’héroïne entre 1995 et 2003. consommateurs sont à l’origine de 25 % des quantités remboursées et certains maintiennent ou renforcent des consommations parallèles (alcool, BZD, cocaïne, etc.). es MSO agissent en se fixant sur les récepteurs opiacés et nécessitent une prise en charge médicale, psychologique et sociale par un médecin prescripteur et d’autres professionnels. La finalité des traitements de substitution aux opiacés (TSO) est de permettre aux patients de modifier leur consommation et leurs habitudes de vie pour recouvrer une meilleure santé et une meilleure qualité de vie. Les personnes dépendantes aux opiacés qui expriment une souffrance, dans la plupart des cas, veulent soulager un état de manque douloureux, gérer leur dépendance, diminuer, voire cesser la consommation des opiacés illicites. En s’accommodant du maintien de la pharmacodépendance de substitution, ils espèrent parvenir à une abstinence complète d’opiacés, y compris de tout MSO. Ces objectifs doivent être partagés par les soignants dans le cadre de l’élaboration du projet de soins, qui comprend également les dommages induits et les pathologies associées (infectieuses, psychiatriques et addictives) ; la gestion de situations particulières (grossesse, précarité, etc.) ; l’amélioration des liens sociaux, en maintenant l’inser- tion et en favorisant la réinsertion (accès à une assistante sociale, etc.). La méthadone est obligatoirement prescrite la première fois en centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) ou en établissement de santé. Le relais en ville est possible. La prescription est de 14 jours et la délivrance de 7 jours. Le produit se trouve dans la liste des stupéfiants. La BHD peut être prescrite par tous les médecins pour une durée de 28 jours avec une délivrance de 7 jours (liste I des règles de prescription et de délivrance des stupéfiants). Accès aux soins inégalitaire Cependant, l’accès aux soins est hétérogène et inégalitaire (sujets en situation précaire) selon les zones géographiques, en termes de choix du MSO et de nombre de médecins prescripteurs et de pharmaciens délivrant des MSO. Les mauvaises utilisations sont fréquentes : injection i.v. et “sniff” de buprénorphine ; décès par surdose de méthadone ou par potentialisation BHD-BZD, notamment chez les injecteurs de BHD ; primodépendance à la buprénorphine. Par ailleurs, il existe un marché parallèle de MSO : seulement 6 % des Quelques caractéristiques des MSO disponibles • La méthadone non injectable assure une meilleure satisfaction du patient, mais elle comporte un risque de surdose. Certaines interactions médicamenteuses sont à respecter, la gamme est insuffisante, tant pour les dosages que pour les présentations. • La buprémorphine haut dosage (BHD) permet l’injection et un moindre risque de surdose. Mais le patient, moins satisfait, risque des consommations associées (association dangereuse BHD-BZD [buprénorphine-benzodiazépines] à fortes doses, notamment en cas d’injection de la BHD). (Source Anaes) Professions S anté Infirmier Infirmière N ° 63 • mai 2005 C’est pourquoi, la conférence de consensus de l’Anaes propose certains changements. Ainsi, aucun argument ne s’oppose à la primoprescription de méthadone en ville dès lors que l’on en assure la sécurité. La durée de prescription maximale est identique pour les deux MSO (28 jours), les modalités de prescription et de délivrance le sont également, et les contrôles urinaires sont préconisés dans les mêmes termes. Les prescriptions sont déclarées et centralisées tout en protégeant la confidentialité pour éviter les prescripteurs multiples. Des dosages faibles et élevés de méthadone sont mis à disposition pour en faciliter l’adaptation posologique. Les conditionnements sont plus adaptés, facilitant ainsi le stockage en pharmacie. Les formes injectables des MSO sont réservées aux seuls cas d’échec du traitement oral, avec prise sur place pendant toute la durée du traitement, afin de limiter les risques d’injection i.v. de comprimés ou de gélules. En outre, l’Anaes encourage la recherche de procédés galéniques empêchant l’injection de comprimés ou de gélules (association à un antagoniste, gélifiants, etc.). Mais l’utilisation de médicaments psychotropes reste utile chez les patients anxieux, insomniaques, etc. La recherche d’un effet de “défonce” par les BZD est le fait d’une minorité de patients. Il faut donc rechercher systématiquement les consommations associées, sensibiliser les patients sur les interactions avec l’alcool ou les BZD, fractionner éventuellement la dispensation des BZD, et éviter la prescription de flunitrazé- Pratique S oins pam et de chlorazépate dipotassique. Il est à rappeler l’importance du travail en réseau, en particulier la collaboration entre le médecin de ville et les pharmaciens et le centre spécialisé. La création d’au moins un CSST dans tous les départements qui n’en disposent pas et la mise en application par tous les CSST de leur mission d’accès au TSO sont nécessaires. Les services médicaux de l’assurance maladie devraient être mobilisés pour faciliter la mise en place de protocoles personnalisés de soins et pour repérer les situations faisant suspecter un mésusage et prendre contact dans ce cas avec les médecins et les pharmaciens concernés. Les soignants doivent être attentifs aux populations précarisées, afin de leur donner accès au TSO. Traitement Être empathique est indispensable car une véritable alliance se noue entre les soignants et le patient dès la première consultation. En effet, le premier contact est fondamental. Ensuite, le diagnostic de dépendance aux opiacés doit être confirmé et la trajectoire et l’état de santé du patient sont évalués. Le patient doit être informé et le cadre des soins lui est précisé de même que lui est garanti le secret professionnel. La prise initiale du MSO doit se faire à l’apparition des premiers signes de manque mais l’arrêt le plus rapidement possible de toute prise d’opiacé illicite doit être le but. De plus, il est nécessaire de prendre en compte les risques d’interactions avec d’autres substances (notamment alcool, antirétroviraux, BZD, inducteurs et inhibiteurs enzymatiques, etc.). Prescription La méthadone est prescrite à une dose initiale de 10 à 40 mg/j ; les paliers d’augmentation sont de 5 à 10 mg maximum par paliers de 1 à 3 jours, en fonction de la clinique, sans jamais excéder 50 % de la dose initiale par semaine. La prise quotidienne est unique et orale. La BHD est prescrite à une dose initiale de 4 mg à 8 mg/j au vu des pratiques professionnelles (doses supérieures à celles de l’AMM, qui justifient d’être validées par des études cliniques spécifiques). Un délai de 24 heures doit être respecté après la dernière prise d’opiacé pour éviter le syndrome de manque dû aux propriétés antagonistes de la buprénorphine. Les paliers d’augmentation sont de 1 à 2 mg par paliers de 1 à 3 jours, en fonction de la clinique, jusqu’à la dose optimale. La prise quotidienne est unique et sublinguale. Pour la méthadone, la réglementation actuelle impose une analyse d’urines avant le début du traitement et la préconise pour le suivi. Pour l’Anaes, le cadre réglementaire gagnerait à être homogénéisé pour les deux MSO. L’analyse d’urines est recommandée, voire indispensable, à l’initialisation du traitement pour vérifier la présence d’opiacés, et des contrôles ultérieurs devraient être faits si besoin en accord avec le patient. Le traitement initial est prescrit sur une ordonnance sécurisée, pour 1 ou 2 jours, avec délivrance quotidienne. Le nom du pharmacien est écrit sur l’ordonnance. L’initialisation du traitement est le début d’une longue collaboration médecinpharmacien, avec échange permanent d’informations. Le traitement est initialement préconisé par paliers de 1 à 3 jours pendant les 10-15 premiers jours, jusqu’à suppression des symptômes de manque puis par paliers de 4 à 7 jours (méthadone : 5 à 10 mg ; BHD : de 1 à 2 mg). La posologie de stabilisation se situe pour la méthadone : entre 60 et 100 mg/j et pour la BHD : de 8 à 16 mg/j. Durant cette période, le pharmacien doit être averti des modifications du traitement et des modalités de la délivrance. Il doit signaler en retour toute anomalie au médecin prescripteur. La vigilance s’impose vis-à-vis des mauvaises utilisations du MSO, d’une 17 reprise de consommation d’héroïne, de l’apparition ou de l’augmentation de la consommation d’autres substances psychoactives. En l’absence d’amélioration, une réévaluation et une réorientation de la prise en charge sont à envisager. Arrêt du traitement La demande d’arrêt du traitement ne peut, en dehors de circonstances exceptionnelles, venir que du patient lui-même. Il n’y a pas de durée optimale pour un TSO. Le soutien des soignants pour les patients dans leur projet d’arrêter un TSO est indispensable, suggérant les modalités d’arrêt les plus efficaces et les moins douloureuses possible. L’expérience montre la possibilité d’un arrêt lentement dégressif. Les modalités de diminution sont gérées par le patient lui-même, en fonction de ses symptômes. Il est illusoire de fixer une durée, a priori, au processus de diminution en vue de l’arrêt d’un MSO. Il a été noté qu’aucun critère fiable ne permet de prédire le succès ou l’échec d’une tentative d’arrêt d’un TSO. Il existe cependant des contextes plus favorables que d’autres (bonne insertion, arrêt de longue date de toutes substances non prescrites, etc.). ALP D’après les recommandations de l’Anaes (Lyon, juin 2004). Les c omor bi di t é s psychi at rique s • Les comorbidités psychiatriques sont fréquentes et à rechercher systématiquement. • Les troubles de l’humeur induits par les opiacés disparaissent au cours du 1er mois du TSO (le traitement est inutile). • Les diagnostics différentiels sont les état dépressifs (traitement antidépresseur) et les troubles de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée (traitement anxiolytique, en évitant les BZD). • En cas de schizophrénie : préférer la méthadone. Infos ... La formation de tous les soignants est indispensable. Elle doit permettre aux professionnels de santé de prendre en compte la souffrance et la détresse des usagers de drogues ; d’acquérir l’assurance et le recul pour la gestion d’une relation thérapeutique à long terme ; de prendre en compte les problématiques médicales, psychiques, relationnelles ou culturelles ; de proposer aux patients les soins les plus appropriés ou de les adresser à des collègues plus spécialisés, le cas échéant. Professions S anté Infirmier Infirmière N ° 63 • mai 2005