T R I B U N E Quelle leçon tirer de l’épidémie de spondylodiscites à Mycobacterium xenopi ! P. Astagneau*, G. Brücker* L a survenue d'une épidémie de spondylodiscites à Mycobacterium xenopi au décours d'interventions chirurgicales du rachis pratiquées dans une clinique parisienne a brutalement rappelé les risques encourus par le non-respect des règles de stérilisation des dispositifs médicaux. Après une investigation longue et difficile, 58 cas sont aujourd’hui identifiés parmi 3 320 patients exposés au risque. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Pour comprendre, il faut reprendre les principaux faits marquant cette histoire exceptionnelle. DESCRIPTION En mai 1993, une première alerte épidémique est transmise par les Centres nationaux de référence (CNR) aux autorités sanitaires en raison de la découverte de 9 cas d’infection rachidienne par une mycobactérie atypique, M. xenopi, survenus après nucléotomie percutanée ou microchirurgie pratiquée pour cure de hernie discale. Le recoupement des données recueillies par les deux CNR à propos de ces 9 cas a permis de mettre en évidence que les différents malades avaient été opérés plusieurs années auparavant dans la même clinique, suggérant ainsi une possible origine iatrogène de ces souches. Le diagnostic du premier cas avait en fait été posé dès 1989 chez un patient de 26 ans opéré d’une hernie discale lombaire par microchirurgie en 1988 sans que la relation avec le geste chirurgical ait été clairement établie. ACTION Suite à l’alerte, un audit en hygiène est effectué par le C.CLIN Paris-Nord, qui permet de démontrer que la source de l'épidémie est une contamination due au rinçage des nucléotomes par l’eau du robinet provenant du réseau de l’établissement qui contient de grandes quantités de M. xenopi (concentration > 500 UFC/l). Ce rinçage était effectué afin d’éliminer le glutaraldéhyde employé pour désinfecter entre deux patients les nucléotomes utilisés consécutivement chez les patients (une dizaine de patients opérés par programme opératoire). Dès lors, la mise en place d’une stérilisation des instruments par la * Centre interrégional de coordination de la lutte contre l’infection nosocomiale de Paris (C.CLIN Paris-Nord), 75006 Paris. 222 chaleur et la non-utilisation de l’eau du réseau pour le rinçage associées à une réfection et à une décontamination du réseau d’eau permettent d’éradiquer la source de contamination. Aucun cas nouveau n'apparaît chez des patients opérés après juin 1993. Cependant, entre 1993 et 1997, plusieurs cas de spondylodiscites à M. xenopi sont encore identifiés, tous survenant chez des patients opérés dans la clinique avant juin 1993 par nucléotomie ou microchirurgie. Plusieurs tentatives d’information des patients sont entreprises par la clinique sous l’impulsion des autorités sanitaires, mais aucune information réelle sur le risque de contamination ni de proposition de dépistage de l’ensemble des patients exposés n’est effectuée. En septembre 1997, devant l’accumulation des cas et les plaintes déposées par les patients atteints, les pouvoirs publics décident de conduire une investigation épidémiologique approfondie. Cette investigation est confiée au C.CLIN qui est chargé de réunir un groupe d’experts cliniciens, bactériologistes et épidémiologistes afin de définir la conduite à tenir pour le dépistage des patients exposés. Tous les patients opérés à la clinique entre 1988 et mai 1993 sont informés par courrier et une imagerie à résonance magnétique (IRM) du rachis leur est systématiquement proposée. Compte tenu du caractère exceptionnel de l’infection et des difficultés de diagnostic qui en résultent, toutes les IRM sont relues par un radiologue expérimenté ayant déjà vu plusieurs cas de l’épidémie. Toute image suspecte confirmée par le radiologue doit faire l’objet d’une ponction biopsie du rachis radioguidée ou, en cas d’abord difficile, par voie chirurgicale, pour confirmation bactériologique et/ou histologique. Les cas de spondylodiscite confirmés doivent bénéficier d'une prise en charge thérapeutique par une équipe spécialisée comprenant à la fois des médecins cliniciens, bactériologistes et chirurgiens. Leurs traitements difficiles et prolongés comprennent, sur les recommandations du groupe expert, une antibiothérapie multiple d’au moins 18 mois (fluoroquinolones et clarithromycine indispensables, associés si possible à éthambutol et rifampicine[1]) associée selon les cas à un geste chirurgical. La procédure de dépistage mise en place a finalement permis de dépister quatorze nouveaux cas, soit un quart du nombre total des cas. Ces patients sont actuellement pris en charge en centre spécialisé. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 6 - juin 2000 T LEÇONS Cette histoire appelle plusieurs commentaires : Sur le plan de l’hygiène, les germes présents dans l'en1 vironnement constituent des réservoirs d'infection qu'il est parfois difficile de maîtriser. Cependant, le respect très strict des bonnes pratiques d'hygiène doit permettre d'éviter leur transmission aux patients. Cette épidémie est liée directement à l'utilisation inappropriée de l'eau sanitaire. Elle rappelle avec acuité que tout matériel utilisé pour des techniques chirurgicales et en milieu stérile doit faire l'objet d'une procédure de stérilisation contrôlée, notamment par chaleur humide (autoclavage) ou par un processus de désinfection de haut niveau qui doit toujours comporter un rinçage à l'eau stérile (circulaire DGS/DH n°672 du 20 octobre 1997). Sur le plan de la santé publique, la découverte tardive de cette épidémie et la latence des mesures de contrôle et de dépistage effectuées soulignent la nécessité de mettre en place un système de surveillance épidémiologique performant permettant de réagir à des situations de crise. En milieu de soins, les situations épidémiques liées à un dysfonctionnement de matériel et de procédure devraient sans délai donner lieu à une information, un dépistage et un suivi des patients exposés. Certes, dans le cas de cette infection, la mauvaise connaissance clinique liée à la rareté de la maladie et au caractère peu pathogène de la bactérie (moins de 10 cas publiés dans le monde, tous sporadiques), la grande latence d’expression clinique (jusqu’à 9 ans et demi dans cette épidémie), le caractère très peu symptomatique chez certains patients, qui avaient pourtant des 2 R I B U N E lésions majeures en imagerie, pouvaient expliquer les difficultés rencontrées pour établir un lien entre plusieurs cas et identifier une origine commune. Cependant, l’absence de traçabilité des dispositifs et des procédures utilisés dans l’établissement (aucune procédure écrite ni aucun registre des procédures effectuées n’existaient), l’absence de référent en hygiène localement au moment des faits (pas de comité de lutte contre l’infection qui, par ailleurs, n’était pas exigé réglementairement dans les établissements privés) et une prise de conscience tardive des acteurs de santé ont contribué à retarder la prise en charge des patients. CONCLUSION Il importe dans l’avenir que cette expérience permette, dans l’intérêt des patients, d’améliorer les capacités de notre système de santé à gérer le risque infectieux en milieu de soins. Cela ne peut se faire que par l’acceptation d’une plus grande transparence des informations médicales délivrées par les praticiens ou les autorités sanitaires, et aussi par une responsabilisation mutuelle du médecin et de son patient vis-à-vis des risques même accidentels auxquels tout acte médical peut exposer. " [1] Des recommandations détaillées sont disponibles au C.CLIN Paris-Nord, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris. Internet : http ://www.ccr.jussieu.fr/cclin À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés La Lettre de l’Infectiologue vous souhaite un bel été et vous remercie de votre soutien. Le prochain numéro paraîtra en septembre. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 6 - juin 2000 223