La néogenèse des cellules bêta du pancréas révisée Le nombre de diabétiques dans le monde devrait passer de quelque 150 millions aujourd’hui à 300 millions d’ici 2025. Il s’agit donc d’un véritable problème de santé publique. Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune touchant les cellules sécrétant l’insuline (cellules β) dans les îlots de Langerhans. Si l’injection d’insuline permet d’équilibrer plus ou moins efficacement les taux de glucose des diabétiques de type 1, il ne s’agit pas d’un traitement curatif. En revanche, les avancées récentes de la thérapie cellulaire permettent d’envisager une alternative potentielle aux injections quotidiennes d’insuline et constituent une promesse d’amélioration du traitement de cette maladie. Actuellement, la greffe d’îlots de Langerhans, couplée à des traitements immunosuppresseurs de bonne tolérance, est pratiquée avec succès. Cependant, l’application de cette thérapie à un nombre élevé de patients est limitée par le nombre de donneurs. De ce fait, le développement de nouvelles stratégies visant à produire de nouvelles cellules β à partir de cellules souches capables de proliférer et de se différentier pour régénérer les organes, ou encore à partir de cellules embryonnaires ou adultes, constitue un enjeu majeur pour l’avenir. Deux grandes hypothèses ont été avancées jusqu’ici pour expliquer l’origine des cellules β pancréatiques adultes. Le premier modèle propose l’existence de cellules souches localisées dans l’épithélium des canaux pancréatiques et/ou dans les îlots de Langerhans. Ces cellules pourraient être à l’origine de nouvelles cellules β dans des îlots de Langerhans préexistants, et seraient également capables, sous la forme d’agrégats, de générer de nouveaux îlots (1-3). L’autre hypothèse, basée sur des expériences d’incorporation de thymidine tritiée, suggère que les cellules endocrines pancréatiques adultes appartiendraient à une classe de tis- sus qui se régénèrent par division des cellules déjà différenciées (selfduplication) (4). Des travaux récents émanant de l’équipe de D.A. Melton, à Cambridge (MA, États-Unis), viennent étayer la seconde hypothèse (5). Ils montrent en effet que des cellules totalement différenciées conservent une certaine aptitude à proliférer in vivo. La participation des cellules souches dans la régénération des cellules β du pancréas est par ailleurs fortement remise en question au cours de cette étude. L’originalité de ces travaux repose sur l’approche dynamique utilisée, qui permet de suivre le lignage des cellules β pancréatiques adultes. Les auteurs ont développé une méthode ingénieuse qui permet de distinguer, chez la souris adulte, les cellules β dérivant des cellules souches de celles dérivant des cellules β différenciées (figure). Pour cela, ils ont conçu des Brèves… Brèves… Figure. D’où viennent les cellules ß ? Dor et al. ont développé un modèle de souris bitransgénique permettant d’étudier le lignage des cellules ß. a) Les auteurs ont inséré chez la souris un gène qui présente la région promotrice du gène de l’insuline fusionnée à un gène codant une recombinase. Ce gène chimère est exprimé spécifiquement dans les cellules ß du pancréas et leur lignage. Par ailleurs, la recombinase pour laquelle il code n’est capable d’être activée qu’en présence d’un analogue des estrogènes. L’administration d’un pulse d’hormone provoque la translocation de la recombinase dans le noyau. Elle entraîne, au niveau du second transgène, la délétion d’une région portant un codon stop et la production d’un marqueur (phosphatase alcaline). b) En réponse à l’hormone, de nombreuses cellules ß sont marquées au sein d’un îlot. Les auteurs suivent ensuite le renouvellement des cellules ß. Trois cas de figure sont possibles : 1) si les cellules souches (non marquées) génèrent de nouveaux îlots, des îlots non marqués apparaîtraient au cours du temps ; 2) si des cellules souches régénèrent les cellules ß dans des îlots préexistants, une dilution du marquage s’observerait lentement ; 3) si les cellules ß s’autorépliquent, le nombre de cellules marquées devrait se maintenir au cours du temps, puisqu’elles dérivent des cellules ß initialement marquées lors du pulse. Seule la troisième situation a été observée. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 3, mai/juin 2004 139 Brèves… Brèves… 140 souris transgéniques portant deux transgènes : le premier code pour le promoteur du gène de l’insuline couplé au gène d’une recombinase capable d’être transloquée au niveau du noyau en présence d’estrogènes, le deuxième code pour un gène marqueur dont l’expression est conditionnée par l’expression de la recombinase. De cette manière, dans ce modèle de souris bitransgénique, la recombinase est exprimée spéciquement dans les cellules β totalement différenciées, et l’administration d’un pulse d’un analogue des estrogènes (cinq injections à l’âge de six à huit semaines) entraîne la translocation de la recombinase dans le noyau, et l’expression spécifique du gène marqueur dans les cellules différenciées et leur lignage. Après 12 mois – la demi-vie moyenne d’une souris –, tous les îlots expriment le gène marqueur. L’idée selon laquelle de nouveaux îlots seraient formés chez l’adulte à partir des cellules souches progénitrices (non marquées) est donc démentie. Par ailleurs, aucune dilution du nombre de cellules marquées n’est observée, ce qui suggère que les cellules β dérivent de la division de cellules β préexistantes. De la même manière, ces études montrent que la régénération qui se met en place après une pancréatectomie se fait à partir de cellules β déjà en place, et non à partir des cellules souches. Ces travaux ouvrent des perspectives intéressantes dans le domaine de la thérapie cellulaire. Idéalement, on pourrait en effet envisager de prélever des cellules β pancréatiques sur des personnes adultes décédées, de stimuler leur division et de réimplanter ces cellules en grandes quantités chez des patients diabétiques. Il reste cependant un long chemin à parcourir, passant par des études fondamentales notamment, pour élucider les mécanismes moléculaires qui contrôlent la division des cellules β. De plus, la question de l’extrapolation des résultats de l’équipe de D.A. Melton de la souris à l’homme reste posée. En d’autres termes, les cellules β adultes se divisent-elles à partir des cellules β différenciées chez l’homme comme chez la souris ? Selon K. Zaret (6), ces nouvelles données ne doivent pas inciter à abandonner les recherches qui sont conduites sur la différenciation des cellules β à partir des cellules souches. En effet, le problème du nombre limité de donneurs demeure. Par ail- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 3, mai/juin 2004 leurs, les cellules β prélevées post mortem ont déjà un passé derrière elles. De ce fait, elles ne pourront peut-être pas prolonger leur vie sans altérations chromosomiques qui les rendraient insensibles au glucose ou les transformeraient en cellules tumorales. I. Lihrmann, INSERM U413, université de Rouen 1. Bonner-Weir S, Sharma A. Pancreatic stem cells. J Pathol 2002;197:519-26. 2. Zulewski H, Abraham EJ, Gerlach MJ et al. Multipotential nestin-positive stem cells isolated from adult pancreatic islets differentiate ex vivo into pancreatic endocrine, exocrine, and hepatic phenotypes. Diabetes 1990;50:521-33. 3. Bonner-Weir S, Baxter LA, Schuppin GT, Smith FE. A second pathway for regeneration of adult exocrine and endocrine pancreas. A possible recapitulation of embryonic development. Diabetes 1993;42:1715-20. 4. Tsubouchi S, Kano E, Suzuki H. Demonstration of expanding cell populations in mouse pancreatic acini and islets. Anat Rec 1987;218:111-5. 5. Dor Y, Brow J, Martinez OI, Melton DA. Adult pancreatic ß-cells are formed by selfduplication rather than stem-cell differentiation. Nature 2004;429:41-6. 6. Zaret K. Self-help for insulin cells. Nature 2004;429:30-1.