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Traitement hormonal substitutif (THS) après cancer
du sein : un état des lieux à l'aube du XXIe siècle
● Anne Lesur
S’
il est clair que les estrogènes sont capables,
expérimentalement, d’induire des cancers de
l’endomètre, il n’en va pas de même avec les
cancers du sein : en effet, on attend toujours l’augmentation
d’incidence du cancer du sein qu’auraient dû présenter les
femmes américaines traitées par Equigyne® seul et ayant développé des cancers de l’endomètre de façon endémique.
Cependant, depuis des décennies, le dogme des estrogènes
interdits dans les suites du cancer du sein persiste, particulièrement vivace dans l’esprit de certains cancérologues, aux prises
quotidiennement avec des cancers du sein soignés avec succès
par des armes antihormonales créant une déplétion optimisée
des estrogènes. La définition épidémiologique des femmes à
risque de cancer du sein, englobant les nullipares, les femmes
avec antécédents familiaux de cancer du sein ou ayant présenté
des lésions précancéreuses, celles présentant une ménopause
tardive, voire celles sous traitement hormonal substitutif au
long cours, peut faire planer un malaise sur tous les prescripteurs potentiels.
Paradoxal
Or il existe un paradoxe important : le cancer réagit aux antiestrogènes comme aux estrogènes à forte dose, et ce de façon
comparable. Y a-t-il un mécanisme d’action similaire entre le
tamoxifène “clomid like” et les estrogènes aux doses supraphysiologiques ? Par ailleurs, certains cancers sans atteinte
ganglionnaire, ne relevant pas d’un traitement adjuvant, avec
des récepteurs hormonaux positifs, resteront sous l’influence
d’estrogènes sécrétés par l’ovaire jusqu’à l’heure d’une ménopause parfois tardive, sans effet délétère évident.
Vous avez dit “ménopausée”...
Le statut hormonal “ménopausée” ou “non ménopausée” en
vertu duquel les choix thérapeutiques s’orientent, de simple
qu’il était, devient complexe à définir. Comment qualifier une
femme sous traitement hormonal substitutif depuis sa ménopause,
n’ayant jamais eu d’arrêt des règles ni d’absence d’imprégnation
hormonale : “ménopausée” ou “non ménopausée” ? Une femme
en aménorrhée après la chimiothérapie voyant ses cycles
reprendre devra-t-elle subir une castration radiothérapique, des
injections d’analogues pour poursuivre l’ovariopause ou, au
contraire, pourra-t-elle rester réglée, souvent irrégulièrement ?
Certains ajouteront même des progestatifs, voire, pour d’autres,
La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
du tamoxifène. Enfin, que faire après deux ou trois ans d’analogues à valeur d’ovariopause, à titre d’hormonothérapie privative
dans le cadre du traitement du cancer du sein de certaines
femmes jeunes ? La réponse nous parviendra d’ici quelques
mois, avec les résultats d’un certain nombre d’essais thérapeutiques. Cependant, les méta-analyses sur la castration ont
démontré son efficacité, mais il n’y a pas de laboratoire pour
vendre la castration radiothérapique ou chirurgicale ni en faire la
promotion. Peut-être les résultats des essais avec les analogues
de la LH-RH inverseront-ils la tendance...
THS après cancer du sein...
Il n’est pas utile de rappeler ici les arguments classiques de la
grossesse survenant après cancer du sein (encore qu’il soit
contestable de résumer les phénomènes hormonaux et immunologiques de la grossesse à la simple inflation des estrogènes), ou ceux des études d’observation de patientes sous
traitement hormonal substitutif après cancer du sein, dont certains voudraient évoquer un pronostic peut-être meilleur dans
le groupe traité par les estrogènes. Même si les méthodologies
sont critiquables, même si les reculs sont insuffisants, en raison de l’évolutivité extraordinairement longue des cancers du
sein, personne ne fait état, dans la littérature, d’une évolution
suffisamment péjorative pour être signalée chez ces femmes
extrêmement surveillées. Il faut tout de même reconnaître que
les femmes mises sous THS après un cancer du sein traité ont
en général un pronostic favorable et que le nombre d’événements attendus en termes de cancérologie est faible, d’où
l’importance d’un recul très long.
Généralisation du traitement de la ménopause ?
Les traitements hormonaux ont le vent en poupe et deviennent
la “pilule anti-âge” de la femme ; cependant, 16 % seulement
de la population ménopausée française y a recours. Les
femmes françaises vieillissent pour l’instant mieux que les
hommes, plus longtemps, et le plus souvent avec une excellente
autonomie. Il est admis à présent que seule la durée en décennies de ce traitement hormonal est garante d’un effet favorable, à terme, sur la mortalité cardiovasculaire et la morbidité
ostéoporotique. Or, faut-il le rappeler, beaucoup de femmes
n’ont pas de troubles de la ménopause, n’ont pas de pathologie
cardiovasculaire et n’ont jamais présenté de fracture. Elles ne
décrivent aucune doléance, même à travers les questionnaires,
très en vogue, de qualité de vie.
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De même, beaucoup de femmes traitées pour cancer du sein
n’ont pas de demande expresse et leur qualité de vie, à travers ces
mêmes questionnaires, se révèle satisfaisante. Il est souvent fait
état de doléances différentes exprimées par la patiente en fonction de l’interlocuteur, gynécologue ou cancérologue. Lorsque le
cancérologue est également le gynécologue, les doléances sont
probablement recueillies de façon plus exhaustive, mais elles restent éminemment variables d’une femme à une autre. Or, actuellement, la majorité des femmes traitées ont peur des hormones,
surtout quand elles ont été traitées il y a dix ans par ovariolyse et
estiment, peut-être à juste titre, qu’elles doivent à ce traitement
d’être là aujourd’hui pour en parler. Certes, il existe une différence
entre une femme en cours de traitement et une femme à distance
de sa maladie initiale. Cependant, qui peut raisonnablement dire
à une patiente atteinte de cancer du sein qu’elle est définitivement guérie, et après quel délai peut-on espérer n’avoir ni récidive ni évolution ? Ne dit-on pas que les patientes atteintes
d’un cancer du sein ont un risque controlatéral majoré ? N’a-ton pas démontré que l’adjonction d’anti-estrogènes, même tardivement, améliorait la survie du groupe traité ?
La question vaut-elle alors d’être posée ? Pendant longtemps,
les cancérologues ont répondu par la négative, considérant
qu’il n’était pas dans leurs attributions de s’intéresser à des
prescriptions non cancérologiques. Dans le cadre de la prise en
compte de la qualité de vie, de l’évolution des idées et du
nombre croissant de petits cancers de bon pronostic chez des
femmes jeunes ayant souvent reçu des chimiothérapies induisant des aménorrhées, la question a fait son chemin, et nombre
de médecins se disent séduits par l’idée d’une réintroduction
hormonale prudente et mesurée.
La femme de demain...
Les idées ont déjà évolué, et le profil hormonal et psychologique des femmes arrivant à la cinquantaine s’est modifié : la
majorité des femmes de 40 ans ont pris la pilule pendant 15 à
20 ans et sont décidées à prendre un THS pendant la même
durée. Au sein d’une population de même âge, dont le taux de
traitement atteindra peut-être 30 à 40 %, les femmes privées de
THS en ressentiront plus vivement l’interdiction. La proportion de femmes mises en aménorrhée à la suite de traitements
augmente, on l’a vu. Beaucoup de femmes verront survenir
leur cancer alors qu’elles sont sous THS, et si, à l’heure actuelle,
la plupart d’entre elles ne sont pas loin de penser que leur
maladie est due “aux hormones” (probablement parce qu’un
certain nombre de médecins le pensent, même à voix basse), il
est possible que, l’évolution se faisant, la peur des hormones
s’atténue. Il n’en reste pas moins vrai que toute femme chez
qui la prescription d’estrogènes a donné lieu à des mastodynies
ou à des modifications sensibles des seins ressent une certaine
réticence, même si mastodynie n’a jamais été synonyme de
cancer.
Propositions...
Alors, que faire ? Personne n’accepte l’idée de faire fi de la
contre-indication légale et de déverser la “potion magique”
sans retenue. Tous aimeraient une méthodologie rigoureuse et,
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depuis des années, tous les articles, toutes les conférences sur
ce sujet se concluent par la nécessité d’un essai randomisé.
Des essais randomisés avec des bras proposant autre chose
qu’un placebo sont en cours d’élaboration, qui pourraient être
THS contre tamoxifène ou THS + tamoxifène contre tamoxifène
seul (ECOG). Ces essais, pour compliquée que soit la juxtaposition de deux molécules telles que le tamoxifène et le THS,
auraient le grand mérite de fournir enfin une réponse à la question. L’étude cas-témoins et le relevé des cas sont des attitudes
qui ont le mérite de faire un enregistrement méticuleux des
patientes, de les suivre, mais qui sont sans valeur aux yeux des
statisticiens, ce d’autant que les femmes “demandeuses” sont
différentes des autres, ce qui induit un biais préjudiciable. Certains répondent ponctuellement à la demande après cinq ans
d’observation pour des problèmes médicaux, comme les problèmes rhumatologiques ; d’autres accèdent à la demande des
patientes dans un délai de deux à trois ans, sans restriction particulière ; enfin, certains voudraient ne proposer le traitement
qu’après sept ans, dans le cadre d’un protocole fédératif.
Les partisans du tamoxifène ou du raloxifène évoquent la possibilité d’utiliser ces molécules dans cette indication. Certes,
ces molécules ne résolvent pas les troubles climatériques, et
peuvent induire, comme on l’a vu dans l’étude du NCI, des
troubles secondaires à type de pathologies endométriales ou
thromboemboliques (précédemment développées par B. Cutuli),
mais elles agissent sur la survie globale (ce qui est un élément
majeur, eu égard à la population considérée) ainsi que sur les
pathologies cardiovasculaires et osseuses.
Cent ans après la première castration par Beatson, et à l’aube
du XXIe siècle, ce grand débat sur les estrogènes n’a rien perdu
de son actualité. L’avenir saura-t-il nous offrir la molécule
idéale traitant la ménopause et protégeant du cancer du sein ? ■
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