ANGIO MEP SEPT 22/04/04 9:56 Page 4916 Angio-Piège Pathomimie en pathologie vasculaire Isabelle Lazareth* L es conduites de pathomimies se définissent comme l’imitation volontaire dans un état de conscience claire d’un ou plusieurs symptômes portant sur n’importe quelle zone du corps. Elles sont mal connues et difficiles à distinguer sur le plan psychiatrique. En effet, le terme “conscience claire” évoque le caractère non sincère, manipulateur du trouble, alors que ces patients sont de bonne foi et que leurs actes surviennent au cours d’un état schizoïde (état de dissociation psychique). * Hôpital Saint-Joseph (Paris) Les pathomimies se distinguent des conduites de simulation qui visent à obtenir un avantage matériel précis. Ainsi, un article américain récent exposait la conduite d’immigrants cubains qui pour obtenir leur permis de séjour aux Etats-Unis, alléguaient qu’ils souffraient d’abcès cutanés, de crises d’asthme et d’occlusions intestinales, provoqués respectivement par injection d’essence, inhalation de produits irritants et absorption de corps étrangers (1). Les pathomimies se distinguent égale ment du syndrome de Münchhausen. Dans ce cas, s’associent des symptômes imaginaires, une histoire mythomaniaque avec invention d’un faux statut social, et une fausse biographie médicale élaborée. Ce syndrome est caractérisé par des pérégrinations multiples d’hôpitaux en hôpitaux, avec un maximum rapporté de 443 séjours hospitaliers successifs. Les hommes, entre 30 et 40 ans, sont principalement touchés ; ils se présentent sous de faux noms et s’inventent une histoire médicale dans des domaines dont ils savent qu’ils intéressent le corps médical. Des conduites délinquantes et toxicomanes sont fréquemment associées. Le syndrome de Münchhausen est considéré comme un signe de désintégration psychotique de très mauvais pronostic psychiatrique. En pathologie vasculaire, les conduites pathomimiques s’expriment essentiellement par deux aspects cliniques : les œdèmes par striction et les ulcérations cutanées. tion de l’hystérie. Ultérieurement, les œdèmes par garrotages ont été assimilés à l’œdème bleu de Charcot. Dans 1a revue de la littérature réalisée par M.L. Fléchet (4), qui reprenait 32 observations publiées, il s’agissait de femmes dans 21 cas, d’un âge moyen de 26 ans. Les onze hommes étaient plus agés (41 ans), et il s’agissait plutôt de conduite de simulation survenant chez des travailleurs manuels à la recherche d’avantages sociaux et financiers. La localisation sur le côté prédominait dans 60 % des cas, ainsi que l’atteinte unilatérale. L’œdème était indolore, la limitation nette avec la constatation d’un sillon de striction. Son évolution était capricieuse, difficile à faire préciser, avec un début marqué par une agression locale : traumatisme, blessure. Le retard diagnostique souvent important, allant de 3 mois à 28 ans, était source d’explorations multiples parfois chirurgicales. Le pronostic dans cette série était réservé. En effet, seuls huit malades sur les vingt-trois ayant accepté la prise en charge psychiatrique avaient guéri de leur conduite pathomimique. Le diagnostic d’œdème par striction est simple si on y pense et si le sillon de striction est visible. Il est parfois compliqué par une algodystrophie secondaire à l’œdème et à l’agression, algodystrophie qui s’exprimera alors par des douleurs et une hyperfixation scintigraphique. Dans ce cas, les symptômes d’algodystrophie ne disparaissent qu’avec la cessation des conduites pathomimiques (8). L’œdème par striction : œdème bleu de Charcot Les ulcérations cutanées L’œdème bleu a été décrit par Charcot en 1889. Il s’agissait de femmes souffrant d’un œdème, touchant un membre ou un segment de membre, froid et cyanique. Charcot en faisait une manifesta- Ces ulcères sont évocateurs par leur aspect (5) : apparence bizarre, contours linéaires, géométriques, limites nettes par rapport à la peau saine. Il sont localisés sur des zones accessibles à la Act. Méd. Int. - Angiologie (14) n° 245, septembre 1998 4916 ANGIO MEP SEPT 22/04/04 9:56 Page 4917 main. L’apparition des ulcères est brutale, souvent nocturne, sur une peau antérieurement saine. Des lésions d’âge différent peuvent coexister : cicatrices, croûtes et ulcérations. Il est souvent difficile de faire préciser aux patients l’aspect de la lésion initiale. Les moyens utilisés pour créer les ulcères sont variés : lésions caustiques (phénol, soude, acides), lésions thermiques (brûlures de cigarette), lésions mécaniques (ciseaux, couteau), lésions chimiques (injection dans la peau de lait, de matières fécales...). Ces ulcérations peuvent s’améliorer après pose de pansements occlusifs, ou alors apparaître dans des zones non protégées. Le profil type des patients pathomimiques Il existe, en effet, un véritable profil type du pathomimique. Il s’agit en grande majorité de femmes, jeunes, en contact avec le monde de la santé. Ainsi, dans la série de Plassmann reprenant les 1 070 observations rapportées dans 350 articles, les pathomimiques sont, dans 78 % des cas, des femmes entre 20 et 30 ans, qui exerçent une pro fession de santé dans 58 % des cas. Ces jeunes femmes sont électivement célibataires ou mal mariées, décrites comme immatures. Elles ont une intelligence supérieure à la moyenne, parfois des antécédents de manifestations hystériques, ce qui explique leur présentation particulière sous la forme d’une indifférence amusée, désignée par le terme “présentation de type Mona Lisa”. Des facteurs déclenchants, dans le territoire concerné, peuvent être retrouvés, blessure, cicatrice, ecchymose banale, mettant en cause la compétence médicale. Enfin, une histoire familiale particuliè- Photos 1, 2 et 3 : Ulcère du dos du pied (1) survenu après port d’un platre dans les suites d’une algodystrophie chez une jeune femme de 23 ans. Ulcère de la cuisse (2) survenu lors de l’hospitalisation, à la suite d’une ecchymose secondaire à une injection sous-cutanée de calciparine. Au bout de trois ans de suivi, après refus de la prise en charge psychothérapique et suivi exclusivement vasculaire, cicatrisation de l’ulcère de la cuisse (3), réduction de taille de l’ulcère du dos du pied sans cicatrisation. Attitude du médecin : écoute attentive du patient, commentaires exclusifs sur l’aspect des plaies, jamais de commentaires sur l’origine des plaies. graves de proches, abandon, longues séparations, mésentente parentale, violences familiales, abus sexuels. Les difficultés du diagnostic Elles sont la conséquence de : re est quasiment toujours retrouvée, témoignant d’une carence affective infantile intense : décès ou maladies 4917 1- La mise à l’épreuve du médecin Il est difficile pour un médecin d’envisager ce diagnostic, qui obligatoirement va être source de sentiments complexes ANGIO MEP SEPT 22/04/04 9:56 Page 4918 Angio-Piège et violents, pouvant conduire d’ailleurs au rejet du malade par le médecin. Par ailleurs, ce diagnostic, même s’il est évoqué par le contexte clinique, ne peut s’envisager que si les diagnostics différentiels ont été préalablement écartés, sans pour autant multiplier les investigations complémentaires inutiles. Ainsi, dans le cas d’ulcères atypiques survenant chez une femme jeune, il faut éliminer une maladie de système (lupus ou syndrome des antiphospholipides), un épithélioma (biopsie cutanée), un pyoderma gangrenosum. Ce dernier diagnostic est probablement le plus délicat. En effet, le pyoderma est un ulcère inflammatoire, d’évolution prolongée, extensif, pouvant survenir après un traumatisme local mineur, fait de papulo-pustules laissant place à un ulcère bordé par un bourrelet inflammatoire. Le pyoderma peut accompagner des maladies inflammatoires digestives (maladie de Crohn) ou articulaires (polyarthrites), ou survenir de façon isolée. Dans ce dernier cas, en l’absence de spécificité histologique et de marqueurs biologiques, c’est un diagnostic purement clinique. Un test thérapeutique (corticoïdes administrés par voie générale) peut être utile lorsque le diagnostic est hésitant. 2- La mise à l’épreuve de la famille L’entourage de la patiente et même le médecin traitant sont souvent convaincus de l’organicité des troubles, et il faut un certain courage pour les avertir de ce probable diagnostic. La signification psychopathologique de la pathomimie L’interprétation des manifestations pathomimiques n’est pas simple, car la personnalité de ces patientes peut être Photos 4 et 5 : Ulcère du dos de la main chez une Egyptienne ne parlant pas le français. Guérison par des soins locaux et par des séjours réguliers en France, justifiés par la surveillance nécessaire de l’évolution de la main... Entourage affectif en France très présent. de type hystérique, psychotique ou borderline. Pour Consoli et coll., la personnalité du pathomimique présente les caractéristiques suivantes (2) : - un masochisme important (recherche active de situations de souffrance physique ou morale) ; - une pauvreté des liens sociaux (désert affectif) ; - une dépendance affective intense (absence de sécurité interne, doute sur sa propre valeur, crainte de déchoir aux yeux des autres) ; - une carence affective infantile intense. La conduite pathomimique a alors un sens : la partie lésée symboliserait la perte d’un être cher ou d’une situation d’attachement intense, et pourrait conjurer une blessure affective que la patiente n’a pas pu surmonter (7). Pour Fitoussi, l’acte pathomimique se Act. Méd. Int. - Angiologie (14) n° 245, septembre 1998 4918 fait lors d’un épisode de dissociation psychique (état schizoïde), dans le but inconscient de recevoir soins et affection (3). L’attitude du médecin praticien Si l’interprétation du comportement pathomimique n’est pas univoque, par contre les psychiatres sont unanimes sur la nécessité d’éviter une confrontation brutale avec le patient. Il ne faut pas rechercher le flagrant délit ou l’aveu, qui conduisent à l’effondrement du “moi dissocié” avec, dans le meilleur des cas, fuite de l’hôpital, et, au pire, décompensation psychotique, recrudescence du comportement autodestructeur et suicide. L’attitude du médecin praticien doit être celle de la connivence : laisser comprendre que l’on sait sans jamais le dire ANGIO MEP SEPT 22/04/04 9:56 Page 4919 explicitement. Cette connivence doit être associée à une écoute attentive et compréhensive, avec un regard neutre porté sur le patient et son trouble. La demande du patient est plus une quête de soins et d’écoute qu’une demande de traitement en vue de guérir. Une attitude bienveillante permet de stopper l’inflation des examens complémentaires, de fixer le malade et de lui octroyer la respectabilité qu’il recherche, en lui faisant comprendre qu’on le considère comme un malade sérieux. A terme cette mise en confiance peut permettre la prise en charge psychiatrique, ou même 1’abandon des comportements pathomimiques si le vécu personnel a permis au patient de surmonter son trouble. La prise en charge psychiatrique Elle est souhaitable, mais n’est acceptée que dans la moitié des cas. Idéalement, elle associe une hospitalisation initiale à une psychothérapie de soutien, puis à une psychothérapie analytique qui peut s’étendre sur plusieurs années, le travail analytique portant sur la restructuration du schéma corporel. Les psychiatres insistent sur l’intérêt de la prise en charge conjointe avec le médecin traitant. Lorsque les patients refusent la psychothérapie, il est possible de leur proposer de la relaxation avec des thérapeutes entraînés. Malgré la prise en charge psychiatrique, le pronostic des pathomimiques paraît réservé : dans la série de Sneddon, 33 malades sur 43 avaient accepté la prise en charge psychiatrique. Après un suivi moyen de 12 ans, 20 étaient guéris. Avec humilité, les auteurs attribuaient plutôt les guérisons à des changements intervenus dans la vie des patientes qu’à la prise en charge psychiatrique (9). Dans la série de Plassmann, sur onze patients ayant suivi le programme complet (psychothérapie de soutien, puis psychothérapie analytique), trois patients étaient guéris après quatre ans de suivi (6). Le pronostic des pathomimies semble difficile à préciser. Tous les degrés intermédiaires existent depuis l’acte patholomimique isolé, en réaction à une situation familiale précise, qui va disparaître avec la résolution du conflit familial, jusqu’aux conduites itératives provenant de personnalités hystériques ou psychotiques marquées. BREVES D’ANGIO Références bibliographiques 1. 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