Conséquences fonctionnelles de la sclérose en plaques et de la maladie de Parkinson P. Gallien, A. Duruflé-Tapin et V. Kerdoncuff À un moment ou à un autre de l’évolution de la sclérose en plaques (SEP), quatre malades sur cinq souffrent de troubles vésico-sphinctériens et un malade sur deux d’une incontinence fécale. Chez les parturientes atteintes de sclérose en plaques, les modalités d’accouchement et le pronostic fonctionnel périnéal qui en découle sont moins dépendants de la maladie neurologique que des contraintes obstétricales. Dans la maladie de Parkinson, la reconnaissance des troubles fonctionnels liés à la maladie neurologique est rendue difficile par l’intrication des désordres pelvi-périnéaux plus habituels du sujet âgé (pathologie prostatique, troubles de la statique pelvienne). INTRODUCTION La sclérose en plaques et la maladie de Parkinson sont deux affections neurologiques dont l’expression pelvi-périnéale pose parfois des problèmes importants de prise en charge thérapeutique. Les problèmes vésico-sphinctériens, de sexualité et les troubles digestifs observés pour chacune de ces deux maladies seront successivement abordés. SCLÉROSE EN PLAQUES La sclérose en plaques est une affection démyélinisante du système nerveux central du sujet jeune, touchant deux fois plus souvent la femme que l’homme. En France, la prévalence atteint 1/1 000 habitants avec une incidence annuelle de 5/100 000. Cette affection se caractérise par une dissémination spatio-temporelle des lésions qui peuvent être corticales ou/et médullaires (1, 2). La conséquence directe est un polymorphisme extrêmement important de la symptomatologie clinique, notamment sur le plan vésico-sphinctérien (3, 4). Près de 80 % des patients présentent des troubles vésico-sphinctériens, un patient sur deux des troubles du transit intestinal et jusqu’à 70 % des patients ont des troubles génito-sexuels (5). Le retentissement de ces troubles sur la qualité de vie est majeur, d’autant plus qu’ils concernent une population jeune à prédominance féminine (6). Chez ces patientes se pose le problème de l’association des troubles liés à l’atteinte neurologique, aux éventuels traumatismes obstétricaux et, donc, de la conduite à proposer à ces femmes lors d’une grossesse pour limiter le risque périnéal. Troubles vésico sphinctériens La survenue des troubles urinaires est variable dans l’évolution de la maladie. Ils peuvent être inauguraux dans 2 à 34 % des cas survenant parfois de façon isolée. Leur fréquence s’accroît avec l’importance du handicap coté sur l’échelle de Kurtzke (7). La symptomatologie est polymorphe (3, 4, 8). Le tableau le plus fréquent associe pollakiurie, impériosité avec ou sans incontinence. La dysurie est diversement appréciée par les auteurs : dysurie d’attente, de poussée, jet urinaire haché et impression de ne pas bien vider sa vessie. La présence d’un résidu postmictionnel dans ce contexte est fréquente. L’incontinence est le plus souvent associée aux impériosités, mais une composante d’inconti- 528 Pelvi-périnéologie nence d’effort peut y être associée. Dans ce dernier cas, il sera important d’essayer de faire la part des choses entre ce qui revient à l’atteinte neurologique et ce qui relève d’une insuffisance périnéale. Au cours de la maladie, la symptomatologie va être fluctuante et nécessiter une réévaluation clinique régulière notamment pour ajuster au mieux la prise en charge thérapeutique. L’absence de corrélation entre la symptomatologie clinique et les dysfonctionnements vésico-sphinctériens en jeu rend souvent nécessaire une évaluation urodynamique (3, 4). Le plus souvent, le tableau retrouvé est celui d’une hyperactivité vésicale, mais une hypoactivité vésicale peut également être présente. Une dyssynergie vésico-sphinctérienne (DVS) est retrouvée dans plus de la moitié des cas (fig. 1). Un résidu chronique peut donc être la conséquence soit d’une hypoactivité soit d’une dyssynergie vésico-sphinctérienne. Son existence justifie donc une exploration urodynamique pour en déterminer l’étiologie exacte. La dyssynergie vésico-sphinctérienne peut induire un régime à haute pression intravésicale (fig. 1) favorisant l’atteinte du haut appareil rénal dont la fréquence va augmenter avec l’aggravation du handicap (9, 10). Pour cette raison une surveillance régulière du haut appareil est nécessaire chez les patients dont le score atteint 6 sur l’échelle EDSS de Kurtzke, ce qui correspond à un périmètre de marche de cent mètres avec aide. Malgré tout, la complication la plus fréquente reste l’infection urinaire, qui peut engager le pronostic vital chez des patients sous immunosuppresseurs. L’existence d’un résidu post mictionnel supérieur à 200 ml et le sexe masculin sont des facteurs de risque des atteintes fébriles (11). L’examen neuropérinéal ne présente pas de particularité spécifique : l’examen peut être normal ou retrouver un périnée flasque ou spastique. Peu d’études ont été réalisées sur les conséquences de la grossesse et de l’accouchement sur les troubles urinaires chez les patientes atteintes de SEP. Dans une étude récente portant sur une cohorte de 369 patientes, nous avons pu démontrer qu’il n’y avait aucune particularité dans le contexte de la SEP : le seul élément retrouvé était une tendance à la baisse de la pression urétrale au bilan urodynamique, comme pour les femmes sans pathologies neurologique (12). Chez ces patientes, les modalités d’accouchement seront donc déterminées en fonction des risques, obsté- trical et périnéal, selon les critères habituels et non en fonction de la notion de SEP. La prise en charge thérapeutique va passer dans un premier temps par la recherche d’un résidu postmictionnel (13). En cas d’absence de résidu et de complications rénales graves, un traitement symptomatique sera proposé : traitement de type anticholinergique dans le cadre des syndromes irritatifs, ou à visée sphinctérienne en cas de syndrome obstructif prédominant (alpha-bloquant). La desmopressinne peut être également proposée dans le cas des pollakiuries nocturnes. En cas de résidu postmictionnel important (supérieur à 100 ml) ou d’échec thérapeutique, un bilan complémentaire, notamment un bilan urodynamique, sera nécessaire pour évaluer au mieux le dysfonctionnement vésico-sphinctérien et la prise en charge thérapeutique. L’introduction de la toxine botulique dans le traitement des dyssynergies vésico-sphinctériennes, et de la capsaïcine dans les hyperactivités vésicales pourront être discutées. Les sondages intermittents restent une solution thérapeutique dans le cadre des vessies rétentionnistes échappant aux traitements médicamenteux per os. La rééducation périnéale peut être tout à fait intéressante dans le cadre de l’incontinence chez la femme, surtout quand il existe une composante d’incontinence d’effort. La persistance d’une motricité volontaire des muscles releveurs de l’anus paraît être un préalable nécessaire si l’on veut obtenir un bon résultat. La chirurgie a peu de place actuellement, la neuro-modulation est en cours d’évaluation dans la SEP. Les techniques d’agrandissement de vessie quand elles peuvent être discutées le sont souvent dans le cadre d’atteinte neurologique sévère ne permettant pas les autosondages, et une dérivation des uretères est alors souvent plus adaptée. Troubles du transit La constipation est le symptôme le plus fréquent, concernant 50 % de la population, avec finalement peu de conséquence sur le plan fonctionnel. En revanche, l’incontinence anale est souvent sous-estimée et nécessite un dépistage attentif. Chia, retrouve ainsi un épisode d’incontinence chez la moitié des patients de son étude (14). Le plus souvent, l’incontinence est associée à un tableau de constipation terminale, dans le cadre d’une altération de la commande volontaire du Conséquences fonctionnelles de la sclérose en plaques et de la maladie de Parkinson périnée, allant jusqu’à un trouble de relaxation du sphincter anal (15). Une hypoesthésie périanale, l’absence ou l’altération de la sensibilité rectale vont contribuer à l’incontinence (16). À l’inverse, des fuites sur impériosité peuvent être observées dans le cadre d’une hyperactivité motrice. Swash, dans une étude portant sur 12 patientes, sur des arguments électromyographiques a évoqué le rôle des traumatismes obstétricaux et de la multiparité dans la genèse de cette incontinence (17). La prise en charge thérapeutique passe dans un premier temps par une prise en charge de la constipation : recherche de facteurs favorisants, régime alimentaire adapté, utilisation de laxatif, lavement et défécation régulière permettent le plus souvent de régler le problème de l’incontinence. En cas d’échec des mesures de base, un bilan fonctionnel s’impose (défécographie, manométrie anorectale avec électromyographie périnéale) pour adapter au mieux le traitement. Troubles sexuels Selon les différentes études 26 à 75 % des hommes présentent une dysérection. Ces troubles peuvent s’associer à une baisse de la libido. De plus, une composante psychogène va souvent s’associer liée à la peur de l’échec (5, 18). La part de chacune des composantes est importante à analyser pour la mise en place d’une thérapie adaptée. Chez la femme les difficultés sont souvent sous-estimées et non recherchées, alors que la fréquence est tout aussi grande : baisse de la libido, anorgasmie, sécheresse vaginale, dyspareunie. Les troubles urinaires sont fortement intriqués et tendent à majorer les difficultés : la peur de la fuite urinaire lors des relations sexuelles peut amener la femme à éviter cellesci (19, 20). Chez l’homme et la femme, la symptomatologie générale est également à prendre en compte : la fatigabilité, symptôme à part entière extrêmement fréquent, la spasticité, les douleurs, un syndrome dépressif… L’influence de la température doit également être explorée : une douche froide préalable peut améliorer les performances. La prise en charge passe par les moyens thérapeutiques spécifiques classiques et aussi par la prise en charge des symptômes généraux. L’explication au niveau du couple est importante, elle permet de dédramatiser la situation en insistant 529 sur ce qui revient à l’atteinte organique, évitant ainsi les quiproquos au sein du couple et en essayant de les amener à modifier si nécessaire leurs pratiques amoureuses (21). MALADIE DE PARKINSON La maladie de Parkinson idiopathique est une affection dégénérative du système nerveux central touchant les neurones dopaminergiques du locus niger (22, 23). Elle débute insidieusement le plus souvent vers l’âge de 60-65 ans et s’aggrave progressivement. 1,5 % de la population âgée de plus de soixante-cinq ans est atteint avec un sexratio de 1. Les critères cliniques principaux sont le tremblement de repos, la bradykinésie et la rigidité avec un début qui est volontiers asymétrique. Les troubles vésico-sphinctériens sont fréquents, rarement révélateurs (24, 25). Le problème de l’intrication avec des pathologies urologiques ou gynécologiques fréquentes chez le sujet âgé se pose : pathologie prostatique, cervico-cystoptose, etc. Troubles véscosphinctériens Les troubles sont polymorphes, le tableau le plus fréquent associe pollakiurie, impériosité avec parfois fuites, le handicap moteur peut parfois majorer les fuites. Les syndromes obstructifs sont plus rares. Sur le plan urodynamique le tableau le plus fréquent est celui d’une hyperactivité vésicale, mais une hypoactivité vésicale, ou une dyssynergie vésico-sphinctérienne peuvent également être retrouvées (26). L’interprétation de la symptomatologie et des données urodynamiques doit tenir compte du contexte clinique lié à l’âge : devant une hyperactivité vésicale chez l’homme il faut éliminer en premier lieu un obstacle prostatique avant de retenir un dysfonctionnement neurologique. De même, avant de se lancer dans une chirurgie prostatique, l’étiologie neurologique doit être évoquée, le risque d’incontinence postopératoire est effectivement majeur dans ce contexte. Concernant les complications, elles sont rares et ne paraissent pas liées spécifiquement au dysfonctionnement neurologique. 530 Pelvi-périnéologie La présence d’une dyssynergie vésico-sphinctérienne ou d’une hypoactivité vésicale peut également être un argument diagnostique pour un syndrome parkinsonien autre, atrophies multisystèmes par exemple (26, 27). Troubles du transit La constipation est fréquente atteignant 50 % des patients (28), soit du fait d’un trouble du péristaltisme colique, soit en raison d’une constipation terminale. Mathers, a mis en évidence une dystonie des muscles du plancher pelvien avec une activation paradoxale des muscles puborectaux pendant l’effort (29). Cette complication terminale peut se compliquer de fécalome ou de fissure La sévérité de la constipation est corrélée à la sévérité et à la durée d’évolution de la maladie (30). Le traitement comporte une adaptation du régime alimentaire, la prise de cisapride peut améliorer le trouble du transit (31). Troubles sexuels Les troubles sexuels sont fréquents avec une baisse de la libido, 60 % des hommes se plaignent de dysérection, chez la femme anorgasmie et vaginisme sont retrouvés chez un tiers des patientes (32, 33). Aucune relation n’a été mise en évidence entre la sévérité du handicap moteur et l’importance des troubles sexuels, en revanche la sévérité du handicap est un facteur important au niveau du couple, qui perturbe la relation amoureuse. Comme pour les troubles urinaires, il est important de tenir compte de l’âge des patients et de la comorbidité qui y est liée. À côté des traitements symptomatiques, la prise en charge du couple est un élément important. Enfin, il faut signaler certains comportements d’hypersexualité, qui sont souvent d’origine iatrogène liée aux agonistes dopaminergiques (34). Références 1. Coustans M (2000) Sclérose en plaques : aspects cliniques et diagnostiques. Neuropsy 15: 178-82 2. Poser CM (1994) The epidemiology of multiple sclerosis: a general overview. Ann Neurol 36: 180-93 3. Amarenco G et al. (1995) Bladder and sphincter disorders in multiple sclerosis. Clinical, urodynamic and neurophysiological study of 225 cases. Rev Neurol 151: 722-30 4. Gallien P et al. (1998) Vesico-urethral dysfunction and urodynamic findings in multiple sclerosis: a study of 149 cases. Arch Phys Med Rehabil 79: 255-7 5. Gallien P, Robineau S (1999) Sensory-motor and genito-sphincter dysfunction in multiple sclerosis. Biomed Pharmacother 53: 80-5 6. Catanzaro M et al. (1982) Urinary bladder dysfunction as a remedial disability in multiple sclerosis: a sociologic perspective. Arch Phys Med Rehabil 63: 472-4 7. 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