D O U L E U R P our un traitement de fond de la douleur en rhumatologie L a douleur est devenue une priorité dans la prise en charge des pathologies ostéo-articulaires et les rhumatologues se sont largement investis dans ce domaine qu’ils avaient longtemps délaissé. Les douleurs sévères sont maintenant mieux prises en charge et le recours aux antalgiques de palier 3 n’est plus exceptionnel. L’éventail thérapeutique est assez développé pour prendre en charge la plupart des douleurs, qu’elles soient arthrosiques, post-traumatiques ou inflammatoires, mais des efforts restent à faire dans la prescription pour améliorer la prise en charge des douleurs quotidiennes. Si l’on estime normal de prendre un traitement antihypertenseur ou hypocholestérolémiant au long cours, alors que ces anomalies ne sont pas symptomatiques et qu’il s’agit de traitements préventifs, il faut encore convaincre les praticiens mais surtout les patients de prendre en charge les douleurs quotidiennes. Ceci paraît indispensable pour améliorer la qualité de vie des patients, mais aussi pour prévenir l’évolution vers des tableaux douloureux chroniques intriqués, plus difficiles à prendre en charge. Combattre les préjugés Très souvent, les préjugés de certains patients rendent difficile la prise en charge de douleurs modérées, quotidiennes. Le patient ne juge pas toujours nécessaire de prévenir son médecin, pensant qu’il est normal de souffrir régulièrement, de douleurs arthrosiques en particulier. La douleur est ainsi considérée comme indissociable du vieillissement, on pense qu’elle ne peut pas être traitée ou encore qu’elle possède des vertus rédemptrices. Ces idées sont souvent véhiculées par l’entourage des patients. Les préjugés concernent également les substances pharmacologiques : les patients pensent que l’on s’habitue au traitement, qu’il faut essayer “d’économiser” les 36 médicaments, et débuter par les doses les plus faibles. On sait au contraire qu’il vaut mieux commencer à fortes doses (sauf pour les antalgiques de palier 3) pour agir d’emblée plus efficacement et permettre au patient de reprendre ses activités en évitant la pérennisation du problème douloureux. Agir ainsi permet de prendre des doses cumulées moins fortes que si l’on commence à petites doses en les augmentant au fur et à mesure. Améliorer l’observance des traitements Si les patients sont persuadés de la nécessité de mieux traiter leurs douleurs, le plus souvent les traitements ne sont pas évalués régulièrement, leurs prises ne sont pas adaptées aux horaires de la douleur maximale. En rhumatologie où la douleur est souvent indissociable du handicap qu’elle entraîne, il faut aussi moduler les traitements en fonction de l’activité physique, si possible de façon préventive. À l’inverse d’autres traitements, comme les antidiabétiques ou les antihypertenseurs, le traitement est souvent prescrit sans conseils et le patient n’est pas suffisamment accompagné pour gérer ce traitement. Fixer des règles de prescription On pourrait proposer les règles suivantes pour la prise en charge des douleurs quotidiennes en rhumatologie : ! analyser le mécanisme de la douleur et les intrications psychologiques, fonctionnelles, professionnelles ; ! récapituler l’ensemble des traitements déjà entrepris, les causes d’échec, les effets secondaires indésirables ; ! évaluer le contexte pathologique, rechercher des tares sous-jacentes ; ! préférer la voie orale et débuter par un antalgique de palier 1 ; ! prescrire à horaires fixes déterminés avec le patient en fonction du rythme de la douleur et des activités du patient : il faut préférer des antalgiques de prise facile (1 à 2 prises quotidiennes) afin d’obtenir une meilleure observance ; ! rédiger la prescription d’antalgiques de manière personnalisée ; ! évaluer régulièrement la douleur résiduelle pour optimiser la prescription : antalgique de secours éventuel tel le paracétamol (jusqu’à 4 g par jour en France actuellement) ; ! évaluer et surveiller les effets secondaires : préférer la posologie minimale efficace pour les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) (idem pour les antalgiques opioïdes forts) ; La Lettre du Rhumatologue - n° 264 - septembre 2000 ! éviter les associations d’antalgiques en dehors de la prescription : certains antalgiques vendus sans ordonnance sont en fait des AINS faiblement dosés (ibuprofène, kétoprofène...) qui risquent d’interagir avec les AINS prescrits. Quels antalgiques pour les douleurs quotidiennes ? Les douleurs ostéo-articulaires sont le plus souvent liées à des mécanismes d’hyperexcitabilité des nocicepteurs. Il paraît donc logique de préférer dans un premier temps les antalgiques de palier 1 dits “antalgiques à action périphérique”. Parmi ceux-ci on retient essentiellement les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et le paracétamol, les autres antalgiques périphériques tels que la floctafénine, le néfopam et la noramidopyrine étant réservés à des situations marginales en raison des risques liés à leur utilisation. Dans les rhumatismes inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde, les spondylarthropathies ou les arthropathies microcristallines en poussée, il est bien sûr justifié d’employer les AINS. Dans l’ar- throse douloureuse des membres et du rachis, les AINS ne sont pas supérieurs au paracétamol, en raison de leurs effets secondaires et des interactions médicamenteuses fréquentes chez des sujets âgés, souvent polymédicamentés. Malgré tout, la préférence des patients va souvent aux AINS, en particulier dans les poussées inflammatoires d’arthrose. Très souvent, les patients associent le paracétamol aux AINS pour une plus grande efficacité. Les AINS peuvent donc être considérés comme de véritables antalgiques en rhumatologie, parfois supérieurs ou équivalents aux antalgiques de palier 2, ce qui remet en cause la classique échelle de l’OMS pour les antalgiques en rhumatologie. Malgré tout, la prise d’AINS expose à des risques digestifs et rénaux, en fonction de la dose, de la durée d’administration et du terrain. Les accidents hémorragiques digestifs et les perforations gastro-duodénales ont une incidence annuelle estimée entre 0,4 et 2/1 000 (0,4/1 000 chez le sujet jeune et 4/1 000 chez le sujet âgé), qui diminue avec la prise de nouveaux composés comme les inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase 2. L’utilisation d’AINS à doses antalgiques, faibles, permet également de réduire significativement l’incidence des effets secondaires. Les autres complications, en particulier rénales, sont également favorisées par le terrain (insuffisance cardiaque, déshydratation, cirrhose décompensée...) et les interactions médicamenteuses (associations à d’autres AINS, à des diurétiques, antidiabétiques...). Pour réduire les risques liés à la prise d’AINS au long cours, il est nécessaire de vérifier l’absence de contre-indications et l’on peut utiliser de faibles doses, considérées comme antalgiques et faiblement anti-inflammatoires. Conclusion La prise en charge de la douleur quotidienne en rhumatologie peut être optimisée et doit faire partie du rôle du rhumatologue. L’application de certains principes, en particulier l’évaluation régulière de l’efficacité et de la tolérance des traitements, devrait permettre d’améliorer le contrôle de ces douleurs, souvent négligées, pour une meilleure qualité de vie des patients en rhumatologie. S. Perrot Service de rhumatologie A et Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Cochin, Paris iques bibliograph Références " Bannwarth B. Analgésiques non morphi- " Koes BW, Scholten RJP, Mens JMA, Bouter niques. Principes et règles d’utilisation. Rev Prat 1996 ; 46 : 1025-30. LM. Efficacy of NSAIDs for low back pain : a systematic review of randomized clinical trials. Ann Rheum Dis 1997 ; 56 : 214-23. " Bannwarth B. Les douleurs rhumatismales relèvent-elles de la stratégie antalgique par paliers de l’OMS ? Rev Rhum (ed fr) 1999 ; 66 : 277-80. 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