COMMENT TRAITER UNE CAPSULITE RÉTRACTILE Intérêt de la distension capsulaire, de la mobilisation sous anesthésie générale et de la rééducation intensive dans le traitement de la capsulite rétractile primitive de l’épaule Interest of the joint distension, manipulation under anesthesia and intensive supervised physiotherapy in treatment of the adhesive capsulitis of the shoulder ● M.M. Lefèvre-Colau*, F. Fayad*, F. Rannou*, Y. Mace*, S. Seri*, J. Vidal**, S. Poiraudeau* P o i n t s f o r t s ■ La présence d’un plan capsulo-synovial épaissi et fibreux et d’une synoviale hypervascularisée, congestive (données peropératoires, en IRM et histologiques) sont des éléments justifiant les traitements locaux et une rééducation spécifique. ■ Le traitement de la capsulite rétractive (CR) dépend du stade d’évolution et de la gêne algo-fonctionnelle du patient. ■ Les traitements locaux intra-articulaires et la kinésithéra- pie supervisée sont justifiés à la phase intermédiaire de la CR, et permettent une amélioration des scores algo-fonctionnels et de la mobilité à court et moyen terme. Si la rééducation semble indispensable, surtout dans les stades évolués de la CR, ses modalités doivent être précisées et mieux évaluées. ■ Parmi les traitements locaux, l’arthrodistension, associée à une injection intra-articulaire de corticoïdes, paraît la plus efficace. ■ En cas d’échec du traitement conservateur, on peut proposer une mobilisation sous anesthésie générale, suivie, si nécessaire, d’une capsulotomie sous arthroscopie. Ces traitements nécessitent d’être mieux évalués. Mots-clés : Capsulite primitive - Injections intra-articulaires - Arthrodistension - Rééducation. Keywords: Adhesive capsulitis - Intra-articular distension Joint distension - Physiotherapy. * Service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, hôpital Cochin, Paris. ** Service de médecine physique et de réadaptation, hôpital Corentin-Celton, Issy-les-Moulineaux. 34 A u cours d’une capsulite rétractile (CR) primitive de l’épaule, la durée nécessaire à la restitution d’une indolence et d’une mobilité normale de l’épaule est en moyenne de 30 mois (1, 2). À la phase intermédiaire et à la phase de régression, l’importance de la gêne algo-fonctionnelle nécessite une prise en charge thérapeutique plus spécifique (3). Le but des traitements est de permettre une récupération plus précoce de la mobilité globale de l’épaule indolore, permettant la reprise des activités de la vie quotidienne. INTÉRÊT D’UN TRAITEMENT LOCAL ET D’UNE KINÉSITHÉRAPIE INTENSIVE Les modifications locales capsulo-synoviales décrites dans la CR justifient un traitement local (4). En effet, la plupart des observations peropératoires n’objectivent pas de vraies adhérences intraarticulaires, mais un plan capsulo-synovial épaissi avec une synoviale hypervascularisée congestive, dont l’histologie montre une vascularisation non spécifique sans modifications inflammatoires (4, 5). La capsule est hyperplasique, épaissie, rétractée, montrant à l’histologie un aspect nodulaire, laminaire ou mixte, constitué d’une cellularité importante de fibroblastes et myofibroblastes et de fibres collagènes matures, dont la principale localisation se situe à la face antéro-inférieure de la capsule, et plus particulièrement au niveau du ligament coraco-huméral et de l’intervalle des rotateurs (4, 6-12). Ces modifications capsulo-synoviales sont observées en IRM (13). Plusieurs études, réalisées avec injection intraveineuse (i.v.) de gadolinium, montrent un rehaussement capsulo-synovial dans l’intervalle des rotateurs et le récessus axillaire, par rapport à un groupe témoin, traduisant une hypervascularisation capsulo-synoviale (14-16). Tamai et al. observent une prise de contraste (gadolinium) plus marquée au niveau capsulo-synovial gléno-huméral qu’au niveau de la bourse sous-acromiale dans la CR, par rapport à un groupe témoin constitué de huit patients ayant un conflit La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 COMMENT TRAITER UNE CAPSULITE RÉTRACTILE sous-acromial (CSA) et de trois volontaires sains (17). Ces résultats ont été confirmés par trois études montrant un épaississement et un rehaussement capsulo-synovial de l’intervalle des rotateurs et du récessus axillaire dans la CR, statistiquement significatifs par rapport à des épaules saines ou ayant un CSA. Plus récemment, trois études par arthro-IRM ont été réalisées dans la CR, avec des résultats contradictoires (18-20). La présence d’un plan capsulo-synovial épaissi et fibreux ainsi qu’une synoviale hypervascularisée congestive sont des éléments justifiant des traitements locaux, mais également une rééducation spécifique. EFFICACITÉ DES TRAITEMENTS LOCAUX PAR INFILTRATION INTRA-ARTICULAIRE DE CORTICOÏDES ASSOCIÉE OU NON À LA KINÉSITHÉRAPIE Carette et al., dans une étude contrôlée randomisée contre placebo, ont comparé l’efficacité de trois traitements (infiltration intraarticulaire [i.a.] de 40 mg d’hexacétonide de triamcinolone, seule ou en association avec de la kinésithérapie, ou kinésithérapie seule) versus placebo (infiltration i.a. de sérum salé) chez des patients ayant une CR évoluant en moyenne depuis 22 semaines (21). Les résultats montrent que les deux groupes ayant eu une infiltration i.a. de corticoïdes étaient améliorés de façon statistiquement significative sur la douleur, la mobilité et la fonction par rapport aux deux autres groupes à trois semaines, six semaines et à trois mois. Dans le groupe associant l’infiltration i.a. et la kinésithérapie, à six semaines et à trois mois, le score algo-fonctionnel est meilleur (de façon non significative), ainsi que la récupération sur la mobilité (de façon significative), par rapport au groupe i.a. seul. La rééducation supervisée était débutée une semaine après l’infiltration et n’était pas intensive. EFFICACITÉ DE L’ARTHRODISTENSION PAR RAPPORT AUX INFILTRATIONS INTRA-ARTICULAIRES DE CORTICOÏDES ET VERSUS PLACEBO Dans une revue de la littérature, Alvado et al. ont réalisé une métaanalyse à partir de trois études comparant la distension capsulaire, associée ou non à une infiltration i.a. de corticoïdes, à l’infiltration seule (22). Le critère de jugement était le gain de mobilité dans l’abduction à trois mois. Il apparaît un effet statistiquement significatif en faveur de la distension capsulaire associée à une injection i.a. de corticoïdes. Buchbinder et al., dans une étude randomisée contrôlée contre placebo, ont montré, sur 46 CR primitives évoluant depuis en moyenne 118 jours (quatre mois), que le traitement associant arthrodistension et infiltration de corticoïdes permettait une amélioration statistiquement significative de l’ensemble des paramètres évalués (score de SPADI, évaluation du handicap prioritaire, douleur et mobilité) à trois semaines par rapport au groupe placebo (23). À six semaines, la différence restait significative pour le handicap prioritaire. Dans cette étude, la place de la kinésithérapie n’était pas évaluée. La Lettre du Rhumatologue - n° 316 - novembre 2005 PROTOCOLE PROPOSÉ À LA PHASE INTERMÉDIAIRE Nous proposons, chez des patients présentant une gêne algo-fonctionnelle importante et ayant déjà reçu un traitement médical, un protocole consistant en deux à trois injections i.a. d’anesthésique (avec effet de distension) et de corticoïdes associées à une rééducation intensive (3). Le traitement préconise une injection i.a. d’un volume maximal de xylocaïne. Après avoir évacué le liquide, nous injectons 125 ml d’acétate de prednisolone. Dès la fin de l’injection, alors que la sensibilité scapulo-humérale a diminué, des exercices de kinésithérapie visant une amélioration des gains d’amplitudes articulaires sont entrepris : contracter-relâcher de l’ensemble de la ceinture scapulaire ; postures lentes et progressives dans tous les secteurs de mobilité ; manœuvres de glissement scapulohuméral et de traction capsulaire empruntées aux techniques dites de Mesnell. Après 45 à 60 minutes, des exercices actifs sont demandés, puis le patient est placé dans un dispositif arthromoteur pour mobilisation passive continue. Celle-ci est entrecoupée de deux à trois périodes de 30 à 40 minutes de kinésithérapie à sec, alternées avec des exercices en balnéothérapie. Nous avons évalué ce traitement dans une étude prospective ouverte portant sur 22 patients (23 épaules) d’âge moyen de 51,5 ± 7,4 ans et dont la durée d’évolution de la CR était de 8,1 ± 4,1 mois. Le retentissement de la maladie à l’inclusion était sévère (échelle visuelle analogique [EVA] de la douleur = 65,2 ± 30,3 ; score de Constant = 25,5 ± 12,6 ; EVA du handicap = 69,3 ± 16,6). Les patients ont été évalué en moyenne à 1,5 ± 1,0 mois. Les résultats montrent une amélioration statistiquement significative de tous les paramètres mesurés (p < 0,001). Ces résultats sont en accord avec ceux de Laroche et al., qui montrent, dans une étude ouverte portant sur 44 patients bénéficiant d’un protocole thérapeutique identique, une amélioration rapide (dès le cinquième jour) de la douleur et des amplitudes articulaires, cette amélioration se poursuivant de façon non significative jusqu’au trentième jour (24). Ces résultats doivent cependant être confirmés dans des études multicentriques, contrôlées, randomisées de cohorte homogène de patients. MOBILISATION SOUS ANESTHÉSIE GÉNÉRALE ET CAPSULOTOMIE ARTHROSCOPIQUE L’échec du traitement conservateur est décrit dans 20 à 40 % des cas (25). On parle alors de “CR résistantes”. Il s’agit le plus souvent de CR en phase régressive, dans le tableau clinique desquelles la raideur prédomine. À ce stade, deux types de traitement sont proposés : la mobilisation sous anesthésie générale (AG) ou la capsulotomie arthroscopique à ciel ouvert. Protocole de mobilisation sous AG suivie d’une rééducation intensive proposé dans le service à la phase régressive de la CR. Le gain d’amplitude est obtenu sous courte AG. L’articulation scapulo-humérale est posturée en exerçant une force croissante dans les secteurs d’abduction, de flexion et de rotation externe (3). Dès le réveil, la douleur doit être traitée efficacement par administration de morphine, afin que l’épaule puisse être mobilisée immédiatement, sans difficulté et sans résistance. Une injection de 125 ml d’acétate de prednisolone le lendemain de la mobilisation permet 35 COMMENT TRAITER UNE CAPSULITE RÉTRACTILE habituellement de ne pas prolonger le traitement morphinique. Pendant le sommeil, l’épaule est placée sur un coussin d’abduction. Le programme de kinésithérapie est identique à celui décrit plus haut dans l’arthrodistension. Les résultats des études ouvertes évaluant la manipulation sous AG des CR montrent généralement 80 % de bons résultats. Deux études prospectives ouvertes montrent d’excellents résultats sur la mobilité et la fonction à court, moyen et long terme, après manipulation sous AG (26, 27). Aucune étude contrôlée randomisée n’a évalué la mobilisation sous AG. Certains critiquent l’absence de contrôle visuel de la mobilisation sous AG en raison du risque de lésions intra- et extra-articulaires. Loew et al., dans une étude prospective portant sur 30 patients présentant une CR évoluant depuis en moyenne 14,5 mois (6-30) et traités par manipulation sous AG, ont cherché au cours d’une arthroscopie réalisée immédiatement après la manipulation la présence de lésions intra-articulaires (28). L’arthroscopie immédiate montrait dans tous les cas une hémarthrose, ainsi qu’une rupture récente de la capsule. Des lésions intra-articulaires étaient observées dans 12 des 30 articulations, à type de lésions du labrum ou de rupture partielle du tendon du subscapularis dans sa portion intra-articulaire, sans que soit décrit leur retentissement clinique. Actuellement, il est recommandé de réserver ce traitement aux CR résistant au traitement conservateur et en phase d’évolution réfractaire. Enfin, en cas d’échec de la manipulation sous AG, (12,8 % à 20 % des cas), certains proposent une capsulotomie arthroscopique. La plupart des études évaluant la capsulotomie arthroscopique incluent des patients ayant des CR primitives et secondaires, et associent à la capsulotomie un geste sous-acromial de débridement (29, 30). Cela s’explique probablement par la faible incidence des CR résistantes nécessitant un tel geste. CONCLUSION Le traitement de la CR dépend du stade d’évolution et de la gêne algo-fonctionnelle du patient. Les traitements locaux i.a. et la kinésithérapie supervisée sont justifiés à la phase intermédiaire de la CR ; ils permettent une amélioration des scores algo-fonctionnels et de la mobilité à court et moyen terme. Si la rééducation semble indispensable, surtout dans les stades évolués de la CR, ses modalités doivent être précisées et mieux évaluées. En cas d’échec du traitement conservateur, on peut proposer une mobilisation sous AG, suivie, si nécessaire, d’une capsulotomie sous arthroscopie. Ces traitements nécessitent d’être mieux évalués. ■ Bibliographie 1. Reeves B. The natural history of the frozen shoulder syndrome. Scand J Rheumatol 1975;4(4):193-6. 2. Murnaghan JP. Adhesive capsulitis of the shoulder: current concepts and treatment. Orthopedics 1988;11(1):153-8. 3. Revel M, Ghanem N. Adhesive capsulitis of the shoulder. Rev Prat 1999;49 (Suppl. 13):1406-8. 4. Wiley AM. Arthroscopic appearance of frozen shoulder. Arthroscopy 1991; 7:138-43. 36 5. 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