cas clinique Maxillaires Mots-clés Maladie de Behçet - Extraction dentaire - Ostéite mandibulaire Keywords Behçet’s disease - Dental extraction - Mandibular osteitis Ostéite mandibulaire post-extraction dentaire chez un patient atteint de la maladie de Behçet Mandibular osteitis after dental extraction in a patient suffering from Behçet’s disease D. Trendel*, J.L. Florentin*, J.M. Dessus**, L. Bonne*, V. Vetter** U ne prise en charge telle que celle de ce patient de 49 ans qui consulte spontanément devant la persistance d’un œdème jugal droit indolore n’est pas exceptionnelle ; cette pathologie peut, bien souvent, être rattachée à une affection dentaire causale. ◀ Figure 1. Fistule chronique en région sous-mentale. Examen L’interrogatoire de notre patient a rapporté, entre autres, une extraction des dents numéros 45 et 46, réalisée sous anesthésie locale suivie d’une couverture antibiotique 7 mois auparavant, un tabagisme actif à 2 paquets par jour et une maladie de Behçet, diagnostiquée en 1983 et asymptomatique sous traitement. Lors de la première consultation, l’examen clinique a observé une mauvaise hygiène bucco-dentaire, traduite par la présence de nombreuses caries et de racines dentaires résiduelles, ainsi qu’une ulcération muqueuse responsable de la mise à nu d’une portion de la branche horizontale de la mandibule. La palpation bidigitale a révélé que cette ulcération était associée à un empâtement du plancher buccal couplé au comblement du vestibule homolatéral. Ce patient avait aussi des adénopathies cervicales de petite taille ainsi qu’une fistule cutanée sous-mentale responsable d’une suppuration chronique (figure1). Le bilan complémentaire a comporté un panoramique dentaire (figure 2), puis un examen tomodensitométrique du massif cervicofacial (figure 3). * Service ORL et chirurgie cervico-faciale, HIA Clermont-Tonnerre, Brest. ** Service odontologie, HIA Clermont-Tonnerre, Brest. 12 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 314 - juillet-septembre 2008 Figure 2. ▶ Panoramique dentaire montrant le séquestre osseux. ◀ Figure 3. Examen tomodensitométrique avec atteinte de la table interne de la branche horizontale de la mandibule. cas clinique La mise en évidence d’une lyse osseuse et la présence au sein de ce foyer d’un séquestre osseux de deux centimètres de grand axe ont conduit à poser le diagnostic d’ostéite d’origine septique. La prise en charge de ce patient a compris une intervention chirurgicale suivie d’un traitement médicamenteux. Le premier temps opératoire a consisté en la réalisation d’un drainage chirurgical de la formation abcédée avec prélèvement bactériologique aboutissant à l’isolement de deux germes : Haemophilus parainfluenzae et Streptococcus milleri. Le deuxième temps a reposé sur la résection du séquestre osseux et sur le curetage du foyer ostéitique (figure 4). La dernière phase a comporté une dissection du trajet fistuleux jusque dans la zone cutanée sous-mandibulaire, qui a été réséquée (figure 5) avant que la peau ne soit suturée. La brèche muqueuse a été fermée par un lambeau muqueux de glissement (figure 6). Le traitement chirurgical a été complété par l’administration parentérale d’antibiotiques : amoxicilline + acide clavulanique (1 g toutes les 8 heures), et métronidazole (500 mg toutes les 8 heures) afin de s’adapter à l’antibiogramme. Le traitement local a reposé sur des bains de bouche pluriquotidiens à l’aide d’une solution antiseptique. ◀ Figure 4. Résection du séquestre osseux mandibulaire et visualisation de la communication bucco-cervicale. Discussion Si des facteurs génétiques ont été incriminés dans l’étiopathogénie de la maladie de Behçet, des mécanismes immunitaires sont également identifiés, mais ils se traduisent plutôt par une réponse inflammatoire exagérée avec augmentation de la production de cytokines. Cependant, des dysfonctionnements endothéliaux et vasculaires dans cette maladie ont pour conséquence une altération de la vasodilatation liée aux cellules endothéliales et peuvent moduler la réponse inflammatoire (1). En fait, l’absence de douleur chronique et de signes locaux d’inflammation a été expliquée lors de la reprise de l’interrogatoire, et a permis de préciser le traitement pris par le patient dans le cadre de sa maladie de Behçet. En l’absence de la triade classique (2) qui associe des aphtes buccaux et génitaux à une uvéite, le patient n’avait pas jugé utile de préciser que sa maladie en était à un stade sévère, révélé par un accident thromboembolique associé à une irido-cyclite, à un érythème noueux et à des atteintes articulaires. La prise en charge de cette affection et la maîtrise de ses manifestations avaient nécessité l’introduction d’un traitement associant la prednisone, la colchicine et l’acide acétylsalicylique au long cours. Ainsi, l’utilisation régulière d’anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens a contribué à l’évolution torpide du foyer infectieux chronique. La réalisation du geste initial, effectué sous anesthésie locale, avait nécessité l’utilisation de vasoconstricteurs locaux (Xylocaïne adrénalinée®) qui ont pu favoriser l’ischémie locale. Le temps de fraisage osseux a pu occasionner un échauffement de l’os qui, lors de l’extraction, a été exposé à des microtraumatismes locaux, ceux-ci ayant favorisé la mise en place d’une alvéolite postopératoire (3). Outre les symptômes habituels, la maladie de Behçet peut également, comme c’est le cas ici, s’accompagner d’atteintes extracutanées qui en font la gravité (4). L’atteinte articulaire, présente ▲ Figure 5. Résection cutanée sous-mandibulaire et exérèse du trajet fistuleux. ▼ Figure 6. Aspect en bouche après lambeau muqueux de glissement. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 314 - juillet-septembre 2008 | 13 cas clinique dans 50 % des formes cliniques, n’occasionne classiquement pas de séquelle. Les manifestations oculaires sont fréquentes (60 % des cas) et leur répétition altère l’acuité visuelle. Enfin, l’atteinte vasculaire, révélatrice de l’affection chez notre patient, se traduit habituellement par des thromboses veineuses superficielles et/ ou profondes, avec parfois l’association d’une artérite inflammatoire pouvant occasionner une souffrance dans les territoires vascularisés par ces artères. La prescription d’anti-inflammatoires au long cours, comme chez notre patient, s’accompagne d’une dépression immunitaire durable qui persiste bien plus de huit jours après leur arrêt (5). D’autres facteurs ont pu favoriser l’ostéite mandibulaire chez ce patient. Une étude portant sur 219 sujets conclut que les facteurs favorisant la survenue d’une ostéite et d’autres complications, dans les suites d’une extraction dentaire, sont principalement le tabagisme, les extractions concernant les troisièmes molaires inférieures et les extractions délabrantes (6). Conclusion Dans le cadre de la réalisation en pratique courante de soins, voire d’extractions dentaires sous anesthésie loco-régionale, la prescription par le dentiste d’anti-inflammatoires à visée antalgique est fréquente. Cependant, leur administration chez un sujet fragilisé, ou sur un terrain infectieux non maîtrisé par les antibiotiques, expose le patient à de nombreuses complications (cellulites, abcès, ostéites, etc.) dont la prise en charge peut relever d’une chirurgie sous anesthésie générale en ORL. Leur prescription doit être raisonnée et associée à la recherche systématique et soigneuse de facteurs de risque. Enfin, dans le cadre d’extractions multiples, il semble que la réalisation du geste sous anesthésie générale permette de diminuer le risque d’alvéolite post-opératoire en raccourcissant le temps d’intervention et en évitant le recours aux vasoconstricteurs locaux (7, 8). ■ Références bibliographiques 1. Onder M, Gurer MA. The multiple faces of Behçet’s disease and its aetiological factors. J Eur Acad Dermatol Venereol 2000;15:126-36. 2. Szpirglas H. Diagnosis of mouth ulcers. Rev Prat 2002;52(4):375-9. 3. Parant M. Petite chirurgie de la bouche. Paris : Elsevier, 2004, 396 pages. 4. Barete S, Chosidow O, Francès C. Maladie de Behçet. Traité de médecine AKOS. Paris : Elsevier-Masson SAS, 2003;2-0720. 5. Girard P, Penne G, Missika P. Médecine et chirurgie dentaire. Paris : éditions CdP, 1988:1 120 pages. 6. Heng CK, Badner VM, Clemens DL, Mercer LT, Mercer DW. The relationship of cigarette smoking to postoperative complications from dental extractions among female inmates. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2007;104(6):757-62. 7. Coulon JP, Piette E. Aphtes banals, aphtose buccale et récidivante et maladie de Behçet. Encycl Med Chir. Stomatologie. Paris : Elsevier-Masson SAS, 2007;22050-N10. 8. Maes JM, Raoul G, Omezzine M, Ferri J. Ostéites des os de la face. Encycl Med Chir Stomatologie. Paris : Elsevier-Masson SAS, 2005;22-062-D10. Diplôme interuniversitaire Dissection de l’os temporal Du 6 au 8 janvier 2009 (service ORL, hôpital Beaujon, institut d’anatomie, faculté des Saints-Pères) Ces journées sont organisées par le Pr O. Sterkers avec la collaboration des Drs D. Bouccara, A. Bozorg Grayeli, I. Mosnier, M. Kalamarides et des Prs C. Vacher, D. Assimakopoulos, A. Benghalem, H. Chelly, H. El Garem et H. Wu. Elles comprennent des cours théoriques, des présentations de cas chirurgicaux et de vidéos ainsi que des démonstrations de pose d’implants (Otologics®, Cochlear®, Baha®, Vibrant MED-EL®). Pour tout renseignement, s’adresser au secrétariat du service ORL de l’hôpital Beaujon. Tél. : 01 40 87 45 93. Fax : 01 40 87 44 52. E-mail : [email protected] 14 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 314 - juillet-septembre 2008