Pratique Soins 15 Produits sanguins allogènes Quelles alternatives ? Traditionnellement, la transfusion de produits sanguins est réalisée dans la prise en charge des troubles de l’hémostase et d’une hémorragie chirurgicale. Compte tenu des risques infectieux et de la méfiance des patients, certains moyens peuvent être des alternatives, comme la transfusion autologue. C haque année, environ 3 millions d’unités de PSL (produits sanguins labiles) sont distribuées en France et 700 000 patients sont transfusés. Au mois de mai 2002, les données générales ont permis de chiffrer à 40 000 fiches d’incidents transfusionnels (FIT), soit une moyenne de 2,5 incidents transfusionnels pour 1 000 PSL distribués, avec un rythme de déclarations mensuelles de 7 700. Cent quatre-vingt-douze décès ont été déclarés. Plus de 98 % de ces incidents sont liés à des PSL homologues, alors que le taux d’incidents transfusionnels autologues est estimé à 0,5 pour 1 000 PSL transfusés. Des produits sous surveillance Certes, au cours de ces dix dernières années, la sécurité transfusionnelle a permis de réduire sensiblement les risques de complications de la transfusion, particulièrement en ce qui concerne les maladies provoquées par les virus. Cependant, certains risques subsistent. Ce sont, d’une part, les risques immunologiques. Parmi ces risques, l’incompatibilité ABO reste le plus fréquent (1 accident sur 139 000 transfusions de globules rouges [TGR]). D’autre part, les risques infectieux sont dominés par la contamination bactérienne. L’incidence générale est de 12,6 contaminations par million de PSL homologues transfusés, l’incidence des décès étant de 0,7 par million de concentrés de globules rouges (CGR). Le risque de transmission de virus majeurs semble maîtrisé. « Il existe pourtant un risque résiduel de 1/450 000 dons pour le VHB, 1/700 000 pour le VHC et 1/750 000 pour le VIH. Il reste certains risques liés à d’autres virus comme les parcovirus, les virus leucotropes et les virus d’hépatite comme le TT, le G ou d’autres non AE », souligne le Dr Jean-Marc Debue (Paris)*. Les risques allergiques concernent plus de 25 % des incidents, et la surcharge semble responsable de un quart des décès possiblement liés à la transfusion. Ceux-ci peuvent être évités par des mesures de prévention simples et efficaces. Cependant, le problème est posé quant aux risques émergents tels que celui lié au nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (non prouvé à ce jour) ou le risque de la transmission de virus animaux. En bref, deux risques majeurs subsistent malgré tous les efforts déployés : le risque immunologique, où l’erreur humaine prédomine, et le risque d’incident par contamination bactérienne. La transfusion autologue La transfusion autologue est la collecte et la ré-infusion au patient de son sang ou de ses composants. Les trois techniques de transfusion autologue les plus communes sont la prédonation ou transfusion autologue différée (TAD), l’hémodilution normovolémique aiguë et les techniques d’autotransfusion peropératoire. Des lois régissent ce type de transfusion. • ART. 10. – Le prélèvement du sang en vue d’une transfusion autologue prévue à l’article 9 de la loi n° 03-94 susvisée, ne peut être effectué que par un docteur en médecine et sur indication médicale de celui-ci. • ART. 11. – Le patient, proposé pour une transfusion autologue, doit être informé des risques, avantages, contraintes et modalités de cette technique. Le prélèvement en vue d’une transfusion autologue ne peut se faire qu’après consentement écrit de l’intéressé ou de son représentant légal et si les examens préliminaires ci-après sont normaux : – Examen clinique complet (capital veineux, état cutané). – Examens complémentaires (électrocardiogramme, radiographie pulmonaire, ionogramme sanguin et urinaire, hémogramme, bilan d’hémostase). Le sang prélevé en vue d’une transfusion autologue est soumis aux mêmes analyses biologiques visées à l’article premier du présent décret. • ART. 12. – La poche de sang prélevé en vue de la transfusion autologue est réservée à son donneur. Cette poche doit indiquer les nom, prénom, date de naissance, sexe et le numéro de dossier du patient, ainsi que la date de péremption de la poche. • ART. 13. – Avant toute transfusion autologue, il est procédé à un contrôle du groupe ABO au lit du malade à l’aide d’une carte de contrôle prétransfusionnel. ART. 14. - Le prélèvement, la préparation, la conservation et la distribution des dérivés sanguins destinés à une transfusion autologue sont de la compétence des centres de transfusion sanguine relevant du ministère de la Santé publique. • ART. 15. – On entend par “milieu de soins”, visé à l’article 10 de la loi n° 03-94 précitée, les centres hospitaliers, les hôpitaux, les maisons d’accouchement médicalisées et les cliniques. • ART. 16. – Toute poche de sang total ou culot globulaire doit être accompagnée d’une carte de contrôle prétransfusionnel pour exécuter les épreuves de compatibilité dans le système ABO au lit du malade. >> Infos ... Si l’état de santé nécessite une transfusion sanguine, le patient doit être informé sur les avantages et les risques de la transfusion, ainsi que sur les examens à réaliser avant et après celle-ci. Dans le cas particulier d'une intervention chirurgicale, il est possible que la décision de transfuser soit prise lorsque le patient est anesthésié. Ainsi, et comme le prévoit la circulaire ministérielle n° 98/231 du 9 avril 1998, il doit être informé avant la transfusion. Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005 16 Pratique Soins >> – L’épreuve de compatibilité est obligatoirement effectuée avant la transfusion de chaque poche de sang. La carte susvisée doit être conservée dans le dossier du malade. La TAD Infos ... Les produits sanguins Regroupés sous le terme de “produits sanguins labiles” sont les globules rouges, le plasma frais congelé, les plaquettes et, beaucoup plus rarement, les globules blancs. Ces produits proviennent des dons de sang de donneurs bénévoles. Ils sont rigoureusement contrôlés et répondent à des normes obligatoires de sécurité et de qualité (sélection des donneurs, tests de dépistage sur chaque don), règles visant à assurer la qualité sur toute la chaîne, depuis le donneur jusqu’au receveur. L’arrêté du 24 mai 1998 fixe les règles régissant la Transfusion autologue programmée (TAD). Le prélèvement pour une TAD se définit comme le prélèvement d’une ou de plusieurs unités de sang chez un patient dans les semaines qui précèdent une intervention chirurgicale programmée et à haut risque hémorragique. L’objectif est de réduire, voire d’annuler, toute exposition au sang allogénique. Cette technique est surtout utilisée en chirurgie orthopédique. Mais le rapport coût/bénéfice a remis en question la méthode, compte tenu de la forte diminution du risque infectieux des produits sanguins, par le fait qu’un grand nombre d’unités prélevées ne sont pas transfusées et donc détruites. De plus, la logistique de la TAD est compliquée ; les érythrocytes ayant une période de conservation limitée à 35-42 jours, la date prévue de l’intervention doit être scrupuleusement respectée pour éviter le gaspillage. Par ailleurs, les patients ischémiques, ayant des difficultés d’accès veineux, atteints de maladies intercurrentes... ne peuvent faire un don de sang. Il existe des contre-indications absolues. • Pour les non-cardiaques, ce sont : l’anémie, l’hémoglobinopathie, l’hypovolémie, la déshydratation, la malnutrition, une infection bactérienne active, une maladie carotidienne significative, une ischémie transitoire récente de nature ischémique. • Pour les cardiaques, ce sont : l’angine de poitrine instable, la sténose significative du tronc commun, la maladie valvulaire aortique critique, l’insuffisance cardiaque globale non contrôlée. Les contre-indications relatives sont l’HTA non contrôlée, une masse cor- Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005 porelle < 30 kg, un accès veineux limité, une carence en fer, une grossesse, l’éloignement d’un centre de transfusion. La HNA L’HNA (hémodilution normovolémique aiguë) consiste à prélever immédiatement avant l’intervention une certaine quantité de sang et à le remplacer simultanément par des cristalloïdes ou des colloïdes. Il en résulte une baisse de l’hématocrite peropératoire, et donc une diminution de la perte absolue de globules rouges pendant l’opération, le sang perdu ayant un hématocrite plus bas. L’HNA met en jeu plusieurs mécanismes permettant de maintenir le transport en oxygène aux tissus sans pour autant que la volémie soit maintenue. « L’HNA représente une technique d’épargne sanguine efficace si quatre conditions sont réunies : ce sont un hématocrite initial d’au moins 40 %, un volume circulant estimé à au moins 5 litres, une hémodilution préopératoire abaissant l’hématocrite entre 20 et 25 % (ce qui correspond à un prélèvement de 1 500 à 2 000 ml) et un saignement peropératoire supérieur à un litre », souligne J.M. Debue. La technique offre plusieurs avantages alors que son efficacité reste controversée. Elle est pourtant rapide, facile, peu coûteuse et ne nécessite pas de délai avant l’intervention. Elle peut être utilisée dans la plupart des chirurgies, soit seule, soit en association avec d’autres techniques d’épargne sanguine. Le risque de contamination bactérienne ou d’erreur d’identification est extrêmement réduit. La maladie coronarienne ne contre-indique pas la technique. Par contre, l’ischémie ou l’instabilité hémodynamique peuvent limiter le volume de sang que l’on peut prélever en toute sécurité chez 30 % des patients. La récupération peret postopératoire du sang On a démontré que la récupération per- et postopératoire d’érythrocytes par les appareils de collecte et de lavage automatisé du sang perdu est utile dans tous les types de chirurgie. Néanmoins, il faut se méfier des complications potentielles nombreuses, incluant les coagulations secondaires à la dilution des facteurs de coagulation et au traumatisme ou à la disparition des plaquettes. Il existe des contre-indications : – la contamination du champ opératoire par des agents infectieux ou des liquides constitue un obstacle sérieux à l’utilisation de l’autotransfusion ; – la chirurgie cancérologique est une autre contre-indication habituelle. Le risque de dissémination par la technique des cellules malignes se retrouvant dans les poches de sang existe, mais il reste à l’heure actuelle mal défini. Plusieurs de ces méthodes ne sont pas nouvelles (récupération peropératoire du sang et hémodilution normovolémique). Des méthodes sont en phase d’essais cliniques, comme les substituts sanguins transporteurs d’oxygène et des facteurs de croissance recombinants. Il existe donc un certain nombre d’approches pharmacologiques et non pharmacologiques qui peuvent réduire, et parfois abolir, le besoin de PSL après une chirurgie lourde. Mais certaines de ces approches, trop onéreuses, ne peuvent être à la portée de tous, compte tenu des contraintes budgétaires imposées au système de soins. Récemment remise en question, la transfusion autologue s’inscrit pourtant dans les recommandations de l’Afssaps, mais également dans une démarche d’optimisation de la stratégie transfusionnelle. Toujours estil que de nombreuses stratégies ont été étudiées et sont recommandées pour diminuer la nécessité de produits sanguins allogènes, surtout après une intervention chirurgicale lourde. Certaines sont relativement bénignes, mais d’autres comportent leurs propres risques, qu’il convient d’évaluer. ALP Intervention du Dr Jean-Marc Debue (Paris), soirée FMC-ARCAJ