CAS CLINIQUE Mots-clés Hypertension intracrânienne idiopathique – Nerf oculomoteur commun – Aréflexie Keywords Idiopathic intracranial hypertension – Third nerve – Areflexia Hypertension intracrânienne idiopathique inhabituelle : paralysie bilatérale du nerf oculomoteur commun et aréflexie ostéotendineuse An unusual case of idiopathic intracranial hypertension: bilateral third nerve palsy and areflexia M. El Machkour*, R. Belfkih*, Z. Souirti*, O. Messouak*, M.F. Belahsen* L’ hypertension intracrânienne idiopathique ou bénigne est une pathologie de plus en plus fréquente. Son appellation “bénigne” doit être considérée avec beaucoup de précaution car elle engage le pronostic visuel. La forme typique peut comporter, en plus, des céphalées, des vomissements et des acouphènes ainsi qu’une éventuelle paralysie de la sixième paire intracrânienne. Dans certains cas rares, il peut exister d’autres types de paralysie des nerfs crâniens, voire une atteinte radi­culaire, plus ou moins importante. Nous rapportons ici le cas d’une hypertension intracrânienne idiopathique avec paralysie extrinsèque bilatérale de la troisième paire de nerfs crâniens associée à une aréflexie. Observation Une patiente âgée de 22 ans, sans antécédents pathologiques notables, présente un épisode de céphalées accompagnées de vomissements, d’une diplopie et d’une baisse de l’acuité visuelle, dont l’installation est rapidement progressive sur 24 heures. L’évolution sur 15 jours est marquée par une amélioration des céphalées et la disparition des vomissements, mais aussi par la persistance de la diplopie. Selon l’examen physique, la patiente est apyrétique, avec nuque souple ; elle a un poids de 78 kg pour une taille de 1,60 m et un IMC de 30,4. L’examen de l’oculomotricité a trouvé une paralysie bilatérale de la troisième paire de nerfs crâniens prédominant à droite (figure 1a et b). Une baisse importante de l’acuité visuelle a été estimée au compte des doigts à 1 m à droite et 3/10 à gauche. En dehors * Service de neurologie, CHU Hassan-II, Fès, Maroc. 334 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 d’une aréflexie achiléenne droite, aucun trouble neurologique n’a été constaté aux 4 membres. Le scanner cérébral avec et sans injection n’a pas révélé d’anomalies. L’IRM cérébrale avec une ARM (angiographie par résonance magnétique), ne montrant également aucune anomalie, a permis d’éliminer l’hypothèse d’une thrombose veineuse cérébrale. La ponction lombaire a montré une pression à 35 cm d’H2O avec évacuation de 20 cm3 de liquide céphalorachidien (LCR). L’étude cytobactériologique et chimique du LCR se révèle sans particularités : il n’y a pas, notamment, de synthèse intrathécale d’immunoglobulines. L’examen ophtalmologique a trouvé un œdème papillaire de stade III bilatéral. L’examen électroneuromyographique, réalisé pour les réflexes ostéotendineux abolis, n’a pas découvert d’anomalies. Un bilan biologique exhaustif (bilan inflammatoire, sérologie VIH, VDRL/TPHA, sérologie de Lyme, sérologie pour hépatites B et C, anticorps antinucléaires, anticorps anti-ADN natif, anticorps antiphospholipides) a été réalisé, éliminant les autres étiologies d’hypertension intra­crânienne. L’évolution après la ponction lombaire déplétive a été marquée par une amélioration nette de l’ophtalmoplégie (figure 2a et b) et par la réapparition des réflexes ostéotendineux. Cette réponse a permis de rattacher la symptomatologie clinique à l’hypertension intracrânienne. L’absence d’étiologie constatée après un bilan exhaustif a permis de poser le diagnostic d’une hypertension intracrânienne idiopathique atypique, vu l’existence d’une paralysie de la troisième paire de nerfs crâniens et l’abolition des réflexes. Discussion L’hypertension intracrânienne idiopathique, également appelée “bénigne”, est une pathologie de plus en plus fréquente, en lien CAS CLINIQUE Figure 1a. Photo avant traitement montrant la paralysie de l’adduction de l’œil gauche. Figure 1b. Photo avant traitement montrant la paralysie de l’adduction de l’œil droit. Figure 2a. Photo après traitement montrant une discrète limitation de l’adduction de l’œil gauche. Figure 2b. Photo après traitement montrant une discrète limitation de l’adduction de l’œil droit. avec l’augmentation de l’obésité (1). Sa bénignité doit être considérée avec précaution, car elle engage le pronostic visuel, si elle n’est pas prise en charge à temps. Le terme d’“hypertension intracrânienne idiopathique” est restreint aux cas où toutes les autres étiologies d’hypertension intra­crânienne sont éliminées (1, 2). Ses critères diagnostiques n’ont pas été mis à jour depuis les critères modifiés de Dandy, établis en 1985. Il s’agit d’un diagnostic par élimination. Les critères couramment utilisés sont les signes d’une pression intracrânienne élevée chez un patient conscient, sans signes neurologiques de localisation, en dehors d’une parésie ou d’une paralysie de la sixième paire de nerfs crâniens, unilatérale ou bilatérale. La pression intracrânienne est élevée, supérieure ou égale à 25 cm d’H2O, et sans anomalies cytochimiques du LCR. Une IRM couplée à l’angiographie veineuse (ARM) est systématique pour éliminer une hydrocéphalie, une tumeur intracrânienne et surtout une thrombose veineuse cérébrale (2). Il ne faut pas oublier certaines pathologies systémiques pouvant se manifester par la seule hypertension intracrânienne, en particulier le lupus érythémateux aigu disséminé ou le syndrome des anticorps antiphospholipides. La forme typique concerne principalement des jeunes femmes obèses (3). Cela dit, l’exclusion d’autres diagnostics doit être plus stricte chez les enfants et les patients de sexe masculin. Dans une étude contrôlée, les symptômes les plus fréquemment retrouvés ont été des céphalées (94 %), des scotomes visuels transitoires (94 %), des acouphènes pulsatiles (58 %), de la photophobie (54 %), de la diplopie (38 %), une baisse de l’acuité visuelle (30 %) et des douleurs périorbitaires liées aux mouvements oculaires (22 %) [4]. Le fond d’œil signale un œdème papillaire unilatéral ou bilatéral asymétrique (5) – qui peut être absent dans 6 % des cas (1). Pour ces derniers cas, la pression intracrânienne est moins importante que chez les patients avec œdème papillaire (6). La paralysie unilatérale ou bilatérale de la sixième paire de nerfs crâniens est le seul signe neurologique accepté fréquemment en matière d’hypertension intracrânienne idiopathique. Il est en effet retrouvé dans 30 % des cas (1, 2). D’autres types d’ophtalmoplégie ont aussi été décrits : la paralysie transitoire ou établie, extrinsèque, de la troisième paire de nerfs crâniens (7), la paralysie de la quatrième paire de nerfs crâniens, l’ophtalmoplégie internucléaire et l’ophtalmoplégie diffuse bilatérale. Notre patiente présente une paralysie extrinsèque bilatérale de la troisième paire de nerfs crâniens. Le mécanisme physiopathologique de l’atteinte de la troisième paire de nerfs crâniens (et des autres) semble secondaire à sa compression, sa distorsion ou son déplacement dans les espaces sous-arachnoïdiens par hyperpression du LCR (8). Comme dans le cas de notre patiente, la réversibilité de la paralysie oculomotrice après une ponction lombaire déplétive permet d’établir sa relation avec l’élévation de la pression intracrânienne. Des exemples anecdotiques d’atteinte de la cinquième ou de la septième paire de nerfs crâniens ont également été rapportés (1). L’atteinte radiculaire diffuse peut également être observée au cours d’une hypertension intracrânienne idiopathique. Elle se manifeste par une simple aréflexie, voire une tétraparésie aréflectique, mimant un syndrome de Guillain-Barré dans le cadre d’une La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 | 335 CAS CLINIQUE hypertension intracrânienne secondaire à une thrombophlébite cérébrale (9). En 2000, T. Obeid et al. (10) ont rapporté 2 cas d’atteinte radiculaire en rapport avec une hypertension intracrânienne : l’une idiopathique et l’autre sur thrombose veineuse cérébrale. Les patients ont été traités comme pour un syndrome de Guillain-Barré, par immunoglobulines intraveineuses, sans aucune amélioration (11). La ponction lombaire déplétive a amélioré les symptômes, permettant d’établir leur lien avec l’hypertension intracrânienne. L’atteinte radiculaire peut s’accompagner d’une dégénérescence axonale secondaire mimant une forme axonale de syndrome de Guillain-Barré. Cependant, la rareté des cas où l’existence d’un œdème papillaire qui se manifeste lors d’un syndrome de Guillain-Barré pousse à se méfier devant l’absence ou l’atypie des signes électrophysiologiques. Chez notre patiente, l’association d’une ophtalmoplégie et d’une aréflexie aurait plutôt fait penser à un syndrome de Miller-Fisher. On suspecte que le mécanisme de dysfonction radiculaire est en rapport avec l’élévation de la pression du LCR, responsable d’une distension des espaces sous-arachnoïdiens et donc d’un étirement ou d’une lésion des racines qui y passent (10). Une ischémie des nerfs par hyperpression des vaisseaux qui les irriguent peut également être suspectée (12). Les nerfs moteurs semblent plus vulnérables que les autres. L’association de 2 ou plus de ces signes cliniques atypiques, comme chez notre patiente, impose une plus grande vigilance quant au diagnostic d’hypertension intracrânienne idio­p athique. Conclusion En dehors de la paralysie de la sixième paire intracrânienne, fréquemment décrite dans un tableau d’hypertension intracrânienne idiopathique, d’autres types de paralysie des paires de nerfs crâniens sont aussi observés, bien que rarement, dans un tableau d’hypertension intracrânienne bénigne – en particulier, l’atteinte extrinsèque de la troisième paire. Une atteinte radiculaire plus ou moins sévère peut également se rencontrer dans ce cas de figure. Des tableaux atypiques nécessitent une vigilance importante lors du diagnostic d’hypertension intracrânienne idiopathique, vigilance qui se manifeste par un bilan exhaustif capable d’éliminer toutes les étiologies d’une hypertension intracrânienne. ■ Références bibliographiques 5. Wattamwar PR, Baheti NN, Radhakrishnan A. Idiopathic intracranial hypertension presenting as unilateral papil­ ledema. Neurol India 2010;58(5):818-9. 6. Digre KB, Nakamoto BK, Warner JE et al. A comparison of idiopathic intracranial hypertension with and without papilledema. Headache 2009;49(2):185-93. 10. Obeid T, Awada A, Mousali Y et al. Extensive radiculopathy: a manifestation of intracranial hypertension. Eur J Neurol 2000;7(5):549-53. 7. Rezazadeh A, Rohani M. Idiopathic intracranial hypertension with complete oculomotor palsy. Neurol India 2010;58(5):820-1. 11. Bortoluzzi M, Di Lauro L, Marini G. Benign intracranial hypertension with spinal and radicular pain. Case report. J Neurosurg 1982;57(6):833-6. 8. Larner AJ. False localising signs. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2003;74(4):415-8. 12. Parke WW, Watanabe R. The intrinsic vasculature of the lumbosacral spinal nerve roots. Spine 1985;10(6):508-15. Les laboratoires Teva et Lundbeck, engagés depuis de nombreuses années dans le domaine du système nerveux central et plus récemment dans la maladie de Parkinson, ont le plaisir de mettre à disposition, des patients et des professionnels de santé concernés, une nouvelle brochure sur la rééducation physique des patients atteints de maladie de Parkinson. Cette brochure « Rééducation et maladie de Parkinson » a pour but d’aider les patients parkinsoniens à retrouver ou maintenir une motricité qui leur permettra de mener une vie active. Elle est destinée aux patients désireux de faire eux-mêmes leur rééducation, à domicile. Rédigée par le Dr. Marc Ziegler (Neurologue à la Fondation Rothschild, Paris) et Jean-Pierre Bleton (Kinésithérapeute à l’Hôpital Saint-Antoine, Paris), elle rassemble une centaine d’exercices adaptés aux particularités de la maladie de Parkinson et aux difficultés rencontrées quotidiennement par les patients. Ces exercices variés et simples à exécuter, cherchent à répondre au plus grand nombre de situations rencontrées par les patients parkinsoniens. 336 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 BAT Publi AZILECT 185x86.indd 1 9. Moosa A, Kishore A, Gupta AK et al. Blindness, ophtalmoplegia and extensive radiculopathy: an unusual clinical syndrome in intracranial sino-venous thrombosis. Neurol India 2004;52(1):96-8. Plus de 180 illustrations aideront les patients à réaliser leurs exercices, selon leurs besoins, sur différentes parties du corps telles que : le cou et les épaules, les membres supérieurs, le tronc et la posture, les membres inférieurs, l’équilibre, la marche, le freezing, la prévention des chutes, l’écriture, la face, la parole, la respiration et les activités de la vie quotidienne. Cette brochure, disponible auprès des délégués médicaux Teva et Lundbeck, a reçu le soutien de l’association France Parkinson et de l’ordre des masseurs kinésithérapeutes. ENV/11/192/X - Septembre 2011 1. Radhakrishnan K, Ahlskog JE, Garritty JA et al. Idiopathic intracranial hypertension. Mayo Clin Proc 1994;69(2):169-80. 2. Sylaja PN, Ahsan Moosa NV, Radhakrishnan K et al. Differential diagnosis of patients with intracranial sinus venous thrombosis related isolated intracranial hypertension from those with idiopathic intracranial hypertension. J Neurol Sci 2003;215(1-2):9-12. 3. Radhakrishnan K, Thacker AK, Bohlaga NH et al. Epidemiology of idiopathic intracranial hypertension: a prospective and case-control study. J Neurol Sci 1993;116(1):18-28. 4. Giuseffi V, Wall M, Siegel PZ et al. Symptoms and disease associations in idiopathic intracranial hypertension (pseudotumor cerebri): a case-control study. Neurology 1991; 41(2Pt 1):239-44. 26/09/2011 14:22:04