C a s c l i n i...

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Cas clinique
Une céphalée inhabituelle chez
une patiente obèse
F. Pico*
M
lle K., 22 ans, éducatrice, obèse,
consulte aux urgences pour une
céphalée inhabituelle d’apparition récente.
Elle n’est pas migraineuse, fume 10 cigarettes par jour, et prend une contraception
orale par Harmonet®. Elle se plaint d’une
céphalée en casque apparue 6 jours avant la
consultation, d’installation et d’aggravation
progressive, permanente, pulsatile avec
photophobie et acouphènes, nausées et
quelques vomissements. Le jour de la
consultation, elle a eu un épisode de voile
noir devant les 2 yeux durant quelques
secondes (“éclipse visuelle”), puis une
diplopie horizontale.
À l’examen clinique, elle est apyrétique,
pèse 118 kg pour 177 cm, la pression artérielle est à 130/85 mmHg. La vigilance est
normale, la nuque est souple, la force, la
sensibilité, les réflexes ostéotendineux et
cutanés plantaires sont normaux. L’étude
des nerfs crâniens montre une paralysie du
VI droit. Au fond œil, à l’ophtalmoscope, il
existe un œdème papillaire bilatéral. Il
s’agit d’un tableau clinique d’hypertension
intracrânienne sans signes neurologiques
focaux. Un scanner cérébral, sans et avec
injection d’iode, élimine un processus
expansif intracrânien. Devant la normalité
du scanner cérébral, une ponction lombaire
est alors effectuée. La pression du liquide
céphalorachidien (LCR) est élevée : 40 cm
H20 (normale < 15 cm H2O) ; la cellularité
et la protéinorachie sont normales. Dans un
second temps, une IRM cérébrale avec
* Service de neurologie du Pr Saïd, hôpital
Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
ARM veineuse à la recherche d’une thrombophlébite cérébrale est effectuée ; elle est
négative (figure 1). La patiente est adressée
en consultation ophtalmologique, qui
confirme l’œdème papillaire bilatéral ;
l’acuité visuelle est normale aux deux yeux
et l’étude du champ visuel montre son
rétrécissement concentrique, avec un élargissement de la tache aveugle témoignant
d’une souffrance des nerfs optiques (figure 2).
Figure 1. IRM cérébrale.
Figure 2. Rétrécissement concentrique du champ
visuel et élargissement de la tache aveugle à droite
et à gauche, témoignant d’une souffrance des
nerfs optiques.
Le diagnostic d’hypertension intracrânienne
idiopathique (HTICI) est retenu devant le
tableau clinique (céphalée inhabituelle chez
une patiente obèse associée à des acouphènes et des éclipses visuelles sans signes
neurologiques focaux), la normalité de
l’IRM cérébrale, et l’élévation de la pression du LCR, avec un LCR par ailleurs normal. Un traitement reposant sur l’amaigrissement et l’acétazolamide (Diamox®) est
alors institué. Les céphalées, ainsi que les
éclipses visuelles, ont nettement diminué
après la ponction lombaire. La patiente a
perdu 20 kg en 3 mois, grâce à une prise en
charge spécialisée en service de nutrition.
Six mois après le début des symptômes,
elle n’est plus céphalalgique, son champ
visuel s’est normalisé, son poids est stable
et elle a pu reprendre son travail.
Cette observation illustre d’une part, la
démarche diagnostique à adopter devant un
cas de céphalée et d’autre part les caractéristiques de l’HTICI (appelée antérieurement pseudotumor cerebri ou HTIC
“bénigne”). L’anamnèse permet de classer
la céphalée selon son profil évolutif en
quatre catégories, chacune ayant une étiologie et une prise en charge différentes :
– céphalée violente et récente, d’installation brutale, où la crainte est celle de l’hémorragie méningée ;
– céphalée récente d’installation subaiguë,
évoquant un syndrome d’hypertension
intracrânienne (c’est le cas de l’observation) ;
– céphalée évoluant par accès avec intervalles libres (migraines, algies vasculaires
de la face, névralgie du trijumeau) ;
– céphalée chronique quotidienne (céphalée de tension, céphalée par abus médicamenteux). La patiente a une céphalée
récente d’installation subaiguë avec un syndrome clinique d’hypertension intracrânienne qui nécessite la réalisation d’un
scanner cérébral avec injection d’iode en
urgence, afin d’éliminer un processus
expansif intracrânien (tumeur, abcès, etc.).
La démarche diagnostique devant ce syndrome est résumée dans la figure 3. La
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Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 2, mars-avril 2001
Syndrome d'hypertension
intracrânienne
Imagerie cérébrale
(TDM et IRM)
Normale
Processus
expansif
● Hydrocéphalie
●
Ponction lombaire
avec prise de pression
gie précise de l’HTIC reste inconnue. La
présentation clinique est celle rapportée
dans l’observation et le diagnostic repose
sur les critères indiqués dans le tableau I.
Le piège diagnostic principal est la thrombophlébite cérébrale qui peut survenir sur
le même terrain et avoir la même présentation clinique (4). Ainsi, une IRM cérébrale
à la recherche d’un hypersignal en séquence T1 et T2 des sinus veineux (présent entre
J5 et J30) est nécessaire. De même, la
ponction lombaire permet d’objectiver
l’hyperpression du LCR et d’éliminer une
méningite chronique. La complication
majeure de cette pathologie est la cécité qui
survient dans 10 % des cas (5), le suivi
ophtalmologique avec champ visuel régulier est donc indispensable. La baisse
d’acuité visuelle survient à un stade tardif
et est précédée d’une altération du champ
visuel.
Tableau I. Critères diagnostiques de l’hypertension intracrânienne idiopathique.
Pression normale
LCR normal
Pression normale ou élevé
LCR anormal
Pseudo-œdème
papillaire
Thrombophlébite
Méningite chronique
Pression élevée
LCR normal
HTIC
idiopathique
Figure 3. Démarche diagnostique devant un syndrome d’hypertension intracrânienne.
crainte d’une tumeur cérébrale devant un
syndrome d’hypertension intracrânienne
explique les dénominations antérieures de
l’HTICI : pseudotumor cerebri (présentation clinique de tumeur cérébrale sans
tumeur objectivée à l’imagerie), et hypertension intracrânienne “bénigne” (terme
actuellement délaissé, car il existe un
risque de cécité dans l’HTICI).
L’HTICI est une pathologie touchant essentiellement la femme jeune obèse. Ainsi, son
incidence en population générale est de
1 cas pour 100 000 habitants par an, alors
qu’elle est de 20 cas pour 100 000 par an
dans la population des jeunes femmes
obèses (1). En dehors de l’obésité et du
sexe féminin, les autres facteurs associés à
cette pathologie sont la prise de poids
récente et la prise de certains médicaments
(vitamine A, rétinoïdes, tétracyclines et
corticoïdes) (2). Plusieurs mécanismes ont
été invoqués dans la survenue de l’HTICI :
mauvaise résorption du LCR (sclérose des
granulations de Pachionni où le LCR se
résorbe dans le système veineux, augmentation de la pression veineuse due à l’hyperpression intra-abdominale chez l’obèse),
existence d’un facteur hormonal (pathologie survenant essentiellement chez la
femme) (3). Cependant, la physiopatholo-
● Syndrome d’hypertension intracrânienne
(céphalée d’aggravation progressive avec
nausées et vomissements, et éventuellement
flou visuel, diplopie par paralysie du VI, éclipse visuelle, œdème papillaire au fond d’œil).
● Patient vigilant sans signes neurologiques
focaux (hémiplégie, aphasie, hémianopsie
latérale homonyme).
● Scanner et IRM cérébraux normaux.
● Élévation de la pression du LCR avec un
taux de cellules et de protéines normal dans le
LCR.
Concernant le traitement, il n’y a aucune
étude randomisée contre placebo ayant
prouvé l’efficacité d’une thérapeutique (6).
Les traitements proposés peuvent être classés en trois volets : lutte contre l’obésité,
diminution de la pression intracrânienne,
traitement chirurgical. La base du traitement est de lutter contre les facteurs favorisant ou déclenchant l’HTICI. Ainsi, il faut
d’abord vérifier que le patient ne prend
aucun médicament pouvant engendrer une
HTICI. L’amaigrissement est capital et se
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Cas clinique
fera sous contrôle d’un nutritionniste. Le
traitement habituel est un régime hypocalorique. Une étude rétrospective sans groupe
contrôle indique des résultats intéressants
par pose chirurgicale d’un anneau gastrique
(7). Les traitements visant à faire diminuer
l’hypertension intracrânienne sont : les
ponctions lombaires (PL) soustractives,
l’acétazolamide et les corticoïdes. Les PL
soustractives (réalisées après TDM cérébral avec iode normal) ont une efficacité
souvent rapide sur les céphalées et les
signes visuels, mais sont souvent techniquement difficiles à réaliser du fait de
l’obésité (repères osseux, longueur de l’aiguille, etc.) et peuvent être mal tolérées (le
traitement étant douloureux). L’acétazolamide à la dose de 1 à 2 g/j a comme
principal effet secondaire la survenue de
lithiase rénale. Les corticoïdes doivent être
utilisés avec prudence dans cette indication, car ils peuvent entraver l’amaigrissement et leur sevrage peut être délicat. Les
indications des traitements chirurgicaux
sont rares. Il s’agit de patients ayant une
dégradation de la fonction visuelle malgré
R
é
p
o
n
le traitement médical. Les traitements proposés sont :
– la fenestration de la gaine du nerf
optique, qui améliore rapidement les signes
visuels et les céphalées ;
– la dérivation lombopéritonéale, qui est
actuellement de moins en moins réalisée,
du fait d’une efficacité modérée à long
terme, et du risque infectieux.
En conclusion, l’hypertension intracrânienne idiopathique est une pathologie touchant essentiellement la femme jeune
obèse et qui nécessite une prise en charge
multidisciplinaire : le neurologue à la
phase diagnostique initiale, l’ophtalmologue pour déterminer la sévérité de l’atteinte visuelle et le suivi régulier des
champs visuels, et le nutritioniste pour la
lutte contre l’obésité, qui est la base du
●
traitement.
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Kurland LT, O'Fallon WM. Idiopathic intracranial hypertension (pseudotumor cerebri).
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o
-
t
e
s
t
Hormones stéroïdes et dopage
B. Le Bizec, F. Bryand, F. André (pp. 53-60)
1. Faux. Les laboratoires doivent répondre à des exigences bien précises et de divers ordres, et sont soumis à des analyses circulaires dont les résultats détermineront la délivrance de l’agrément CIO.
2. Vrai. L’homme est en mesure de produire de manière naturelle de la 19-norandrostérone et de la 19-norétiocholanolone ; évidemement, ces
résidus interfèrent avec les métabolites de la nandrolone, ce qui complique nettement le diagnostic, surtout lorsque les concentrations sont proches
du ng/ml d’urine.
3. Faux. L’urine est la matrice la plus utilisée lors des contrôles antidopage.
4. Faux. Contrairement à certaines idées reçues, la purification de l’échantillon reste cruciale à la fois pour limiter les faux négatifs (interférences masquant la substance recherchée) et interdire les faux positifs (composé interférent laissant penser que la substance recherchée est présente alors
qu’elle ne l’est pas).
5. Vrai. La spectrométrie de masse est aujourd’hui l’une des techniques les plus sensibles tout en garantissant la spécificité du signal détecté.
6. d (interdit), a (à limiter), b et c (même importance).
7. h (accusé mais innocent), g (accusé et coupable), f (innocent et reconnu comme tel), e (coupable mais innocenté).
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