ASA 2004 ASA 2004 CHAPITRE 14 Pharmacogénomique d’une possible mutation du nucléotide 118 (adénine remplacée par guanine) responsable d’un changement du quarantième acide aminé (asparagine remplacée par acide aspartique). Ce polymorphisme est retrouvé chez 11 % de la population et semble être associé à une diminution des besoins analgésiques en morphine-6-glucuronide (M6G). Les courbes doses-réponses du M6G en termes d’hypoxie et de tolérance à la douleur ont été étudiées chez 20 volontaires (12 homozygotes A118A et 8 hétérozygotes A118G). Les sujets porteurs de la mutation A118G ont montré une sensibilité plus marquée pour les effets analgésiques de M6G (Cmax diminuée de 45 %). Cependant, les effets de M6G sur la respiration ont été similaires chez tous les patients, porteurs ou non de la mutation (figure 1). Ces données pourraient ainsi expliquer la variabilité interindividuelle observée dans la consommation de morphine postopératoire. De manière parallèle, Hung et al. (abstract A-983) ont étudié la relation entre tolérance à la douleur (test préopératoire par algomètre et application de pressions croissantes) et consommation de morphine au premier jour postopératoire. 1,6 1 Polymorphisme génétique, douleur et morphiniques Dahan et al. (abstract A-1598) ont étudié le récepteur µ aux opioïdes qui présente un polymorphisme génétique du fait , Réponse à l hypoxie Tolérance à la douleur 1,0 Variation/contrôle L a variabilité interindividuelle constitue un véritable problème en pratique clinique, puisqu’elle peut aussi bien conduire à un sous-dosage et à un risque d’inefficacité thérapeutique qu’à un surdosage responsable d’une toxicité médicamenteuse. La variabilité pharmacologique d’un individu à l’autre s’explique en partie par l’âge, par la fonction rénale et/ou hépatique, par la prise concomitante d’autres médicaments ou, encore, par le mode de vie (consommation d’alcool et/ou de tabac, par exemple). Cependant, ces facteurs ne permettent pas toujours de comprendre la variabilité des réponses d’un individu à l’autre, et la génétique pourrait apporter là un certain nombre de réponses. Le polymorphisme génétique est lié à une mutation, à la perte ou à l’ajout d’un ou de plusieurs nucléotides d’un gène, responsables d’une modification des structures protéiques (un acide aminé au moins). La pharmacogénomique examine comment un ou plusieurs gènes peuvent interagir avec l’efficacité et la tolérance d’un médicament. Les variations génétiques pourraient ainsi expliquer de 20 à 95 % des variations observées entre les individus en ce qui concerne les courbes doses-réponses à de nombreux médicaments. Cette variabilité peut avoir une influence sur le métabolisme d’un agent pharmacologique, par exemple au niveau du cytochrome P450 ou sur la liaison du médicament sur sa cible, qu’il s’agisse d’un récepteur membranaire ou d’un transporteur. La pharmacocinétique et la pharmacodynamie des agents, notamment anesthésiques, peuvent ainsi être influencées par le polymorphisme génétique. Une session spéciale du congrès de l’ASA, en collaboration avec la revue Anesthesiology, a d’ailleurs été consacrée à la pharmacogénomique en anesthésie. 0 1 000 Concentration M6G A118A 1 000 A118G Figure 1. Polymorphisme du récepteur µ aux opioïdes et courbe doseréponse pour la tolérance à la douleur et pour la réponse à l’hypoxie. D’après Dahan et al. (abstract A-1598). Le Courrier de l’algologie (4), no 1, janvier/février/mars 2005 45 35 4,5 Concentration effet propofol (µg/mL) Consommation de morphine à J1 (mg) ASA 2004 ASA 2004 p < 0,002 r = - 0,484 5 100 1,0 Tolérance à une pression réalisée en préopératoire après fentanyl (kPA) 450 roux non roux Figure 2. Relation entre tolérance préopératoire à la douleur et consommation à la douleur. D’après Hung et al. (abstract A-983). Figure 3. Concentration moyenne en propofol et couleur des cheveux (phénotype roux vs non-roux). D’après Liem et al. (abstract A-1599). La tolérance à la douleur après une injection de 2 µg/kg de morphine a été évaluée chez 40 patientes programmées pour une chirurgie gynécologique. Les auteurs ont trouvé que plus les malades ont supporté une pression élevée en préopératoire sur l’algomètre, moins elles ont consommé de morphine pendant les 24 premières heures (figure 2) et plus les scores EVA étaient bas au premier jour (r = 0,52 ; p < 0,01). En anesthésie, la sensibilité des roux aux opioïdes a aussi été étudiée par Dahan et al. (abstract A-1601). Cinquante volontaires (30 ayant une mutation sur le gène de MCR) ont reçu une injection de 0,3 mg/kg de M6G (deux tiers en bolus et un tiers sur une heure). Les 15 femmes rousses ont présenté une sensibilité à M6G plus importante que les 10 femmes du groupe contrôle (aire sous la courbe de la tolérance : 1,57 ± 0,31 vs 1,22 ± 0,17 mA ; p < 0,05). Les rousses semblent ainsi présenter une sensibilité accrue aux opioïdes. présenter une résistance accrue aux agents anesthésiques, à l’exception des opiacés. Le propofol Doufa et al. (abstract A-1605) ont étudié les besoins en propofol chez 40 femmes volontaires saines, dont 20 patientes rousses. La concentration en propofol était augmentée progressivement par palier pour obtenir un score de sédation OAA/S ≤ 1 (perte du contact lors d’une secousse modérée). Les concentrations en propofol n’ont pas été statistiquement différentes (1,95 ± 0,43 vs 2,19 ± 0,60 µg/ml ; p = 0,19), même si les besoins ont été augmentés de 12 % chez les personnes rousses (figure 3). L’étude de plus grands collectifs est néanmoins nécessaire avant d’apporter une conclusion définitive sur l’absence d’interaction du phénotype roux sur les besoins en propofol. Les anesthésiques locaux Polymorphisme génétique et anesthésie Les patients roux sont porteurs d’une mutation sur le gène du récepteur à la mélanocortine (MCR). Ce polymorphisme est associé à une augmentation des besoins en halogénés de 19 % (Liem et al., Anesthesiology 2004;101:279-83) et aux benzodiazépines (Chua et al. Can J Anaesth 2004; 51:25-30). D’une manière schématique, les roux semblent 46 Le Courrier de l’algologie (4), no 1, janvier/février/mars 2005 La sensibilité aux anesthésiques locaux a également été étudiée chez les patients roux par Liem et al. (abstract A-1599). Soixante volontaires saines, dont 30 femmes rousses, ont reçu à la fois une infiltration sous-cutanée de lidocaïne à 1 %, l’application de crème EMLA® et un placebo dans trois zones distinctes de l’avant-bras non dominant. Les seuils de tolérance à la douleur lors d’une stimulation standardisée à 5 Hz (fibres C), 250 Hz (fibres Aδ) et 2 500 Hz (fibres Aα) ont été étudiés. Au niveau des zones contrôles (placebo), les seuils de perception de la douleur et de sa tolérance ont été identiques chez les roux et les non-roux. La lidocaïne sous forme de liposome (crème EMLA®) paraissait moins efficace chez les roux, mais de manière non statistiquement significative. Pour l’infiltration sous-cutanée de lidocaïne, les seuils de tolérance à la douleur à 5, 250 et 2 500 Hz étaient significativement plus bas chez les roux. Le protoxyde d’azote (N2O) Les effets du N2O et sa toxicité ont été étudiés chez l’animal et chez l’homme sous l’angle de la pharmacogénomique par Hogan et al. (abstract A-1604) et Sato et al. (abstract A-1608). Il existe un polymorphisme au niveau des enzymes du métabolisme du folate (méthionine synthase, méthionine synthase réductase et 5,10-méthylènetétrahydrofolate réductase ou MTHFR et cystathionine ß-synthase) responsable d’une hyperhomocystéinémie. Hogan et al. ont étudié 85 patients opérés pendant au moins deux heures avec une administration de plus de 50 % de N2O. Quatorze patients étaient porteurs d’une mutation à l’état homozygote ou hétérozygote sur l’un des gènes du métabolisme précité et avaient un taux d’homocystéine supérieur à 10 µmol/L en préopératoire. Sous N2O, le taux d’homocystéine a augmenté de manière identique chez les malades, porteurs ou non d’une mutation. L’inhibition par N2O de l’activité des enzymes du métabolisme du folate ne semble pas être plus importante chez les sujets à risque d’hyperhomocystéinémie. L’interaction entre N2O et le récepteur NMDA (N-méthylD-aspartate) a été étudiée chez des souris dont le gène pour MAC sévoflurane (%) 3 NS 2,5 p = 0,01 p = 0,001 N2O 50 % N2O 75 % 2 1,5 1 0,5 0 N2O 0 % Souris sauvage Souris KO Figure 4. Concentration alvéolaire moyenne en sévoflurane et souris avec phénotype sauvage ou muté (knock-out : KO) pour l’unité epsilon du récepteur NMDA. D’après Sato et al. (abstract A-1608). la sous-unité epsilon 1 du récepteur a été invalidé (knockout). Sato et al. ont étudié la concentration alvéolaire minimale (MAC) du sévoflurane avec et sans N2O chez des souris au phénotype sauvage et knock-out pour cette sous-unité du récepteur NMDA (figure 4). La MAC était équivalente pour les deux types de souris en l’absence d’administration de N2O. À l’inverse, les souris mutantes avaient une MAC plus élevée lors de l’administration d’un mélange N2Osévoflurane. Ces données confirment l’interaction du N2O avec le récepteur NMDA, également étudiée dans un autre modèle expérimental. L’inhibition du récepteur NMDA permettant de prévenir les phénomènes d’hyperalgésie, Richebé et al. (abstract A-977) ont étudié l’hyperalgésie retardée après injection de carragénine dans la patte du rat et injection sous-cutanée de fentanyl. Les rats exposés pendant quatre heures à un mélange équimoléculaire d’oxygène et de N2O n’ont pas développé d’hyperalgésie retardée. Ces données montrent ainsi que le N2O possède des propriétés antihyperalgésiques, comme la kétamine, dont le mécanisme pourrait passer par l’inhibition du récepteur NMDA. ASA 2004 ASA 2004 Polymorphisme génétique et cytochrome P450 Le cytochrome (CY) P450 est largement impliqué dans les mécanismes d’efficacité et de toxicité des médicaments à métabolisme hépatique. Le polymorphisme génétique du cytochrome P450 2D6 (CYP2D6) est l’un des mieux documentés, et l’on connaît plus de 70 variants alléliques du gène, dont un certain nombre ne sont pas fonctionnels. À côté de ces variants, il peut exister des délétions complètes du gène, responsables d’un déficit complet de l’activité ou, inversement, des amplifications géniques (présence de plusieurs copies du gène) associées à un phénotype ultrarapide : 10 % des personnes de type caucasien ont un phénotype métaboliseur limité et 10 % un phénotype métaboliseur ultrarapide. Ce polymorphisme explique par exemple l’inefficacité de la codéine chez environ 10 % des patients, puisque cet agent n’est efficace qu’après transformation en morphine. Dans un autre domaine thérapeutique, tous les sétrons sont métabolisés par le CYP2D6, mais de manière plus ou moins importante. Les conséquences cliniques n’en sont pas négligeables : chez les patients atteints de cancer et porteurs de plusieurs copies CYP2D6, l’ondansétron a de fait une efficacité réduite. Les patients sous chimiothérapie avec un phénotype métaboliseur ultrarapide ont égale- Le Courrier de l’algologie (4), no 1, janvier/février/mars 2005 47 ASA 2004 ASA 2004 ment plus de nausées et de vomissements sous tropisétron, en raison d’une concentration plasmatique plus basse. Candiotti et al. (abstract A-1611) ont étudié le nombre de copies du CYP2D6 chez 250 femmes opérées sous anesthésie générale et recevant systématiquement 4 mg d’ondansétron 30 minutes avant extubation. Durant les quatre premières heures postopératoires, 88 patientes (36 %) ont nécessité l’utilisation d’un autre traitement antiémétique et 36 ont présenté au moins un épisode de vomissements. Les patientes ayant au moins trois copies du gène présentaient plus fréquemment des NVPO malgré la prophylaxie par ondansétron (p < 0,05). Le dolasétron est métabolisé préférentiellement par le CYP2D6, à la différence du granisétron, métabolisé par le CYP3A4. Janicki et al. (abstract A-1606) ont étudié le génotype de 150 adultes opérés sous anesthésie générale avec un score d’Apfel supérieur à 3. Les patients ont reçu 4 mg de dexaméthasone puis, de manière randomisée, en double aveugle, soit 12,5 mg de dolasétron, soit 1 mg de granisétron. L’efficacité thérapeutique, c’est-à-dire l’absence de NVPO, a été similaire dans les deux groupes (dolasétron : 82 % vs granisétron : 88 % ; p > 0,05). Cependant, les patients avec un phénotype métaboliseur rapide ou ultrarapide ont eu plus fréquemment des NVPO. ■ Au sommaire du deuxième numéro de l’année 2005 (juin) • Les douleurs du travail obstétrical : une prise en charge en équipe D. Benhamou (Le Kremlin-Bicêtre) • Alter algo : ces médecines que l’on dit alternatives J.J. Eledjam (Montpellier) • La douleur de l’accouchement – Le point de vue de la sage-femme – C. Lathoud, A. Chilin (Genève) – Le point de vue de l’obstétricien – L. Ribordy, M.A. Morales (Genève) – Le point de vue de l’anesthésiste – R. Landau (Genève) • Mésothérapie : une utilisation rationnelle en algologie P. Lecomte (Rennes) • Utilisation de la lidocaïne intraveineuse et imagerie PET A. Cahana (Genève) • Les patchs transcutanés de morphine F. Dixmérias-Iskandar et al. (Bordeaux) 48 Le Courrier de l’algologie (4), no 1, janvier/février/mars 2005