I M A G E R I E IRM et syndrome de Pancoast-Tobias ● D. Jeanbourquin*, F. Minvielle*, P. L’Her**, R. Jancovici*** L a première description clinique d’une tumeur de l’apex pulmonaire remonte à 1838, alors que la première description radiologique est réalisée en 1932, lorsque Pancoast en décrit une étendue à l’entrée du thorax et responsable de signes caractéristiques : douleur du bras et de l’épaule le long du trajet de C8 et T1-T2, syndrome de Horner, atrophie et faiblesse des muscles de la main. Pancoast rattache ce syndrome à ce qu’il croit être une tumeur dérivée des vestiges épithéliaux du 5e arc branchial. La reconnaissance de l’étiologie principale tumorale bronchopulmonaire est en fait due à Tobias. Cependant, ce syndrome ne fait que traduire l’atteinte du plexus brachial et du système sympathique, et d’autres lésions peuvent être responsables d’une telle symptomatologie : infection, tumeur pleurale et diverses pathologies du creux sus-claviculaire, ce qui élargit le cadre nosologique du syndrome de Pancoast-Tobias. Les tumeurs de l’apex sont des tumeurs rares représentant entre 2 et 5 % des tumeurs bronchopulmonaires et, d’une manière générale, une extension médiastinale, un englobement des structures plexiques ou de l’artère subclavière font récuser la chirurgie première. Leur reconnaissance est réalisée, dans la majorité des cas, par la radiographie thoracique, d’une manière fortuite ou devant l’existence de signes tels que ceux décrits par Pancoast. Ce document montre le plus souvent une opacité de l’apex thoracique, isolée ou associée à un syndrome pariétal, telle une lyse osseuse. Le scanner est le complément naturel de l’exploration de ces tumeurs. Il permet un bilan local et locorégional satisfaisant au niveau des parties molles et du médiastin, et il reste indispensable pour l’exploration du parenchyme pulmonaire. Cependant, les coupes axiales sont responsables d’un effet de volume partiel au niveau des régions frontières situées dans le plan de coupe, comme c’est le cas avec la charnière cervico-thoracique, et rendent difficile leur analyse permettant d’apprécier au mieux l’extension, même si, aujourd’hui, les possibilités de reconstructions multiplanaires permettent une meilleure analyse de cette région. L’IRM présente l’avantage de posséder une résolution en contraste élevée, de bénéficier de l’environnement graisseux de cette région, de pouvoir réaliser des séquences variées dans * Service d’imagerie médicale, hôpital d’instruction des armées Percy, Clamart. ** Service de pneumologie, hôpital d’instruction des armées Percy. *** Service de chirurgie thoracique, hôpital d’instruction des armées Percy. La Lettre du Pneumologue - n° 2 - décembre 1998 leur orientation et leur contraste, permettant ainsi d’individualiser les différentes structures anatomiques de cette région et de préciser leurs rapports avec une éventuelle tumeur. Pour cela, il est indispensable de connaître les possibilités de l’IRM dans l’étude des différentes structures anatomiques avant d’envisager son apport dans le bilan des tumeurs de l’apex pulmonaire. IRM ET ANATOMIE DU SOMMET PULMONAIRE ET DE SON ENVIRONNEMENT Anatomie-IRM du sommet pulmonaire (1, 2, 3) Si nous nous tenons à la stricte définition de l’apex du poumon, cette entité correspond au poumon situé au-dessus de l’orifice supérieur du thorax et recouvert par le dôme pleural. Cet orifice supérieur du thorax est limité par le bord interne de la première côte, en arrière par le corps de T1, en avant par le bord supérieur du manubrium sternal et l’extrémité interne de la clavicule. Le sommet du poumon correspond au lobe supérieur. Le dôme pleural qui le recouvre est constitué des plèvres viscérale et pariétale et du fascia endothoracique. Cet apex apparaît en hyposignal (air des poumons) avec des limites nettes représentées par les feuillets pleuraux non directement visibles. La graisse extrapleurale, élément important de l’analyse de l’apex, est bien identifiée sous forme d’hypersignal en pondération T1. Anatomie de l’environnement du sommet pulmonaire Il est important de situer chacun des éléments susceptibles d’être envahis par une tumeur de l’apex. L’environnement osseux Il est essentiellement représenté par les premières côtes, la clavicule et le rachis en dedans. Sur des coupes en pondération T1, les structures osseuses sont caractérisées par l’hyposignal marqué de leur corticale et l’hypersignal de l’os spongieux dû à la composante graisseuse de la moelle. Bien que, au sens strict du terme, l’apex thoracique soit limité aux éléments osseux cités précédemment, lorsqu’il s’agit de réaliser le bilan d’une tumeur bronchopulmonaire apicale, l’extension pariétale peut s’étendre vers le bas au niveau des éléments costaux et des espaces intercostaux. La connaissance des éléments constitutifs de ces espaces intercostaux est donc indispensable. Le paquet vasculonerveux intercostal est constitué, du haut vers le bas, de la veine, de l’artère et du nerf. À la 21 I M A G E R I E partie moyenne de l’espace intercostal, on peut reconnaître également les vaisseaux intercostaux accessoires. L’ensemble de ces structures vasculonerveuses est situé dans un environnement graisseux, ce qui facilite sa reconnaissance. Les troncs primaires sont appliqués sur les scalènes moyen et postérieur et se situent dans un plan postérosupérieur par rapport à l’artère subclavière, cette dernière n’entrant en rapport immédiat qu’avec le tronc inférieur. L’environnement musculaire Les muscles intercostaux Nous n’insisterons pas sur les muscles intercostaux externes, moyens et internes, en dehors du fait que, en région postérieure, seul peut être reconnu le muscle intercostal externe et, en région antérieure, le muscle intercostal moyen. Le sympathique cervicothoracique Il est surtout représenté par le ganglion stellaire. Il présente des rapports étroits avec l’artère vertébrale, l’apophyse transverse de C7, le col de la première côte et la face latérale du corps de C7 en dedans. Il peut mesurer de 10 à 25 mm dans ses plus grandes dimensions et peut donc être identifié en IRM sous forme d’une formation arrondie ou ovalaire en isosignal par rapport aux muscles de voisinage. Bien qu’ils ne soient pas reconnus en IRM, il ne faut pas oublier que cette région est également le lieu de passage des nerfs phréniques et pneumogastriques. Les muscles scalènes Le muscle scalène antérieur s’étend depuis les tubercules antérieurs des apophyses transverses de C3 à C6 jusqu’au tubercule de Lisfranc. Il constitue un repère anatomique important. Le muscle scalène moyen s’étend des tubercules antérieurs des processus transverses de C3 à C6 et de l’apophyse transverse de C7 jusqu’à la première côte, en arrière de la gouttière de l’artère subclavière. Le muscle scalène postérieur s’étend des apophyses transverses cervicales jusqu’à la face postérolatérale de la deuxième côte. Toutes ces structures musculaires présentent un signal intermédiaire. Les éléments vasculaires Excepté leur origine, les artères subclavières décrivent, sur le versant antérieur du dôme pleural, une courbe à concavité inférieure passant par le défilé interscalénique antérieur et moyen. Elles mesurent 9 à 10 mm de diamètre et présentent dans leur portion interscalénique un rétrécissement nommé isthme de Stahel. L’artère vertébrale est la première branche qui naît du segment préscalénique (à gauche, elle peut naître directement de l’aorte dans 6 % des cas environ). Elle se dirige en haut, en arrière et un peu en dedans, passe au-dessus et en avant du ganglion stellaire avant de pénétrer dans le canal transversaire de C6. La veine subclavière se situe dans un plan antéro-inférieur par rapport à l’artère. Les vaisseaux artériels sont le plus souvent reconnus par l’hyposignal de leur lumière alors que celui des veines est plus variable. Les éléments nerveux Le plexus brachial Il suffit d’observer les rapports entre le plexus brachial et le dôme pleural pour constater que le tronc primaire inférieur T1C8 est le premier atteint en cas d’extension tumorale, expliquant ainsi la symptomatologie clinique. La racine T1 est située sous la tête de la première côte, puis en dedans de celleci, et passe en arrière du dôme pleural. Elle est en rapport avec le ganglion stellaire et l’artère vertébrale, puis son trajet se poursuit au-dessus de la première côte pour s’unir à C8. C8 s’applique sur le col de la première côte et se dirige en avant et en dehors. Les différents composants sont parfaitement identifiés en IRM, notamment sur des coupes sagittales ou frontales obliques, et particulièrement en pondération T1. 22 IRM ET SYNDROME DE PANCOAST-TOBIAS (4, 5, 6, 7, 8) Le rôle de l’imagerie sera de préciser l’éventuelle extension d’une tumeur du sommet pulmonaire aux différentes structures que nous venons de détailler. Technique d’exploration L’orientation des plans de coupes sera fonction de l’extension tumorale, mais, le plus souvent, nous réalisons des coupes dans les trois plans de l’espace. En revanche, les séquences sont réalisées en pondération T1, qui semble permettre un meilleur bilan. En effet, la graisse pariétale est un élément séméiologique important pour reconnaître une extension pariétale. En pondération T1, la graisse apparaît en hypersignal et la persistance de cet hypersignal permet, dans la majorité des cas, d’affirmer le respect de la paroi. Ces séquences paraissent plus informatives que celles réalisées en pondération T2 ou avec injection de produit de contraste, du fait de possibles artéfacts provoqués par l’injection. En cas de doute sur l’existence d’un envahissement vasculaire, une séquence d’angio-MR peut être utilement proposée. Chaque incidence apporte des éléments propres. Incidence sagittale (figure 1) C’est l’incidence que nous réalisons en premier : elle analyse parfaitement le sommet pulmonaire et le dôme pleural, la graisse extrapleurale, les éléments du plexus brachial et ses rapports avec l’artère subclavière, l’extension pariétale, qu’elle soit au niveau des espaces intercostaux, des côtes ou du rachis. De même, elle analyse parfaitement les éléments distaux du plexus brachial. Incidence frontale (figure 2 et 3) Les renseignements qu’elle apporte sont voisins de ceux de l’incidence précédente. Elle permet cependant de mieux suivre les éléments du plexus brachial, et sur un plus long trajet. Certains auteurs la sensibilisent en réalisant des coupes frontales obliques (figure 4). Cette incidence repère parfaitement les racines nerveuses C8 et T1. La Lettre du Pneumologue - n° 2 - décembre 1998 Figure 1. Coupe IRM sagittale en pondération T1. Les limites pleuropulmonaires sont bien définies et la graisse extrapleurale, en hypersignal, est bien identifiée. Il en est de même de la graisse contenue dans les espaces intercostaux. Différentes structures sont facilement reconnaissables : veine et artère subclavières (grande et petite têtes de flèche), scalène antérieur (grande flèche), scalènes moyen et postérieur (astérisque), racine T1 (petite flèche). Figure 4. Coupe IRM frontale oblique en pondération T1. Identification du ganglion stellaire gauche comme une formation nodulaire gauche en isosignal (flèche) au sein de l’hypersignal de la graisse. Incidence axiale Elle permet de bien explorer une éventuelle extension rachidienne et intracanalaire. Elle apprécie au mieux les éléments proximaux du plexus brachial. Figure 2. Coupe IRM frontale en pondération T1. Les racines T1 (flèches) se présentent comme des formations en isosignal au sein de la graisse pariétale. Figure 3. Coupe IRM frontale en pondération T1. Le plexus brachial (têtes de flèche) peut être suivi sur un long trajet sous l’aspect de formations en isosignal, plus ou moins linéaires, satellites de l’artère subclavière. La Lettre du Pneumologue - n° 2 - décembre 1998 Résultats (figure 5 à 9) Ce bilan d’extension peut être effectué à titre préopératoire, pour préciser les limites de la tumeur, et éventuellement décider de la voie d’abord, ou pour apprécier le volume tumoral en cas de contre-indication chirurgicale et d’indication de radiothérapie. Si l’extension pleurale est le plus souvent difficile à affirmer, il existe trois signes essentiels à rechercher pour reconnaître une extension pariétale par une tumeur de l’apex pulmonaire : – disparition du signal normal de la graisse pariétale, – modification du signal des structures musculaires, – modification de l’hyposignal cortical ou de l’hypersignal médullaire des structures osseuses. Disparition du signal de la graisse pariétale L’hypersignal de la graisse disparaît et il est remplacé par un signal intermédiaire identique à celui de la tumeur. La disparition de cet hypersignal graisseux doit être recherchée à différents niveaux : – au niveau des espaces intercostaux, où l’hypersignal graisseux a disparu, remplacé par un signal identique à celui de la tumeur, et où le pédicule vasculonerveux intercostal n’est plus identifiable ; – au niveau de l’apex, où l’hypersignal graisseux est également remplacé par un signal isotumoral. L’analyse des différentes coupes devra s’efforcer de reconnaître si des structures nobles sont incluses dans cette extension tumorale, notamment au niveau des structures du plexus brachial et/ou du ganglion stellaire ; 23 I M A G E R – au niveau de la graisse paravertébrale, où la disparition du signal peut être isolée sans modification du signal vertébral voisin. Modification de signal des structures musculaires La recherche d’une extension au niveau des structures musculaires entre toujours dans le cadre d’une extension pariétale évidente, avec présence du signe précédemment décrit. L’atteinte musculaire est souvent en isosignal par rapport à la tumeur. En cas de doute, l’injection de produit de contraste et le rehaussement de signal obtenu permettent souvent de différencier muscle envahi et muscle sain. Dans le cas d’une atteinte des muscles scalènes, la mise en évidence d’une extension au niveau des scalènes moyen et postérieur est toujours associée à une atteinte des éléments du plexus brachial de voisinage. Figure 5. Coupe IRM sagittale en pondération T1. Tumeur de l’apex pulmonaire gauche avec envahissement pariétal : - lyse partielle de la 2e côte se traduisant par une disparition localisée de l’hyposignal cortical et une diminution du signal de l’os spongieux (grande flèche) ; - envahissement des 2e et 3e espaces intercostaux (petites flèches) avec disparition plus ou moins complète de l’hypersignal de la graisse présente normalement à ce niveau. Figure 6. Coupe IRM axiale en pondération T1. Tumeur de l’apex pulmonaire gauche avec envahissement vertébral par contiguïté : disparition de la graisse extrapleurale envahie par la tumeur et anomalie de signal localisée du corps de Th1 (flèche). 24 I E Modification de signal des structures osseuses Cette modification est à rechercher essentiellement au niveau des côtes ou des structures rachidiennes, la clavicule et le manubrium sternal étant rarement atteints dans ce type de tumeur. Au niveau des côtes, il faut rechercher une modification du signal de l’os cortical avec présence d’un isosignal à la tumeur de voisinage, associée ou non à une modification de signal de l’os spongieux sous l’aspect d’un isosignal ou d’un hyposignal par rapport à celui de la tumeur. Au niveau du rachis, les modifications de signal à rechercher sont identiques à celles des atteintes costales : modifications des signaux cortical et spongieux avec présence d’un isosignal à la tumeur. À ce niveau, il conviendra également de préciser l’existence d’une extension tumorale intracanalaire. Figure 7. Coupe IRM frontale en pondération T1. Tumeur de l’apex pulmonaire droit avec envahissement pariétal se traduisant par une disparition localisée de la graisse extrapleurale paravertébrale (flèche) au voisinage du trajet présumé de la racine T1 (à l’intervention, la racine T1 était envahie par la tumeur). Figure 8. Coupe IRM sagittale en pondération T1. Volumineuse tumeur apicale avec envahissement pariétal antérieur et postérieur (petites flèches) des muscles scalènes (grandes flèches) du plexus brachial (toutes ces régions présentent un isosignal à la tumeur). La formation arrondie en hyposignal (tête de flèche) correspond à la lumière de l’artère subclavière. La Lettre du Pneumologue - n° 2 - décembre 1998 viers, plexus brachial, structures musculaires, côtes et rachis. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit utilisée lors du bilan d’extension des syndromes de Pancoast-Tobias en complément des explorations radiographiques et tomodensitométriques, pour mieux préciser l’extension tumorale, les rapports anatomiques dans le cadre d’un bilan préopératoire, ou pour déterminer le volume tumoral dans le cadre d’une indication de traitement palliatif. ■ R é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Beigelman C., Mourey-Gerosa I., Lucidarne O., Grenier Ph. L’apex du poumon et son environnement. Feuillets de Radiologie 1996 ; 36 (1) : 2-17. Figure 9. Coupe d’angiographie par résonance magnétique (même patient qu’en figure 8). Les deux hypersignaux nodulaires (flèches) correspondent à un hypersignal de flux traduisant la perméabilité de la lumière des veine et artère subclavières (avec cependant un probable envahissement de leur paroi). CONCLUSION Compte tenu de l’environnement graisseux entourant l’apex pulmonaire et la haute résolution en contraste de l’IRM, cette technique permet d’identifier les différentes structures anatomiques appartenant à cet environnement : vaisseaux subcla- La Lettre du Pneumologue - n° 2 - décembre 1998 2. Hogan Q.H., Erickson S.J. MR imaging of the stellate ganglion : normal appearance. AJR 1992 ; 158 : 655-9. 3. Posniak H.V., Olson M.C., Dudiak C.M., Wisniewski R., O’Malley C. MR imaging of the brachial plexus. AJR 1993 ; 161 : 373-9. 4. Arcasoy S.M., Jett J.R. Superior pulmonary sulcus tumors and Pancoast’s syndrome. N Engl J Med 1997 ; 6 : 1370-6. 5. Detterbeck F.C. Pancoast (superior sulcus) tumors. Ann Thorac Surg 1997 ; 63 : 1810-9. 6. Heelan R.T., Demas B.E., Caravelli J.F., Martini N., Bains M.S., McCormack P.M. et coll. Superior sulcus tumors : CT and MR imaging. Radiology 1989 ; 170 : 637-41. 7. McLoud T.C., Filion R.B., Edelman R.R., Shepard J.A.O. MR imaging of sulcus carcinoma. J Comput Assist Tomogr 1989 ; 13 (2) : 233-9. 8. Rapoport S., Blair D.N., McCarthy S.M., Desser T.S., Hammers L.W., Sostman H.D. Brachial plexus : correlation of MR imaging with CT and pathologic findings. Radiology 1988 ; 167 : 161-5. 25